/2016

  • « À quand une véritable réforme pour rendre plus juste l’impôt sur le revenu » qui ne lèse pas les femmes ?
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/30/a-quand-une-veritable-reforme-pour-rendre-plus-juste-l-impot-sur-le-revenu-q

    Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, prévu en 2018, a été déjà largement commenté. Ses partisans rappellent que la quasi-totalité des pays occidentaux l’applique déjà et que la France fait office d’exception. Certes.

    Mais la France est aussi l’un des rares pays à avoir l’imposition commune obligatoire pour les couples mariés ou pacsés : passer au prélèvement à la source exige alors une attention particulière pour tenir compte des disparités de revenus entre conjoints. Or cette question est mal résolue dans le projet actuel.

    Rappelons que le taux d’imposition d’un couple est calculé sur la moyenne des deux revenus (le quotient conjugal). Si les conjoints ont des revenus équivalents, l’imposition commune équivaut à l’imposition séparée. Mais si les revenus sont différents, ce système entraîne une surimposition du conjoint au revenu le plus faible (Conseil des prélèvements obligatoires).

    Or les cas de revenus inégaux sont les plus fréquents, avec les trois quarts des femmes en couple qui gagnent moins que leur mari, et une contribution moyenne des femmes de 36 % des revenus du couple (Insee 2014).

  • Entretien
    « La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal »

    Par Nicolas Truong

    Boris Cyrulnik et Tzvetan Todorov, deux intellectuels, deux observateurs engagés de nos sociétés, dialoguent sur la capacité des individus à basculer dans la « barbarie » ou bien à y résister.

    Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Tzvetan Todorov est historien et directeur de recherche honoraire au CNRS. Tous deux ont traversé l’époque de manière singulière. Tous deux sont devenus des penseurs plébiscités et des observateurs engagés de nos sociétés.

    Le premier, né en 1937 dans une famille d’immigrés juifs d’Europe centrale et orientale, fut l’un des rares rescapés de la rafle du 10 janvier 1944 à Bordeaux et popularisa, bien des années plus tard, le concept de « résilience », cette capacité psychique à se reconstruire après un traumatisme. Le second, né en 1939 à Sofia (Bulgarie) et théoricien de la littérature, rejoint Paris en 1963 et s’attache depuis les années 1980 aux questions mémorielles et au rapport à l’autre.

    Boris Cyrulnik a publié Ivres paradis, bonheurs héroïques (Odile Jacob, 2016), ouvrage sur le besoin et la nécessité de héros pour vivre et survivre. Tzvetan Todorov a écrit Insoumis (Robert Laffont/Versilio, 2015), portrait de ces contemporains qui, tels Etty Hillesum ou Germaine Tillion, Malcolm X ou Edward Snowden, ont su dire « non » et fait preuve de résistance à l’oppression.

    Tous deux dialoguent sur la capacité des individus à basculer dans la « barbarie » ou bien d’y résister au moment où une Europe meurtrie et apeurée par les attentats s’interroge sur son devenir.

    Quels héros vous ont aidé à vous structurer ?
    Tzvetan Todorov (T. T.) : J’ai grandi dans un régime totalitaire communiste où les modèles pour les enfants étaient des personnages tels que Pavlik Morozov, un garçon qui avait dénoncé son père comme koulak et que sa famille avait tué pour cette raison. Ou alors des personnages qui avaient lutté contre le « joug turc » au XIXe siècle. Tout cela ne suscitait pas beaucoup d’échos en moi. Mais j’aimais et admirais beaucoup mes parents et mes amis.

    Arrivé en France à l’âge de 24 ans, j’avais contracté une méfiance généralisée envers tout ce que l’Etat défend et tout ce qui relevait de la sphère publique. Mais, progressivement, j’intériorisais ma nouvelle situation de citoyen d’une démocratie – en particulier une sorte de petit mur est tombé dans mon esprit en même temps que le mur de Berlin, ce qui m’a permis d’accéder aussi à cette sphère publique. Je ne me sentais plus conditionné par cette enfance et cette adolescence vécues dans un monde totalitaire. Néanmoins, je restais indifférent aux grands personnages héroïques, glorifiés dans le cadre communiste, et attaché à des individus tout à fait ordinaires qui ne cherchaient pas à sacrifier leur vie, mais témoignaient plutôt d’un souci quotidien pour les autres.

    Deux personnages m’ont marqué particulièrement par leur parcours de vie et par leurs écrits. Dans Vie et Destin, ce roman épique sur la seconde guerre de l’écrivain russe Vassili Grossman [1905-1964], il y a une idée forte qui ne cesse de m’accompagner : la tentation du Bien est dangereuse. Comme le dit un personnage de ce livre, « là où se lève l’aube du Bien, les enfants et les vieillards périssent, le sang coule », c’est pourquoi on doit préférer au Bien la simple bonté, qui va d’une personne à une autre.

    La deuxième figure qui m’a beaucoup marqué, Germaine Tillion [1907-2008], ethnologue et historienne, résistante et déportée, je l’ai rencontrée quand elle avait 90 ans mais se portait comme un charme. Elle m’a ébloui non seulement par sa vitalité, mais par son cheminement : pendant la guerre d’Algérie, elle avait consacré toutes ses forces à sauver des vies humaines, de toutes origines, refusant d’admettre qu’une cause juste rende légitime l’acte de tuer. Vous voyez, mes héros ne sont pas des personnages héroïques. Mais plutôt des résistants.

    Boris Cyrulnik (B. C.) : Tzvetan Todorov a été élevé dans un régime certes totalitaire, mais aussi dans une famille et au sein d’institutions sociales, bien sûr très écrasantes, mais structurantes. Alors que ma famille a éclaté pendant le second conflit mondial. J’ai retrouvé après la guerre une tante qui m’a recueilli et un oncle qui s’était engagé dans la résistance à l’âge de 17 ans. Mais, pendant la guerre, je pensais que toute ma famille était morte.

    Seul, sans structure, sans famille, j’avais bien compris que j’étais condamné à mort. Arrêté à l’âge de 6 ans et demi par les nazis, j’avais clairement compris que c’était pour me tuer. Il n’y avait pas de doute. J’avais besoin de héros puisque j’étais seul. Je n’avais pas d’image identificatoire ni repoussoir. S’opposer, c’est se poser. Moi, je n’avais personne, juste le vide, je ne savais même pas que j’étais juif, je l’ai appris le jour de mon arrestation, et j’ai appris que ce nom condamnait à mort. Donc j’ai eu une ontogenèse très différente de celle de Tzvetan Todorov.

    Mon bourreau ne nous considérait pas comme des êtres humains. Et, dans mon esprit d’enfant, je me disais : il faut que je devienne physiquement fort comme Tarzan et, quand je serai fort comme Tarzan, j’irai le tuer. Tarzan me servait d’image identificatoire. J’étais petit, j’étais rachitique – j’ai retrouvé des photos de moi après guerre, j’étais d’une maigreur incroyable –, donc je me disais : il faut que je devienne grand, il faut que je devienne fort et musclé pour que je puisse le tuer. Donc Tarzan m’a sauvé.

    Qu’est-ce qui fait qu’un individu s’attache plutôt à des héros bénéfiques ou bien à des héros maléfiques ? La tentation du Mal est-elle aussi puissante que la tentation du Bien ?
    T. T. : Pour moi, la tentation du Mal n’existe presque pas, elle est très marginale à mes yeux. Il existe sans doute quelques marginaux ici et là qui veulent conclure un pacte avec le diable et faire régner le Mal sur la Terre, mais de ce point de vue je reste plutôt disciple de Grossman, pour qui le Mal vient essentiellement de ceux qui veulent imposer le Bien aux autres. La tentation du Bien me semble donc beaucoup plus dangereuse que la tentation du Mal.

    Je dirais, au risque d’être mal compris, que tous les grands criminels de l’histoire ont été animés par le désir de répandre le Bien. Même Hitler, notre mal exemplaire, qui souhaitait effectivement le Mal pour toutes sortes de populations, en même temps espérait le Bien pour la race élue germanique aryenne à laquelle il prétendait appartenir.

    C’est encore plus évident pour le communisme, qui est une utopie universaliste, même si, pour réaliser cette universalité, il aurait fallu éliminer plusieurs segments sociaux de cette même humanité, qui ne méritaient pas d’exister : la bourgeoisie, les koulaks, etc. Les djihadistes d’aujourd’hui ne me paraissent pas animés par le désir de faire le Mal, mais de faire le Bien, par des moyens que nous jugeons absolument abominables.

    Pour cette raison, je préfère ne pas parler de « nouveaux barbares ». Parce que la barbarie, qu’est-ce que c’est ? La barbarie n’est pas l’état primitif de l’humanité : depuis les premières traces de vie humaine, on trouve aussi des preuves de générosité, d’entraide. De nos jours, les anthropologues et les paléontologues affirment que l’espèce humaine a su survivre et s’imposer, alors qu’elle n’était pas la plus forte physiquement, grâce à l’intensité de la coopération entre ses membres, lui permettant de se défendre contre les menaces qui la guettaient.

    La barbarie, c’est plutôt le refus de la pleine humanité de l’autre. Or bombarder de façon systématique une ville au Moyen-Orient n’est pas moins barbare que d’égorger un individu dans une église française. Cela détruit même beaucoup plus de personnes. Lors des attentats dont Paris a été victime dernièrement, on a sous-estimé l’élément de ressentiment, de vengeance, de représailles, qui était immédiatement mis en avant quand on a pu interroger ces individus ou dans leurs déclarations au moment de leurs actes. Ils n’agissaient pas de façon irrationnelle, puisqu’ils pensaient atteindre les objectifs qui étaient les leurs en tuant indifféremment des personnes qui se trouvaient sur leur chemin : ils voulaient répondre à la guerre par la guerre, ce qui est une logique hélas répandue dans l’histoire de l’humanité.

    Qu’est-ce qui fait qu’on bascule du côté de la tuerie au nom d’une idéologie ?
    B. C. : La bascule se fait lorsqu’on se soumet à la théorie du Un, comme le dit le linguiste allemand Victor Klemperer. Si l’on en vient à penser qu’il n’y a qu’un seul vrai dieu, alors les autres sont des faux dieux, ceux qui y croient sont des mécréants, des « mal-croyants » dont la mise à mort devient quasiment morale. Si on se soumet à la théorie du Un, on peut basculer.

    Le mot « barbare », en effet, ne convient pas. C’est dans la belle culture germanique de Goethe et de Kant que s’est déroulée l’une des tragédies les plus honteuses du XXe siècle. Le psychiatre américain Leon M. Goldensohn [1911-1961], qui, lors du procès de Nuremberg, expertisa la santé mentale des vingt et un accusés nazis, interrogea Rudolf Höss, le directeur du camp d’Auschwitz, qui lui répondit en substance : « J’ai passé à Auschwitz les plus belles années de ma vie. » Comment est-ce pensable ? Rudolf Höss poursuit : « Je m’entendais bien avec ma femme, j’avais quatre enfants que j’aimais beaucoup. »

    Dans Les entretiens de Nuremberg, où figurent ces discussions, il y a même la photo de la maisonnette et du « bonheur » domestique du directeur du camp d’Auschwitz. « En même temps, poursuit-il, j’avais un métier bien difficile, vous savez, il fallait que je fasse disparaître, que je brûle 10 000 corps par jour, et ça, c’était difficile, vous savez. »

    Donc l’expression que je propose pour comprendre ce phénomène paradoxal est celle de « morale perverse ». Un individu peut être parfaitement éthique avec ses proches, qu’il cherche à défendre et à comprendre – ma femme, mes enfants, etc. – mais les juifs, ce n’est pas les autres, les Tziganes ce n’est pas les autres, les Nègres sont des humains, mais ils sont inférieurs, donc on en fera de l’élevage. Il est moral d’éliminer les juifs comme il est moral de combattre la souillure d’une société pour que notre belle race blonde et aux yeux bleus aryens puisse se développer sainement.

    C’est au nom de la morale, c’est au nom de l’humanité qu’ont été commis les pires crimes contre l’humanité. C’est au nom de la morale qu’ont été commis les pires crimes immoraux. Morale perverse, donc : on est moraux avec ceux qui partagent notre monde de représentation et on est pervers avec les autres parce que la définition de la perversion, c’est pour moi celle de Deleuze et de Lacan : est pervers celui qui vit dans un monde sans autre.

    T. T. : Le jugement moral se constitue à plusieurs niveaux successifs. Au départ, la distinction même du Bien et du Mal peut être absente, faute d’avoir entouré le petit être humain par des soins et de l’avoir protégé par des attachements. Le résultat de ce manque est le nihilisme radical. Le deuxième pas dans l’acquisition du sens moral consiste à dissocier l’opposition du Bien et du Mal de celle entre Je et Autrui ou entre Nous et les Autres ; l’adversaire ici est l’égoïsme ou, sur le plan collectif, l’ethnocentrisme. Enfin le troisième degré consiste à renoncer à toute répartition systématique du Bien et du Mal, à ne pas situer ces termes dans une quelconque partie de l’humanité, mais à admettre que ces jugements peuvent s’appliquer aussi bien à nous qu’aux autres. Donc, à combattre le manichéisme du jugement.

    A chacun de ces stades peut s’installer la perversité dont on parle. Il n’existe pas deux espèces d’êtres humains, les uns qui risquent de fauter et les autres, dont nous ferions partie, à qui ça n’arrivera jamais. D’un autre côté, si on s’ouvrait à une compassion universelle, on ne pourrait plus vivre, on devrait aider tous les sans-abri, tous les mendiants qu’on rencontre dans la rue et partager avec eux ce qu’on a, or on ne le fait pas et on ne peut le faire – sauf si on est un saint. Il y a une sorte d’équilibre qui doit s’établir entre la protection de soi et le mouvement vers autrui. Mais ignorer l’existence des autres, c’est cesser d’être pleinement humain.

    B. C. : J’étais emprisonné dans la synagogue de Bordeaux, ville où 1 700 juifs ont été raflés le 10 janvier 1944 par Maurice Papon. Il n’y eut que deux survivants, dont votre serviteur. Et j’ai retrouvé le fils et les petits-enfants de Mme Blanché, la dame mourante sous laquelle je me suis caché afin d’échapper à la rafle, avec lesquels j’entretiens aujourd’hui des relations amicales. Oui, la vie est folle, c’est un roman.

    Quand j’étais emprisonné, il y avait un soldat allemand en uniforme noir qui est venu s’asseoir à côté de moi un soir. Il me parlait en allemand et me montrait des photos d’un petit garçon. Et j’ai compris – sans comprendre sa langue – que je ressemblais à son fils. Cet homme avait besoin de parler de sa famille et de son enfant qu’il ne voyait pas, ça lui faisait du bien. On peut dire que j’ai commencé ma carrière de psychothérapeute ce soir-là !

