http://www.le-terrier.net

  • http://www.le-terrier.net/lestextes/lldm/entretien_fluxnew.htm

    à propos de « Le secret », pour un canard bruxellois d’art contempopo « Flux News », on en vient à causer d’autres choses plus intéressantes que mon vieux nombril, heureusement.
    Annabelle Dupret est la seule journaliste à s’être rendue compte que ce livre existait. Je ne sais pas quelle conclusion je dois en tirer. C’est sûrement un immense malentendu.

  • Reprise petit à petit, lente, mais reprise de la vie sur le Terrier, en commençant par les archives Vachey.
    Un très chouette texte de Michel Vachey à son index, passionnant, brillant, toujours dix longueurs d’avance sur les questions plastiques et créatrices.
    C’est « Caviardages » un inédit de 1972, accessible à notre accueil, sur l’index des textes de M.VV. ou directement là :

    http://www.le-terrier.net/lestextes/vachey/06_2017/caviardages.htm

  • Les derniers petits retardataires ayant enfin rendu leurs copies, le beau travail plastique qui accompagne chacun des douze chapitres du feuilleton littéraire de Jean-François Magre « Un os dans le nez » est enfin en ligne ! Vidéos, infographies, collages, photos, dessins, ici :

    http://www.le-terrier.net/lestextes/magre/index.htm

    avec

    L.L. de Mars pour le Chapitre 1
    Laurent Santi pour le Chapitre 2
    Johan Lefèbvre pour le Chapitre 3
    Gaelle Pertel Pacheco pour le Chapitre 4
    Jean-François Savang pour le Chapitre 5
    Loïc Largier pour le Chapitre 6
    Muzotroimil pour le Chapitre 7
    Jean-François Magre Chapitre 8
    Albane Moll pour le Chapitre 9
    C. de Trogoff pour le Chapitre 10
    Noémie Lothe pour le Chapitre 11
    Aline Carpentier pour le Chapitre 12

  • J – 115 : Nick Park est vraiment allé sur la Lune.

    J’ai découvert les films d’animation de Nick Park il y a une quinzaine d’années, un peu plus, avec les enfants, quand ils étaient petits et qu’ils étaient le public prédestiné pour de tels films. Et cela fait partie de ces découvertes extraordinaires, celle du plaisir de regarder de tels films en compagnie des enfants sans avoir à me mettre à leur niveau pour en apprécier la très grande beauté. Pour les enfants petits, c’étaient des crises de rire inextinguible aux gags, tellement nombreux de Wallace & Gromit , quant à moi, non seulement les gags me faisaient rire mais je trouvais un plaisir esthétique immense à deviner le travail des animateurs, à la beauté des décors, des personnages mais aussi aux cadrages aux éclairages, tout ce vocabulaire cinématographique admirable.

    Mais si je peux avoir vu Wallace & Gromit une bonne douzaine de fois, je ne pense pas que je l’avais déjà vu au cinéma sur un très grand écran, au premier rang, le nez sur l’écran. Au point de remarquer sans difficulté toutes les empreintes digitales des animateurs sur les personnages, les minuscules scories sur les blocs de pâtes à modeler ou encore certaines ficelles qui ont permis certains mouvements, ainsi quand Gromit bat les cartes à jouer, on voit, très furtivement, qu’elles sont toutes percées en leur centre et reliées à cet axe par un fil, qui est à l’image même du récit en question, le voyage sur la Lune pour aller y chercher du fromage (puisque toute la Lune est un immense fromage, tout le monde le sait), moyennant la construction d’une fusée aux décorations d’intérieur tellement britanniques.

    Depuis le projet de production des quatorze petits films d’animation pour le deuxième disque d’Élémarsons (http://www.le-terrier.net/musique/elemarsons), j’ai effleuré du bout du doigt tout ce qui était en jeu pour de telles réalisations, et ce n’est pas tant la somme invraisemblable de travail que représentent quelques secondes de ce genre de films qui fait mon admiration que les tellement remarquables astuces pour donner corps aux idées fantasques du réalisateur, astuces qui sont coulées dans la même matière poétique que les premiers trucages de Georges Méliès, je pense qu’il n’y a pas de plus intenses forges de l’imagination au pouvoir qu’un studio dans lequel Nick Park est en train de tourner un film.

    Et c’est un de ses tours de force que l’on puisse, à chaque fois, à la fois oublier ce qui est en jeu pour ce qui est de la fabrication des images que l’on regarde avec un esprit d’enfant retrouvé, et à la fois, en pleine conscience, que ce que l’on regarde c’est juste de la pâte à modeler et des trucages qui sont transparents d’ingéniosité, quand bien même Nick Park ne boude jamais le plaisir de la récursivité, c’est-à-dire faire un film d’animation qui parle aussi à son spectateur du travail même de l’animation, et tout cela encore une fois, avec des bouts de ficelle, de la bête pâte à modeler, au point que le projet de construction de la fusée digne du Voyage sur la Lune de Jules Verne dans son dessin, est à l’égale même en douce folie et en opiniâtreté que d’entreprendre de construire une fusée dans son garage.

