Comment la propagande de l’Etat islamique se joue de l’Occident | Mediapart
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L’EI a réussi à créer « un style que je qualifierais de néo-mythologique », analyse le sociologue Farhad Khosrokhavar, chercheur à l’EHESS. « Leur cible, ce sont des gens pas très mûrs, des ados ou des post-ados attardés, portés sur l’ennui. Ils savent que ces jeunes regardent beaucoup de vidéos. Ils leur proposent donc un monde manichéen, fait de dépaysement, d’héroïsme, de romantisme où tout est jugé, analysé, en fonction d’un principe de Bien ou de Mal totalement simpliste, explique-t-il. Ce que proposent les recruteurs, c’est de devenir un héros dans un monde onirique, esthétisé. »
Ces vidéos d’exécutions qui choquent tant l’opinion publique sont en fait autant de repères culturels permettant à la future recrue de faire le lien entre la propagande axée sur l’oppression des musulmans et le rôle de héros qu’il est appelé à jouer. Par exemple, « normalement, pour les islamistes, la décapitation doit se faire d’une manière bien précise, des gestes particuliers », poursuit Farhad Khosrokhavar. « Or, dans l’une des vidéos d’exécution, on voit un homme couper la tête d’un prisonnier avec une épée large, en la coupant de haut en bas, et en la faisant voler. Ce qui ne correspond pas du tout à la manière traditionnelle. Par contre, cela fait fortement penser à une scène de Games of Thrones où un des personnages se fait exécuter de la même manière. »
Ainsi, peu à peu, « la frontière entre le réel et le virtuel s’efface ». « Des jeunes peuvent être séduits en 2, 3 mois. C’est une radicalisation naïve. Ce qui les attire, c’est une violence très peu idéologique mais affective », explique encore Farhad Khosrokhavar. Dans ce monde fantasmé, le pire est donc justifié, au nom du Bien. Et ce qui nous apparaît comme les pires actes de barbarie est vécu, par les sympathisants de l’EI, comme une célébration. « Pensez aux grosses productions de films d’action américains, où lors d’un combat titanesque réalisé en images de synthèse le héros décapite d’un coup un ennemi dont la tête vole pour atterrir dans une voiture qui passait par là à plusieurs mètres. Ça ne choque personne. Eh bien, c’est tout simplement exactement ce type de scènes qu’ils tentent de reproduire. La justification n’importe pas, il n’y a aucune moralisation. Dans ce monde manichéen, les bourreaux sont du bon côté, et donc des héros. Cela suffit ! »