    Pourquoi est-il venu me parler ? Je l’ai compris en lisant Germaine Tillion, qui raconte que, lorsque les nouvelles recrues de femmes SS arrivaient à Ravensbrück, elles étaient atterrées par l’atrocité du lieu. Mais, dès le quatrième jour, elles devenaient aussi cruelles que les autres. Et, quand Germaine Tillion donnait des « conférences » le soir à Geneviève de Gaulle et à Anise Postel-Vinay, elle les faisait souvent sur l’humanisation des gardiens du camp.

    Elle disait : ce qui nous faisait du bien, quand on voyait un gardien courtiser une femme SS, c’est que c’était donc un être humain. Elle ne voulait pas diaboliser ceux qui la condamnaient à mort, elle voulait chercher à découvrir leur univers mental. Et c’est en lisant Germaine Tillion que je me suis dit : voilà, j’avais à faire à des hommes, et non pas à des monstres. Parce que comprendre, c’est non pas excuser, mais maîtriser la situation. Arrêté à l’âge de 6 ans et demi, j’étais considéré comme « ein Stück », une chose qu’on pouvait brûler sans remords, qu’on pouvait tuer sans culpabilité puisque je n’étais pas un être humain, mais « ein Stück ».

    Donc, contrairement à ce que l’on dit souvent, notamment à propos du djihadisme, il faut chercher à le comprendre, et non pas refuser, par principe, l’explication ?
    B. C. : Evidemment. La compréhension permet de lutter et d’agir. Par exemple, sur le plan psychosocial, le mot « humiliation » est presque toujours utilisé par ceux qui passent à l’acte. L’humiliation du traité de Versailles a été momentanément réelle, parce que pendant quelques années les Allemands ne pouvaient pas reconstruire une société, tout ce qu’ils gagnaient partant en dommages de guerre pour la France.

    Mais les Allemands oubliaient de dire que dans les années 1920 – lorsque les politiques ont compris que ça empêchait l’Allemagne de se reconstruire – il y eut un véritable plan Marshall pour aider leur pays à se reconstruire. Donc le mot humiliation servit d’arme idéologique pour légitimer la violence des nazis – comme celle des djihadistes, d’ailleurs. Tous les totalitarismes se déclarent en état de légitime défense. Il leur paraît normal et même moral de tuer sans honte ni culpabilité.

    Aujourd’hui, sur environ 8 400 fichés « S », rappelle une enquête du CNRS, on dénombre près de 100 psychopathes. La psychopathie, ce n’est pas une maladie mentale, mais une carence éducative et culturelle grave. Ce sont des enfants qui n’ont pas été structurés par leur famille, ni par la culture ni par leur milieu. Quand il n’y a pas de structure autour d’un enfant, il devient anomique, et l’on voit réapparaître très rapidement des processus archaïques de socialisation, c’est-à-dire la loi du plus fort.

    Michelet le disait : quand l’Etat est défaillant, les sorcières apparaissent. Cent psychopathes sur 8 400 cas, c’est la preuve d’une défaillance culturelle. C’est une minorité dans les chiffres, mais c’est une majorité dans les récits et l’imaginaire parce que le Bataclan, le Stade de France, Nice ou le 13-Novembre font des récits atroces et spectaculaires qui fédèrent une partie de ces meurtriers.

    T. T. : Très souvent, ces jeunes qui s’égarent dans le djihad cherchent un sens à donner à leur vie, car ils ont l’impression que la vie autour d’eux n’a pas de finalité. S’ajoute à leurs échecs scolaires et professionnels le manque de cadre institutionnel et spirituel. Quand je suis venu en France en 1963, il existait un encadrement idéologique très puissant des jeunesses communistes et des jeunesses catholiques. Tout cela a disparu de notre horizon et le seul épanouissement, le seul aboutissement des efforts individuels, c’est de devenir riche, de pouvoir s’offrir tel ou tel signe extérieur de réussite sociale.

    De façon morbide, le djihad est le signe de cette quête globale de sens. Il est la marque de cette volonté de s’engager dans un projet collectif qui frappe souvent des personnes qui jusque-là étaient en prison pour des petits vols et des menus crimes, mais qui cessent de trafiquer, de boire ou de fumer du haschisch pour être au service d’une doctrine vraie, de ce « Un » dont vous parliez tout à l’heure. Ils sont d’abord prêts à sacrifier la vie d’autrui, mais ensuite la leur aussi.

    Y a-t-il des héros ou des contre-récits qui pourraient permettre de structurer davantage leur univers mental ?
    T. T. : Oui, je crois beaucoup à cette force du récit, qui est bien plus grande que celle des doctrines abstraites et qui peut nous marquer en profondeur sans que nous en soyons conscients. Ces récits peuvent prendre la forme d’images idéelles, comme Tarzan et Zorro pour Boris Cyrulnik. Mais il y en a beaucoup d’autres encore. Dans mes livres, j’essaie de raconter moi-même des histoires, que ce soit la conquête de l’Amérique ou la seconde guerre mondiale. Mais c’est un travail qui doit se répercuter dans notre culture politique et dans notre éducation.

    Dans une classe d’une école parisienne aujourd’hui, on trouve des enfants de quinze origines différentes. Comment, sans rire, leur parler de nos ancêtres les Gaulois ? Je ne pense pas pour autant qu’il faudrait leur enseigner l’histoire ou la mémoire des quinze nationalités qui se retrouvent dans cette classe. On doit leur apprendre une histoire de la culture dominante, celle du pays où l’on se trouve, mais de manière critique, c’est-à-dire où l’on n’identifie aucune nation avec le Bien ou le Mal. L’histoire peut permettre de comprendre comment une nation ou une culture peut glisser et basculer dans le Mal, mais aussi s’élever au-dessus de ses intérêts mesquins du moment et contribuer ainsi à une meilleure vie commune. Bref, sortir du manichéisme qui revient en force aujourd’hui.

    Comment expliquez-vous ce qui apparaît comme une déprime collective française ?
    B. C. : Les conditions réelles d’existence d’un individu ont rarement à voir avec le sentiment de dépression. On peut avoir tous les signes du bien être – emploi et famille stables – et déprimer. Et, à l’inverse, on peut vivre dans des conditions matérielles très difficiles et ne pas déprimer. Il n’y a pas de causalité directe de l’un à l’autre. On peut avoir un sentiment de tristesse et de dépression provoqué par une représentation coupée du réel. Dans ces moments-là, ce qui provoque la dépression ou l’exaltation, ce sont les fabricants de mots. Je voyage beaucoup à l’étranger et je vous assure que les gens sont étonnés par notre déprime, ils n’en reviennent pas. Ils disent : « Mais nous, on prend tout de suite la condition de vie des Français, on la prend tout de suite ! »

    T. T. : Pour quelqu’un qui a sillonné plusieurs pays, il y a en France un pessimisme, une déprime, une complaisance excessive à observer le déclin, que je m’explique par le fait qu’au XXe siècle la France est passée d’un statut de puissance mondiale à un statut de puissance de deuxième ordre. Cela conditionne en partie cette mauvaise humeur, constitutive aujourd’hui de l’esprit français.

    Pourtant, les attentats et le retour du tragique de l’Histoire sur notre sol ont bel et bien miné le quotidien de chacun… La France serait-elle une nation résiliente ?
    T. T. : Je vois paradoxalement quelque chose de positif dans cette situation. Bien sûr, on ne peut se réjouir de l’existence de ces victimes en France. Mais il est salutaire de prendre conscience de la dimension tragique de l’Histoire, de ce que la violence n’est pas éliminée de la condition humaine juste parce qu’en Europe les Etats ne sont plus en guerre les uns contre les autres.

    B. C. : La réaction aux attentats a été magnifique à Paris et honteuse à Nice. Les Parisiens et les Français se sont solidarisés pour signifier : « Nous ne nous soumettrons pas, mais nous ne nous vengerons pas. Ne nous laissons pas entraîner dans la spirale de la violence. » J’étais à Munich, le soir du Bataclan. Le lendemain, dans les rues, j’ai vu des manifestants de Pegida qui n’attendaient qu’un incident pour déclencher une ratonnade.

    A Nice, quand les familles musulmanes ont voulu se rendre sur les lieux du massacre pour se recueillir, on leur a craché dessus en criant : « Rentrez chez vous, sales Arabes. » Or ils sont chez eux puisqu’ils sont Français.

    Par ailleurs, je ne comprends pas le mouvement de lutte contre l’islamophobie, qui fait des procès à ceux qui ont peur de l’islam et n’en fait pas aux assassins qui provoquent la peur de l’islam. Pour éviter les réactions racistes et s’opposer aux terroristes, il faut se rencontrer et parler. Plus on se rencontre, moins il y a de préjugés.

  • Aux racines (vertes) de la « post-vérité »

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/26/aux-racines-vertes-de-la-post-verite_5053914_3232.html

    Le terme de « post-vérité », qui semble une notion nouvelle dont les médias parlent beaucoup, est en réalité une forme de mensonge à laquelle les climatologues sont confrontés depuis longtemps.

    « Post-vérité » par ci, « post-vérité » par là… Depuis que l’hebdomadaire The Economist a mis, en septembre, cette expression à sa couverture (post-truth politics, dans le texte), il est fortement question de « post-vérité » ou d’« ère post-factuelle » dans les médias. Un peu partout, les commentateurs s’alarment de cet étrange climat – celui des débats préalables au Brexit ou de la campagne présidentielle américaine – dans lequel les faits n’ont plus de valeur argumentative particulière.

    Si le terme de « post-vérité » est assez difficile à définir, on comprend bien que l’expression décrit une situation où le fait de se livrer au mensonge, à la contrefaçon intellectuelle ou à la tromperie active n’est sanctionné par aucune conséquence négative ultérieure, en termes d’image, de crédibilité, d’accès aux médias, etc.

    Souvenez-vous : c’était il y a moins de dix ans

    Pourtant, ce qui semble une nouveauté à une majorité de professionnels du débat public est, de longue date, le pain quotidien des communautés intéressées aux questions environnementales et scientifiques. Ce n’est pas un hasard si l’inventeur du terme post-truth politics, David Roberts, est un ancien rédacteur du magazine environnementaliste Grist. Il n’est en réalité pas déraisonnable de penser que le relativisme qui a pris possession des consciences puise, en partie au moins, aux sources des polémiques récentes sur des sujets d’environnement, et sur le climat en particulier.

    Souvenez-vous : c’était il y a moins de dix ans. Quelques scientifiques climatosceptiques – tous étrangers aux sciences du climat – lançaient une virulente campagne contre leurs pairs travaillant sur la question. Le réchauffement anthropique, le sujet pourtant le plus minutieusement étudié de l’histoire des sciences, était selon eux une chimère, construite de toutes pièces par une clique pseudo-scientifique malfaisante, adoptant des méthodes mafieuses pour asseoir l’idée d’une influence humaine problématique sur le climat.

    Rien n’y fit

    Les livres soutenant la théorie d’un tel complot étaient farcis de calculs erronés, de courbes frauduleuses, parfois dessinées à main levée… Bon nombre de ces complotistes prédisaient un refroidissement imminent (qu’on attend toujours), se fondant sur des études qui – au choix – n’existaient pas, avaient été réfutées, disaient l’inverse. Tout cela en se prévalant du soutien de chercheurs qui, parfois, n’existaient pas non plus ou qui, lorsqu’ils existaient et que la question leur était posée, protestaient contre leur enrôlement dans cette croisade.

    Cette manipulation fut démontrée sans ambiguïté et publiquement exposée, la communauté des climatologues français ayant par exemple pris la peine de faire circuler des rectificatifs géants de plusieurs dizaines de pages. Mais rien n’y fit. La campagne se poursuivit sans encombre, ces quelques conjurés climatosceptiques continuant à avoir table ouverte dans la majorité des grands médias. Mentir était devenu un instrument rhétorique comme un autre.

    PARCE QU’ILS SONT COMPLEXES, LES FAITS D’ENVIRONNEMENT SONT, LORSQU’ILS SONT PLONGÉS DANS LE CHAUDRON DE LA CONVERSATION, PARMI LES PLUS VULNÉRABLES AU MENSONGE.

    L’une des personnalités à avoir perçu le caractère cardinal de ce qui était en train de se produire a été le biologiste Pierre Joliot. L’un de ces croisés climatosceptiques, disait-il en 2010, « déforme ouvertement les faits, tout en le reconnaissant », et ce au motif que son livre était « politique et non scientifique ». Il y avait là une nouveauté totale.

    « Les véritables fraudeurs, très minoritaires, savent qu’ils fraudent et ils le cachent, car ils se savent soumis aux mêmes règles que tous les autres, ajoutait Pierre Joliot. Ce qui se passe actuellement est une évolution sans précédent : nous avons désormais, en science, des manquements éthiques qui sont non seulement affichés mais aussi justifiés ! »

    Parce qu’ils sont complexes, les faits d’environnement sont, lorsqu’ils sont plongés dans le chaudron de la conversation, parmi les plus vulnérables au mensonge. « En matière de climat, a coutume de dire un chercheur français, il faut dix secondes pour dire une ânerie et dix minutes pour expliquer pourquoi c’est une ânerie. »

    Mithridatisés au mensonge

    Sur ce sujet, le contournement de la réalité ou sa simple négation ont donc été des armes systématiquement utilisées dans les arènes du débat public. Il ne se trouvera personne pour affirmer que le chômage a baissé de moitié au cours du quinquennat qui s’achève. A l’inverse, combien de fois avons-nous pu entendre, ou lire, que le changement climatique s’est arrêté en 1998, que les plantes transgéniques sont des poisons violents ou que les perturbateurs endocriniens ne posent aucun problème sanitaire ? Les polémiques sur l’environnement ont fait le lit du relativisme ; elles nous ont mithridatisés au mensonge.

    D’ailleurs, comment ne pas le remarquer : la « post-vérité » est un phénomène bien plus notable aux Etats-Unis, là où la propagande climatosceptique est née et a été, depuis une quinzaine d’années, une entreprise de nature et d’ampleur industrielles, avec sa chaîne de télévision en croisade, ses armadas de think tanks, de pseudo-experts, de blogs… Aujourd’hui, avec la montée en puissance des réseaux sociaux et des algorithmes de distribution de l’information, qui maintiennent les individus installés dans le cocon de leurs biais et de leurs préjugés, le phénomène est voué à prendre toujours plus d’ampleur.

