• Pourquoi le développement des robots humanoïdes ?
    https://blogs.mediapart.fr/blog/revue-z/280915/pourquoi-le-developpement-des-robots-humanoides

    Pour Jean-Paul Laumond, roboticien au LAAS-CNRS, la recherche consiste de moins en moins à produire des connaissances et, de plus en plus, à « répondre à des demandes sociétales ». Au prestigieux LAAS-CNRS, on travaille sur des robots humanoïdes destinés à automatiser le travail ou s’occuper des personnes âgées. Mais quelles franges de la société ont demandé cette robotisation ? A qui profite-t-elle ? Dans cette première lettre ouverte (voir la lettre ouverte à Philippe Souères), Celia Izoard interpelle le scientifique sur la véritable nature de ces « demandes sociétales ».

    • Monsieur le directeur de recherche au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes,

      enseignant de robotique à l’Ecole normale supérieure,

      lauréat 2013 du Conseil européen de la recherche,

      ex-titulaire de la chaire Liliane Bettencourt pour l’innovation au Collège de France,

      fellow de l’Institute of Electrical and Electronic Engineers,

      membre du conseil scientifique de l’INS21 au CNRS,

      ex-co-directeur du laboratoire de robotique humanoïde JRL,

      ancien patron de l’entreprise Kinéo CAM,

      Vous avez eu l’amabilité de me recevoir avec un autre rédacteur de la Revue Z dans votre bureau pour parler du rôle social du roboticien. J’ai souhaité, en retour, vous faire parvenir quelques réflexions sur vos propos.

      Avant de présenter les réalisations de votre carrière, vous avez choisi d’introduire cet entretien par une redéfinition du métier de chercheur : « Le métier de chercheur est un métier de production de connaissances. Mais les modes de gestion actuels le font évoluer vers une réponse à des demandes sociétales. »

      En d’autres termes, si je paraphrase, vous dites : nous concevons les machines que la société nous demande. Les robots humanoïdes pour s’occuper des personnes âgées et des enfants, les drones, l’automatisation des usines, les nanocapteurs, les marchandises interconnectées, la microélectronique de demain – toutes ces choses que l’on met au point au LAAS aujourd’hui, ce sont les gens qui les demandent.

      Admettez que la formule a de quoi surprendre, dans la mesure où, dans la vie quotidienne, on n’entend guère les gens estimer qu’il n’y a pas assez de machines dans leur environnement. Et en admettant, à la limite, que la majorité de la population souhaite des robots humanoïdes ou une nouvelle génération d’ordinateurs, par quel biais adresse-t-elle ses exigences aux chercheurs ?

      Par exemple, à quelle type de « demande sociétale » répondaient les machines que vous avez créées au cours de votre carrière ?

      Vous nous avez fourni vous-même la réponse quand, retraçant votre carrière, vous avez raconté vos travaux sur le calcul informatisé de la trajectoire des objets : comment savoir sans le tester physiquement si tel objet « passe » dans tel espace ? Ainsi, vous avez mis au point un système de visualisation par informatique des places respectives des pièces d’un montage. « On ne répondait pas à un problème particulier, dites-vous. D’ailleurs on démarchait Renault sans succès. » Finalement, à l’occasion d’une rencontre avec des ingénieurs de la firme, vous tentez de les convaincre que vous avez les moyens de robotiser leurs procédés. Ils ne veulent rien entendre. Vous finissez par « forcer la porte », selon vos propres termes, en leur disant : « Montrez-moi ce que vous faites. » Ce qui vous permet de leur démontrer précisément que votre logiciel de prototypage virtuel permet « de faire en une minute le travail d’une journée ». À l’évidence, dans le cas présent, en fait de demande, il s’agit plutôt d’une offre – ce que vous avez appelé« une stratégie push ».

      Par curiosité, je vous ai demandé quel était le nom du métier qui correspondait à la création de prototypes permettant l’assemblage de pièces automobiles. Comment s’appelait celui dont le logiciel a remplacé l’activité ? Vous avez hésité. « Mmm... Euh... je ne sais pas. Un ingénieur peut-être ? Un... opérateur ? » Vous ne savez pas. Vous ne vous êtes jamais posé la question. Votre récit démontre que vous vous identifiez tellement à la direction de l’usine, à ses cadres et ingénieurs, vous avez tellement intériorisé leurs intérêts, que vous arrivez même à devancer leurs besoins. Normal, vous vous croisez à des congrès, des démonstrations, vous avez la même sociabilité, le même type de déplacements et de loisirs. Le territoire d’une technopole est précisément structuré pour rapprocher les chercheurs des patrons, des cadres et des entrepreneurs. Tout concourt à ce que vous vous identifiez à leurs besoins, à leurs aspirations ; vous partagez le même milieu social et la même vision du monde. Vous l’avez dit : « On va se retrouver avec les industriels dans des réseaux partenariaux naturels. »Il est naturel pour vous d’être en dialogue constant avec l’industrie. Vous ne travaillez pas pour la société, mais pour des sociétés. Renault, EADS, Orange ne sont pas la société, ce sont des sociétés. Aussi permettez-moi de conclure au fait que les demandes auxquelles vous répondez ne sont pas sociétales, mais commerciales.

    • Comment défendre la production électronique de masse aujourd’hui, alors que notre équipement actuel est déjà intenable du point de vue des ressources ? Celui d’il y a trente ou quarante ans l’était déjà ! Imaginez un instant que la chaîne de production de toute l’électronique que nous utilisons dans ce pays soit relocalisée en France – extraction, assemblage, déchets : resterait-il seulement de l’eau potable, des sols cultivables ?

      L’État a déjà organisé la commande publique pour créer une demande artificielle de robots d’assistance (comme il l’a fait avec l’informatique personnelle dans les années 1980 et la distribution gratuite de minitels) en équipant établissements scolaires, hôpitaux, etc. Dans ce monde-ci, on n’attend pas qu’une technologie soit au point pour la diffuser. Le problème insoluble des déchets nucléaires n’a pas empêché la construction de 58 réacteurs sur le sol national. La question est plutôt : qui va subir au quotidien les dysfonctionnements des multiples avatars du « robot-compagnon » ?

      #colonialisme #pollution