« Est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ? »

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  • « Est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ? »

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    « Il m’a juste dit de choisir une cible facile, un concert par exemple, là où il y a du monde. Il m’a précisé que le mieux, après, c’était d’attendre les forces d’intervention sur place et de mourir en combattant avec des otages. » Dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ce jeudi 13 août 2015, un apprenti djihadiste passe aux aveux.

    Interpellé deux jours plus tôt à Paris, à son retour de Syrie, Reda H., un Parisien de 30 ans, raconte tout aux enquêteurs : les raisons de son départ, le passage de la frontière syrienne, ses entraînements militaires, les éclats de métal retrouvés dans son genou... Il explique surtout avoir été missionné à Rakka par un certain Abou Omar, la « kounia » (le surnom musulman) d’Abdelhamid Abaaoud, un des coordinateurs des attentats du 13 novembre 2015, pour commettre un massacre lors d’un « concert de rock ».

    Ses aveux prémonitoires, trois mois avant la prise d’otages sanglante du Bataclan, hantent encore les services de renseignement. « Tout ce que je peux vous dire, c’est que cela va arriver très bientôt, insiste le jeune homme en garde à vue. Là-bas, c’était une véritable usine, et ils cherchent vraiment à frapper en France ou en Europe. »

    La cible de ce projet d’attaque a-t-elle été suffisament prise au sérieux ? Aurait-il fallu renforcer la sécurité devant les salles de concert parisiennes ? « Le mode opératoire décrit par Reda H. dans ses auditions » est en tout cas « exactement celui qui a été utilisé par les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 », constate un officier de la DGSI dans un procès-verbal versé au dossier ;

    Reda H. affirme qu’il n’a jamais eu l’intention de passer à l’acte. Devant les enquêteurs, il se présente comme un djihadiste repenti et malhabile, qui se serait blessé à l’entraînement en sautant sur sa propre grenade. La nature exacte de ses intentions est difficile à cerner. Le récit qu’il fait de son séjour en Syrie, extrêmement circonstancié, permet en revanche de mieux comprendre la façon dont l’organisation Etat Islamique (EI) recrute et forme certains sympathisants pour frapper l’Europe.

    Trentenaire parisien de confession musulmane, Reda H. ne correspond pas à l’idée qu’on se fait généralement d’un candidat au martyre. Il ne vient pas d’un de ces quartiers ghettoïsés où le sentiment de relégation fait le lit de cette identité refuge qu’est devenu l’islam radical. Il n’est pas davantage originaire de ces ensembles pavillonnaires où l’absence de perspective fait parfois basculer ceux qu’on appelle un peu vite les « convertis » dans la dernière idéologie alternative du XXIe siècle.

    Les motivations : « J’étais mitigé »

    Né dans le 17e arrondissement de Paris, Reda H. vivait jusqu’à son départ pour la Syrie dans un quartier plutôt cossu du 15e arrondissement et travaillait dans la maintenance informatique chez Astrium, une filiale spatiale du groupe Airbus. En avril 2014, il perd son travail. Révolté par le conflit syrien qui fait rage depuis 2011, il sombre dans l’oisiveté et se met en tête de rejoindre ses frères combattants :

    « J’estime légitime le combat contre le régime de Bachar Al-Assad qui massacre son propre peuple », se justifie-t-il en garde à vue. « J’ai été dans un premier temps séduit par l’efficacité de l’Etat islamique en Irak, puis en Syrie. Ce qu’ils arrivent à faire avec seulement 30 000 hommes, c’est incroyable. L’Armée syrienne libre [ASL, la seule force d’opposition non djihadiste], c’est un groupe de mercenaires voleurs et avides qui comptaient prendre le pouvoir pour des raisons financières », croit-il comprendre.

    Entre une ASL discréditée par la propagande de l’EI et un « califat » se réclamant de Dieu, le jeune homme n’hésite pas. Son indignation humanitaire est mêlée de considérations religieuses. Interrogé sur sa perception de la charia, la loi islamique, il admet qu’elle était « une des raisons » de son départ : « La loi de Dieu n’est appliquée nulle part sur terre. Seul l’Etat islamique prétend l’appliquer. » Le policier tente alors de cerner son degré de radicalisation :

    « Estimez-vous légitime de couper la main d’un voleur, sachant que vous avez été arrêté en 2007 pour une série de vols à la roulotte ?

    – Je suis d’accord avec le principe de couper la main d’un voleur, mais je pense que cela ne doit s’appliquer qu’à des récidivistes.