    Et ce n’est pas fini. Ce ne sont plus seulement les discours qui sont contaminés, mais le processus législatif et réglementaire lui-même. Aux Etats-Unis, la fin annoncée des réglementations limitant les émissions des centrales à charbon est fondée sur la négation du réchauffement ; en Europe, Bruxelles veut laisser sur le marché la majorité des perturbateurs endocriniens et s’appuie pour cela sur des arguments piétinant le consensus scientifique. Là encore, tout commence par l’environnement ; le reste suivra.

  • « Non condamnation de Christine Lagarde : quand la justice ignore le droit »

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/22/non-condamnation-de-christine-lagarde-quand-la-justice-ignore-le-droit_50529

    Christine Lagarde a été reconnue coupable de négligence dans l’affaire Tapie, mais pas condamnée. Ce verdict témoigne d’une justice à deux vitesses ; il est donc politiquement criticable. Mais il est aussi illégal du point de vue du droit pénal, estime le juriste Benjamin Fiorini.

    Après le fameux « responsable, mais pas coupable », la Cour de la justice de la République innove avec un nouvel opus : « condamnée, mais pas condamnable »… Christine Lagarde, reconnue coupable d’une négligence ayant coûté plus de 400 millions d’euros à l’Etat, ne se plaindra certainement pas de cette inventivité judiciaire. En revanche, la crédibilité de la Cour a tout à y perdre.

    Nombreux sont ceux à déplorer cette décision qui symbolise l’existence d’une justice à deux vitesses, en ce qu’elle dispense de peine une personne ayant commis une négligence au coût exorbitant pour l’Etat, tandis que d’autres délinquants, dont les infractions sont moins préjudiciables à la société, ne bénéficient pas d’une telle faveur. Sans doute cet argument est-il suffisant en soi pour décrédibiliser le verdict rendu, et aussi pour faire réfléchir à l’abolition de cette Cour de justice de la République dont le passé était déjà peu glorieux.

    Des irrégularités dans la procédure

    Toutefois, outre cette critique politique, une autre donnée est passée presque totalement inaperçue : la dispense de peine octroyée à Christine Lagarde est tout simplement... illégale ! Pour préserver les intérêts de l’ex-ministre, pour prononcer cette condamnation neutre qui s’apparente à un éclair sans tonnerre, les juges — essentiellement des parlementaires — ont contorsionné le droit, au point de le rompre et de ne plus l’appliquer du tout. En voici la démonstration juridique, laquelle n’a rien de très technique.

    L’article 68-1 de la Constitution prévoit que « la Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent de la loi ». Ainsi, ce sont les dispositions du droit commun qui s’appliquent quant à la détermination de la peine. Il s’ensuit que pour prononcer la peine applicable à Christine Lagarde, les juges avaient l’obligation de se rapporter aux dispositions du Code pénal.

    Or, la dispense de peine est prévue à l’article 132-59 de ce Code, lequel prévoit qu’elle est accordée « lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l’infraction a cessé ». Trois conditions cumulatives sont donc nécessaires pour que les juges octroient une dispense de peine : le reclassement du coupable, la réparation du dommage, et la fin du trouble né de l’infraction.

    Dans le cas de Christine Lagarde, il est invraisemblable de considérer que les deux dernières conditions sont remplies. Certes, on peut admettre son « reclassement », sa promotion au Fonds monétaire international (FMI) étant sans doute un gage de bonne moralité. Mais comment considérer que « le dommage causé est réparé » et « que le trouble résultant de l’infraction a cessé », alors même que l’Etat n’a pas encore récupéré les sommes perdues à cause de l’arbitrage, et que de nombreuses procédures sont toujours en cours ?

    La motivation retenue par les juges pour expliquer la dispense de peine n’évoque d’ailleurs nullement cette question. Ils préfèrent se référer exclusivement à la personnalité de Christine Lagarde et aux difficiles fonctions qu’étaient les siennes à l’époque des faits. Pas un mot n’est dit sur la réparation du dommage et la fin de trouble causé par l’infraction (et pour cause !), ce qu’exige pourtant la loi.

    Un recours en cassation toujours possible

    Au regard de ces éléments, il est évident que l’arrêt rendu par la Cour de justice de la République est illégal, la dispense de peine ayant été accordée dans des conditions qui ne le permettaient pas. Dans un Etat de droit en bonne santé, cet arrêt devrait faire l’objet d’un recours par le Ministère public et être cassé par la Cour de cassation. C’est le juste sort qu’il mérite.

    Malheureusement, il n’aura échappé à personne que le ministère public, ayant plaidé la relaxe dans cette affaire, semble peu enclin à se pourvoir contre une décision somme toute très favorable à Christine Lagarde (aucune peine à purger ; aucune mention de la condamnation sur le casier judiciaire ; aucune conséquence sur ses fonctions au FMI). On se trouve donc dans la situation absolument ubuesque où le ministère public, pourtant chargé de faire respecter la loi, refuse de se pourvoir contre un arrêt manifestement illégal !

    Peut-être que la presse, en informant le public de l’irrégularité frappant cette décision, pourrait conduire le ministère public à réviser sa position ? Les choses pressent, le recours en cassation ne pouvant être déposé que cinq jours après le prononcé de la décision.
    Si rien n’était fait, si la décision était maintenue telle quelle, il faudrait en conclure que devant la Cour de justice, les dispenses de peine sont arbitraires en cette République...

  • Donald Trump et l’extrême droite israélienne
    LE MONDE | 19.12.2016
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/19/donald-trump-et-l-extreme-droite-israelienne_5051138_3232.html

    Editorial du « Monde ». Donald Trump paraît sur le point de bouleverser radicalement la politique américaine dans le conflit israélo-palestinien. Tel est le signe qu’il vient d’adresser à toutes les parties concernées en désignant l’un de ses avocats, David Friedman, comme prochain ambassadeur des Etats-Unis en Israël. M. Friedman est activement engagé auprès de l’extrême droite israélienne. Il est opposé à la création d’un Etat palestinien. Il défend la colonisation de la Cisjordanie par Israël. Il entend déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.

    #Trumpisraël

  • L’écart de voix entre Hillary Clinton et Donald Trump, une anomalie démocratique ?

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/15/le-casse-tete-de-l-oncle-sam_5049687_3232.html

    Malgré 2,7  millions de voix d’avance, Hillary Clinton ne sera pas présidente des Etats-Unis. Une anomalie qui relance le débat sur les grands électeurs.

    Le chiffre est historique. Le 8 novembre, la candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine, Hillary Clinton, a engrangé 2,7 millions de voix de plus que son adversaire républicain Donald Trump.
    Mais la vie démocratique américaine est ainsi faite que Mme Clinton ne sera pas la future présidente des Etats-Unis. Elle-même, d’ailleurs, ne revendique rien. Elle connaît l’héritage de l’histoire et respecte la loi du « collège électoral » et de ses 538 grands électeurs chargés d’élire le président. Une spécificité américaine forgée dans la Constitution par les Pères fondateurs, mais qui, deux siècles plus tard, apparaît aux yeux de beaucoup comme une trahison du principe démocratique de l’élection au suffrage direct : « un homme, une voix ».

    Car si l’arithmétique prouve que Mme Clinton a gagné le vote populaire, elle n’a pas obtenu les bonnes voix aux bons endroits. En s’imposant dans une vingtaine d’Etats sur cinquante, la candidate démocrate n’a emporté que 232 des 270 grands électeurs qu’il lui fallait pour succéder à Barack Obama. Elle rejoint dans l’histoire récente le démocrate Al Gore : celui-ci avait dû s’incliner en 2000 face à George W. Bush, malgré un écart de 500 000 voix en sa faveur – soulevant, déjà, des questions sur l’équité de la procédure électorale.
    Seize ans plus tard, la victoire de l’imprévisible Donald Trump et l’avance sans appel de Mme Clinton en termes de voix ont suscité une émotion plus forte encore. Et relancé avec force le débat sur un système que beaucoup considèrent désormais comme une anomalie démocratique et historique.

    En un peu plus d’un mois, près de 5 millions de personnes ont signé une pétition demandant aux grands électeurs de donner leur voix à la candidate démocrate, le 19 décembre, lors de l’élection officielle du président des Etats-Unis.

    Cette requête a peu de chance d’être entendue. Seul un grand électeur républicain du Texas, Chris ­Suprun, a affirmé qu’il ne voterait pas pour M. Trump. Rejoignant ainsi les rares grands électeurs « déloyaux » (faithless) qui ont jalonné l’histoire de l’élection présidentielle – sans pour autant jamais en changer l’issue.

    Quelles raisons poussent donc l’une des plus solides démocraties du monde à élire son président au scrutin indirect, au cours d’une procédure à première vue injuste et dont une majorité de citoyens souhaiterait s’affranchir ? La réponse remonte à 1787 et a jailli lors d’âpres débats entre les rédacteurs de la Constitution américaine réunis à Philadelphie (Pennsylvanie).

    A l’époque, ces aristocrates éclairés, marqués par la brutalité des monarchies européennes, craignent l’émergence d’un dirigeant autoritaire, voire autocrate, à même de ruiner les apports de la révolution américaine. Leur confiance dans le jugement du peuple étant toute relative, la création d’un niveau intermédiaire d’électeurs jugés mieux informés s’impose pour éviter qu’un tyran ou qu’un démagogue ne se fraye un chemin par la voie démocratique.

    Le collège électoral est né. L’un de ses concepteurs, Alexander Hamilton, juriste influent dans les débats tenus à Philadelphie, défend cette conception contre ses collègues partisans d’un suffrage universel direct : « Un petit nombre de personnes, choisies par leurs concitoyens au sein de la population, sera plus à même de détenir les informations et le discernement requis. » En ajoutant qu’il était aussi « particulièrement souhaitable d’éviter au maximum tumulte et désordre ».

    Le poids démesuré de certains Etats

    Le poids respectif des grands électeurs selon les Etats, aujourd’hui remis en cause, remonte également à cette époque. Dans l’Amérique de la fin du XVIIIe siècle, les Etats du Sud, esclavagistes et moins peuplés que ceux du Nord, craignent que le système ne leur soit durablement défavorable.

    Un compromis est donc élaboré : quelle que soit son importance démographique, chacun des treize Etats initiaux enverra deux représentants au Sénat, tandis que la Chambre des représentants accueillera un nombre d’élus proportionnel à la population. Pour augmenter leur poids au Congrès, les Etats du Sud imposent l’idée qu’un esclave, même s’il n’a évidemment pas le droit de vote, compte pour trois cinquièmes d’un électeur blanc.

    Le vote d’un citoyen du Wyoming (586 000 habitants) compte quatre fois plus que celui d’un électeur du Michigan (9,9 millions).
    Conçu pour « protéger les minorités », ce principe donnera aux Etats du Sud la mainmise sur la présidence durant trente-deux des trente-six premières années qui suivent la rédaction de la Constitution, ainsi que l’a rappelé dans la presse américaine Akhil Reed Amar, spécialiste de droit constitutionnel. Aujourd’hui, la formation du collège électoral répond toujours à ces critères.

    Dans chaque Etat, le nombre des grands électeurs, désignés par les partis politiques, correspond au nombre de ses élus au Congrès, donnant à certains Etats ruraux ou peu peuplés un poids jugé disproportionné par les détracteurs du système : le vote d’un citoyen du Wyoming (586 000 habitants), dénoncent-ils, compte ainsi quatre fois plus que celui d’un électeur du Michigan (9,9 millions).

    Au lendemain de l’élection, l’écrivaine Joyce Carol Oates, suivie par d’autres critiques, s’inquiétait que ce déséquilibre favorise à jamais « les voix rurales, blanches, âgées et plus conservatrices ». Un sentiment d’injustice partagé en 2012 par un certain… Donald Trump. « Plus de voix égalent une défaite… Révolution ! », écrivait-il sur Twitter, alors que le décompte des voix de l’élection présidentielle se poursuivait. Il ajoutait quelques jours plus tard : « Le collège électoral est un désastre pour une démocratie. »

    Aujourd’hui, alors que ce système « honteux » lui est favorable, M. Trump juge que « le collège électoral est en fait génial car il met tous les Etats, y compris les petits, dans le jeu ». L’un des biais du système amène les candidats à rechercher les voix des grands électeurs dans des Etats stratégiques, délaissant durant leur campagne les Etats qu’ils savent, ou pensent, acquis à leur parti.

    « La tyrannie de la minorité »

    Quelques voix s’élèvent néanmoins pour défendre cette procédure. Ainsi, l’ancien directeur de campagne du candidat malheureux Al Gore, William M. Daley, estime que, si l’on réformait le collège électoral, « le remède pourrait être pire que le mal ».

    « Ce système, estime-t-il, favorise les deux grands partis, ce qui a permis une longue stabilité politique que beaucoup de pays envient. Un troisième parti en soi n’est pas une mauvaise chose, mais notre système fédéral n’est pas adapté aux partis de niche. »
    Des grands électeurs républicains, « harcelés » par des courriers leur demandant de changer leur vote pour faire barrage à M. Trump, montent aussi au créneau pour défendre le collège, qui assure, selon eux, « une représentation de l’ensemble du pays ».

    «  Plus de voix égalent une défaite… Révolution  !  », tweetait Donald Trump en 2012, avant d’ajouter  : «  Le collège électoral est un désastre pour une démocratie  »

    Mais les critiques, récurrentes, se multiplient. Concernée au premier chef, Mme Clinton ne s’est pas exprimée cette année sur le sujet. Mais, en 2000, alors que Bill Clinton s’apprêtait à terminer son deuxième mandat présidentiel, la First Lady de l’époque plaidait pour le suffrage universel direct et « la volonté du peuple ».

    « Ce système est intolérable dans une démocratie. Il viole l’égalité politique car toutes les voix ne sont pas égales », estime aussi George C. Edwards III, professeur de sciences politiques à l’université du Texas, auteur d’un ouvrage sur le sujet (Why the Electoral College Is Bad for America, « Pourquoi le collège électoral est mauvais pour l’Amérique », non traduit).

    En réponse aux Pères fondateurs, il juge que « le collège électoral ne protège pas de la tyrannie de la majorité. Au contraire, il fournit un potentiel pour la tyrannie de la minorité ». L’élection de M. Trump, acquise en grande partie grâce aux voix des électeurs blancs, ruraux et peu diplômés, tend à illustrer ce biais.

    Même si le caractère sacré de la Constitution aux Etats-Unis constitue un obstacle majeur à toute évolution, les propositions alternatives n’ont pas manqué depuis l’élection du 8 novembre. Au-delà de la pétition, sorte d’exutoire pour de nombreux électeurs sous le choc, d’autres initiatives ont vu le jour.

