Le Hezbollah passe à l’offensive en sol syrien | Thomas Abgrall

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  • Dans le genre « le confessionnalisme #ça_marche_à_tous_les_coups », l’article du jour de Libé : Le martyre syrien exalte les jeunes du Hezbollah (bon, déjà, le titre…)
    http://www.liberation.fr/monde/2015/10/08/le-martyre-syrien-exalte-les-jeunes-du-hezbollah_1400011

    1. Le principal protagoniste de l’article énonce très clairement les motifs politiques de son engagement, le journaliste fait suivre immédiatement par un « Mais… » et « la confessionnalisation… », qui permet donc de présenter comme un lien logique le fait qu’on va écrire exactement le contraire de la citation.

    « J’ai décidé de m’engager pour lutter contre Israël, et en Syrie je me bats toujours pour cette cause. La guerre contre Bachar al-Assad a pour seul but de briser le dos de la Résistance. L’entité sioniste, après avoir échoué en 2006, essaie de bloquer l’approvisionnement terrestre en armes du Hezbollah par l’Iran pour lui porter un coup fatal. Nous avons fait échouer ce projet », lâche le jeune homme.

    Mais les enjeux géopolitiques n’expliquent pas tout. La confessionnalisation de la guerre en Syrie a joué un rôle primordial dans la volonté de la jeune génération de s’engager sur ce champ de bataille.

    Au passage, nous avons la mention obligée de Lokman Slim. (Comme ça, tu pourras aller bosser pour Arte si tu en as assez d’écrire dans le journal.)

    2. Ne pas hésiter à écrire une phrase qui n’a pas de sens : introduire de la confusion n’est jamais inutile. Ici, « le Hezbollah a mis en avant… tout en n’insistant pas… » (alors quoi ? il insiste ou il n’insiste pas ?) :

    Dans sa stratégie de mobilisation, le Hezbollah a mis en avant Sayyida Zaynab - cela avait déjà été le cas lors de la guerre avec Israël en 2006 - tout en n’insistant pas, dans ses discours, sur la dimension religieuse de son engagement militaire, sujet sensible dans un pays multiconfessionnel comme le Liban.

    On retrouve d’ailleurs ici un mensonge classique depuis 2012 : Nasrallah prenait bien soin d’expliquer la présence de membres du Hezbollah pour protéger le mausolée de Sayyida Zaynab (haut lieu de pèlerinage chiite) par le fait que, si le tombeau était détruit, alors il y aurait une conflagration confessionnelle totalement incontrôlable, et que cette protection était nécessaire justement pour éviter que ça dégénère immédiatement en fitna. On peut bien prétendre que ce discours est un alibi, mais le fait est que, contrairement à ce qu’on colporté les médias Hariri, Nasrallah avait un discours officiel destiné clairement à prévenir le glissement confessionnel sur la question de Zaynab.

    3. À nouveau le pseudo lien logique : Nasrallah « ne fait pas référence au Mahdi… » immédiatement suivi d’un « pourtant… » soulignant l’importance du référent religieux :

    Le secrétaire général du « Parti de Dieu », Hassan Nasrallah, quand il évoque la guerre en Syrie, ne fait par exemple pas référence au Mahdi, le douzième imam caché qui doit réapparaître à la fin des temps. Pourtant, la croyance

    4. Un très long paragraphe sur les croyances prophétiques de Ahmad, le rappel d’une histoire similaire en 2006, et comme ça en passant, une unique phrase pour indiquer que le Hezbollah avait clairement désavoué cette théorie ; avec un glissement, illico, à Ahmad qui « a lui toujours cru aux prophéties… » :

    En 2006, déjà, le conflit avec Israël avait été interprété comme un signe de l’arrivée du Mahdi, et avait donné lieu à la publication d’un livre à succès, Asr el Zuhur, (« l’ère de la désoccultation »). L’ouvrage avait à l’époque été condamné par l’organe officiel du Hezbollah, estimant qu’il se fondait sur des données inexactes. […] Ahmad, a lui toujours cru aux prophéties…

    Bref, c’est l’article sur le thème très classique consistant à opposer les jihadistes syriens aux « jihadistes chiites ». Le but est, à un degré ou à un autre, de justifier les uns par les autres (les Burgat-boys ont largement joué à cela : pourquoi critiquer les dérives sectaires des rebelles syriens quand on soutient la Résistance libanaise).

    Ici, on joue clairement sur un des fondements de l’alibi confessionnaliste : puisque les gens ont une confession, alors leur action politique est déterminée avant tout par cette confession (…donc le confessionnalisme, ça marche à tous les coups : les gens t’expliquent qu’ils n’agissent pas pour un motif religieux, mais comme ils réintroduisent naturellement leurs croyances dans leur activité, tu expliques que contrairement à ce qu’ils prétendent, le motif est religieux). Or, même dans cet article, il faut recourir à des artifices rhétoriques pour parvenir à introduire la confusion :
    – prendre 2 « témoins » et les opposer au discours officiel du Hezbollah, et grâce à des « pourtant » et des « mais », donner plus de poids à la version confessionnelle ;
    – de fait, occulter ou minorer le motif politique qui est pourtant systématiquement mis en avant par l’organisation politico-militaire qui les envoie au combat, et minorer leur propre motif politique (pourtant clairement exprimé), pour mettre lourdement en avant l’aspect religieux.

    Alors certes, tout n’est pas totalement blanc ou noir, et le Hezbollah n’est évidemment pas une grande force progressiste et gentiment laïque, mais là, on est dans la succession de procédés grotesques, dont la seule logique est de mettre sur le même plan la Résistance libanaise et Al Qaeda.