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  • Il était une fois #Molenbeek
    Molenbeek-Saint-Jean est l’une des dix-neuf communes de la région Bruxelles-Capitale et, depuis les attentats mortels de Paris, la cible des médias qui qualifient la « Petite Manchester belge » comme un « repaire de djihadistes ».
    https://blogs.mediapart.fr/blaz/blog/251115/il-etait-une-fois-molenbeek

    Molenbeek est condamnée à la réclusion mais Molenbeek n’est pas une île qui flotte dans le ciel. Une mécanique implacable l’inscrit dans la politique de la ville et cette tectonique urbaine la relègue petit à petit au rang de cloaque urbain. La paupérisation de certains quartiers de Molenbeek, le stigmate endossé à ces périmètres urbains réduisent cette population à se réfugier dans les liens de solidarité primaire. De la paupérisation, le quartier bascule à la communautarisation jusqu’à un stade ultime proche du ghetto. Et comme il ne faut pas prendre ce mot à la légère, il faut plutôt parler d’une tendance à la ghettoïsation plutôt que du ghetto au sens strict du terme. Effectivement, la population maghrébine et son folklore dominent le quartier, un certain entreprenariat ethnique fonctionne en autarcie dans le quartier, entreprenariat qui importe des produits bradés venus de Chine ou de l’étranger et qui a rendu dans une certaine mesure la prospérité au quartier. Néanmoins, ces quartiers ne forment pas encore un espace autonome dans la ville même si quelques pratiques exotiques témoignent d’une avancée de la duplication institutionnelle dans le quartier. Étangs noirs a des allures de ghetto mais Étangs noirs reste néanmoins ouvert sur le reste de la ville. Certains résidents communiquent et travaillent en dehors du quartier. Molenbeek n’est pas un buraku japonais.

    Bruxelles est une ville prospère et atypique. Capitale européenne, s’y déploient d’une part les institutions européennes, d’autre part, les bassins d’emplois qui attirent par dizaines de milliers les flux migratoires. Le conflit communautaire réchauffe lui la rivalité sur les emplois (Francophones versus Néerlandophones). Il résulte de cette alchimie un volume important d’emplois (750.000 emplois) qui bénéficient pour plus de la moitié à des non bruxellois. D’une part, les institutions européennes visent des profils qualifiés et maîtrisant plusieurs langues, d’autre part, les bassins d’emplois privilégiés sur Bruxelles visent ces mêmes profils hyper-qualifiés. Les populations issues de l’immigration dotées d’une formation bradée, discriminées (surtout quand elles sont instruites), sectorisées, elles sont reléguées au travail précaire, infraqualifié, aux niches professionnelles ethniques ou au désœuvrement. Si bien que Bruxelles devient une cité de transit pour les classes moyennes intermédiaires et supérieures résidant en périphérie. On travaille à Bruxelles mais on vit à la campagne. Ce que Donzelot nomme la périurbanisation.

    Sur le plan morphologique cette relation de la ville à ses administrés est clivante. D’un côté les communes de l’Est et la périphérie entassant les profils les plus qualifiés, les hauts revenus, les travailleurs et les propriétaires. De l’autre côté, les communes de la première ceinture bruxelloise et tous ses indicateurs au rouge : infraqualification, chômage de masse, jeunesse désœuvrée, insalubrité (logement), familles nombreuses et population issue de l’immigration. Cet apartheid qui ne dit pas son nom enferme les deux visages de Bruxelles depuis plus de 20 ans. Molenbeek est un concentré de cette relégation tenace en raison de son historicité. Déjà, au dix-neuvième siècle, la bourgeoisie catholique résidait à l’Est de Bruxelles quand Molenbeek et ses chancres industriels entassaient un prolétariat blanc et dépravé.