    Il m’aura fallu cette projection d’un samedi après-midi glacial de janvier au Kosmos avec Nathan et Adèle pour le comprendre, l’entrevoir. Dès les premiers temps, Adèle et moi, qui passons de temps en temps du temps dans notre garage à nous à faire des trucs avec de la pâte à modeler et un appareil-photo juché sur son trépied, nous nous sommes regardés pour faire la même remarque en chuchotant, tu as vu, on voit les traces de doigt. Et c’est à force de laisser des traces de doigt sur ses personnages que Nick Park a réussi à vraiment les emmener sur la Lune.

    #qui_ca

  • un souvenir de Tonio,
    mort ce week end à Rennes

    c’était au cours d’une soirée mémorable au Bon Accueil au cours de laquelle, pour fêter la sortie de notre premier numéro de « Chutes » , revue dans laquelle il publiait ses dessins, Tonio battait avec Régis Camilleri, Philippe Tessier et moi, pour la fugace formation "Urban poetric blues", en février 2003. Nous nous croisions depuis son groupe Kalashnikov , mais ça a été la seule fois où nous nous sommes trouvés ensemble sur une scène. C’était chouette, mal foutu, pas en place, joyeusement débile.

    http://www.le-terrier.net/polis/web/poetric.mp3

    rien à dire qui ne soit pas vain et idiot, comme toujours devant une mort

    http://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-le-batteur-rennais-tonio-marinescu-est-decede-4675474

  • quelle excellente nouvelle : non seulement le premier album de « Enihcam » (Prikosnovérnie, 1999), introuvable depuis bien longtemps, est intégralement en ligne,

    http://www.le-terrier.net/musique/enihcam/index.htm

    mais Marc (le colistier du Terrier qui a si bien su mettre en ligne le boulot de Noémie Lothe récemment : http://contretypes.fr ) a retapé la vieille page toute pourrie du Terrier pour faire une chouette interface et une maquette toute neuve :
    lecture en streaming, téléchargement morceau par morceau ou d’un seul coup, hop, l’album est zippé.

    Bonne écoute

  • C. de Trogoff et moi sommes très fiers de vous présenter le
    truc sur lequel nous nous escrimions depuis des mois, BLU , une espèce de monstre éditorial expérimental présenté
    ici :

    http://www.le-terrier.net/pccba/blu/index.htm

    on souhaite que ça vous donne à tous une furieuse envie de découper, tailler, plier, patamodler, gratter, pochoirder, couturer, dessiner et inventer en famille et entre amis

  • J-219 : J’y vais, je n’y vais pas ? Mettre Qui ça ? en ligne, maintenant, ou, seulement quand ce sera fini ?

    A vrai dire je m’étais déjà posé la question, il y a plus de deux ans, quand j’avais commencé à construire Ursula . Et puis, après des années et des années de Bloc-notes du Désordre , je me suis dit qu’au contraire, je ferais bien de garder Ursula bien au chaud, de l’abriter des regards, de construire patiemment, d’autant que je n’étais sûr de rien. De rien. Je ne suis jamais sûr de rien. Là, je n’étais pas sûr que cela allait donner quelque chose ― et d’ailleurs je ne suis toujours pas très sûr que cela ait donné quelque chose. Et en fait, ici, avec Qui ça ? , non plus.

    Je pense qu’il y a quelques années, je me moquais bien de telles questions. Je faisais les choses et puis je les mettais en ligne, la distance entre le moment où je pensais à ce que je voulais faire et le moment où je mettais le résultat en ligne était aussi réduite que possible, en gros, le temps de faire les choses. Et puis cela n’a plus été, j’ai senti, il y a un lustre, que cela n’allait pas, que cela ne me laissait pas le loisir d’essayer, de rater, de recommencer et de rater mieux ( Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better . Samuel Beckett). C’est curieux, cette phrase de Beckett, je la trouvais déjà très belle et puis, l’année dernière, j’ai eu l’occasion de remercier, ponctuellement, un simple geste, la psychologue d’Adèle, qui est irlandaise, je voulais un petit cadeau symbolique, je lui ai offert Molloy en français ― parce que Beckett avait écrit ce livre en français et que je me doutais que si elle l’avait déjà lu, elle avait dû le lire en anglais ―, elle avait souri, en me disant que c’était befitting ― entendre par là que je ne m’étais pas trompé en soupçonnant, au-delà de ses origines irlandaises, qu’elle puisse être une lectrice de Beckett ― et avait alors tenté de traduire, à la volée, cette merveilleuse formule de Beckett à Adèle en français, ce qu’elle avait très bien fait, en utilisant le verbe échouer , Essaie, échoue, essaie encore, échoue encore, qu’importe, échoue mieux. Je lui avais alors dit que dans la traduction française, aux éditions de Minuit , c’était le verbe rater qui avait été finalement choisi, mais que c’était très beau avec le verbe échouer, surtout quand on l’entend, aussi, dans son acceptation maritime.

