• L’état d’exception a en France une longue histoire. Destiné à faire face aux crises de toutes sortes, il est aujourd’hui invoqué pour répondre au terrorisme. Mais rien ne dit, selon l’historien du droit F. Saint-Bonnet, que c’est là la bonne solution au terrorisme qui frappe aujourd’hui.

      La Vie des idées : Pourquoi avoir recours à une #législation_d’exception ?

      François Saint-Bonnet : On a longtemps eu recours au concept d’évidente nécessité pour échapper aux limitations des pouvoirs des gouvernants lorsqu’on devait faire face à un péril grave pour la communauté politique. Salus populi suprema lex est (le salut du peuple est la loi suprême) ou necessitas legem non habet (nécessité n’a point de loi) sont des formules qui ont permis de justifier la transformation d’un état normal de limitation du pouvoir en un état d’exception illimité. À partir de la Révolution, on a considéré que les lois limitatives du pouvoirs — c’est-à-dire souvent celles qui protégeaient des libertés — ne devaient être suspendues sous aucun prétexte. Mais cela a duré peu de temps car la mise entre parenthèses des lois et même de la constitution a été fréquente, notamment sous la Terreur mais aussi pendant le premier XIXe siècle. Les autorités plaçaient en état de siège des territoires dans lesquels des monarchistes s’agitaient sous la République, des républicains complotaient sous la Restauration ou des bonapartistes fomentaient sous la Monarchie de Juillet. Ces suspensions des #libertés se faisaient de manière brutale et servaient à faire basculer des adversaires politiques dans la catégorie d’ennemis du régime, qui parce qu’ils sont en guerre contre lui, ne sauraient prétendre à la même protection juridique que des concitoyens.

      C’est la raison pour laquelle la #Constituante de 1848 a souhaité qu’un cadre juridique fût donné à l’état de siège. Il s’agissait d’un moyen terme entre la légalité « normale » et le règne de l’arbitraire, une légalité d’exception certes mais une légalité tout de même. Cette logique est à l’origine de la loi du 9 août 1849, toujours en vigueur à travers l’article 36 de la constitution. Elle peut être mise en application dans deux cas opposés : l’un de consensus national (un « péril imminent résultant d’une guerre étrangère »), l’autre de dissensus (une « insurrection armée » d’une partie de la population). Et elle consiste à transférer l’essentiel des pouvoirs des autorités civiles aux militaires dans les zones déclarées en état de siège.

      Cette loi a été appliquée dans une vingtaine de départements pendant la guerre de 1870, pendant les quatre années de la première guerre mondiale sur la totalité du territoire, et à partir de septembre 1939 (les limites constitutionnelles du pouvoir seront elles-mêmes annulées à partir du 10 juillet 1940 et le régime de Vichy).

      L’ état de siège n’a pas été décrété pendant la guerre d’Algérie. Il fallait absolument que les membres du FLN n’apparaissent, en leur opposant la force militaire, ni comme des combattants ni comme des insurgés, il fallait qu’ils soient perçus comme de simples délinquants (assassins, auteurs d’attentats) dont le comportement ne pouvait être justifié par aucune cause politique dans un contexte de décolonisation. C’est pourquoi a été adoptée la loi du 3 avril 1955 sur l’#état_d’urgence qui met un soin particulier, contre l’évidence, à éviter tout rapprochement avec une guerre d’indépendance : on évoque de manière assez évasive un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Et pour détourner davantage le regard loin des considérations politiques, l’état d’urgence peut aussi être décrété en cas de « calamité publique », comme une catastrophe naturelle. Il est vrai qu’un tremblement de terre avait été suivi de calamiteuses scènes de pillage quelques mois auparavant, en septembre 1954. Cette loi prévoit que les pouvoirs civils soient renforcés : il n’est pas question de les transférer aux militaires.

      Reste le cas de l’article 16 de la #Constitution_de_1958 dont la caractéristique reste, y compris après sa réforme en 2008, d’être un pouvoir absolument discrétionnaire du président de la République.

      #histoire

    • Pour rappel :

      C’est pourquoi a été adoptée la loi du 3 avril 1955 sur l’#état_d’urgence qui met un soin particulier, contre l’évidence, à éviter tout rapprochement avec une guerre d’indépendance : on évoque de manière assez évasive un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Et pour détourner davantage le regard loin des considérations politiques, l’état d’urgence peut aussi être décrété en cas de « calamité publique », comme une catastrophe naturelle. Il est vrai qu’un tremblement de terre avait été suivi de calamiteuses scènes de pillage quelques mois auparavant, en septembre 1954. Cette loi prévoit que les pouvoirs civils soient renforcés : il n’est pas question de les transférer aux militaires.