    Une élue démocrate de Californie, Barbara Boxer, a ainsi déposé une proposition de loi pour supprimer le collège électoral – texte qui n’a aucune chance d’être adopté. « La présidence est la seule fonction pour laquelle vous pouvez avoir plus de voix et perdre, déplore la sénatrice. Chaque Américain devrait être assuré que son vote compte. »

    Optimisme prudent

    Cet argument est repris par ceux qui s’inquiètent du faible taux de participation lors de l’élection (54 % cette année). De leur côté, deux grands électeurs démocrates du Colorado et de l’Etat de Washington ont lancé le mouvement des « Electeurs de Hamilton ».

    Sans réclamer la suppression du collège électoral, ils rappellent que les garde-fous défendus par le Père fondateur étaient conçus pour éviter la percée d’un ­ « démagogue » tel que M. Trump. Aussi demandent-ils à leurs pairs républicains non pas de voter pour Mme Clinton le 19 décembre, mais de choisir dans leur camp un candidat ayant « les qualifications requises », comme le souhaitait Alexandre Hamilton.
    Les inquiétudes actuelles ne sont pas nouvelles. Après la défaite de M. Gore, en 2000, plusieurs Etats avaient réfléchi à de nouvelles dispositions ne nécessitant pas un amendement constitutionnel. Il s’agissait d’abandonner la pratique bien ancrée du winner take all (« le gagnant remporte tout »), qui n’est pas inscrite dans la Constitution.
    Par ce biais, dans 48 des 50 Etats, le candidat arrivé en tête remporte la totalité des voix des grands électeurs en jeu. L’idée serait de partager les votes des grands électeurs de manière proportionnelle, en fonction du vote populaire.

    Une autre solution consisterait à suivre les recommandations du « National Popular Vote Interstate Compact ». Selon cet accord, signé par un groupe de dix Etats plus le district de Columbia (Washington, D.C.), les grands électeurs s’engageraient à donner leur voix au candidat qui aurait gagné le vote populaire, quelle que soit sa couleur politique. Un système qui ne fonctionnera que lorsque suffisamment d’Etats auront rejoint le mouvement pour délivrer 270 voix au « candidat du peuple ».

    Seize ans après ses propres déboires, Al Gore, quant à lui, fait preuve d’un optimisme prudent. « Cela prendra du temps, mais je ne serais pas surpris que finalement nous passions au vote populaire pour élire le président d’ici une décennie », commente-t-il. Mais, entre la tradition et le poids électoral que ce système octroie à certains Etats, le système des grands électeurs risque fort de dominer encore les prochaines élections.

  • La Syrie fracture les partis politiques français

    À droite, le candidat F. Fillon se rapproche du FN en défendant le régime d’Assad & V. Poutine. Le PS & les écologistes relaient l’opposition syrienne, quand JL. Mélenchon défend une lecture anti-impérialiste où les États-Unis sont le principal adversaire.

    La chute d’Alep est un révélateur. Y compris des fractures au sein des partis politiques français. À droite, la primaire a désigné un candidat, F. Fillon, qui s’est distingué de nombre de ses compagnons par son soutien à V. Poutine, voire à B. al-Assad, sur une ligne proche de celle du Front national. À l’inverse, le PS et les écologistes condamnent sans hésiter le régime dictatorial et soutiennent l’opposition syrienne non-djihadiste. Jean-Luc Mélenchon, lui, cultive une lecture anti-impérialiste qui suscite de vives polémiques.

    C’est par un communiqué d’à peine quelques lignes, que François Fillon a rompu jeudi 15 décembre le silence de plus en plus pesant qu’il observait depuis la chute d’Alep. « L’indignation est nécessaire mais elle n’a jamais sauvé une vie », explique-t-il. Pour « arrêter le massacre, il n’y a que deux solutions », poursuit celui qui, isolé dans sa famille politique, prône depuis des mois une alliance stratégique avec le régime de Damas.

    La première, celle d’« une intervention militaire que seuls les Américains peuvent conduire », n’a pas sa faveur « compte tenu de ce qu’il s’est passé en Irak ». La seconde, qu’il défend, « c’est une initiative puissante, européenne, diplomatique pour mettre autour de la table toutes les personnes qui peuvent arrêter ce conflit sans exclusive, et donc y compris ceux qui commettent des crimes aujourd’hui ». Pour François Fillon, reprendre le dialogue avec Bachar al-Assad, mais aussi avec Vladimir Poutine, est la seule voie de sortie pour le conflit syrien.
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    Il y a quelques semaines, Fillon a refusé de parler de « crimes de guerres » à Alep. « Il ne faut pas utiliser des mots comme ça, sans pouvoir vérifier », affirmait-il, dans L’Émission politique, sur France 2. « Quand on est en guerre, on doit choisir son principal adversaire », écrivait-il aussi dans Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016) pour justifier un rapprochement avec Damas et Moscou. « Il y a deux camps en Syrie et non pas trois comme on le dit », assurait-il le 13 octobre dernier lors d’un débat avec ses concurrents à la primaire, parlant des partisans d’un « régime totalitaire islamique » et « des autres », oubliant au passage l’opposition syrienne non-djihadiste. « Moi, je choisis les autres parce que je considère que ce danger-là est trop grave pour la paix mondiale. »

    Mais, jeudi, Fillon, tout à sa volonté de rassemblement post-primaire, a nommé Bruno Le Maire « représentant pour les affaires européennes et internationales ». Un Bruno Le Maire qui défendait pourtant des positions diamétralement opposées à celle du vainqueur de la primaire sur le dossier syrien, allant jusqu’à prôner une intervention militaire au sol menée par la France. « Il faut que la France prenne le leadership d’une coalition internationale qui associerait des États européens et des États de la région. Entre l’alignement sur les États-Unis et la vénération aveugle de la Russie, il y a un choix alternatif : l’indépendance », déclarait-il dans le JDD. Choisir Bruno Le Maire laisse-t-il entrevoir un infléchissement de la ligne de François Fillon ? « Il n’y a aucune inflexion et il n’y a qu’un chef, c’est François Fillon », répond aujourd’hui son porte-parole Thierry Solère.

    Cela dit, la ligne pro-Assad de certains des soutiens historiques de Fillon, comme le député Thierry Mariani qui s’est félicité de la chute d’Alep-Est, risque de poser des problèmes au candidat LR, dont les positions ressemblent parfois à s’y méprendre à celles du Front national.

    Ce jeudi, Marine Le Pen n’avait toujours pas réagi à la chute d’Alep entre les mains d’un régime qu’elle a de toutes façons toujours défendu. Lundi, au lendemain de l’attentat perpétré contre une église copte au Caire, la candidate du FN avait pourtant immédiatement rédigé un communiqué de soutien aux chrétiens « sauvagement frappés par le fondamentalisme islamique ».
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    « Alep était infestée d’islamistes, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des drames avec des civils (…), il y en a », a répondu Florian Philippot ce jeudi sur BFMTV. Reprenant la ligne du parti d’extrême droite, il a, de nouveau, déclaré qu’il fallait « parler avec la Russie ». « Au lieu d’observer et de se lamenter, il aurait fallu être acteur : (…) La France aurait œuvré à créer une vraie coalition mondiale avec les États-Unis, avec les pays européens dont la France, mais aussi avec la Russie ; cela aurait été plus responsable. »
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    Outre les liens étroits du FN avec la Russie, notamment financiers (lire nos enquêtes), le FN a toujours, dans ce conflit repris, à la virgule près, la propagande de Bachar al-Assad, estimant que son régime permettait de faire « cohabiter pacifiquement des minorités qui demain vont se faire massacrer », comme l’affirmait en 2013 Marion Maréchal-Le Pen. L’entourage de la dirigeante du FN a parfois noué des liens d’affaires avec Bachar al-Assad. La société de communication de Frédéric Chatillon, conseiller officieux de Marine Le Pen, Riwal a perçu, comme le racontait Mediapart, entre 100 000 et 150 000 euros par an du régime syrien, pour gérer la communication dudit régime.

    Les candidats à la primaire du PS : le soutien à l’opposition syrienne

    Ils ne sont d’accord sur rien, ou presque. Sauf sur la guerre en Syrie. Les principaux candidats à la primaire du PS, prévue les 22 et 29 janvier, reprennent tous à leur compte la ligne des autorités françaises, définie sous Nicolas Sarkozy et poursuivie par François Hollande : condamnation du régime de Bachar al-Assad et soutien à l’opposition syrienne, dite modérée (hors djihadistes). Mais la plupart se gardent bien d’aller au-delà sur le terrain diplomatique. Seul véritable point de discorde : la question des réfugiés entre, d’un côté, Manuel Valls, renvoyé à son discours de Munich dans lequel il avait critiqué la politique d’accueil de la chancelière Angela Merkel, et, de l’autre, tous ses concurrents.

    Manuel Valls a tweeté mardi un appel à la Russie de Vladimir Poutine, avant de critiquer « un tropisme pro-russe chez François Fillon ». La France « doit parler avec la Russie mais aussi dire avec la plus grande fermeté que ce qui se passe à Alep est intolérable, indigne, c’est une blessure pour l’humanité », a-t-il déclaré au média en ligne Brut.

    Mercredi à Paris, Benoît Hamon a commencé son discours en rendant hommage à « nos frères et sœurs en humanité » qui meurent à Alep et en parlant de « crime de guerre » et de « crime contre l’humanité ». « Je me refuse à graduer l’horreur selon qu’elle est perpétrée par Daech ou par Bachar al-Assad », a-t-il argumenté, mais sans s’avancer sur les solutions diplomatiques. Il s’est en revanche clairement distingué de Manuel Valls sur l’accueil des réfugiés – alors premier ministre, il avait critiqué les choix d’Angela Merkel. « J’ai eu honte que des responsables soient allés tancer une chancelière (allemande) pour lui dire de ne pas en faire autant sur les réfugiés », a balayé Hamon mercredi, qui veut créer un visa humanitaire, sortir des accords de Dublin et octroyer plus rapidement aux migrants le droit de travailler.
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    Même tonalité chez Vincent Peillon qui, interrogé sur France Inter, a surtout appelé à accueillir les Syriens réfugiés : « Si l’on peut faire quelque chose, c’est les accueillir », a-t-il expliqué.
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    Seul Arnaud Montebourg, après avoir exprimé son « indignation profonde », s’est un peu plus avancé sur le plan diplomatique : dans un communiqué publié sur son site, il salue « les efforts diplomatiques que la France a entrepris ces dernières années avec Laurent Fabius et Jean-Marc Ayrault ». Avant d’ajouter : « Mais nous ne pouvons agir ou peser seuls. (...) Il faut exiger dès les prochaines heures une initiative commune de l’ensemble des chefs de gouvernements pour mobiliser les autres puissances mondiales, Chine et États-Unis notamment, faire pression sur la Russie, l’Iran afin que cesse l’un des plus sinistres épisodes et l’un des plus lourds échecs diplomatiques de ces dernières décennies. »

    Les écologistes, fidèles à leurs traditions

    Droits de l’homme, aide humanitaire et appel à la communauté internationale : les dirigeants d’Europe Écologie-Les Verts, et le candidat Yannick Jadot, sont fidèles à la tradition politique de leur mouvement. Dans une tribune publiée par Le Monde, après avoir condamné les massacres du régime, le candidat Yannick Jadot appelle avec l’essayiste Raphaël Glucksmann au renforcement des sanctions contre la Russie (« Ce régime russe est aussi une oligarchie qu’il faut frapper au portefeuille »), et à refuser que la Coupe du monde de football ait lieu en Russie en 2018.
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    Ils s’en prennent aussi à plusieurs dirigeants français : « Alep crève depuis des mois et Marine Le Pen a applaudi Assad et Poutine, son modèle et son parrain. Alep crève et François Fillon a dit, dans un débat de la primaire démocratique de la droite française, “choisir Assad” avant de justifier Poutine. Alep crève et Jean-Luc Mélenchon a affirmé dans une émission populaire du service public : “Je pense que Poutine va régler le problème en Syrie.” »
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    Quant à l’ancienne ministre Cécile Duflot, elle s’est rendue en début de semaine à la frontière turco-syrienne – la délégation, également composée des députés Patrick Mennucci (PS) et Hervé Mariton (LR), a demandé, en vain, à accompagner jusqu’à Alep le président du comité civil d’Alep-Est Brita Hagi Hasan. Plusieurs responsables écologistes, dont Jadot et Jacques Boutault, maire du IIe arrondissement de Paris, ont aussi participé jeudi, aux côtés d’Anne Hidalgo (PS), à la manifestation organisée pour le départ d’un convoi d’aide humanitaire.

    Mélenchon, contre l’impérialisme américain mais à quel prix ?

    À gauche, seul Jean-Luc Mélenchon se distingue réellement. Au centre de nombreuses polémiques, il a pris soin, depuis quelques mois, de préciser ses propos. Dans sa dernière émission, Revue de la semaine, mise en ligne sur Youtube jeudi, le candidat de la France insoumise insiste sur cette information qui le « percute ». « Ces dernières heures nous avons tous été bouleversés par la diffusion des images en provenance d’Alep et de la partie est de cette ville, des bombardements qu’elle est en train de subir », commence Mélenchon, qui en profite pour répondre à ses détracteurs, qui font de lui « un ami des bombardements sur cette partie de la ville ». « Comment peut-on penser qu’il y a une personne ici ou là qui aime les bombardements et leurs conséquences ? À ceux qui se posaient des questions, je leur dis que je suis comme eux : indigné, blessé », poursuit-il.
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    Jean-Luc Mélenchon réexplique, dans cette vidéo, la série d’arguments qui lui permettent de se définir comme un « non aligné » (« une propagande mortelle interdit tout débat, toute critique, tout point de vue non aligné », déclarait-il dans une note de blog mercredi 14 décembre). D’abord le fait que, selon lui, cette guerre en Syrie n’est pas celle qu’on croit, mais bien une guerre pour les matières premières (le gaz et le pétrole).

    « Il s’agit d’une guerre du pétrole et des gazoducs qui n’a pas d’issue sans une coalition universelle ! Nul n’admet, contre les faits eux-mêmes, que ce sont les États-Unis et la France qui ont refusé la formation d’une coalition universelle avec la Russie pour combattre les bandes armées de Daech, Al Nostra [le Front Al-Nosra – ndlr] et compagnie », détaillait Mélenchon le 14. « Le problème de la guerre en Irak et en Syrie, ce n’est pas la religion, ce sont les oléoducs et les gazoducs. (...) Ce sont des guerres traditionnelles pour l’accès aux matières premières et l’accumulation de la richesse. Et dans l’affaire de la Syrie c’est tout à fait ça au point de départ », déclarait-il le 11 décembre à l’émission Question politique.