    Il n’empêche, il s’agit bien de rater. De rater mieux. Mais de rater quand même. Et il s’agit de rater bien. De rater comme il faut. De rater en secret. De rater sans craindre le regard, et le jugement, d’autrui. Or, pendant des années, je ne me suis pas du tout préoccupé de rater en face de tous, cela ne me faisait ni chaud ni froid, en somme. J’aimais mieux réussir, mais cela arrivait quand même drôlement souvent que je rate.

    Alors qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui a changé en moi ?

    C’est Ursula qui m’a changé.

    Ursula . En travaillant à Ursula , je n’ai pas eu peur d’échouer, à aucun moment, et même, je m’en rendais compte, si cela devait me coûter beaucoup de tra-vail, et cela m’en a coûté beaucoup, énormément, en fait, mais c’était comme de travailler à un jardin connu de moi seul, si ce que je plantais ne poussait pas, j’étais le seul à le savoir. Et de cette façon d’ailleurs, ce n’est pas le seul projet auquel j’ai travaillé de la sorte, j’ai bricolé un petit film d’animation de trois minutes, Philippe , ce que je n’avais jamais fait jusque-là, et il y avait toutes les raisons de penser que sans doute cela échouerait, par bonheur L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net), nettement plus aguerri que moi avec ces choses animées, m’a mis le pied à l’étrier et a pris en charge le montage, voyant bien à quel point il était difficile pour moi de jeter des séquences sur lesquelles j’avais particulièrement transpiré, et cela a fini par donner ce petit film dont je suis finalement plutôt fier, je me suis lancé dans un petit film de time lapse ― un film d’intervalles ― et j’ai connu un plaisir extraordinaire à son montage en me fiant à la musique de Jean-Luc Guionnet, j’ai essayé des trucs qui ont plus ou moins bien fonctionné, comme de monter Film de Samuel Beckett sur une musique de Hubbub , et je continue de trouver le résultat de cette expérience étonnant, mais je peux difficilement m’en prévaloir (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/bouquets/017.htm), je me suis de nouveau essayé à écrire des romans ― j’imagine que l’on peut tapisser ses toilettes de lettres de refus des éditeurs en prétendant être fort détaché de ces correspondances, plein de morgue même, mais, ne plus rien écrire pendant presque dix ans n’est-ce pas le signe qu’un certain message, décourageant, est peut-être passé ―, et puis finalement, dans le giron d’ Ursula , je me suis rendu compte que je prenais beaucoup de plaisir à raconter de ces histoires, leur donner corps, j’ai d’abord écrit Raffut , puis Arthrose ― dont un jour il faudrait que je me prenne par la main pour en réaliser la version électronique, sa bande-son, ses extraits de film, notamment du Fils de Saul de Laslo Nemes, tant ce livre est une entreprise de sa destruction finalement, et cela je ne le fais toujours pas parce que je me demande si j’en ai le droit, puisque c’est l’histoire de ma chance, de ma très grande chance de ne pas être allé dîner au Petit Cambodge un 13 novembre, le 13 novembre 2015, et la dernière chose que je voudrais faire c’est quelque chose d’obscène ―, et puis J. , un livre de fantasmes, Je ne me souviens plus et, cet été, Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) ― ah mon, absence de talent pour les titres, en tout cas les titres courts, je crois que j’ai tout donné avec Désordre ― et puis les ébauches de Punaise ! ou encore des Salauds ― j’aimerais tellement avoir la force d’écrire ce livre jusqu’au bout, après je peux crever, je serais définitivement vengé ―, et, depuis peu, de X. et de Qui ça ? , et puis ces derniers temps ce projet de film documentaire, la Petite Fille qui sautait sur les genoux de Céline , oui, tout cela j’ai finalement eu le courage de le faire parce que je l’avais abrité des regards, au moins le temps de la construction et je crois bien que ce sera désormais ma conduite.

    Donnez-moi le temps et l’espace pour rater encore, pour rater mieux.

