• Volkswagen veut des lanceurs d’alerte mais pas trop

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/11/30/volkswagen-veut-des-lanceurs-d-alerte-mais-pas-trop_4820428_3234.html

    Fin de la période de libre parole chez Volkswagen (VW). Lundi 30 novembre, les salariés du groupe automobile allemand verront se refermer la possibilité pour eux de pouvoir, sans craindre pour leur emploi, rapporter des irrégularités dont ils auraient été témoins dans l’affaire de la fraude aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de gaz polluants, qui a plongé le groupe dans la pire crise de son histoire. Un délai insuffisant, jugent les experts, pour mettre fin à la culture de la peur qui règne chez VW, considérée comme la cause du scandale actuel.

    Au total, cinquante personnes se sont manifestées pour faire des aveux, assure au Monde un porte-parole du groupe. Un grain de sable à l’échelle d’une entreprise de 600 000 salariés, qui a organisé la manipulation frauduleuse de millions de moteurs diesel depuis 2007. Matthias Müller, PDG de VW, avait ouvert ce programme d’amnistie début octobre, lors d’un rassemblement du personnel. L’objectif était d’encourager les salariés à parler, alors que les enquêteurs avancent difficilement dans leurs investigations et que les autorités américaines s’impatientent.

    Offre d’amnistie

    Néanmoins, le « programme de coopération », comme il a été nommé officiellement par VW, a déjà eu des effets. Ce sont les aveux de salariés qui ont permis de révéler, le 3 novembre, que la fraude
    des moteurs diesel concernait non seulement les émissions d’oxydes d’azote (NOx), mais aussi les rejets de CO2. Prévue à l’origine pour durer jusqu’à la fin décembre, l’offre d’amnistie a finalement
    été limitée au 30 novembre, officiellement par souci de rapidité dans l’enquête. « Etendre ce système sur des mois n’a pas de sens », justifie-t-on chez VW.

    A partir du 1er décembre, les potentiels lanceurs d’alerte devront se tourner vers le système de médiation déjà existant chez VW : deux avocats externes chargés par le groupe de recueillir les irrégularités rapportées par les salariés. Un système mis en place en 2005, qui a montré de façon éclatante son inefficacité à prévenir la crise actuelle. Selon les éléments de l’enquête interne, un technicien de VW avait en effet averti ses supérieurs dès 2011 des irrégularités dans les émissions des moteurs, sans que ses déclarations aient été suivies d’effet ni que les médiateurs aient joué un quelconque rôle. Malgré cela, le groupe n’envisage pas, pour l’instant, de réformer son système de médiation.

    VW n’est pas le premier grand groupe allemand à encourager les aveux après un scandale. Siemens, empêtré dans une affaire de corruption au milieu des années 2000, avait lancé un programme d’amnistie en 2007- 2008, qui lui avait permis de montrer sa bonne volonté aux autorités américaines et de réduire considérablement le montant de son amende. En 2012, le groupe industriel Thyssenkrupp, au bord de la faillite après une série de pannes magistrales, avait recueilli de la même façon les aveux de dizaines de salariés.

    « Salariés méfiants »

    Nés dans les crises, ces programmes permettent-ils d’amorcer un
    « changement de culture » au sein des entreprises, comme le promettent les dirigeants ? Dieter Lieske, syndicaliste chez IG Metall chargé de Thyssenkrupp, en doute.

    « Depuis la crise de 2012, on ne peut pas dire que les gens agissent de façon plus ouverte au sein du groupe, bien au contraire. Les salariés sont devenus plus méfiants. Il y a moins de gens qui osent exprimer une critique. C’est évident dans certains départements », explique-t-il. Chez VW, où depuis les années 2000 les gens qui osaient exprimer une critique étaient immédiatement sanctionnés, peu de chances qu’il en soit autrement.

    Pour Johannes Ludwig, un des responsables de la plate-forme allemande Whistleblower Netzwerk, dévolue aux lanceurs d’alerte, la culture de la peur est largement répandue dans l’économie allemande, qui ne valorise pas l’expression de la critique, même dans une entreprise cogérée par les salariés comme VW. « Contrairement à ce qui se passe dans les entreprises américaines, où les lanceurs d’alerte sont récompensés par leur entreprise, l’Allemagne a encore beaucoup de mal à accepter que le fait d’exprimer la critique puisse être essentiel à la bonne santé d’une entreprise », déplore-t-il.