    Au début du soulèvement syrien en 2011, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon faisait pourtant partie des formations politiques à saluer les printemps arabes, y compris en Syrie. Sa coprésidente Martine Billard signait, le 28 août 2013, un communiqué condamnant clairement les bombardements à l’arme chimique quelques jours plus tôt, commis par le régime. « Après plus de 100 000 victimes tuées depuis le début du soulèvement en Syrie en mars 2011, et la destruction de régions entières du pays, le Parti de gauche dénonce le massacre à l’arme chimique de centaines de civils syriens le 21 août. Cette escalade dans l’horreur est inadmissible. » Mais, déjà, elle prévenait qu’« une intervention armée des États-Unis et d’autres pays alliés dont la France, ne ferait qu’aggraver le conflit d’autant que la Russie entend continuer à soutenir le régime criminel de Damas, notamment pour préserver ses intérêts dans la région ».

    Depuis, si le PG a changé de pied, c’est à la fois à cause de la montée en puissance des groupes armés islamistes et djihadistes (les deux étant parfois confondus dans le discours du parti) parmi l’opposition syrienne au régime, du soutien du Qatar, de l’Arabie saoudite et de la Turquie à certains de ces groupes, et le déclenchement de l’intervention internationale emmenée par les États-Unis. Or, pour le parti de Mélenchon, « le monde est entré dans l’ère des “guerres de l’Empire global” », selon son texte de congrès de juin 2015. Peu à peu, cette grille d’analyse a effacé celle présidant au soulèvement des peuples de Tunisie, d’Égypte, de Bahreïn ou de Syrie contre leurs dictateurs, indépendamment de tout agenda extérieur.

    « En Libye, en Irak, en Syrie ou au Yémen, les États-Unis tirent prétexte du chaos qu’ils ont eux-mêmes créé, en armant des terroristes islamistes, avec l’aide de leurs alliés pour justifier les interventions meurtrières pour les populations. Quatre ans après les soulèvements populaires du monde arabe, les peuples restent pris en étau entre les régimes autoritaires et dictatoriaux (comme le régime d’Assad), la progression d’un fanatisme subventionné par les monarchies wahhabites du Golfe, les seigneurs de guerre mafieux », écrivait alors le PG.

    De là découle, par exemple, le refus de Mélenchon de parler de « crimes de guerre » : le 16 octobre, dans le JDD, il rétorquait : « Toute guerre est une addition de crimes ! À quoi bon cette escalade verbale de Hollande ? Nous sommes déjà en danger de guerre généralisée. Pourquoi en rajouter avec cette menace du Tribunal pénal international ? Sait-on que ni les USA ni la Russie ne le reconnaissent ? Le dire n’est pas soutenir Poutine. D’ailleurs, il a mis en prison mes amis en Russie. »

    L’entrée en guerre de la France n’a fait que renforcer Mélenchon dans sa grille d’analyse. C’est aussi en défenseur des « intérêts de la France » qu’il se présente : « Depuis le début de la crise, d’un excès à l’autre, la diplomatie française s’est inutilement identifiée au camp des faucons nord-américains, écrivait-il le 4 novembre. Il n’y a plus de représentation diplomatique française à Damas. Comment envisager une discussion sur la paix et même une transition démocratique en Syrie en maintenant la rupture de toute relation diplomatique avec l’État syrien ? Ce choix n’est pas celui de tous les pays européens. Sept pays de l’UE conservent des relations diplomatiques avec la Syrie, dont la Grèce et l’Espagne. (...) La voix présidentielle de la France s’égarant actuellement dans le soutien aveugle aux islamistes turcs, c’est à nous d’incarner la France qui ne se trompe pas d’amis en Turquie. Nous l’avons fait concrètement en accueillant des parlementaires et dirigeants du HDP à nos universités d’été. »

    Ses positions sont l’objet de toutes les polémiques et gênent une partie de la gauche radicale (lire à ce sujet le texte de Julien Salingue*), et de ses soutiens. Mercredi, Clémentine Autain a condamné un « crime contre l’humanité » commis « au nom de la lutte contre Daech » et son mouvement, Ensemble, a relayé l’appel à manifester à Paris avec le collectif Avec la Révolution syrienne, et dénoncé un « dictateur sanguinaire ».

    Le PCF est beaucoup plus mesuré : dans un communiqué publié mercredi, les communistes demandent un cessez-le-feu pour les populations civiles d’Alep mais renvoient dos à dos « chacun des belligérants, et de leurs soutiens ». « Des crimes de guerre ont été commis par toutes les parties en présence, et leurs alliés, depuis le début de l’offensive sur Alep et de la guerre en Syrie », dit encore le Parti communiste, qui appelle à une « transition démocratique » en Syrie avec « un processus conciliant les ennemis d’aujourd’hui », sans un mot de condamnation sur Bachar al-Assad.

    Lénaïg Bredoux, Lucie Delaporte & Christophe Gueugneau

    *http://resisteralairdutemps.blogspot.be/2016/12/massacres-alep-lettre-un-camarade-qui.html

  • François Burgat : « C’est la victoire usurpée d’une minorité soutenue par des régimes autoritaires »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/13/francois-burgat-c-est-la-victoire-usurpee-d-une-minorite-soutenue-par-des-re

    Je sélectionne dans la partie en accès libre de la "libre opinion" de Burgat ces passages. Adopte-t-il ici le discours délirant d’une (grosse) partie de l’opposition qui consiste à déligitimer le gouvernement syrien du seul fait qu’il serait minoritaire ? Les crimes de ce régime ne sont donc pas un argument suffisant ? Il faut aussi lui reprocher de ne pas être la majorité légitime ? Les sunnites sont-ils "humiliés" de ne pas être au pouvoir bien que religieusement majoritaires ? Quant à la dénonciation de l’occupation russe d’Alep, c’est tout de même une grosse ficelle rhétorique, pas vraiment digne de son auteur.

    François Burgat : « C’est la victoire usurpée d’une minorité soutenue par des régimes autoritaires » (...) En Syrie, quelle que soit la teneur de l’actualité des jours prochains, une page de notre histoire contemporaine, aussi noire qu’importante, est en train de se tourner. Ce ne sont point les Russes qui vont quitter Alep mais bien ses habitants les plus légitimes. Car cette fausse « victoire » est celle d’une minorité politique déchue, très artificiellement perfusée par une double ingérence étatique, sur une majorité abandonnée de tous.

    Toujours dans ce bref extrait accessible, l’opposition qui est construite ferait sourire si la question n’était pas si tragique. On lit ainsi qu’il y a d’un côté une minorité (le régime syrien) soutenue par des régimes autoritaires, les Iraniens et les Russes avec leurs soutiens chiites et, de l’autre, une majorité abandonnée par "les prétendus défenseurs de la démocratie"... Je passe sous silence les pays occidentaux pour ne pas être inutilement polémique, mais la Turquie, les Saoudiens, les Qataris, des "défenseurs de la démocratie" ? Pourquoi faut-il que l’engagement aux côtés d’une partie du soulèvement syrien s’accompagne d’un tel parti-pris, voire même d’une telle mauvaise foi ?

    Ce faux triomphe n’est pas celui d’une partie de la société syrienne sur une autre. Seule l’a rendu possible la conjonction de la passivité irresponsable des Occidentaux face à une intervention étrangère directe – iranienne et plus largement chiite puis russe – hors de proportion avec celles des soutiens, arabes ou autres, de l’opposition. C’est donc la victoire d’une minorité perfusée par des autoritarismes étrangers sur une majorité abandonnée par les prétendus défenseurs de la démocratie. C’est une victoire des armes de l’hiver autoritaire sur les espoirs du printemps démocratique.

  • #Travailleurs_détachés : une tribune de 8 ministres pour une réforme.
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/12/la-liberte-de-circuler-ne-doit-pas-etre-celle-d-exploiter_5047228_3232.html

    Le marché intérieur doit être capable de garantir une croissance qui profite à tous, grâce à une #convergence_sociale vers le haut. Traitement digne et équitable des travailleurs et #liberté_de_circulation ne peuvent pas être considérés comme antagonistes. La liberté de circuler ne doit pas être la liberté d’exploiter. C’est tout le sens de notre engagement en faveur de la révision de la directive sur le détachement de travailleurs de 1996.

    #Union_européenne #exploitation

  • L’israélisation du monde (occidental)
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/01/l-israelisation-du-monde-occidental_5041187_3232.html
    LE MONDE | 01.12.2016 | Par Christophe Ayad

    Chronique. Tombant dans le piège tendu par Al-Qaida et l’EI, l’Occident s’est mis à ressembler à Israël : une forteresse assiégée, cherchant des réponses sécuritaires à ses problèmes politiques.

  • #Perturbateurs_endocriniens : halte à la manipulation de la science
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/29/halte-a-la-manipulation-de-la-science_5039860_3232.html

    Près de cent scientifiques dénoncent la #fabrication_du_doute par les industriels, déjà à l’œuvre dans la lutte contre le changement climatique.
    […]
    Une lutte comparable fait actuellement rage autour de la nécessaire réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. La Commission européenne s’apprête à mettre en place la première réglementation au monde sur le sujet. Bien que de nombreux pays aient également manifesté leur inquiétude à l’égard de ces produits chimiques, aucun n’a instauré de réglementation qui les encadrerait globalement.

    #paywall

    • Depuis des décennies, la science est la cible d’attaques dès lors que ses découvertes touchent de puissants intérêts commerciaux. Des individus dans le déni de la science ou financés par des intérêts industriels déforment délibérément des preuves scientifiques afin de créer une fausse impression de controverse. Cette manufacture du doute a retardé des actions préventives et eu de graves conséquences pour la santé des populations et l’environnement.

      Les « marchands de doute » sont à l’œuvre dans plusieurs domaines, comme les industries du tabac et de la pétrochimie ou le secteur agrochimique. A elle seule, l’industrie pétrochimique est la source de milliers de produits toxiques et contribue à l’augmentation massive des niveaux de dioxyde de carbone atmosphérique, à l’origine du changement climatique.

      La lutte pour la protection du climat est entrée dans une nouvelle ère avec l’accord de Paris de 2015, malgré la farouche opposition de climatosceptiques sourds au consensus établi par les scientifiques engagés pour travailler dans l’intérêt général.

      Une lutte comparable fait actuellement rage autour de la nécessaire réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens. La Commission européenne s’apprête à mettre en place la première réglementation au monde sur le sujet. Bien que de nombreux pays aient également manifesté leur inquiétude à l’égard de ces produits chimiques, aucun n’a instauré de réglementation qui les encadrerait globalement.

      JAMAIS L’HUMANITÉ N’A ÉTÉ CONFRONTÉE À UN FARDEAU AUSSI IMPORTANT DE MALADIES EN LIEN AVEC LE SYSTÈME HORMONAL

      Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal : cancers du sein, du testicule, de l’ovaire ou de la prostate, troubles du développement du cerveau, diabète, obésité, non-descente des testicules à la naissance, malformations du pénis et détérioration de la qualité spermatique.

      La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, dont les produits chimiques capables d’interférer avec le système hormonal.

      Des sociétés savantes signalent que ces produits chimiques, appelés les perturbateurs endocriniens, constituent une menace mondiale pour la santé. Parmi ceux-ci : les retardateurs de flamme présents dans les meubles et l’électronique, les agents plastifiants dans les matières plastiques et les produits d’hygiène, ou encore les résidus de pesticides dans notre alimentation. Ils peuvent interférer avec les hormones naturelles lors de périodes critiques du développement, pendant la grossesse ou la puberté, lorsque notre organisme est particulièrement vulnérable.

      Une réglementation nécessaire

      On ne peut faire face à ce fardeau croissant de maladies à l’aide de meilleurs traitements médicaux : non seulement ces traitements n’existent pas toujours, mais les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé sont bien souvent irréversibles. Les possibilités de réduire notre exposition à un niveau individuel en évitant certains produits de consommation sont, elles aussi, limitées. La plupart de ces substances atteignent notre organisme par le biais de notre alimentation.

      Seule solution pour enrayer la hausse des maladies liées au système hormonal : prévenir l’exposition aux produits chimiques à l’aide une réglementation plus efficace. Or le projet d’établir une réglementation de ce type dans l’Union européenne est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique. Cette même stratégie a été utilisée par l’industrie du tabac, contaminant le débat, semant le doute dans la population et minant les initiatives des dirigeants politiques et des décideurs pour développer et adopter des réglementations plus efficaces.

      Les discussions sur le changement climatique et sur les perturbateurs endocriniens ont toutes deux souffert de cette déformation des preuves scientifiques par des acteurs financés par l’industrie.

      La plupart des scientifiques pensent qu’exprimer publiquement leur point de vue sur des questions politiques et participer aux débats de société pourrait compromettre leur objectivité et leur neutralité. Ce serait effectivement inquiétant si nos opinions politiques obscurcissaient notre jugement scientifique. Mais ce sont ceux qui nient la science qui laissent leurs opinions politiques obscurcir leur jugement. Avec, pour conséquence, des dommages irréparables. La manipulation de la science concernant les effets de la fumée du tabac a coûté des millions de vies. Nous ne devons pas refaire la même erreur.

      Une urgence

      Nous considérons qu’il n’est plus acceptable de nous taire. En tant que scientifiques, nous avons en fait l’obligation de participer au débat et d’informer le public. Nous avons la responsabilité de rendre visibles les implications de nos travaux pour la société et les générations futures, et d’attirer l’attention sur les graves dangers qui nous menacent.

      Les enjeux sont importants, et l’action politique pour endiguer l’exposition aux perturbateurs endocriniens et les conséquences des émissions de gaz à effet de serre est devenue une urgence.

      Scientifiques spécialistes des perturbateurs endocriniens ou du changement climatique, nous avons uni nos forces, car un grand nombre d’actions essentielles à la limitation des effets des perturbateurs endocriniens contribueront également à lutter contre le changement climatique.

      La plupart des substances chimiques synthétisées par l’homme sont des dérivés de combustibles fossiles produits par l’industrie pétrochimique. Une réduction de la quantité de pétrole raffiné permettra aussi de réduire la quantité de sous-produits utilisés dans les plastiques et celle de plastifiants : ces produits chimiques compromettent la santé reproductive masculine et contribuent au risque de certains cancers.

      Une réduction de la dépendance aux combustibles fossiles et un encouragement au développement des énergies alternatives entraîneront non seulement une baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de celles de mercure. Ce dernier, un contaminant issu du charbon, émis dans l’air et accumulé dans le poisson, finit par atteindre nos organismes et compromet le développement du cerveau.