    Donc Qui ça ? , pour le moment va rester dans le seul cadre de seenthis, à l’état de brouillon. Je suis content d’y avoir réfléchi par écrit, une mauvaise fois pour toutes, pour emprunter la formule, à nouveau, à Samuel Beckett.

    https://vimeo.com/48765699

    #qui_ca

    • Exercice #2 de Henry Carroll : Prenez des photographies non touristiques d’un lieu touristique.

      C’est étonnamment de cette façon que je suis devenu photographe. J’ai fait mon service militaire au Service d’Information et de Relations Publiques des Armées dans l’Armée de l’air, en tant que photographe, dans un petit service qui comptait trois sous-officiers, tous les trois parfaitement photographes, avec de sérieux bagages techniques ― je leur dois beaucoup de mes connaissances tech-niques ― et pour l’un d’eux, un véritable regard de photographe ― je lui dois beaucoup dans ma façon d’appréhender un sujet et de chercher à en faire une image, il faisait notamment de la perruque en tant que photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes, il était remarquable de voir que de semaine en semaine, avec le même décor, le même arrière-plan et le même éclairage, il trouvait le moyen d’un renouvellement ―, et qui se sont d’abord montrés fort méfiants vis-à-vis du deuxième classe que j’étais. Et pour me tester, d’emblée, le chef de cette petite unité, et donc photographe de plateau sur Apostrophe , m’avait confié deux boîtiers Nikon, deux FM2 si mes souvenirs sont bons, deux ou trois optiques que j’avais eu le droit de choisir parmi pléthore d’objectifs, deux films de couleurs et trois de noir et blanc et la consigne, à la fois simple et piégeuse, d’aller photographier la tour Eiffel, qui avait l’avantage de se trouver à quelques stations de métro seulement du Ministère de l’Air. Il s’attendait à ce que je revienne de ce reportage, un bien grand mot, avec une très belle collection de cartes postales, il en fut pour ses frais, et en fus assez surpris, tant ce que je lui rapportais correspondait en rien à ses attentes, j’avais d’abord pris le parti de photographier la Tour Eiffel de plus loin possible, y compris depuis le balcon de chez mes parents à Garches, ce qui était encore possible à l’époque, puis j’avais également produit toute une série de photographies des boulons rouillés de la vieille dame d’acier et aussi quelques photographies à la dérobée des touristes serrés dans les ascenseurs ― avec le recul il est assez amusant pour moi de me dire que, si cela se trouve, ces photographies font partie des archives photographiques de l’Armée de l’Air, dûment répertoriées avec des numéros de film du genre 1985-0178 0179 et 0180, je n’avais utilisé qu’un film de couleur et deux de noir et blanc et c’était, de fait, au tout début de l’année 1985. C’est au prix de cette originalité, dont je me demande bien ce qui avait pu la provoquer à l’époque, j’avais tout juste vingt ans et une culture visuelle fort pauvre, à l’exception d’un stock d’anciens numéros du magazine Zoom que j’avais achetés aux Puces ― et comme je serais content par la suite de trouver dans la bibliothèque du labo photo du SIRPA de nombreux autres numéros de cette revue que l’adjudant tenait en grande estime, parmi lesquels un numéro spécial à propos des photographes brésiliens, dans lequel j’avais fini par isoler une image de piétons sur une rue de Sao Paolo, une vue au huitième de seconde, seuls les pieds des passants sont nets, le haut de leur corps fantomatique, et par je ne sais quel tour de magie que la vie a en stock, j’ai eu à rencontrer le photographe de cette image, qui a longtemps été punaisée dans ma chambre, étudiant lui-même de Barbara Crane à Chicago, c’est désormais le tirage qu’il m’a offert, après que je lui ai raconté l’histoire de cette image, qui orne un des murs de ma chambre ― c’est au prix donc de cette originalité que j’ai été accepté au purga-toire de ce petit labo, dans lequel j’ai appris, en tirant des centaines et des centaines de photographies d’avions, mais aussi de reportages à propos de troupes au sol, ou encore de défilés militaires et de portraits de généraux, le métier de photographe.

      La même histoire de l’origine en somme racontée différemment, dans Arthrose :