    – N’avez-vous pas été choqué par le nombre de décapitations imputables à l’EI sur les vidéos que vous avez vues [avant son départ] ?

    – J’ai vu des trucs qui m’ont retourné, comme des enfants qui tenaient des têtes coupées de soldats syriens. J’ai commencé à douter. Mais quelque chose en moi me disait que ce n’était que les médias qui le disaient. (...) Ce qui me faisait douter, c’était que ces vidéos sont diffusées par l’Etat islamique lui-même. J’étais mitigé. »

    Reda H. ne fait pas confiance aux médias qui « racontent des mensonges » : il élabore son projet de départ en s’informant exclusivement sur Internet. Entre deux vidéos de décapitation, il entre en relation, au printemps 2014, avec deux djihadistes sur les réseaux sociaux : le Français Quentin Lebrun, alias Abou Oussama Al-Faransi, et le Belge Tarik Jadaoun, alias Abou Hamza Al-Belgiki.

    Le premier avait appelé, dans une vidéo diffusée en novembre 2014, ses « frères » musulmans à rejoindre la Syrie ou, le cas échéant, à « tuer des mécréants » en France. Le second avait menacé la Belgique dans une autre vidéo, en janvier 2015, quelques jours après le démantèlement à Verviers d’une cellule terroriste belge pilotée par Abdelhamid Abaaoud, le futur recruteur de Reda H.

    Le voyage : « J’ai dit à ma mère que j’allais en Grèce en vacances »

    Début mai 2015, l’aventure interdite du Parisien se concrétise. Suivant les conseils de ses nouveaux amis, le futur djihadiste s’achète une paire de Timberland et des chaussures de trek en prévision du passage « difficile » de la frontière turco-syrienne. Il s’offre également des pantalons larges – « pour des raisons religieuses, on ne porte pas de pantalon serré en Syrie » – et une tablette pour « profiter du Wi-Fi ». Avec 1 300 euros en poche, il annonce à sa mère qu’il part en vacances en Grèce le 15 mai.

    A Alanya, sur la côte sud de la Turquie, il passe quelque temps à l’hôtel – « Je suis sorti, je suis allé à la plage, tout ça » – et contacte, par
    messagerie cryptée, un interlocuteur qui se trouve à Rakka. Le 3 juin, ce dernier lui demande de se rendre à Gaziantep, une ville proche de la frontière syrienne. Reda H. saute dans un bus et chemine le long de la côte durant 600 kilomètres. Une fois sur place, son interlocuteur lui ordonne de prendre un taxi jusqu’à un quartier pavillonnaire, où l’attend une camionnette. Le chauffeur est turc : « Il m’a juste dit “kounia ?” Il ne parlait ni français ni arabe. J’ai dit “Abou Omar AI-Faransi.” Il a passé un coup de téléphone et il m’a dit que c’était OK. »
    Après une demi-heure de route, la camionnette fait escale dans un quartier résidentiel entre Ourfa et Gaziantep, devant une « maison beige ». Le chauffeur monte ses valises. Reda H. se retrouve dans une pièce avec un Australien « pure souche » et sa femme, un Kurde, un Egyptien avec son épouse et son fils, deux Algériens, un Luxembourgeois accompagné de sa femme et de ses deux enfants âgés de 4 ans et 6 mois, un enfant de 10 ans, un Indien et sa femme, et un Qatari. Les femmes font chambre à part. « Tout le monde était joyeux, se souvient-il. Quelqu’un amenait des courses, et on se faisait à manger. »

    La frontière : « Les femmes en niqab, c’était pas très discret »

    Le grand moment approche. La petite colonie venue des quatre coins de la planète s’apprête à fouler la terre du « calife » Abou Bakr Al-Baghdadi, successeur autoproclamé du Prophète. Vers 3 heures du matin, le 4 juin, le départ est donné. Deux véhicules attendent les candidats à l’exil : une camionnette pour les hommes, une autre pour les femmes. Après avoir « roulé comme des balles », tous phares éteints, pendant plus d’une heure sur des chemins de terre, le convoi s’immobilise sur un terrain vague. La frontière est là, toute proche. Le soleil se lève à peine.