      Créer l’équivalent du GIEC

      Bien que de nombreux Etats aient exprimé la volonté politique de traiter le problème des gaz à effet de serre, la traduction des connaissances scientifiques sur le changement climatique en action politique effective a été bloquée, notamment à cause de la désinformation du public et des dirigeants. Les gouvernements sont déjà en retard. Il est important de ne pas répéter ces erreurs avec les perturbateurs endocriniens, et d’apprendre de l’expérience des scientifiques du climat et de la recherche en santé publique.

      DANS LA PRATIQUE, IL SERA TRÈS DIFFICILE DE RECONNAÎTRE UNE SUBSTANCE DANGEREUSE COMME PERTURBATEUR ENDOCRINIEN DANS L’UNION EUROPÉENNE

      La Commission européenne a maintenant l’opportunité de choisir des instruments de réglementation qui pourront fixer de nouveaux standards pour le monde entier afin de nous protéger des effets nocifs des perturbateurs endocriniens.

      Nous sommes cependant préoccupés par les options réglementaires que propose aujourd’hui Bruxelles, très éloignées des mesures nécessaires pour protéger notre santé et celle des générations futures.

      Les options proposées pour identifier les perturbateurs endocriniens requièrent un niveau de preuve bien plus élevé que pour d’autres substances dangereuses, comme celles cancérigènes. Dans la pratique, il sera très difficile de reconnaître une substance dangereuse comme perturbateur endocrinien dans l’Union européenne.

      Des actions urgentes sont nécessaires sur les deux thèmes. Pour cette raison, nous appelons au développement et à la mise en œuvre de mesures qui s’attaqueraient aux perturbateurs endocriniens et au changement climatique de façon coordonnée.

      Un moyen efficace pourrait être la création, sous les auspices de l’Organisation des Nations unies, d’un groupe ayant le même statut international et les mêmes prérogatives que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce groupe serait chargé d’évaluer les connaissances scientifiques destinées aux responsables politiques dans l’intérêt général et mettrait la science à l’abri de l’influence des intérêts privés. Nous le devons aux générations qui vivront demain.

      Les premiers signataires de ce texte sont : Andreas Kortenkamp, université Brunel (Royaume-Uni) ; Barbara Demeneix, CNRS/Muséum national d’histoire naturelle ; Rémy Slama, Inserm, université Grenoble-Alpes ; Edouard Bard, Collège de France ; Ake Bergman, université de Stockholm (Suède) ; Paul R. Ehrlich, université Stanford (Etats-Unis) ; Philippe Grandjean, Harvard Chan School of Public Health (Etats-Unis) ; Michael E. Mann, université Penn State (Etats-Unis) ; John P. Myers, université Carnegie Mellon (Etats-Unis) ; Naomi Oreskes, université Harvard (Etats-Unis) ; Eric Rignot, université de Californie (Etats-Unis) ; Thomas Stocker, université de Berne (Suisse) ; Kevin Trenberth, National Centre for Atmospheric Research (Etats-Unis) ; Carl Wunsch, Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis) ; et R. Thomas Zoeller, université du Massachusetts à Amherst (Etats-Unis).

      Sont également signataires de ce texte
      Ernesto Alfaro-Moreno, centre de recherche Swetox (Suède) ; Anna Maria Andersson, Rigshospitalet (Danemark) ; Natalie Aneck-Hahn, université de Pretoria (Afrique du Sud) ; Patrik Andersson, université d’Umeå (Suède) ; Michael Antoniou, King’s College (Royaume-Uni) ; Thomas Backhaus, université de Göteborg (Suède) ; Robert Barouki, université Paris-Descartes (France) ; Alice Baynes, université Brunel (Royaume-Uni) ; Bruce Blumberg, université de Californie à Irvine (Etats-Unis) ; Carl-Gustaf Bornehag, université de Karlstad (Suède) ; Riana Bornman, université de Pretoria (Afrique du Sud) ; Jean-Pierre Bourguignon, université de Liège (Belgique) ; François Brion, Ineris (France) ; Marie-Christine Chagnon, Inserm (France) ; Sofie Christiansen, université Technique du Danemark (Danemark) ; Terry Collins, université Carnegie Mellon (Etats-Unis) ; Sylvaine Cordier, Irset (France) ; Xavier Coumol, université Paris-Descartes (France) ; Susana Cristobal, université de Linköping (Suède) ; Pauliina Damdimopoulou, hôpital universitaire Karolinska (Suède) ; Steve Easterbrook, université de Toronto (Canada) ; Sibylle Ermler, université Brunel (Royaume-Uni) ; Silvia Fasano, université de Campania - Luigi Vanvitelli (Italie) ; Michael Faust, F + B Environmental Consulting (Allemagne) ; Marieta Fernandez, université de Grenade (Espagne) ; Jean-Baptiste Fini, CNRS/Muséum national d’histoire naturelle (France) ; Steven G. Gilbert, Institute of neurotoxicology & neurological disorders (Etats-Unis) ; Andrea Gore, université du Texas (Etats-Unis) ; Eric Guilyardi, université de Reading (Royaume-Uni) ; Åsa Gustafsson, Swetox (Suède) ; John Harte, université de Californie à Berkeley (Etats-Unis) ; Terry Hassold, université d’Etat de Washington (Etats-Unis) ; Tyrone Hayes, université de Californie à Berkeley (Etats-Unis) ; Shuk-Mei Ho, université de Cincinnati (Etats-Unis) ; Patricia Hunt, université d’Etat de Washington (Etats-Unis) ; Olivier Kah, université de Rennes (France) ; Harvey Karp, université de Californie du Sud (Etats-Unis) ; Tina Kold Jensen, université du Danemark du Sud (Danemark) ; Sheldon Krimsky, université Tufts (Etats-Unis) ; Henrik Kylin, université de Linköping (Suède) ; Susan Jobling, université Brunel (Royaume-Uni) ; Maria Jönsson, université d’Uppsala (Suède) ; Bruce Lanphear, université Simon Fraser (Canada) ; Juliette Legler, université Brunel (Royaume-Uni) ; Yves Levi, université Paris Sud (France) ; Olwenn Martin, université Brunel (Royaume-Uni) ; Angel Nadal, université Miguel Hernández (Espagne) ; Nicolas Olea, université de Grenade (Espagne) ; Peter Orris, université de l’Illinois (Etats-Unis) ; David Ozonoff, université de Boston (Etats-Unis) ; Martine Perrot-Applanat, Inserm (France) ; Jean-Marc Porcher, Ineris (France) ; Christopher Portier, Thun, (Suisse) ; Gail Prins, université de l’Illinois (Etats-Unis) ; Henning Rodhe, université de Stockholm (Suède) ; Edwin J. Routledge, université Brunel (Royaume-Uni) ; Christina Rudén, université de Stockholm (Suède) ; Joan Ruderman, Harvard Medical School (Etats-Unis) ; Joelle Ruegg, institut Karolinska (Suède) ; Martin Scholze, université Brunel (Royaume-Uni) ; Elisabete Silva, université Brunel (Royaume-Uni) ; Niels Eric Skakkebaek, Rigshospitalet (Danemark) ; Olle Söder, institut Karolinska (Suède) ; Carlos Sonnenschein, université Tufts (Etats-Unis) ; Ana Soto, université Tufts (Etats-Unis) ; Shanna Swann, Icahn School of Medicine (Etats-Unis) ; Giuseppe Testa, université de Milan (Italie) ; Jorma Toppari, université de Turku (Finlande) ; Leo Trasande, université de New York (Etats-Unis) ; Diana Ürge-Vorsatz, université d’Europe centrale (Hongrie) ; Daniel Vaiman, Inserm (France) ; Laura Vandenberg, université du Massachusetts, (Etats-Unis) ; Anne Marie Vinggaard, université technique du Danemark (Danemark) ; Fred vom Saal, université du Missouri (Etats-Unis) ; Jean-Pascal van Ypersele, université catholique de Louvain (Belgique) ; Bernard Weiss, université de Rochester (Etats-Unis) ; Wade Welshons, université de Missouri (Etats-Unis) ; Tracey Woodruff, université de Californie à San Francisco (Etats-Unis).

  • Le discours confus de Donald Trump sur le climat

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/28/donald-trump-et-le-climat-suite_5039359_3232.html

    Le président élu des Etats-Unis a accordé, la semaine dernière, un entretien au « New York Times » dont la lecture in extenso laisse perplexe quant à ses intentions réelles en matière de lutte contre le changement climatique.

    Tout le monde est rassuré : le président élu des Etats-Unis ne s’apprêterait pas à sortir de l’accord de Paris sur le climat. Il l’aurait dit au New York Times. Il serait même, en réalité, disposé à lutter contre le changement climatique. Pour le climat comme pour tant d’autres choses — les poursuites contre Hillary Clinton, la déportation de 11 millions d’immigrés sans papiers, la vaste fortification entre le Mexique et les Etats-Unis, etc. — Donald Trump semble donc avoir eu, pendant sa campagne, des mots en léger décalage avec ses intentions. En définitive, tout n’est pas si inquiétant. Après la rencontre, mardi 22 novembre, entre la rédaction du New York Times et le futur locataire de la Maison Blanche, cette petite musique tranquillisante a été jouée par de nombreux titres de la presse américaine. Hélas ! Pour qui prend la peine de lire ce qu’a réellement déclaré M. Trump sur le climat, la réalité n’est pas aussi rassurante.

    Outre un compte rendu formel de la rencontre, publié dans son édition du 23 novembre, le Times a effet pris l’initiative salutaire de publier sur son site Web, in extenso, la retranscription de l’entretien, brut de décoffrage. Dans ce texte interminable, le quotidien n’a pas édité les propos de M. Trump, il ne les a pas soumis à la chirurgie lourde qui eût été nécessaire à la publication d’un entretien classique sous la forme de questions-réponses. Les propos de l’intéressé ont été laissés dans leur désarmante oralité, leur absence de structure et de sens, livrés dans leur vérité nue, offrant ainsi au lecteur un voyage fascinant au cœur des brumes sibyllines de la pensée trumpienne.

    Divagations

    Sur le climat, celle-ci est libellée en phrases qui semblent ne commencer ni ne finir nulle part, entrecoupées de digressions et de divagations, comme autant de parenthèses qui s’ouvrent et ne se referment jamais. Rendre en langue française l’échange, avec le juste niveau de langage, est une gageure. Mais tentons l’exercice. Question du chroniqueur Thomas Friedman : « Allez-vous retirer à l’Amérique son rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique ? »

    Réponse : « Je regarde ça de très près, Tom. Je vais vous dire quoi. J’ai l’esprit ouvert là-dessus. On va regarder très soigneusement. C’est une question intéressante parce qu’il y a peu de choses où il y a plus de divisions que sur le changement climatique. Vous avez tendance à ne pas l’écouter, mais il y a des gens de l’autre côté de cette question qui ne sont, tenez, même pas… » Arthur Sulzberger, le patron du journal, relance la conversation. M. Trump poursuit : « Mais beaucoup de gens intelligents sont en désaccord avec vous. J’ai un esprit très ouvert. Et je vais étudier beaucoup de choses qui se sont produites là-dessus et nous allons les regarder très soigneusement. Mais j’ai un esprit très ouvert. »

    L’accord de Paris ? « Je vais y jeter un œil »

    Le président élu poursuit : « Vous savez, le jour le plus chaud, c’était en 1890 et quelque, en 1898. Vous savez, vous pouvez faire grand cas de différents points de vue. J’ai un esprit totalement ouvert. Mon oncle a été pendant trente-cinq ans professeur au MIT [Massachusetts Institute of Technology]. Il était un grand ingénieur et scientifique. C’était un type bien. Et il était… il y a longtemps, il avait son sentiment — c’était il y a longtemps —, il avait son sentiment à ce sujet. C’est un sujet très complexe. Je ne suis pas sûr que personne saura jamais. Je sais que nous avons, ils disent qu’ils ont la science d’un côté, mais ensuite ils ont aussi ces e-mails horribles qui ont été échangés entre scientifiques. C’était où donc, à Genève il y a cinq ans ? Terrible. Là où ils se sont fait prendre, vous savez, donc vous voyez cela et vous vous dites, à quoi ça rime ? »

    On reconnaît là une référence au piratage et à la divulgation, fin 2009, de courriels de climatologues britanniques. L’opération avait emballé la grande machine à propager la rumeur et la calomnie ; elle a porté ses fruits puisque l’épisode demeure gravé dans le cerveau de M. Trump. Celui-ci poursuit : « J’ai un esprit absolument ouvert. Je vais vous dire quoi : un air pur est extrêmement important. Une eau pure comme du cristal est extrêmement importante. La sécurité est extrêmement importante. »

    Les entreprises d’abord

    Les journalistes du Times persistent. Ils demandent à l’intéressé s’il pense que le réchauffement est lié aux activités humaines. « Maintenant, je pense… disons, je pense qu’il y a une connexion. Il y a quelque chose. Cela dépend à quel point. Cela dépend aussi de combien cela va coûter à nos entreprises. Vous devez bien comprendre, maintenant, nos entreprises ne sont pas compétitives. » La véracité d’un fait dépend donc, dans l’esprit de M. Trump, de son coût pour les entreprises américaines.

    Un journaliste insiste : les Etats-Unis vont-ils, oui ou non, se retirer de l’accord de Paris ? « Je vais y jeter un oeil », répond simplement M. Trump. Connaissant la passion du président élu pour le golf, Thomas Friedman tente : « Je détesterais voir [le parcours de] Royal Aberdeen [en Ecosse] sous l’eau. » A quoi répond un énigmatique : « La mer du Nord, ça se pourrait, ç’en est un bon celui-là, n’est-ce pas ? » (« The North Sea, that could be, that’s a good one, right ? », en version originale).

    Il faut donc une forte dose de méthode Coué pour se sentir rassuré par ces propos, tenus par le futur chef de la première puissance mondiale sur le plus grave problème environnemental de notre temps. D’autant que les intentions n’ont pas changé. Le lendemain de cet entretien au New York Times, l’un des conseillers de M. Trump annonçait le démantèlement, à la NASA, des activités d’observation de la Terre et de recherche climatique, qualifiées de « science politiquement correcte ». Assurément, l’esprit de M. Trump est « ouvert ». Aux quatre vents.