      J’ai appris le métier de photographe pendant mon service militaire au Service d’Informations et de Relations Publiques des Armées (SIRPA) au sein d’une petite équipe de photographes, trois sous-officiers et moi-même, l’Aviateur De Jonckheere, deuxième classe donc, homme du rang. Les trois sous-officiers étaient des photographes de reportage tout à fait accomplis, certes cantonnés dans ce travail de représentation, glorieuse si possible, de l’armée de l’air, il n’en est pas moins qu’ils avaient de robustes compétences de photographes de terrain, l’un d’eux, par ailleurs, en dehors de ses heures de travail, était passionné de littérature et était le photographe de plateau de l’émission de télévision Apostrophes et j’ai beaucoup appris de lui, notamment sur la nécessité de réfléchir à l’image que je voulais faire avant de braquer mon appareil-photo, d’en réfléchir aux paramètres techniques, son enseignement était que la plupart du temps on disposait tout de même d’une trentaine de secondes de réflexion avant de prendre une photographie de reportage. Ces trois sous-officiers photographes étaient des passionnés et parlaient de photographie du matin jusqu’au soir, ils étaient abonnés à toutes sortes de magazines spécialisés et un de leur jeu préféré, qui devenait rapidement une joute amicale, était de deviner les circonstances d’une image, ses paramètres et ses astuces techniques et ce qui avait sans doute été produit au laboratoire pour parvenir à une telle image. J’ai beaucoup appris de ces discussions auxquelles j’étais parfois invité à participer en fin d’année de service militaire, ayant désormais acquis un vrai bagage technique. Parmi les nombreuses revues de photographie il y en avait une qui avait ma prédilection, il s’agissait de la revue Zoom , depuis défunte, et dans laquelle on trouvait les photographies les plus esthétiques comparées aux autres magazines, notamment les photographies de mode, sans compter quelques photographies à l’érotisme très esthétisant dont je ne pourrais jamais dire que, jeune homme, elles ne m’aient pas questionné et, si je devais les retrouver aujourd’hui, à quel point elles me feraient sourire. Et une bibliothèque occupait le couloir central de cet atelier de photographie dans laquelle se trouvaient de pléthoriques archives de toutes ces revues. Je me souviens d’un numéro spécial de Zoom consacré à la photographie brésilienne. Dans ce numéro une photographie avait particulièrement retenu mon attention, il s’agissait d’une photographie de rue, carrée, au 6X6, en noir et blanc qui représentait des passants flous à l’exception de leurs pieds qui étaient restés à peu près nets, flou de mouvement qui avait été particulièrement heureux pour permettre la création de ces fantômes aux pieds nets posés sur un pavé dont le piqué était remarquable. J’avais demandé à l’adjudant Rullaud. ce qu’il pensait de la vitesse d’obturation de cette image, 1/15ème ?, avais-je hasardé, plutôt 1/8ème avait-il répondu, donc l’appareil est sur un trépied ?, et, comme toujours, l’ironie avait fusé, avec une petite trace d’accent du Sud-Ouest, et bien si vous tenez le 1/8ème de seconde à main levée avec un Hasselblad, vous pouvez revendre votre trépied. Cet après-midi les tâches en cours étaient peu nombreuses et je lui avais demandé la permission de me servir du banc de reproduction pour me faire un tirage de cette image que j’aimais beaucoup. Fait inhabituel, il avait montré de l’enthousiasme pour cette perruque et m’avait même proposé de me servir de l’Hasselblad pour un meilleur rendu, homothétique qui plus est. J’ai longtemps eu ce tirage au-dessus de ma table de dessin quand j’étais étudiant aux Arts Déco, dans mon appartement de l’avenue Daumesnil. Ce qui est étonnant c’est que je n’avais pas pensé à noter le nom du photographe brésilien qui avait pris cette photographie. Trois ans plus tard je partais étudier à Chicago. J’ai fait des pieds et des mains pour suivre les cours de Barbara Crane sur le bon conseil de mon ami Halley. J’avais fini par obtenir d’intégrer le groupe d’étudiants en Master qu’elle prenait en tutorat ce qui était beaucoup plus que je ne pouvais espérer. Au début de l’année scolaire nous avons eu une réunion de ses étudiants de Master au cours de laquelle nous devions apporter quelques images de nos travaux en cours, pour ma part j’avais montré ma série sur Berlin, dont je ne peux pas dire, qu’en dehors de Barbara Crane, elle ait beaucoup enthousiasmé les autres étudiants. Puis ce fut le