• Thomas Piketty : « Le tout-sécuritaire ne suffira pas »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/21/le-tout-securitaire-ne-suffira-pas_4814707_3232.html

    Face au #terrorisme, la réponse doit être en partie sécuritaire. Il faut frapper Daech, arrêter ceux qui en sont issus. Mais il faut aussi s’interroger sur les conditions #politiques de ces #violences, sur les #humiliations et les #injustices qui font que ce mouvement bénéficie de soutiens importants au #Moyen-Orient, et suscite aujourd’hui des vocations sanguinaires en #Europe. A terme, le véritable enjeu est la mise en place d’un modèle de développement social et équitable, là-bas et ici.

    C’est une évidence   : le terrorisme se nourrit de la poudrière inégalitaire moyen-orientale, que nous avons largement contribuée à créer. Daech, «  Etat islamique en Irak et au Levant  », est directement issu de la décomposition du régime irakien, et plus généralement de l’effondrement du système de frontières établi dans la région en 1920.

    • Le tout-sécuritaire ne suffira pas | Le blog de Thomas Piketty
      http://piketty.blog.lemonde.fr/2015/11/24/le-tout-securitaire-ne-suffira-pas-2

      Si l’on examine la zone allant de l’Egypte à l’Iran, en passant par la Syrie, l’Irak et la péninsule Arabique, soit environ 300 millions d’habitants, on constate que les monarchies pétrolières regroupent entre 60  % et 70  % du PIB régional, pour à peine 10  % de la population, ce qui en fait la région la plus inégalitaire de la planète.

      Encore faut-il préciser qu’une minorité des habitants des pétromonarchies s’approprient une part disproportionnée de cette manne, alors que de larges groupes (femmes et travailleurs immigrés notamment) sont maintenus dans un semi-esclavage. Et ce sont ces régimes qui sont soutenus militairement et politiquement par les puissances occidentales, trop heureuses de récupérer quelques miettes pour financer leurs clubs de football, ou bien pour leur vendre des armes. Pas étonnant que nos leçons de démocratie et de justice sociale portent peu au sein de la jeunesse moyen-orientale.

      Pour gagner en crédibilité, il faudrait démontrer aux populations qu’on se soucie davantage du développement social et de l’intégration politique de la région que de nos intérêts financiers et de nos relations avec les familles régnantes.

      Déni de démocratie

      Concrètement, l’argent du pétrole doit aller en priorité au développement régional. En 2015, le budget total dont disposent les autorités égyptiennes pour financer l’ensemble du système éducatif de ce pays de près de 90 millions d’habitants est inférieur à 10 milliards de dollars (9,4 milliards d’euros). Quelques centaines de kilomètres plus loin, les revenus pétroliers atteignent les 300 milliards de dollars pour l’Arabie saoudite et ses 30  millions d’habitants, et dépassent les 100 milliards de dollars pour le Qatar et ses 300  000 Qataris. Un modèle de développement aussi inégal ne peut conduire qu’à la catastrophe. Le cautionner est criminel.

      Quant aux grands discours sur la démocratie et les élections, il faudrait cesser de les tenir uniquement quand les résultats nous arrangent. En 2012, en Egypte, Mohamed Morsi avait été élu président dans une élection à la régulière, ce qui n’est pas banal dans l’histoire électorale arabe. Dès 2013, il était expulsé du pouvoir par les militaires, qui ont aussitôt exécuté des milliers de Frères musulmans, dont l’action sociale a pourtant souvent permis de pallier les ­carences de l’Etat égyptien. Quelques mois plus tard, la France passe l’éponge afin de vendre ses frégates et de s’accaparer une partie des maigres ressources publiques du pays. Espérons que ce déni de démocratie n’aura pas les mêmes conséquences morbides que l’interruption du processus électoral en Algérie en 1992.

      Reste la question  : comment des jeunes qui ont grandi en France peuvent-ils confondre Bagdad et la banlieue parisienne, et chercher à importer ici des conflits qui ont lieu là-bas  ? Rien ne peut excuser cette dérive sanguinaire, machiste et pathétique. Tout juste peut-on noter que le #chômage et la #discrimination professionnelle à l’embauche (particulièrement massive pour les personnes qui ont coché toutes les bonnes cases en termes de diplôme, expérience, etc., comme l’ont montré des travaux récents) ne doivent pas aider. L’Europe, qui avant la crise financière parvenait à accueillir un flux migratoire net de 1 million de personnes par an, avec un chômage en baisse, doit relancer son modèle d’intégration et de création d’emplois. C’est l’#austérité qui a conduit à la montée des égoïsmes nationaux et des tensions identitaires. C’est par le développement social et équitable que la haine sera vaincue.