  • Les riches ont voté Trump, les villes Clinton
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/16/les-riches-ont-vote-trump-les-villes-clinton_5031798_3232.html?xtmc=jacques_

    Dissymétrie des espaces

    La ressemblance frappante entre les cartes des trois dernières élections conduit aussi à relativiser l’effet propre du duel Clinton-Trump. Les choix des différents groupes ont en fait relativement peu bougé depuis quinze ans. Le fait que Barack Obama soit noir et que Hillary Clinton soit une femme a eu des effets limités et les attaques de Donald Trump contre les « minorités » n’ont pas empêché les démocrates de perdre un peu de terrain auprès d’elles.

    La question centrale est tout autre. Deux conceptions de la société et, jusqu’à un certain point, deux sociétés se font face depuis le duel serré entre Al Gore et George W. Bush en 2000 et qui se confirme, quel que soit le style particulier des protagonistes qui s’agitent sur la scène. Les électeurs utilisent les candidats pour faire passer leurs propres messages, qui s’opposent point par point.

    L’urbanité ou son rejet, l’espace public contre l’espace privé font résonance avec d’autres éléments très forts : éducation, productivité, créativité, mondialité, ouverture à l’altérité, demande de justice, présence du futur d’un côté ; de l’autre, mépris de l’intellect, enclavement économique, absence d’innovation, appel au protectionnisme, peur de l’étranger, affirmation d’une d’identité fondée sur la pureté biologique, la loyauté communautaire, le respect de l’autorité et la référence nostalgique à un passé mythifié – toutes choses qui ne définissent pas une approche différente de la justice, mais une alternative à l’idée même de justice.

    La dissymétrie des espaces fait écho à celle qui marque leur relation : si les Etats-Unis perdaient les « surfaces rouges », ils deviendraient soudain plus riches et plus inventifs ; s’ils perdaient les « ronds bleus », ils disparaîtraient purement et simplement.

    Le constat que l’on est encore démographiquement puissant mais politiquement inutile contribue à l’angoisse et au ressentiment qu’expriment les électeurs de Donald Trump, tout autant que leur champion. Ce n’est donc pas à un combat entre « peuple » et « élites » puisque les effectifs sont comparables. Ce sont plutôt deux « peuples » qui se font face, avec deux conceptions antithétiques de la cohabitation.


    Le pb avec J. Lévy c’est que ses catégories sont idéologiquement hyper-connotées : la ville c’est bien, le rural c’est réac.

    • Voir en contrepoint ce que lui rétorque Olivier Bougo Olga :
      http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/11/19/olivier-bouba-olga-non-le-vote-des-americains-n-oppose-pas-le-centre

      L’erreur consiste à attribuer à un espace donné ou un ensemble d’espaces – les grandes villes – des caractéristiques intrinsèques sur la base des moyennes d’un certain nombre d’indicateurs. Ainsi, le PIB élevé des grandes villes est dû à un effet de composition qui fait que certaines activités apparemment très productives et certaines professions à salaires très élevés y sont concentrées plus qu’ailleurs.

      La même erreur est présente dans les analyses du vote en faveur de Trump, plus fréquent dans les Etats à dominante rurale. Comme les différences de productivité apparente selon la taille des villes, il s’agit d’un simple effet de composition : les étudiants ou les intellectuels des Etats concernés n’ont probablement pas plus voté pour Trump que leurs équivalents de New York ou San Francisco, mais leur proportion dans la population de ces Etats est moins élevée. Trump a séduit les personnes que les évolutions économiques ont réellement appauvries ou qui se sentent menacées par elles, quel que soit l’endroit où elles vivent.
      [...]
      la mauvaise interprétation de moyennes portant sur des espaces géographiques doit céder la place à des analyses plus réalistes des logiques territoriales, prenant en compte la diversité des types d’activités et des contraintes géographiques qui s’exercent sur eux. Enfin, les sciences sociales devraient faire évoluer leur vocabulaire : il serait préférable désormais de se concentrer sur l’analyse des activités sociales et économiques, et la façon dont elles se déploient dans l’espace.
      [...]
      La souffrance et la misère sont bien là, mais elles peuvent se nicher au cœur des villes aussi bien que dans d’autres lieux. Réciproquement, des configurations locales très diverses peuvent favoriser l’inno­vation et le développement d’activités économiques.

  • #Volkswagen, la fin de l’âge d’or
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/19/volkswagen-la-fin-de-l-age-d-or_5034061_3232.html

    L’« affaire » Volkswagen, déclenchée il y a un an par la révélation d’une tricherie gigantesque sur les émissions de ses moteurs diesel, n’en finit pas d’ébranler le premier industriel allemand. Jusqu’aux fondements mêmes d’un modèle qui a fait la gloire de l’Allemagne sur la scène mondiale ces dix dernières années. En annonçant la suppression, d’ici à 2020, de 30 000 emplois dans le monde, dont 23 000 en Allemagne, le constructeur automobile prend d’abord acte du coût du « #dieselgate », pour lequel il a déjà provisionné 18,2 milliards d’euros. Il lui faut désormais faire des économies, et beaucoup. Le plan en prévoit 3,7 milliards par an, dont plus de la moitié proviendra des emplois détruits.

    Édito du Monde

  • Pour ses adversaires, Emmanuel Macron est « le candidat des médias » qui « n’a rien démontré »
    http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/11/16/pour-ses-adversaires-emmanuel-macron-est-le-candidat-des-medias-qui-n-a-rien

    Je ne sais pas s’il est le #candidat_des_médias (A. Montebourg) ou de l’#élite_mondialisée (L. Wauquiez), mais ce qui est sûr c’est que, contrairement à ce que dit F. Fillon, E. Macron a fait ses preuves auprès du patronat français.


    Jacques Attali et Emmanuel Macron, lors de la première réunion de la commission Attali, en septembre 2007
    HALEY/SIPA

    Je suis toujours surpris de voir que les "médias", justement, ne rappelle jamais le point clé de son parcours. Il ne sort pas de nulle part comme tout le laisse à penser, il sort de la #Commission_pour_la_libération_de_la_croissance_française ou #Commission_Attali dont il a été le rapporteur général adjoint. C’est là qu’il a démontré à cette élite économique cooptée sa capacité à entendre les propositions du patronat, à les reformuler et à les emballer dans le langage de la #Réforme (qui plait tant aux médias) dans le rapport de ladite commission, morceau de bravoure tellement oublié qu’on ne s’apercevra même pas que c’est à peu de chose près le fameux "programme" d’E. Macron que tout le monde cherche partout…

    Ayant bien mérité, il a été recruté chez Rotschild et, ne pouvant plus être rapporteur, a été nommé membre à part entière de la commission.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_pour_la_libération_de_la_croissance_française

    (photo récupérée sur le site de Rue89
    Au fait, il faisait quoi chez Rothschild, Emmanuel Macron ?
    http://rue89.nouvelobs.com/2016/08/30/fait-faisait-quoi-chez-rothschild-emmanuel-macron-254442 )

    • Macron candidat à la présidentielle : des propositions mélangeant gauche, droite, neuf et vieux
      http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/10/les-propositions-d-emmanuel-macron-melangent-gauche-droite-neuf-et-vieux_502

      L’ancien ministre de l’économie avait présenté le 10 novembre, dans L’Obs, des propositions présentées comme le cœur de son programme présidentiel.

      Sur les 7 propositions analysées par les Décodeurs du Monde, 5 figurent telles quelles ou sous une forme proche dans le rapport de la Commission Attali.

      1. Adapter la durée du travail en fonction de l’âge
      7. La retraite à la carte

      DÉCISION 133 Permettre à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite.
      Une fois la durée minimale de cotisation acquise, il faut laisser à chacun le choix du moment de son départ à la retraite. […] Cela suppose que les entreprises ouvrent la possibilité d’avoir des horaires aménagés à partir d’un certain âge sur le modèle des quatre cinquièmes déjà pratiqués, voire du mi-temps.

      2. Le droit au chômage en cas de démission

      DÉCISION 145 Créer un troisième mode de rupture du contrat : la rupture à l’amiable
      […] La rupture ouvrira un droit aux allocations du régime d’assurance chômage.

      5. Plus d’« autonomie pédagogique » pour les établissements scolaires

      DÉCISION 4 Accorder plus d’autonomie aux établissements primaires et secondaires.
      […] Cette autonomie permettrait aussi, en motivant les enseignants, d’encourager la nouveauté en matière de réussite scolaire, alors que le pilotage actuel des enseignements, trop centralisé et tatillon, leur ôte beaucoup de possibilités de s’approprier leurs cours et d’adapter la pédagogie aux besoins spécifiques des élèves.

      6. Réformer la carte scolaire

      DÉCISION 6 Permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants.

      Sont donc nouveaux les points suivants
      3. La nationalisation de l’Unedic
      4. Le droit au chômage pour les travailleurs indépendants

      Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française
      http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000041.pdf

    • L’éditorialiste du Monde déclare sa flamme.
      Mais sans trop d’illusions (je commence par la fin…)

      Les trois paris d’Emmanuel Macron
      http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/17/les-trois-paris-de-macron_5032753_3232.html

      Enfin, sa réussite suppose que les Français soient prêts à oublier leur aigre morosité actuelle et à se laisser convaincre par le désir d’avenir qu’il propose. Le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas gagné.

      Et poursuis par le début qui vient brillamment confirmer mon analyse sur le point aveugle de la carrière du héros.

      Les trois paris d’Emmanuel Macron
      http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/17/les-trois-paris-de-macron_5032753_3232.html

      Editorial du « Monde ». Depuis ses premiers pas en politique voici moins de cinq ans, d’abord dans la coulisse élyséenne puis en pleine lumière, Emmanuel Macron a eu deux professeurs : François Hollande, Sisyphe heureux cachant sous un inaltérable sourire une détermination à toute épreuve ; Manuel Valls et ses audaces transgressives soigneusement calculées. Bon élève, il en a parfaitement retenu les leçons. Excellent élève, il entend dépasser ses maîtres.

      Aussi, et pour donner un coup de main aux hagiographes futurs, je leur propose de commencer ainsi.

      Ce siècle avait sept ans ! Sarko chassait Chirac,
      Déjà NapoMacron perçait sous notre énarque.
      Et du jeune inspecteur, déjà, par maint endroit,
      Les mâles traits du sauveur brisaient le masque étroit.

  • L’écrasante responsabilité de la gauche dans la victoire de Donald Trump
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/13/l-ecrasante-responsabilite-de-la-gauche-dans-la-victoire-de-donald-trump_503
    http://s1.lemde.fr/image/2016/11/13/644x322/5030325_3_bd7e_il-ne-reste-plus-a-ceux-qui-votaient-tr_e420dc3b468a0d8d002b

    Les gauches se font tailler des croupières presque partout dans le monde par des partis qui prétendent mettre au cœur de leurs préoccupations les oubliés, les damnés de la mondialisation, les sans-grade, les déclassés, parce que la gauche a renoncé à mener une politique de gauche, explique la sociologue Dominique Méda.

  • Les limites du recyclage dans le domaine du high-tech

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/15/quand-recycler-pollue_5031211_3232.html

    En début d’année, Apple a dévoilé à grand renfort de publicité sa dernière prouesse technologique : Liam, un robot capable de démanteler un iPhone en onze secondes seulement, et donc de recycler 1,2 million d’unités par an. Sacrée performance pour qui voudrait briller lors de la Journée mondiale du recyclage, le 15 novembre… Mais une performance qui doit être relativisée : la firme à la pomme a écoulé 231 millions de modèles neufs en 2015 !

    Fièrement présenté comme la marque d’un engagement responsable, Liam est en réalité le parfait symbole du recyclage dans le domaine du high-tech : une goutte d’eau verte dans un océan de pollution, inévitable résultante du modèle productiviste en vigueur dans le secteur.

    En 2014, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) comptabilisait 633 millions de nouveaux appareils électriques et électroniques commercialisés en France, soit six fois plus qu’il y a vingt ans. Tandis qu’étaient ainsi mises en circulation 1,55 million de tonnes d’équipements neufs, les éco-organismes collectaient 526 855 tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Ce sont donc les deux tiers du volume mis sur le marché qui sont dans l’incapacité d’être absorbés.

    Passif accumulé

    Malgré la meilleure des volontés et les progrès réels de la filière (+ 9,8 % sur un an), et même en renforçant les incitations pour les enseignes et les particuliers – aujourd’hui bien maigres –, il est illusoire d’imaginer collecter 100 % des DEEE. Sans parler du passif accumulé dans les déchetteries et les décharges sauvages, mais aussi sous la poussière de nos caves, placards et greniers.

    Pire encore, quand bien même on s’approcherait de cet idéal, seulement 3 % des équipements aujourd’hui collectés sont réutilisés, tels quels ou sous forme de pièces détachées. Le reste est traité de façon grossière, selon des processus proches du recyclage du papier ou de l’aluminium. Quel que soit leur état ou leur sophistication, les appareils ne sont perçus que comme une source de matière première quasi brute, évaluée à la tonne.

    Les 50 milliards de dollars de matériaux ainsi récupérables annuellement dans le monde (or, cuivre, terres rares, plastiques…) représentent certes une valeur considérable, mais elle est bien mince par rapport à celle, ajoutée et résiduelle, qui disparaît chaque fois qu’un téléphone et ses composants sont démantelés et fondus aveuglément.

    Subterfuges techniques

    Au-delà des limites inhérentes aux processus de collecte et de valorisation, il faut rappeler que le recyclage, c’est d’abord une destruction, et donc une incitation implicite à produire et acheter neuf. Or, Apple le concède lui-même dans son rapport de développement durable, 88 % de l’empreinte carbone d’un iPhone 6, par exemple, provient de sa fabrication, contre 12 % seulement pour son utilisation. Le bilan environnemental d’un changement d’appareil, fût-il recyclé, est donc désastreux.

    Il y a par conséquent urgence à reconnaître les limites du recyclage en matière de DEEE. Malgré son intérêt en dernier recours, le recyclage ne doit plus être considéré comme la panacée et servir de bonne conscience commode à un modèle archaïque et excessivement polluant fondé sur l’obsolescence programmée. L’obsolescence programmée ne consiste (généralement) pas à introduire dans l’appareil une sorte de machiavélique mécanisme d’autodestruction planifiée, mais à inciter par toutes sortes de moyens le consommateur à se tourner vers un produit neuf.

    De la médiocrité plus ou moins volontaire de certains composants vitaux à l’indisponibilité des pièces détachées ou à la disqualification progressive du matériel par le logiciel, l’obsolescence programmée passe par d’innombrables subterfuges techniques, commerciaux mais aussi psychologiques.

    A l’image des batteries de téléphone, désormais inaccessibles, les constructeurs rendent, par exemple, les réparations si complexes et coûteuses que le propriétaire est en général découragé par avance d’y recourir. Et la valorisation et la mise en scène perpétuelle de l’innovation dans le discours marketing font déconsidérer des appareils âgés de quelques mois à peine, pourtant encore largement suffisants pour le commun des mortels.