tour des deux Gregs. Les deux Gregs c’était un peu une autre limonade. Après eux, un autre étudiant étranger présentait un portfolio de photographies en noir et blanc, toutes prises à l’Hasseblad, les tirages étaient somptueux et en grande majorité montraient des paysages urbains de nuit avec cette particularité intéressante que sur aucune de ces images nocturnes on ne pouvait voir la source d’éclairage public qui pourtant éclairait ce paysage urbain de São Paulo. Barbara Crane n’était pas avare de compliments pour cet étudiant un peu plus âgé que nous et qui, comme moi, s’exprimait dans un anglais maladroit. Lorsqu’il est arrivé à la dernière image de son portfolio de photographies nocturnes, il était sur le point de remettre tous ses magnifiques tirages dans leur boîte quand je remarquai au fond de la boîte cette image que je connaissais si bien des fantômes sombres sur le pavé net. J’ai eu du mal, dans mon anglais encore balbutiant à l’époque, à raconter à quel point il était extraordinaire que je me retrouve en présence de cette photographie qu’un mois auparavant je décrochais du mur de ma chambre avenue Daumesnil à Paris, empaquetant mes affaires pour les stocker dans la cave de mes parents à Garches, avant de prendre le départ pour Chicago où je me trouvais désormais en face de son photographe en chair et en os. Carlos Fadon Vicente. Qui le jour de son départ de Chicago, en fin de premier semestre, m’avait cherché dans le labo pour me remettre un tirage de cette image, j’étais très ému de ce cadeau et avait balbutié le seul mot de portugais que je connaisse, Obrigado , nous nous étions embrassés dans l’éclairage inactinique du laboratoire collectif des étudiants en Master ― parfois internet ce n’est pas si pratique que cela, ainsi j’avais oublié du tout au tout le nom de Carlos, d’ailleurs dans un premier temps je me souvenais de Ricardo, et pourtant je voulais absolument que son nom figure en toutes lettres dans ce texte, pas juste son prénom, dont justement je me rends compte que ce n’était même pas le sien, j’ai passé beaucoup de temps à tenter toutes sortes de recherches pour retrouver Carlos-Ricardo, j’ai fouillé dans des listes et des listes de noms dans les anciens étudiants de the School of the Art Institute of Chicago (parmi lesquels j’ai été très déçu de ne pas trouver le mien), ce qui ne risquait pas beaucoup de réussir si je continuais d’appeler Carlos Ricardo, j’ai tenté de faire des recherches sur les archives du magazine Zoom sur internet, dont force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose, ce que je trouve regrettable, j’ai tenté des recherches sur les projets d’urbanisme de São Paulo parce que je savais que cette photographie faisait partie d’un ensemble de photographies qui avaient été commandées par un des urbanistes d’un grand projet de cette mégapole bré-silienne, j’ai fait des recherches de plus en plus larges à propos de photographes brésiliens contemporains, j’ai découvert une multitude de photographes aux travaux admirables, mais je ne retrouvais toujours pas Carlos-Ricardo, j’ai sorti la photographie du sous-verre posé sur ma table de travail et sous lequel j’ai composé un pêle-mêle parmi lequel se trouve la photographie de Carlos (mais aussi une lithographie de L.L. de Mars, une sérigraphie de Doug Huston, un polaroid agrandi de Jennifer Pilch, dont j’étais fou amoureux, une petite photographie de Natalie Bookchin, une photographie de Karen Savage, un tract de Formes d’une guerre , une lithographie sur papier kraft d’un étudiant portoricain à Chicago dont je me souviens seulement du prénom, mais de façon certaine, Alejandro, l’affichette de la lecture de @mona à la librairie Mille Pages à Vincennes, un tirage numérique de Barbara Crane, un petit collage photographique de Hanno me représentant à la Garde de Dieu en 1989, des billets de un dollar sur lesquels John Pearson, un autre étudiant de Chicago, avait imprimé des cyanotypes, une ancienne publicité pour le pneus Dunlop, pour ses couleurs qui me rappellent des tas de souvenirs d’enfance, un dessin de L.L. de Mars, une photographie de Mouli et moi chez nous, 943N Wolcott avenue à Chicago, une de mes photographies de la Très Petite Bibliothèque et une autre de la série 20040322.txt , un collage de quatre photographies représentant B. et moi nous embrassant à la Garde de Dieu, et enfin la photographie de Carlos) dont je pensais toujours qu’il s’appelait Ricardo, dans l’idée de la scanner de tenter une recherche en utilisant