Des valeurs communes pour rester en vie

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    Les lois de la jungle ne sont plus ce qu’elles étaient par In Koli Jean Bofane, écrivain

    Chacun de nous, ces jours-ci, éprouve un malaise tenace face aux événements qui ont secoué l’actualité récente. À Paris, à Bamako, à Beyrouth. On se sent impuissant et on a du mal à comprendre. Il semble que la violence se répande de plus en plus vite et elle n’a de limites que dans l’imagination de celui qui l’exerce. En fouillant nos décombres dans quelques siècles, les archéologues seront surpris de constater que le XXIe siècle a débuté avec des décapitations, de l’esclavage de masse, des humains qui se font sauter à l’explosif, des enfants qui prennent plaisir à tirer dans le tas et mourir ensuite. Ça a l’air d’être n’importe quoi, pourtant cela a bien dû commencer quelque part. Blâmer le terrorisme ? Sans doute, mais je viens d’apprendre à l’instant que de jeunes Américains viennent, une fois de plus, de tirer à l’automatique sur le tournage d’un clip, blessant pas moins de seize personnes. Que revendiquaient-ils ? On ne sait pas. Les agissements de ces jeunes violents me font penser à un documentaire animalier vu, une nuit d’insomnie, sur une chaîne publique. Le reportage au début montrait une bande de rhinocéros tués dans une réserve naturelle en Afrique du Sud. Les pauvres bêtes avaient été abattues de façon atroce, leurs côtes avaient été défoncées et leurs carcasses gisaient comme si elles avaient subi un bombardement de drone. Vu que les cornes n’avaient pas été emportées, les gardiens furent bien obligés de reconnaître que ce ne pouvait pas être l’œuvre de braconniers. L’enquête pour identifier les coupables pris un peu de temps mais pas beaucoup. Les coupables n’étaient pas loin, ils vivaient dans la réserve, côtoyaient les rhinocéros, auraient peut-être dû les craindre mais il n’en avait pas été ainsi parce qu’il s’agissait de jeunes éléphants nés dans des zoos un peu partout dans le monde : d’Europe, d’Amérique, d’Asie. Ces jeunes pachydermes n’avaient pas été élevés comme il fallait, séparés de leurs parents dès le jeune âge. Ils avaient été livrés à eux-mêmes, sans éducation, sans avoir intégré la moindre limite, en manque total de sens en somme, même pour des bêtes. Leurs géniteurs et les membres de leur harde n’avaient pas eu le temps de leur apprendre les lois de la jungle. Elles sont strictes, là-bas. La vie doit être respectée sinon, gare à l’extinction des espèces. On ne leur avait jamais enseigné que, lorsqu’on rencontre un rhinocéros, il faut juste le saluer poliment et passer son chemin. Ils ne savaient pas que la vie est précieuse, à préserver à tout prix. Pour les pacifier, la direction de la réserve eut l’idée de capturer un vieux mâle en République démocratique du Congo afin de leur inculquer un minimum de savoir-vivre. C’est ce qu’il fit, le vieux, et très bien même, profitant de son droit d’aînesse. Les jeunes se calmèrent instantanément ; fini le meurtre en série.

    Nous devrions entrer dans ce schéma, aujourd’hui. Depuis 2001 et les attentats du World Trade Center, les discours de violence n’ont pas cessé un seul instant. La violence a été ajoutée à la violence et des avions de combat ont sillonné les cieux, du Moyen-Orient à l’Afrique, survolant des nations, pulvérisant des humains à proximité de champs pétroliers, de mines de coltan, de carrés d’uranium. Les discours de la plupart des dirigeants n’ont été que des paroles de menace et de mépris. Après quatorze ans de feu, des enfants nés ces années-ci n’ont forcément intégré que la loi du plus fort parce que privés d’un minimum de sens. Les mots dérégularisation et libéralisation sont devenus les maîtres mots. Or, une société sans règles est vouée à l’échec et, du coup, notre jungle est devenue complètement inhospitalière. Comment en sont-ils arrivés là ? se demande-t-on dans les chaumières. C’est les imams, affirme-t-on en chœur. Formé dans la publicité, je peux assurer que les principes de manipulation des masses fonctionnent partout, pas uniquement dans le chef des peuples musulmans. On m’a appris qu’il y a quatre leviers essentiels pour pouvoir influencer les gens. Il y a la nation, la religion, le sexe, la menace sur le portefeuille. À partir de là, on manipule qui on veut, à condition bien entendu d’être privé de l’esprit critique. Ou que l’on soit confronté sans cesse au racisme, à l’exclusion et d’autres choses aussi insupportables. Nous avons forcément une responsabilité dans tout cela ; aucun des kamikazes de Paris ne venait de Syrie ou de Libye mais de France, de Belgique. Dans les rangs de Daech, on trouve des ressortissants de l’Eure-et-Loir, venant des États-Unis, de Grande-Bretagne. Ils font partie de notre histoire. Il est grand temps que nous repensions ce XXIe siècle si nous voulons un projet de société basé sur des valeurs qui pourraient ne fût-ce que nous garder en vie, attablés à une terrasse avec des amis.

    Cette déclaration est la plus belle, mais il y en a deux autres déclarations :
    Montre-moi les autres mondes par Gwenaëlle Aubry, écrivaine.
    Lettre ouverte d’écrivains autrichiens par trente signataires dont Elfriede Jelinek, prix Nobel 
de littérature

    #attentats #terrorisme #vivre_ensemble