    « On était un bon groupe. Les femmes en niqab, c’était pas très discret, se souvient le jeune homme. On nous a dit de courir. Les femmes, elles étaient en galère. Un moment, il y avait un fossé violent à traverser. Heureusement, j’avais mes Timberland. La femme de l’Indien s’est cassée la jambe en le traversant. On a dû courir entre 500 mètres et un kilomètre à travers des champs et des trucs qui piquent. Il y avait comme un sentier. Au bout, on a vu un petit village avec des drapeaux de l’Etat islamique. On était contents et soulagés. »

    Arrivées en terre du Cham (le nom antique de la Syrie), les nouvelles recrues sont accueillies par deux Jeep : une pour les hommes, une pour les femmes, un leitmotiv de leur séjour syrien. A leur bord, des hommes en armes. Le convoi roule à travers champs, traverse plusieurs checkpoints et un village. « Je n’ai pas vu de femmes dans ce village. Si, une seule, devant sa maison, en niqab complet, on ne voyait que ses yeux. »

    Le groupe fait halte dans une première maison. Chacun se repose comme il peut sur des matelas. Les recrues sont ensuite invitées à se présenter avec leurs papiers d’identité et leur matériel informatique, à détailler le trajet qu’elles ont emprunté et à décliner la kounia de leur « garant ». Contraint de gérer l’incroyable succès de sa campagne de recrutement, l’EI est obsédé par les infiltrations d’espions.

    L’accueil : « Ils étaient contents que je vienne de Paris »

    Reda H. patiente dans une petite pièce avec une poignée d’hommes armés de kalachnikovs et de « fusils mitrailleurs sur trépied ». De nouveau, il est interrogé sur son parcours professionnel et ses motivations. « Ils étaient contents que je vienne de Paris, ils avaient l’air impressionnés. » Le jeune homme semble alors ignorer que ce détail fera bientôt de lui une recrue de choix pour commettre une attaque dans sa ville natale.

    Dans l’après-midi, une camionnette vient chercher les recrues. Le paysage défile, ponctué de drapeaux de l’EI, de paysans au travail et de moudjahidin en armes « postés un peu partout ». Nouvelle escale dans un grand bâtiment « qui ressemblait à une école », avec des tableaux noirs. Des responsables font de nouveau l’appel, « comme à l’école ». Le groupe monte dans un bus « climatisé » et fait route vers Rakka, le fief de l’Etat islamique. Reda H., enfant perdu de l’école laïque, s’installe devant, « de manière à ne pas voir les femmes ».

    Le long de la route, des drapeaux noirs, partout. Une terre de pirates. « On sentait qu’ils avaient réellement le contrôle du territoire, ce n’était pas une blague. » Après la traversée du pont de l’Euphrate, qui marque l’entrée de la ville, deux jeunes hommes en armes demandent aux passagers de baisser les stores : « Ils nous ont expliqué qu’il y avait des traîtres à Rakka qui placent des puces électroniques dans les immeubles pour diriger les missiles, et qu’il ne fallait pas regarder à l’extérieur. »

    Le règlement : « Pour chaque infraction, tu te manges une croix »

    Le bus s’arrête devant un bâtiment de six étages. Terminus. Les recrues rejoignent « une centaine de personnes » parquées dans une grande pièce, dont « beaucoup de Philippins », des Russes, des Bosniens, des Tchétchènes, des Chinois, un Américain, des Indiens ou encore des Marocains. Pour passer le temps, Reda H. converse avec un Algérien, qui lui explique que certains patientent ici depuis plusieurs semaines avec interdiction de sortir. « Là, j’ai commencé à regretter », se souvient le jeune homme. On lui conseille de fréquenter les Marocains ou les Algériens et d’éviter les Français, qui auraient « mauvaise réputation » : « Ils se comportent souvent comme à la cité », lui glisse-t-on.

    Reda H. a de la chance. Son attente sera brève. Le soir-même, « une armoire à glace avec une grosse barbe » vient faire l’appel. Le jeune homme change de nouveau de moyen de transport – un camion militaire cette fois – vers un dernier point de chute. Les candidats sont regroupés par nationalités et envoyés dans des chambres. « Il n’y avait aucun Français, j’étais donc avec les Marocains et les Algériens. »
    Le lendemain, pendant la prière de l’aube, un cadre de l’EI présente le programme aux nouvelles recrues. Ballotté de Jeep en camionnette, d’immeuble en immeuble, Reda H. ne comprend pas tout. Son nouveau copain algérien lui explique ce qui les attend : un mois de formation religieuse, plus un mois de formation militaire.