l’option de recherche par image du moteur de recherche, et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte, comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ?, surtout quand on connaissait un peu Carlos, le genre de photographe sérieux, que naturellement, non seulement son nom figurait au crayon à papier au dos du tirage, mais aussi toutes sortes d’indications, Da Paulista, 1983, (Sao Paulo) © Carlos Fadon Vicente ƒ8 1/8 93˝ D 288/12 , pas toutes compréhensibles même par un autre photographe, le D majuscule souligné voulait-il signifier que le film avait développé dans du D76 ?, en revanche je remarque, trente ans plus tard, que le pronostic de l’adjudant Rullaud. était juste, c’était bien au huitième de seconde qu’avait eu lieu cette affaire : c’est fi-nalement là qu’internet est le moins pratique, quand on y cherche des choses que l’on a sous le yeux. J’ai toujours peine à me dire que ce jeune homme que j’étais devenu, presque 24 ans d’arrogance et de sûreté de soi, parti conquérir rien moins que l’Amérique, s’imaginant rien moins que le nouveau Robert Frank, n’était distant que de trois années de celui peu assuré qui s’arrangeait surtout pour ne pas trop déplaire aux trois sous-officiers photographes du SIRPA, ce faisant, tirant le meilleur de leurs connaissances techniques fort sûres, mais surtout ne les contredisant pas sur tant et tant de sujets, surtout politiques, mais aussi à propos de certaines des légendes courantes dans le monde de la photographie de reportage et notamment ces histoires abracadabrantes de scoops qui constituaient pour eux une manière de Saint Graal, se trouver sur les lieux d’une catastrophe, d’un événement historique, d’un attentat, d’un accident, sur le chemin d’un homme politique pris la main dans le sac, d’être le témoin photographiant de toutes sortes de malversations, de délits, de petits scandales minables écla-boussant à peine des personnalités du monde du spectacle, que sais-je encore, toutes sortes de situations dans lesquelles je rêvais moi de ne surtout pas me trouver, quand bien même, et c’était cela qui me désolait de la part de ces instructeurs chevronnés, cette attirance, de tels scoops pourraient mériter toutes sortes de rétributions de la part des grands hebdomadaires de la presse. Et à ce sujet les légendes urbaines qui émaillaient leurs conversations étaient à la fois nombreuses et invraisemblables, tel organe de presse, en cas de grande catastrophe aérienne, capable d’acheter en liquide, pour de fortes sommes, des films qui n’étaient pas encore développés et c’était tout un monde qui miroitait dans les yeux de ces photographes pourtant aguerris mais crédules de ces histoires dont au contraire, moi, si jeune, tellement en attente de leur validation, de leur reconnaissance comme un des leurs, alors je lisais Ultramarine de Malcom Lowry, et comme tout cela résonnait fort en moi, moi, leur deuxième classe de corvée des trucs pas toujours très drôles à faire, de ces batchs de films à déve-lopper dans la journée avec des planches-contacts, nettoyer les cuves, faire les mélanges et les tirages en cinquante exemplaires, c’était finalement moi qui était le moins crédule de telles fables. D’ailleurs quand j’entends le mot scoop, dans tout ce qu’il ne contient pas, c’est souvent à ces lointaines discussions en prenant le café que je tenais prêt au moment où les sous-officiers rentraient du mess des sous-offs, que je repense, pour moi le scoop ce serait toujours ces effets de récit d’une vie, ces spaghetti ramassés en désordre dans une assiette, mais que l’on tire sur un seul et cela bouge de l’autre côté de l’assiette, disparaît sous la masse des autres spaghetti, pour réapparaitre, ces moments de vie souterraine à l’intérieur de la vie-même, la photographie du magazine Zoom isolée, reproduite, accrochée sur le mur de ma chambre et dont je rencontre le photographe à l’autre bout du monde, ces photographies d’une jeune ivoirienne ramassée dans un bar et qui reparaît en Alsace, cette chambre en Espagne où je séjourne chez l’Oncle de mon amie Laurence, juge, et dont la fille, qui est en photographie de mariée sur la table de chevet de cette chambre et qui un jour devient mon avocate, ceux-là sont les vrais scoops de l’existence. Passer tout près de l’explosion d’une bombe, d’un accident ou d’un attentat terroriste, quelle que soit la manière dont ensuite on tente de donner du sens à ce frôlement continue d’être, par définition, un non-événement, le contraire même d’un scoop.