    Bombe écologique à retardement

    Le résultat de l’obsolescence programmée est une boulimie de technologies qui constitue une aberration économique autant qu’une bombe écologique à retardement. Tant que le secteur des technologies n’aura pas procédé à une profonde remise en cause culturelle et que ses entreprises chercheront par tous les moyens à encourager l’achat perpétuel de produits neufs, tous les processus d’écoconception, tous les programmes de recyclage, tous les Liam, demeureront des alibis à l’impact limité qui, en outre, freineront l’émergence d’approches alternatives et complémentaires au recyclage.

    Seul l’allongement de la durée de vie des appareils, à travers leur réutilisation sous une forme ou sous une autre, sera en mesure de lisser l’impact environnemental de leur fabrication. Il existe pour cela plusieurs pistes, à commencer par la facilité de réparation, comme le propose le Fairphone, un téléphone socialement responsable d’origine néerlandaise.

    Autre solution, le reconditionnement, qui consiste à commercialiser au tarif de l’occasion des appareils usagés remis à neuf. Enfin, le téléphone modulaire, dont on choisirait et changerait les composants en fonction de ses besoins et de l’innovation, reste une perspective passionnante malgré l’abandon par Google de son projet « Ara », qui allait dans ce sens. Quel que soit le moyen, l’objectif doit rester le même : produire moins, et donc polluer moins, tout en préservant notre mode de vie moderne.

  • Slavoj Žižek a au moins le mérite d’exhumer cette citation d’Orwell : « Nous daubons tous allègrement sur les particularismes de classe, mais bien peu nombreux sont ceux qui souhaitent vraiment les abolir. On en arrive ainsi à constater ce fait important que toute opinion révolutionnaire tire une partie de sa force de la secrète conviction que rien ne saurait être changé. »

    #Etats-Unis — « La chance d’une gauche plus radicale » (Le Monde, 12/10/2016)
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/12/une-chance-de-recreer-une-gauche-authentique_5029953_3232.html

    Dans La Lucidité (Point, 2007), José Saramago raconte d’étranges événements survenus dans la capitale sans nom d’un pays démocratique sans nom. Le matin des élections, il pleut à torrent et le faible taux de participation inquiète, mais, en milieu d’après-midi, le ciel se dégage enfin et la population se rend aux urnes en masse. Le soulagement du gouvernement est toutefois de courte durée : le décompte des voix révèle 70 % de bulletins blancs.

    Déconcerté par cette apparente erreur civique, le gouvernement veut donner aux citoyens une chance de se racheter et organise une nouvelle élection la semaine suivante. Mais c’est encore pire : c’est fois, on compte 83 % de votes blancs.

    S’agit-il d’un complot organisé pour renverser non seulement le gouvernement en place mais l’ensemble du système démocratique ? Si tel est le cas, qui se cache derrière tout ça et comment a-t-on pu convaincre, sans qu’on le remarque, des centaines de milliers de personnes de se révolter ainsi ? La ville a continué de fonctionner quasiment normalement, les gens parant tous les efforts du gouvernement dans un inexplicable unisson et dans une résistance non violente tout à fait gandhienne…

    La leçon à tirer de cette expérience de pensée est claire : le danger, aujourd’hui, ne réside pas dans la passivité, mais dans la pseudo-activité, l’envie d’être « actif », de « participer », pour masquer la vacuité de la situation. Nous ne cessons d’intervenir, de « faire quelque chose », les universitaires participent à des débats ineptes, etc. Le plus dur est de reculer, de se retirer.

    Ceux qui sont au pouvoir préfèrent souvent une participation, même « critique », un dialogue plutôt que le silence – juste pour nous forcer à « dialoguer », pour être sûr de briser notre toujours inquiétante passivité. L’abstention des électeurs est donc un véritable acte politique : elle confronte énergiquement à la vacuité des démocraties actuelles.

    C’est exactement ainsi qu’auraient dû réagir les citoyens qui avaient à choisir entre Hillary Clinton et Donald Trump. Quand, à la fin des années 1920, on a demandé à Staline quel penchant était le pire, la droite ou la gauche, il a répondu « les deux sont pires ! »

    L’élection présidentielle de 2016 n’a-t-elle pas confronté les Américains à la même situation ? Trump est de toute évidence le « pire », pour le tournant droitier qu’il nous réserve et la décomposition de la moralité publique qu’il engage. Mais au moins promet-il un changement. Tandis que Hillary est la « pire », parce que c’est le statu quo qu’elle rend désirable.

    Face à un choix pareil, il aurait fallu garder son calme et choisir le « pire » qui représentait un changement : même si c’est un changement dangereux, cela peut ouvrir la voie à un autre changement plus authentique. C’est pour cela qu’il ne fallait pas voter Trump – pas seulement parce qu’on ne devrait pas voter pour lui, mais parce qu’on ne devrait même pas participer à de telles élections. Il faut se demander froidement : quelle victoire sert au mieux un projet radical d’émancipation, celle de Clinton ou de Trump ?

    Les libéraux épouvantés par Trump excluent la possibilité que sa victoire puisse engager une dynamique qui fera émerger une véritable gauche – leur contre-argument se fondant sur la référence à Hitler. De nombreux communistes allemands avaient vu dans la prise de pouvoir des nazis une chance pour la gauche radicale, seule force capable de les battre. Leur appréciation d’alors fut, comme on sait, une terrible erreur.

    La question est de savoir s’il en va de même avec Trump. Celui-ci représente-t-il un danger face auquel il faudrait constituer un large front où conservateurs « raisonnables » et ultralibéraux se battraient ensemble, aux côtés des libéraux progressistes traditionnels et (de ce qui reste) de la gauche radicale ? Pas encore ! (Soit dit en passant, le terme de « fascisme », tel qu’on l’emploie aujourd’hui, n’est souvent plus qu’un mot vide que l’on agite quand quelque chose de manifestement dangereux surgit sur la scène politique. Mais nous ne savons plus vraiment ce qu’il recouvre. Non, les populistes d’aujourd’hui ne sont pas de simples fascistes !).

    Craindre qu’une victoire de Trump transforme les Etats-Unis en un Etat fasciste est une exagération ridicule. Les Etats-Unis ont tout un ensemble d’institutions politiques et civiques suffisamment contradictoires pour qu’une mise au pas (Gleichshaltung [euphémisme nazi désignant la suppression de toute vie démocratique après 1933]) si directe soit impossible.

    Alors, d’où vient cette #peur ? Elle sert clairement à nous unir tous contre Trump et à masquer ainsi les véritables divisions qui existent entre la gauche ressuscitée par Sanders et Hillary, qui était LA candidate de l’establishment, soutenue par une large coalition arc-en-ciel incluant les figures belliqueuses de l’ancienne administration Bush comme Paul Wolfowitz et l’Arabie saoudite.

    Le fait est que Trump a été porté par la même colère que celle où Bernie Sanders a puisé pour mobiliser les militants : il est perçu par la majeure partie de ses sympathisants comme LE candidat anti-establishment.

    N’oublions jamais en effet que la colère populaire est, par définition, flottante, et qu’elle peut être réorientée. Les libéraux, que la victoire de Trump effraie, n’ont pas vraiment peur d’un virage radical à droite. Ce qui les effraie, en réalité, c’est un changement social radical.

    Pour reprendre les mots de Robespierre, ils reconnaissent les injustices profondes de notre vie sociale (et s’en inquiètent sincèrement), mais ils veulent s’y attaquer par « une révolution sans révolution » (exactement de la même manière que le consumérisme actuel nous vend du café sans caféine, du chocolat sans sucre, de la bière sans alcool, du multiculturalisme sans conflits violents, etc.). C’est une vision du changement social sans vrai changement, un changement qui laisse tout le monde indemne, où les libéraux bien intentionnés restent bien à l’abri dans leur cocon.

    On imagine aisément, si Hillary avait gagné, le soulagement de l’élite libérale : « Merci mon Dieu, le cauchemar est terminé, nous avons frôlé la catastrophe ! » Mais un tel soulagement n’aurait fait que précipiter la véritable catastrophe parce qu’il aurait signifié : « Merci mon Dieu, la va-t-en-guerre de l’establishment politique qui représente les intérêts des grosses banques a gagné, le danger est derrière nous ! »

    En 1937, George Orwell écrivait : « Nous daubons tous allègrement sur les particularismes de classe, mais bien peu nombreux sont ceux qui souhaitent vraiment les abolir. On en arrive ainsi à constater ce fait important que toute opinion révolutionnaire tire une partie de sa force de la secrète conviction que rien ne saurait être changé. »

    Ce que veut dire Orwell, c’est que les radicaux brandissent la nécessité d’un changement révolutionnaire comme un gri-gri destiné à les en protéger et à faire advenir le contraire ; autrement dit, pour que le seul changement qui compte, le changement de ceux qui nous gouvernent, ne puisse pas voir le jour.

    La victoire d’Hillary aurait été la victoire du statu quo, assombri par la perspective d’une nouvelle guerre mondiale (elle est définitivement la démocrate belliqueuse type), statu quo dans une situation où nous nous enfonçons pourtant, peu à peu mais sûrement, dans d’innombrables catastrophes, écologiques, économiques, humanitaires, etc.

    Oui, la victoire de Trump représente un grand danger, mais la gauche a besoin de la menace de la catastrophe pour se mobiliser – dans l’inertie du statu quo actuel, jamais il n’y aura de mobilisation de gauche. Je suis tenté ici de citer Hölderlin : « Là où il y a péril croît aussi ce qui sauve. »

    Qu’est-ce que cela aurait changé qu’Hillary Clinton soit la première femme présidente des Etats-Unis ? Dans son nouveau livre, La Vraie Vie (Fayard, 128 pages, 14 euros), Alain Badiou met en garde contre les dangers que recèle le nouvel ordre nihiliste post-patriarcal, qui prétend être l’espace de nouvelles libertés.

    Nous vivons une époque inouïe, où il est devenu impossible de fonder notre identité sur une tradition, où aucun cadre de vie digne de ce nom ne nous permet plus d’accéder à une existence qui ne soit pas simple reproduction hédoniste.

    Ce nouveau désordre mondial, cette civilisation sans monde qui émerge peu à peu sous nos yeux, affecte en particulier la jeunesse, qui oscille entre l’intensité de l’épuisement total (jouissance sexuelle, drogue, alcool, jusqu’à la violence) et l’effort pour réussir (faire des études, faire carrière, gagner de l’argent… à l’intérieur de l’ordre capitaliste existant). L’unique échappatoire étant de se retirer violemment dans une « Tradition » artificiellement ressuscitée.

    Cette désintégration d’une substance éthique partagée affecte différemment les deux sexes. Les hommes deviennent progressivement d’éternels adolescents sans qu’un véritable rite d’initiation marque leur entrée dans la maturité (service militaire, apprentissage d’un métier – même l’éducation ne remplit plus cette fonction). Il n’est dès lors pas étonnant que prolifèrent, pour pallier ce manque, des gangs de jeunes offrant un ersatz d’initiation et d’identité sociale.

    A l’opposé, les #femmes aujourd’hui sont mûres de plus en plus tôt : traitées comme de jeunes adultes, on attend d’elles qu’elles contrôlent leur vie, qu’elles planifient leur carrière… Dans cette nouvelle version de la différence sexuelle, les hommes sont des adolescents ludiques, vivant en dehors des lois, tandis que les femmes semblent dures, mûres, sérieuses, soucieuses de la légalité et vindicatives.

    L’idéologie dominante ne demande plus aux femmes d’être des subordonnées ; elle les invite, leur enjoint de devenir juge, administrateur, ministre, PDG, professeur et même d’entrer en politique et dans l’armée. L’image paradigmatique que véhiculent quotidiennement nos institutions sécuritaires est celle d’une femme professeur/juge ou psychologue s’occupant d’un jeune homme délinquant, immature et asocial…

    Une nouvelle figure de l’Un est en train de s’imposer, celle d’un agent de pouvoir compétitif et froid, séduisant et manipulateur, qui atteste du paradoxe suivant : « Dans les conditions du capitalisme, les femmes peuvent faire mieux que les hommes. » (Badiou) Il ne s’agit en aucun cas de suspecter les femmes d’être des agents du capitalisme, mais simplement de montrer que le capitalisme contemporain a inventé sa propre image idéale de la femme.

    On retrouve exactement la situation décrite par Badiou dans cette triade politique : Hillary-Duterte-Trump. Hillary Clinton et Donald Trump représentent aujourd’hui le couple politique par excellence : Trump est l’éternel adolescent, un jouisseur irresponsable sujet à des accès violents qui peuvent lui jouer des tours, tandis que Hillary est le nouvel Un féminin, une redoutable manipulatrice, toujours dans le contrôle, qui ne cesse d’exploiter sa féminité pour se poser comme la seule capable de prendre soin des marginaux et des victimes – sa féminité rend la manipulation d’autant plus efficace.

    Il ne faut donc pas se laisser avoir par l’image qu’elle renvoie de victime d’un mari volage, flirtant à tout-va et ayant des relations sexuelles dans son bureau : Bill Clinton est un clown, c’est Hillary qui commande et concède à son serviteur de petits plaisirs insignifiants.

    Quant à Rodrigo Duterte, le président philippin qui appelle ouvertement au meurtre des toxicomanes et des dealers et n’hésite pas se comparer à Hitler, il incarne à lui seul le déclin de l’Etat de droit, ayant transformé la puissance étatique en une loi de la foule où l’emporte la loi de la jungle. Or il ne fait rien d’autre que ce qu’il n’est pas encore permis de faire ouvertement dans nos pays occidentaux « civilisés ».

    Si l’on rassemble ces trois figures en une, on obtient l’image idéale de l’homme politique d’aujourd’hui : Hillary Duterte Trump – « Hillary Trump », la principale opposition, plus « Duterte », le président philippin, l’intrus gênant qui révèle la violence sur laquelle les deux autres s’appuient.

    En conclusion, ne cédons pas à la fausse panique qui nous fait craindre la victoire de Trump comme l’horreur suprême, qui devrait nous forcer à soutenir Hillary malgré ses évidentes défaillances. La victoire de Trump a créé une situation politique totalement inédite, qui est la chance d’une gauche plus radicale.

    Si vous aimez l’Amérique (comme je l’aime), c’est le moment de se battre par amour, de s’impliquer dans le long processus de formation d’une gauche politique radicale aux Etats-Unis… ou de conclure sur la version Mao du vers d’Hölderlin : « Sous le ciel tout est grand chaos, la situation est excellente. » (Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria)

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