    « Moralement, j’étais pas bien à ce moment-là », admet le jeune homme. Le cadre de l’EI expose le règlement intérieur, digne d’un pensionnat religieux. Reda H., qui vient de fêter ses 30 ans, apprend qu’il n’aura plus le droit de quitter sa chambre passé 22 heures. « Ils ont un système de croix. Pour chaque infraction au règlement, tu te manges une croix, et au bout de trois croix, tu te manges une semaine de plus. »

    Le recrutement : « Il m’a regardé avec amour »

    Un « organisateur » de l’EI se présente bientôt dans le baraquement et demande qui est Abou Omar Al-Faransi. « Quand je lui ai dit que c’était moi, il m’a regardé avec amour. Il m’a dit qu’il reviendrait. » Peu après 22 heures, ce soir-là, un homme, « sûrement un Syrien », vient le chercher dans sa chambre, lui demande de préparer ses affaires et de le suivre : « Tout le monde me regardait avec des grands yeux. » Reda H. est l’élu. Mais de quelle élection ? « Dehors, un gars au visage dissimulé m’a dit de baisser les yeux et de ne rien regarder. J’ai prié comme si j’allais mourir. »

    Après un bout de route à l’arrière d’une camionnette militaire, Reda H. est transféré dans un SUV à vitres teintées. Le conducteur est francophone. « Monte devant », lui ordonne-t-il. Visage dissimulé sous un « foulard marron », son arme de poing rangée dans un holster d’épaule, l’homme lui dit simplement qu’il a la même kounia que lui : Abou Omar. Reda H. ignore alors qu’il s’agit d’Abdelhamid Abaaoud. Ce n’est qu’une fois dans les locaux de la DGSI qu’il reconnaîtra le coordonnateur des principaux projets d’attentat ayant visé la France depuis le début 2015.

    Apparemment séduit par le profil du Parisien, Abaaoud sonde sa recrue : « Il m’a demandé si ça m’intéressait de partir à l’étranger. Il m’a dit, par exemple : “Imagine un concert de rock dans un pays européen, si on te passe de quoi t’armer, est-ce que tu serais prêt à tirer dans la foule ?” Pour trouver des armes, il m’a dit qu’il n’y avait aucun souci. Je n’avais qu’à demander ce dont j’avais besoin, en France ou en Europe. Je lui ai dit que je voulais combattre les soldats de Bachar Al-Assad. »

    En bon commercial, Abaaoud déroule sa dialectique : « Il m’a dit que celui qui fonce seul face à l’ennemi sans se retourner, il a la récompense de deux martyrs. Il m’a dit que si sa tête ressemblait à la mienne, il aurait pris mon passeport et y serait allé lui-même. Il m’a dit qu’il allait me montrer des blessés de guerre pour me faire comprendre la chance que j’avais de retourner en France. Il m’a dit que, si je refusais, j’allais le regretter. Il a ajouté que, si beaucoup de civils étaient touchés, la politique étrangère de la France changerait. »
    Au terme de la laborieuse odyssée qui l’a mené jusqu’à la terre du « calife », Reda H. ne semble guère emballé à l’idée de rebrousser chemin pour mourir. C’est en tout cas ce qu’il affirme aux enquêteurs. « Là, j’ai compris que c’était la seule manière pour moi de garder mon passeport. Je lui ai demandé un délai pour réfléchir. Je savais que, vu la date d’expiration de mon passeport, j’allais rentrer bientôt en France. Donc j’ai dit OK, dans la seule optique de pouvoir sortir de ce bourbier. »

    Abaaoud le dépose dans un endroit où dormir. Reda H. passe la soirée en compagnie d’un Iranien blessé à la jambe, d’un Kazakh armé d’un M16 et d’un « couteau impressionnant » et de deux Afghans bardés de cicatrices. « Ils étaient sympathiques, mais on n’avait pas de langue commune. Et puis on sentait qu’ils ne rigolaient pas... »

    L’entraînement : « Il me stressait en criant »

    Le lendemain matin, le 6 juin, Abdelhamid Abaaoud passe le prendre en 4 × 4 pour lui expliquer sa future mission. Dans les environs de Rakka, il initie Reda H. au montage et au démontage d’une kalachnikov : « J’ai un peu galéré, je me suis fait mal au pouce, mais j’ai fini par y arriver. »

    Les deux hommes se rendent dans un parc brûlé par le soleil. Abaaoud confie au Parisien une kalachnikov et un gilet tactique muni de cinq chargeurs. « J’avais très chaud. Il y avait une maisonnette en murs blancs avec des cibles et des impacts de balles. Il m’a fait tirer au coup par coup et en rafale. Je me suis fait engueuler parce que, en rafale, je tirais en l’air. Il m’a fait faire plein d’exercices. Les herbes sèches ont même pris feu. » Après cette première journée d’entraînement, Reda H. regagne son dortoir. Là, un « Black » anglophone, informaticien, remet à chaque pensionnaire une clé USB contenant un logiciel de cryptage, TrueCrypt. Le kit de base des terroristes en mission.

