« Israël n’aurait pas commis ces crimes si le rapport Goldstone avait été suivi d’effet » (Raji Sourani)
Interview de Pierre Puchot (blog mediapart)
publié le lundi 29 septembre 2014.
▻http://www.protection-palestine.org/spip.php?article13130
Vous qui voyagez beaucoup, et avez reçu de nombreux prix en Europe et ailleurs dans le monde pour votre travail depuis vingt ans, comment expliquez-vous cette passivité de la communauté internationale lors de cette guerre ?
Raji Sourani : Le constat, c’est qu’Israël bénéficie d’une immunité totale. Le tournant, c’est le rapport Goldstone. ( Le rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le conflit à Gaza, dit rapport Goldstone, est un rapport rédigé à la demande du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur l’opération militaire israélienne Plomb durci de décembre 2008 et janvier 2009 contre la bande de Gaza et sur les tirs de roquettes et de missiles contre des localités civiles israéliennes par le Hamas et autres organisations palestiniennes. Lire ici l’un de nos articles - ndlr. ) Si Israël avait dû rendre des comptes à ce moment-là, je suis sûr qu’il n’aurait pas recommencé. C’est du fait de cette véritable immunité qu’ils se permettent toutes ces choses horribles, comme le bombardement des tours d’habitations à la fin de la guerre.
Israël rétorque que ces habitations servaient à abriter des combattants et des armes, que le Hamas se servait des habitants comme de boucliers humains.
Des ONG étaient présentes, 850 journalistes étaient à Gaza, personne n’a confirmé cette histoire de boucliers humains, qui est pure fiction. J’ai parcouru Gaza pendant la guerre et il n’y avait rien de tel, de même qu’il n’y avait pas de combattants dans les habitations. Ils étaient au front et sous terre, pour affronter l’armée israélienne. Pour le reste, le PCHR a condamné sans ambiguïté les actes du Hamas, comme l’exécution extrajudiciaire de dix-huit personnes soupçonnées de collaborer avec Israël, et ce, pendant la guerre. Mais cette histoire de boucliers humains, c’est un grand mensonge, qu’utilise Israël comme une excuse pour justifier ses crimes. Et quand bien même il y aurait eu des boucliers humains, Israël n’a aucune légitimité pour tuer tous ces civils.
D’un autre côté, j’ai été très impressionné et fier de la résistance démontrée par les combattants palestiniens qui disposent, je pense, du soutien d’une large majorité des habitants de Gaza. Les combattants ont agi avec beaucoup de courage, et au moins, nous n’avons pas fait figure de « bonnes victimes » face aux forces occupantes israéliennes, qui commettaient leurs crimes au grand jour. Le résultat de cette occupation sanglante, nous l’avons vu tous les jours, en comptant les corps. Nous avons encore des corps sous les décombres, que nous n’avons pu dégager. Il y a eu des centaines de crimes de guerre durant cette offensive. Viser les civils, telle a été la politique choisie par Israël pour faire pression sur le Hamas sur le plan politique et militaire.
« La légitimité de Mahmoud Abbas est nulle »
Pourquoi considérez-vous que le rapport Goldstone aurait dû être un tournant ?
Son contenu et ses conclusions ont été validés par les Nations unies au Conseil des droits de l’homme. Ce rapport était bon pour deux raisons : il présentait un calendrier précis, et les mécanismes d’implémentation. Sous six mois, Israël devait enquêter sur les individus suspectés d’avoir commis des crimes de guerre. Faute de quoi, le dossier israélien serait saisi par le Conseil de sécurité et par la Cour pénale internationale. C’était la première fois que l’on avait ainsi un véritable processus clair et transparent, qui demeure valide : ce n’est pas parce que Goldstone s’est renié qu’il en va de même pour les autres auteurs du rapport et pour les Nations unies.
Pourtant la procédure prévue par le rapport Goldstone n’est pas allée à son terme. Comment l’expliquez-vous ?
Encore une fois, parce qu’Israël bénéficie de l’immunité qui lui est conférée par l’Europe et les États-Unis. C’est notamment pour cela qu’Abou Mazen (Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne) n’a pas saisi la Cour pénale internationale. Or, c’est la démarche que nous devrions entreprendre. Mahmoud Abbas devrait envoyer au procureur de la Cour pénale internationale ne serait-ce qu’une page des rapports que nous lui avons transmis. Et il n’y a pas que les rapports sur les crimes commis pendant la dernière guerre, mais aussi sur la torture que les Israéliens pratiquent sur les prisonniers, sur le mur de l’apartheid en Cisjordanie, sur le siège de Gaza et ses conséquences humanitaires… En tant qu’avocats, nous avons réuni beaucoup de dossiers, et il faudrait maintenant les transmettre à la CPI.
Pourquoi Mahmoud Abbas ne le fait-il pas selon vous ? Parce qu’il ne trouve pas la démarche justifiée ou parce qu’il subit une pression incroyable de la part de l’Europe et des États-Unis ? Bien sûr, je n’essaie pas ici de trouver une excuse à son inaction, je pense que sa légitimité est nulle. C’est un président sans mandat depuis le 29 novembre 2012.