christophe d’hallivillée : What a wonderful world

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  • What a wonderful world, christophe d’hallivillée
    http://christophe-dhallivillee.blogspot.fr/2015/09/what-wonderful-world.html

    A force de suer j’avais perdu cinq kilos. Je devais impérativement me mettre à l’abri... 

    Bibi et Simon me regardaient d’un air super étrange... Ils suintaient la hargne... C’était nouveau.

    Les laïus partaient dans tous les sens...

    Devant la porte de la cuisine, le PS, par la voix d’un énarque promotion Adolphe Thiers 1996, appelait à repousser le fascisme. 
    – Bah, les résultats électoraux sont clairement pourris. On a pas été assez loin dans les réformes. Ces cinq dernières années on a pété le CDI et privatisé tout ce qu’on pouvait. Malheureusement ça n’a pas suffi. De quel moyen dispose t-on pour mobiliser les corniauds d’électeurs de gauche ? De l’antifascisme... D’accord, la ficelle est un peu grosse mais...

    J’écoutais pas. J’étais vert de trouille... Je sentais que Bibi avait compris que je m’appelais pas Couillu... OK, mais c’était lui qui m’avait nommé ainsi... Moi j’étais responsable de rien... J’avais seulement laissé dire...

    Simon se grattait le menton.
    – Si t’es pas Couillu, alors c’est quoi ton vrai nom ?

    Bibi avait déchiré un coussin et commencé à en extraire des morceaux de mousse. Il exultait :
    #Cambadélis l’a dans le cul. Hier, avec sa clique ils ont organisé une manif. Y’avait trois-mille élus, femmes et moutards compris... Ils ont défilé entre République et #Pôle_emploi. Des sénateurs raqués 15.000 euros net par mois tenaient une banderole. Dessus tu pouvais lire : « Un élu #PS en moins c’est un peu de #fascisme en plus. Votez pour la #République ! » Ah les cons, ils s’imaginent que les chômeurs longue durée vont pleurer sur leur sort... T’imagines ? Complètement déconnectés, les blaireaux...

    – Ils se sont débandés avant d’avoir atteint Pôle emploi. Des badauds sur les trottoirs les ont caillassé en gueulant « Mon ennemi c’est la finance », avait rapporté, très docte, un certain Luc, étudiant en management, boursier niveau 5.

    – Je suis Charlie De Gaulle, s’était écriée une nana en tailleur rose. Parfaitement, vive le Général ! Lançons un appel du 18 juin à libérer la France des théories du genre !

    – Cinq sur cinq, repoussons l’invasion des perversions élaborées dans les facs US par des délinquants sexuels...

    – Où es Tino Bossi ? A quelle heure il se pointe ? 

    De plus en plus de types et de nanas suffoquaient, ils ôtaient leurs gilets et leurs chemises. Qui allait raquer la note de chauffage ? C’était moi, bien sûr. Le thermostat se trouvait dans la cuisine. Je devais le baisser. Sinon cet hiver impossible de payer la note, les mecs d’EDF nous couperaient le jus. Mireille logeant dans un appartement sans chauffage ? Rien que d’y penser j’en avais froid dans le dos. Pourquoi pas aussi imaginer Mireille sans son abonnement à 2000 euros à la salle de muscu ? 

    J’avais perdu les pédales. Je m’étais mis à paniquer. A beugler : 
    – Faut couper le thermostat. Faut arrêter ce gâchis... Sinon Mireille va me plaquer !

    – On a trop chaud ! On a trop chaud ! criait la foule, conciliante.

    Nathan Gobineau était intervenu :
    – Le pays crève à force de détestation de la #valeur travail. Plus on déteste la valeur travail plus on touche d’#allocations. Est-ce logique ? Est-ce français ? Je réponds clairement : non.

    – Gobineau ! Gobineau ! Macron ! Macron !

    – Nous avons refusé d’emprunter la voie sans issue de l’extrémisme... Voilà le secret de notre victoire... 

    Les invités applaudissaient à tout rompre. Porté par la ferveur des masses Nathan avait montré les crocs.
    – Bibi et Simon le Toulonnais sont de braves militants, cependant, chers amis, vous l’avez vous-mêmes constaté, ce sont des has been... Ils vivent dans un passé révolu à jamais... Laval, Aussaresses, Ordre nouveau, Faurisson... Leur logiciel est ridicule. 

    – Ouais, complètement à coté de la plaque, les gustaves !

    Ça y était, Nathan s’apprêtait à déclencher la curée...

    – Désormais ils doivent se taire. Leur façon brutale d’exprimer des idées - dont certaines peuvent au demeurant être sympathiques - nuit gravement à la communication du Front. Je vais donc être très clair : stop aux jeux de mots à deux balles... Stop aux métonymies de merde pour faire le buzz !

    – Étourdissons au merlin les provocateurs, s’était enthousiasmé un certain Gégé, boucher-charcutier au Puy-en-Velais, qui par ailleurs agitait un hachoir dans une main et un godemiché dans l’autre.

    – Au boulot, la racaille ! Debout à 6 h du mat’, terminé le #RSA en veux-tu en voilà, avait repris un marin-pêcheur du Guillevinec chaussé de bottes en caoutchouc, et qui menaçait de « foutre le feu au parlement de l’Europe » histoire « d’en finir clair et net avec ces putains de quotas de maquereaux ».

    Comme on voit, du Puy-en-Velais jusqu’au Guillevinec, l’ambiance devait beaucoup à l’enthousiasme de nos petits artisans. Perso, je marchais un peu à côté de mes baskets, j’avais peine à suivre la marche grandiose de l’électorat au son des clarinettes de BFMTV. L’histoire passait sous mes yeux, majestueuse, chevauchant un âne enragé. Crevant de chaleur, incapable de saisir le sublime de la situation, je ne pensais qu’à me trouver un ventilateur...

    Je délirais ou quoi ?

    Bibi me collait aux miches... Je l’entendais dire que quelqu’un les espionnait, lui et Simon. Et que ce quelqu’un était forcément un proche...

    Y’avait le feu au lac ! J’avais dix questions à traiter à la fois... J’étais en danger de tous les côtés.... Simon, Bibi, mais aussi #HEC, et puis tous les autres qui recommençaient à me fixer avec un drôle d’air...

    D’un coup ma vue s’était brouillée, j’avais serré mon attaché-case contre ma poitrine. Hein, si quelqu’un allait m’arracher mon attaché-case, l’ouvrir et montrer qu’il était vide ? De quoi aurais-je l’air ? Alors que j’étais censé être de retour de mon cabinet de consulting, alors que j’étais censé y avoir passé la journée... Si Mireille assistait à une telle scène ? Quelle horreur ! Je serais démasqué. 

    Franchement qu’adviendrait-il si Mireille se rendait compte que j’appartenais à l’armée des cinq millions de #chômeurs qui se pressaient devant les agences de Pôle emploi ?