Des spermatozoïdes sous influence

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  • Des spermatozoïdes sous influence

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/01/04/des-spermatozoides-sous-influence_4841467_1650684.html

    Comment un traumatisme psychique ou un déséquilibre alimentaire d’un futur parent, avant même la conception, peut-il engendrer des effets sur plusieurs générations  ? Fin décembre, une série d’avancées a été accomplie sur cette voie explorant un mode d’hérédité « buissonnier   »  : l’épigénétique.

    L’épigénétique, ou comment chahuter les lois de l’hérédité classique   : ce mode de transmission, en effet, n’est plus exclusivement fondé sur la sacro-sainte séquence de l’ADN. Avec l’épigénétique, c’est un héritage plus subtil – plus fragile aussi – qui est transmis au fil des générations   : ce sont des «   marques   » qui jalonnent le génome, en des sites précis. Sensibles à des facteurs de l’environnement, ces marques «   allument   » ou «   éteignent  » nos gènes dans nos cellules. C’est ainsi qu’une cellule de notre cerveau est très différente d’une cellule de notre foie, de nos muscles, de nos os…

    Publiées le 31 décembre dans Science, deux études ont examiné l’impact d’une alimentation perturbée chez la souris. Dans la première, l’équipe de Qi Zhou (Institut de zoologie, Pékin) a soumis des souris mâles à un régime très gras. Avec le sperme de ces rongeurs, les chercheurs ont fécondé des femelles nourries normalement. Les souris issues de cette manipulation ont développé une intolérance au glucose et une résistance à l’insuline, deux signes de prédiabète. Elles présentaient aussi une moindre expression de gènes impliqués dans le métabolisme des sucres.

    Des groupes apposés sur l’ADN

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    Les chercheurs chinois ont isolé les ARN des spermatozoïdes de souris soumises à ce régime gras. Puis ils ont injecté ces ARN à des ovocytes de souris juste fécondés. Les rongeurs nés de cette intervention ont développé une intolérance au glucose. Les ARN assurant cette transmission sont des fragments « d’ARN de transfert ». Leur principale fonction est de transporter les acides aminés lors de la fabrication des protéines. Mais, ici, leurs fragments semblent avoir été « recyclés » à des fins épigénétiques.

    Dans la seconde étude de Science, l’équipe d’Oliver Rando (université de médecine du Massachusetts) a analysé les effets, chez la souris, d’un régime pauvre en protéines. Ses résultats confortent l’idée d’un rôle de ces petits ARN en épigénétique. Un régime pauvre en protéines entraîne, chez la génération suivante, la dérégulation de tout un jeu de gènes, avait montré cette équipe en 2010.

    Des troubles sur deux générations

    Et chez l’homme ? « Dans les spermatozoïdes de personnes obèses, nous trouvons une signature spécifique, constituée de petits ARN et de méthylations de l’ADN. Cette signature marque des gènes qui gouvernent l’appétit », résume Romain Barrès, de l’université de Copenhague, principal auteur d’une étude publiée en décembre dans Cell Metabolism. Mieux : « Cette signature change drastiquement après une perte de poids massive induite par une chirurgie de l’obésité. » Dans une autre étude à paraître dans Molecular Metabolism, cette équipe montre qu’un régime gras, suivi par un rat mâle, provoque des troubles métaboliques sur deux générations. Ces troubles seraient en partie transmis par de petits ARN du sperme.

    Est-ce à dire que seuls les mâles transmettent à leur descendance les effets de leurs modes de vie altérés ? Non. « Les femelles aussi peuvent transmettre des changements épigénétiques. Mais les spermatozoïdes sont plus faciles à étudier que les ovocytes », dit Isabelle Mansuy, de l’Ecole polytechnique fédérale et de l’université de Zurich.

    Retrait social et désordes métaboliques

    D’autres études ont révélé, chez l’animal, comment le traumatisme psychique d’un géniteur peut retentir sur les générations suivantes. En 2010, Isabelle Mansuy montrait les effets d’une séparation chronique et imprévisible de jeunes souris mâles d’avec leur mère. Leurs « enfants » et « petits- enfants » souffraient de troubles dépressifs et cognitifs, d’un retrait social et de désordres métaboliques. En 2014, l’équipe de Zurich découvrait de petits ARN spécifiques altérés dans le sperme de ces souris traumatisées. En injectant l’ARN du sperme de ces animaux dans des ovocytes juste fécondés, elle reproduisait ces troubles sur deux générations. En octobre 2015, une étude publiée dans les PNAS confortait ces résultats. L’équipe de Tracy Bale, de l’université de Pennsylvanie, retrouvait de petits ARN spécifiques dans les spermatozoïdes de souris ayant subi un stress chronique précoce.

    Quelle est la portée de cette hérédité épigénétique chez les mammifères ? C’est un chantier qui s’ouvre. Car l’existence de ces processus reste à prouver chez l’homme, et leurs mécanismes à préciser. Reste aussi cette troublante question : peut-on voir, dans cette transmission épigénétique, une forme d’hérédité des caractères acquis ? « Je ne pense pas que les caractères “obèse” ou “stressé”, en tant que tels, soient transmis, estime Romain Barrès. Ce qui se transmet est une adaptation, induite par l’environnement de nos ancêtres. » Emiliano Ricci ajoute que « les caractères transmis par épigénétique peuvent être labiles ». Si de nouvelles marques épigénétiques sont facilement créées par des changements environnementaux, elles sont tout aussi aisément effacées par de nouveaux changements. L’épigénome offrirait aux individus un moyen d’explorer rapidement une adaptation à une variation de l’environnement, sans pour autant la graver dans le génome...

    L’épigénétique façonne les fourmis

    Et si l’épigénétique déterminait le statut social ? C’est ce qu’une équipe américaine vient de proposer dans la revue Science. Son sujet d’étude n’est pas l’humain, mais la fourmi, insecte social par excellence. Mais le résultat de ses recherches apporte des pistes prometteuses. Les fourmis charpentières de Floride sont composées de deux castes : les soldates et les ouvrières. Les deux disposent du même patrimoine génétique. Les secondes ont pourtant des têtes plus petites, des mandibules moins puissantes... et une surexpression des gènes impliqués dans le développement cérébral.

    A ce constat, les chercheurs en ont ajouté un autre, plus spectaculaire : en modifiant la composition chimique des histones – ces protéines autour desquelles s’enroule l’ADN –, ils sont parvenus à modifier le comportement des fourmis. Un simple changement d’alimentation a dopé l’activité des ouvrières fourrageuses. Pour les soldates, il a fallu en passer par l’injection directe de ces mêmes produits dans le cerveau de jeunes spécimens. Les combattantes ont alors aligné leur activité sur celle des ouvrières. Les auteurs parlent de
    « fenêtre épigénétique de vulnérabilité » et rêvent déjà d’application thérapeutique chez l’homme.

    #épigénétique