    Le lendemain, Abaaoud revient chercher Reda H. en voiture. Il faut terminer la formation du nouveau soldat. Les deux hommes retournent au parc : « Il m’a donné un pistolet et une grenade assourdissante. Il m’a expliqué qu’elle était réglée sur trois secondes. Il a dessiné des silhouettes dans la maisonnette. Il m’a demandé de prendre l’arme, de jeter la grenade à l’intérieur, d’attendre l’explosion, puis d’entrer et de tirer sur les cibles. Il faisait très chaud, j’étais fatigué, j’en pouvais plus. J’y suis allé, il me stressait en criant. J’ai jeté la grenade dans la maisonnette, j’ai entendu une petite explosion, je suis rentré dans la maison, j’ai tiré dans trois cibles, puis la grenade a explosé. Je saignais du bras, de la jambe. »

    Retour en France : « Les mécréants sont des innocents »

    Après un bref passage dans un hôpital de Rakka, Reda H., qui n’est que légèrement blessé, rejoint l’appartement qu’on lui a assigné. Il y passe trois jours à « rien faire », c’est-à-dire à regarder des
    « vidéos sur les méthodes des troupes d’élite ». Abdelhamid Abaaoud revient le voir. « Il m’a dit qu’il fallait y aller, parce que mon passeport était bientôt périmé. » Il lui donne 2 000 euros en liquide, lui conseille de passer par Prague et griffonne un numéro de téléphone turc sur un papier « avec écrit papa dessus ». Abaaoud prend sa nouvelle recrue dans ses bras et lui dit « adieu ».

    A la tombée de la nuit, une camionnette passe le prendre. Le 12 juin, Reda H. est convoyé jusqu’à la frontière turque, en compagnie d’un Belge d’origine marocaine muni d’un faux passeport, lui aussi missionné pour commettre un attentat en Europe et qui sera interpellé à Varsovie trois jours plus tard. Au poste-frontière, les deux hommes mettent pied à terre : « On a couru jusqu’à un grillage barbelé avec une porte en fer. Un jeune Turc a tiré la porte et on était en Turquie. » Le jeune homme n’aura passé qu’une semaine en Syrie.

    Après quelques jours à Istanbul en compagnie de son compagnon belge, Reda H. prend un avion, le 15 juin, pour Prague. Deux jours plus tard, il s’envole pour Amsterdam, puis prend un train pour Bruxelles où il aurait, selon ses dires, jeté le numéro de téléphone d’Abaaoud ainsi que l’identifiant et le mot de passe fournis par l’informaticien « black ». Le lendemain, il prend un train Thalys qui arrive en gare du Nord.

    Interpellé le 11 août, après quelques semaines de surveillance, Reda H. se retranche derrière une version fantaisiste de son périple. Il affirme avoir fait un simple voyage d’agrément en Turquie et avoir été blessé à la jambe lors d’une manifestation réprimée à Istanbul. Les enquêteurs ne trouvant aucune trace de ce rassemblement, l’apprenti djihadiste passe aux aveux.

    Son récit, très détaillé, révèle aux enquêteurs un projet d’attentat qu’ils ne soupçonnaient pas. Le jeune homme affirme n’avoir jamais eu l’intention d’obéir aux ordres. Il achètera pourtant, sur le trajet du retour, une puce téléphonique en Turquie, deux autres à Prague, et effectuera une copie du logiciel de cryptage qui lui a été fourni, suivant ainsi scrupuleusement les consignes reçues en Syrie.
    Reda H. s’apprêtait-il à commettre un attentat en France ? « Je préfère mourir en allant au paradis que de tuer des innocents et aller en enfer, assure-t-il aux enquêteurs. Puis il ajoute : Je précise que les mécréants sont des innocents, ne serait-ce que parce qu’ils peuvent devenir croyants. » Une vision toute relative de l’innocence.