• "Le Management de la Sauvagerie"

    "Les différentes déclinaisons du « jihad » diffusent aujourd’hui une avalanche d’images — photos et vidéos — extrêmement choquantes, qu’il s’agisse des conséquences d’un bombardement sur une population, de corps disloqués d’ennemis tués au combat qu’on enterre par bennes dans des fosses communes, de gens qu’on décapite, brûle vifs, lapide, précipite du haut d’immeubles… La guerre est quelque chose qui relève de l’entendement — un outil destiné à atteindre des buts politiques par usage de la violence. Elle est également animée par des ressorts de nature passionnelle — le déchaînement de violence sans passion, est-ce bien envisageable… ? Maîtriser l’art de la guerre pourrait d’ailleurs bien relever d’une exploitation habile et équilibrée de ses ressorts passionnels et rationnels. Or, ceci a été théorisé au profit du jihad. Un certain Abu Bakr Naji, membre du réseau Al Qaeda, a en effet publié sur Internet en 2004, en langue arabe, un livre intitulé Le Management de la Sauvagerie : l’étape la plus critique que franchira l’Oumma . L’ouvrage a été traduit en anglais par William Mc Cants au profit de l’institut d’études stratégiques John M. Olin de l’université de Harvard. C’est sur cette traduction qu’est fondé le présent billet. On a parfois l’impression d’y lire les enseignements de l’implantation de Jabhat al Nusra en Syrie, à ceci près qu’il a été écrit avant… Et l’on y découvre des théories auxquelles ont donné corps des gens comme Abu Mussab al Zarqaoui, ou les actuels décideurs de l’organisation Etat Islamique.

    La « sauvagerie » qu’il est ici question de manager n’est absolument pas celle qui consiste à brûler des prisonniers ou à leur couper la tête. Dès sa préface, et au fil de son ouvrage, Abu Bakr Naji définit la « sauvagerie » en question comme étant la situation qui prévaut après qu’un régime politique s’est effondré et qu’aucune forme d’autorité institutionnelle d’influence équivalente ne s’y est substituée pour faire régner l’état de droit. Une sorte de loi de la jungle, en somme. Avec un pragmatisme remarquable, ce djihadiste convaincu, dont l’ouvrage est méthodiquement constellé de références à la Sunna, considère la « sauvagerie » comme une ressource, un état à partir duquel on peut modeler une société pour en faire ce sur quoi reposera un califat islamique dont la loi soit la Charia. Le management de la sauvagerie est un recueil stratégique qui théorise finement l’exploitation coordonnée de ressorts cognitifs et émotionnels au profit d’un but politique d’essence religieuse. Sa lecture marginalise les commentaires qui tendraient à faire passer les acteurs du jihad pour des aliénés mentaux ou des êtres primaires incapables de comprendre les subtilités propres à l’être humain. Elle souligne à quel point la compréhension d’un belligérant est tronquée quand on ne condescend pas à jeter un coup d’œil dans sa littérature de référence. Car les mécanismes du jihad tel qu’il est livré aujourd’hui sont bel et bien contenus dans une littérature stratégique dédiée. Le présent billet va vous en présenter certaines grandes lignes. Je vous invite, à terme, à prendre le temps de lire l’ouvrage pour en appréhender tous les ressorts (lien fourni en bas de page)."

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