• http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/08/le-fils-de-saul-ou-la-fin-du-debat-sur-la-representation-de-la-shoah_4805379

    La question n’est pas de savoir comment Le Fils de Saul représente l’irreprésentable de la Shoah mais pourquoi celui-là reçoit soudainement l’autorisation de représenter ce qui jusqu’alors était considéré comme un tabou. Soixante-dix ans après la libération d’Auschwitz, au moment où disparaissent les derniers survivants qui nous obligeaient à une tenue et une retenue, la Shoah, privée de ses témoins-martyrs, est en train de tomber dans le domaine public. A la manière du droit de la propriété intellectuelle qui ne protège plus une œuvre soixante-dix ans après la mort de son auteur. De sorte que les règles qui régulaient les « comment dire », « comment montrer », « comment en parler », ne sont plus opérantes comme elles l’ont été. Il n’est plus question de s’interroger sur le bien-fondé d’une nouvelle édition critique de Mein Kampf, ou sur l’interdit d’écrire le mot « roman » en couverture des ouvrages traitant des camps, ou sur la légitimité des images recréées au cinéma. La bascule s’opère sous nos yeux. Les gardiens officiels, investis, peuvent bien se fâcher et faire les gros yeux : « Je ne vous permets pas, vous n’avez pas le droit ! », ça ne marche plus. Au mieux les visages se détournent en haussant les épaules, au pire, ils ne savent même plus de quoi il retourne. Un peu comme le souvenir des pogroms, aussi tragiques qu’ils aient été, s’est détaché de sa charge émotionnelle pour devenir un événement historique.

    Je n’ai pas encore vu ce film, donc pour le moment je n’en dis rien, en revanche ce qui est écrit dans cet article du Monde est problématique à bien des endroits, ne serait-ce que cet extrait qui sous-entend que puisque les derniers survivants des camps de concentration et d’extermination des Nazis sont tellement croulants pour ne plus pouvoir se défendre, et ben c’est bon on peut y aller à faire et dire n’importe quoi sur le sujet.

    Et si en plus on peut bénéficier le caution morale de Lanzmann alors... Lanzmann, qui en dehors de la réalisation de son brillant et luminueux Shoah (au titre par ailleurs assez contestable) aura collectionné un nombre très impressionnant de conneries sur le sujet (qu’on y pense, il a également défendu les indéfendables Bienveillantes de Littel et au contraire s’est toujours montré stupidement méprisant envers Georges Didi-Hubermann pour son remarquable Images malgré tout

    Encore un petit effort dans le sens de cet article et la destruction des Juifs d’Europe va vraiment devenir un détail de l’histoire.

    • http://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2015/laszlo-nemes-et-clara-royer-le-fils-de-saul-shoah,126690.php

      Cet entretien est terrifiant. J’imagine que je pourrais en citer chaque phrase pour en pointer le caractère obsène et l’extraordinaire prétention de ces deux personnes dont on ne peut pas dire qu’elles s’étouffent beaucoup de recul sur eux-mêmes.

      La dernière question/réponse est édifiante :

      Au fond, que voulez-vous transmettre au spectateur ?

      LN : Une expérience sensorielle. Redonner du sens en faisant notamment appel aux sens du spectateur.

      En odoroma si c’était possible ?

      Quand je pense que je m’étais dit qu’il faudrait que j’essaye d’aller le voir sans a priori , cela ne va pas être facile.

    • László Nemes le réalisateur de Le Fils de Saul était sur France-Inter en début d’après-midi,
      http://www.franceinter.fr/emission-cosmopolitaine-kerry-hudson-et-laszlo-nemes
      à propos des Sonderkommandos, Paula Jacques rappela les propos d’Hannah Arendt, qui firent grandes polémiques, sur les complicités nazies dans les pays occupés et même parmi les communautés juives
      « Oh elle, répliqua-t-il, elle couchait avec des nazis. »
      C’est au début de l’entretien.

    • @loutre Bon, je crois que je vais m’éviter d’écouter cela alors. Il est des tortures que je ne m’inflige plus. Le film lui passe dans mon cinéma de quartier la semaine prochaine, je ferai mon devoir, après tout je me suis fader les Bienveillantes et leurs 900 pages de conneries, un film à côté ce n’est rien, de telle sorte, comme pour les Bienveillantes qu’on ne puisse pas me dire, mais as-tu seulement vu le film ?

    • http://next.liberation.fr/culture-next/2015/11/03/le-fils-de-saul-choc-sans-replique_1410983

      De même, à deux semaines de sa sortie en salles, une partie de la presse aura reçu, adjoint à ce même fascicule promotionnel, un court ouvrage de Georges Didi-Huberman, publié aux Editions de Minuit, Sortir du noir. A la fois éloge enflammé du travail de Nemes (qui commence par ces mots : « Votre film, le Fils de Saul, est un monstre. Un monstre nécessaire, cohérent, bénéfique, innocent »), étrange prototype de produit dérivé intello et coup de massue assené à la critique, entre intimidation et verrouillage théorique.

      Et là je dois dire qu’avec moi cela a failli fonctionner. Je me suis jeté sur ce petit livre, je l’ai lu, il m’a fait vaciller, je me suis dit que je me trompais sans doute, et je suis allé voir le film, et pendant toute la durée du film je n’ai cessé de me demander qu’est-ce que Didi-Hubermann avait vu que je ne voyais pas et au contraire qu’est-ce qu’il n’vait pas vu que je voyais ?

      Je voudrais tenter de faire une chronique de ce film (je vais peut-ête mêm relire le oivre et retourner voir le film) mais cela va me demander du temps. Parce que tout s’est mélangé depuis, puisque je suis allé voir ce film avant d’aller dîner, heureusement pas au Petit Cambodge où c’était pourtant prévu que j’aille. Donc cela ne va pas être facile.

      Par ailleurs cet article de Libération est assez admirable de courage intellectuel.

    • @philippe_de_jonckheere Une autre note discordante dans le concert de louanges autour de ce film :

      http://www.causeur.fr/laszlo-nemes-shoah-fils-saul-35296.html

      Être sobre et humble, c’est précisément ce qu’a oublié Nemes, faisant passer son égo d’artiste en premier lieu. Il privilégie la forme, le suspense, la mise en situation du spectateur avant de penser au fond, l’horreur impensable et irreprésentable de la Shoah.

      Effrayant, monstrueux, insoutenable, si le film nous dit beaucoup de la défaite de la pensée et de l’effondrement des valeurs de notre société occidentale, c’est plutôt par ses défauts. Le spectacle doit dominer. Le Fils de Saul est insupportable non pas à cause de l’horreur de la Shoah mais en raison du dispositif artistique formel implacable qu’il impose aux spectateurs. Le danger est qu’il s’impose comme une œuvre importante, un tournant crucial de la représentation de la Shoah dans une époque où les derniers témoins vivants disparaissent les uns après les autres. La sanctification du Fils de Saul pourrait faire autant pour l’oubli que pour la mémoire.

    • @julien1 C’est exactement cela, ce film est un exercice formel épouvantable et obsène. Et de fait il est à craindre que ce film crée une manière de précédent, un inutile précédent.

      De même pendant le film de nombreux plans m’ont effectivement fait penser à la technique des jeux vidéo, il y a quelque chose de l’ordre de l’Auschwitz interactif qui est absolument insupportable. Je viens de relire Sortir du noir de Didi-Hubermann, apparement, en voyant le film et en écrivant à son propos, on peut se demander si son sens critique était branché.