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  • CULTURE : : SCÈNE : : Une troupe de femmes mène sa guérilla
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    Les "Guérillères ordinaires" de Magali Mougel font déferler des ­torrents de passion incendiaires pour dire l’aliénation des femmes. L’un des quatre monologues féminins à voir au Poche genevois jusqu’en février.

    Une déferlante de textes puissants s’abat actuellement sur la scène du Poche, à Genève. Où la première saison de son nouveau directeur Mathieu Bertholet démarre en fanfare sous le signe d’équipes féminines. Une série de quatre pièces d’auteures (Guérillères ordinaires de Magali Mougel, Paysage Intérieur brut de Marie Dilasser, Louise Augustine de Nadège Reveillon1 et Au bord de Claudine Galea), montées par quatre metteures en scène (Anne Bisang, Barbara Schlittler, Isis Fahmy et Michèle Pralong) et jouées par un flamboyant quatuor de comédiennes (Rebecca Balestra, Océane Court, Jeanne de Mont et Michèle Gürtner). Elles-mêmes étant aussi épaulées par Manon Krüttli, assistante à la mise en scène, dont le rôle de souffleuse au micro pendant les représentations apporte sa pierre à cet édifice scénique atypique intitulé « Grrrrls Monologues ».

    Proposée en plusieurs temps jusqu’en février, cette traversée théâtrale se déroule dans la boîte noire du théâtre totalement transformée grâce aux talents de la scénographe Sylvie Kleber. Comme dans un long couloir aux parois à claire-voie, les actrices se faufilent, se dérobent, s’écartèlent de la salle jusqu’à la scène. Pour l’heure, on les a vues dans deux des quatre monologues programmés, Paysage Intérieur brut de Marie Dilasser et Guérillères ordinaires de Magali Mougel, à l’affiche à certaines dates (et lors d’intégrales) jusqu’au 7 février. C’est ce qui fait l’intensité et l’originalité de ce deuxième et dernier volet du « Sloop » (chaloupe), concept qui rompt avec le reste de la programmation tout aussi féminine mais produite sur un mode classique. Un Sloop 2 qui succède au Sloop 1, diptyque de Rebbekka Kricheldorf mis en scène par Guillaume Béguin en ouverture de saison. Le principe ? Créer sur le mode d’une troupe à demeure, dont les temps de répétition sont raccourcis – ici deux à trois semaines – pour six semaines de représentations.

    GUERILLERE FUYANT L’ENFERMEMENT DOMESTIQUE

    Zoom sur ces poignantes Guérillères ordinaires, sorte de poupées russes contenant elles-mêmes trois monologues intérieurs, où il est tour à tour question de l’inconfort familial sous l’oppression maritale (Océane Court), du malheur d’un corps qui n’est plus calibré pour répondre à la norme professionnelle (Rebecca Balestra), puis des difficultés à aimer une fille (Michèle Gurtner). On s’attachera particulièrement à cette fuite du réel en première partie de spectacle, la plus longue, où Océane Court oscille avec éclat entre l’espace du dedans et du dehors : Seorae résonne comme un paysage lointain, un orient durassien, où le bruit du vent frôle la maisonnée de Lilith. Dans pareille contrée imaginaire vit cette femme autour de la quarantaine, choyant ses enfants. Prisonnière de son enfermement domestique, dans un état de délabrement intérieur pareil au mur détruit à coups de massue par son mari pour y ouvrir une fenêtre sur le jardin, elle étouffe entre les cloisons du foyer. A cette percée de lumière, elle préfère « sentir le silence de la buanderie comme une petite musique de nuit », trouvant un modeste réconfort auprès d’une voisine solidaire (Jeanne de Mont), seule témoin de son aliénation. Son remède final ? Incendier la maisonnée par la pensée, paroxysme qui surgit au terme d’une lente montée en puissance du texte.

    Un poème intime et dramatique qui se déroule dans le bruissement de la poésie, le fil des métaphores, les digressions sur le désir disparu en écho à Virginia Woolf, où la comédienne déploie la force d’un jeu ardent, finissant par exulter son incapacité à s’accommoder d’un état qu’elle renie. Le talent de la dramaturge réside là : poétiser la souffrance d’une femme piégée par sa domesticité en la libérant de ses entraves grâce à la puissance du récit. Cette « guérillère »-là, et ses comparses, valent le détour.

    #femmes #foyer #aliénation #théâtre