      Avec le recul, j’en viens à réaliser qu’en matière de photographie j’aurais eu deux professeurs assez dissemblables, l’adjudant Rullaud et Barbara Crane.

  • J-221 : C’est de nouveau le Désordre dans le garage. Et rien ne saurait me faire plus plaisir en somme. Il y a quelques jours mon ami L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net) m’a invité à participer à une publication-luxueuse-pour-pas-cher dont il a le secret ― il est également l’inventeur du punk méticuleux ―, où il est question d’une édition de seize cyanotypes. L’idée étant de lui fournir une seizaine de transparents négatifs en 10x15 ― autant dire des 4’X5’ (pouces).

    Le cyanotype.

    Me sont alors revenus mille souvenirs, des odeurs notamment, de celles que je ne saurais pas décrire, sauf à nommer les produits nécessaires pour enduire les feuilles des tirages ― mais alors ce n’est pas décrire une odeur, c’est juste dire, mettez votre nez au-dessus d’une fiole contenant du citrate de fer ammoniacal, pas trop près non plus les narines, et pas trop concentré non plus, le citrate de fer ammoniacal, en fait, débouchez juste le flacon et laisser à l’air libre pendant cinq minutes ―, mais aussi l’éclairage inactinique jaune au sodium qui faisait croire, tant qu’on était dans cette lumière, que l’on faisait du noir et blanc, et en sortant les tirages du labo, pour vérifier la densité, cette surprise toujours, mais ils sont tout bleus !, l’aveuglement, et devoir lutter contre sa tentation, de la lampe aux ultraviolets. A Chicago, les non silver dudesles gars du non argentique , en français on aurait pu dire les types du non-A , du Ā , cela aurait été la classe, encore aurait-il fallu qu’aux Arts Déco, on se préoccupe de procédés non argentiques, et qu’un autre que moi ait lu A.E. Van Vogt, j’aurais donc été fort seul avec mes prédilections, surtout celles de l’époque, jusqu’à l’arrivée d’internet, finalement ― c’étaient nous. Essentiellement ceux qui n’étaient pas nécessairement portés sur la justesse, la propreté des tirages et qui, au contraire, accueillaient les accidents avec bonheur, les souhaitant presque. Pas étonnant d’ailleurs que mes deux amis Greg ― les frères jumeaux de mère différentes comme ils s’appelaient eux-mêmes et étaient connus comme tels dans l’école ―, Greg Ligman et Greg Williams étaient finalement les deux personnes auprès desquelles il fallait si souvent s’arranger pour réserver l’utilisation du banc. Et vu les formats dans lesquels ces deux-là travaillaient, il valait mieux ne pas être dans la même pièce quand ils insolaient, fuites de lumière garanties. Bref, vous dites cyanotype et c’est comme si une certaine pièce, pleine à craquer, du département photo de the School of the Art Institute of Chicago , à Chicago donc, agissait comme un aimant surpuissant de toutes mes pensées. De tous mes souvenirs.

    Et l’écueil de tout ceci est d’autant plus inévitable que passant au travers de quelques dizaines de boîtes contenant des négatifs 4’X5’ dans le garage, je tombe nécessairement sur des tas et des tas d’images prises à cette époque, pas nécessairement dans le but d’en faire des cyanotypes d’ailleurs et que je suis donc incapable de penser à quelle que série que ce soit, même aujourd’hui, qui ne serait pas un rappel à cette époque bénie de ma jeunesse ― je sens qu’il va râler le Lièvre.

    Nous sommes vendredi soir et les trois tables mises bout à bout dans le ga-rage dessinent un désordre exemplaire, mélange du matériel pas encore rangé de-puis le spectacle de samedi dernier ― le vidéo projecteur et ses dix mètres de câble RGA, le contrôleur MIDI ―, de quelques croquis pour la mise en page future de Qui ça ? ― et on y est presque, demeure la question de savoir si je dois ou non, rendre la chose publique en cours de réalisation, ou attendre que le projet soit fini, et ce n’est pas une petite question, croyez-moi ― et donc de quelques boîtes de négatifs 4’X5’ desquelles j’ai extrait, finalement, seize images qui composent une manière de chanson à celle qui aura illuminé ces années américaines, mon professeur, mon mentor, la très grande photographe Barbara Crane ― une photographe, cela dit en passant, qui mériterait très amplement sa place au panthéon de la photographie aux côtés de Robert Frank, Robert Heinecken, John Baldessari, Walker Evans, Eugène Atget, Henry Fox Talbot, Laslo Moholy-Nagy, et bien d’autres encore, place qui devrait lui revenir de droit, et plus j’y pense, et plus il me paraît évident que cette place lui aura été dérobée, toute sa vie, presque, pour la seule épouvantable raison qu’elle est une femme. Et quelle !

    This song’s for you Barbara.

    Et dire qu’alors, le visage de l’ennemi c’était celui de Bush-père.

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/song_for_barbara/index.htm

    #qui_ca

  • http://www.lemarchenoir.org

    Depuis 2012, le Marché Noir permet de présenter toutes sortes de
    travaux de micro publications difficilement visibles autrement

    PCCBA ( http://www.le-terrier.net/pccba ) sera présent, dès demain soir (ça commence à 18h et ça finit à 22h demain, et les journées de vendredi et samedi sont ouvertes à partir de 14h, jusqu’à 18h).
    Des tas de trucs que nous avons tout juste achevé seront présentés à cette occasion : le dernier Amici et le dernier Pré Carré , Temple & Jardin , toutes choses montrées dans le Terrier ces derniers jours, mais aussi des choses sur lesquelles nous travaillons discrètement depuis un moment à l’atelier : un deuxième livre de Lucas Taïeb (« On s’y retrouve tous »), dans un grand format vertical, cette fois-ci, avec une couverture
    bichro en patamogravure de votre serviteur, un petit bidule
    expérimental né d’un week-end avec Noémie Lothe et Aurélien Leif « LLL », et « BLU » un travail de furieux sur lequel nous nous escrimons depuis presque trois mois, consacré à la couleur bleue (30 exemplaires de format carré réalisés avec de la taille-douce, du bois gravé, des pochoirs au crayon de couleur, à la bombe, au carbone frotté, de la patatogravure, de la patamogravure, des estampages d’objets, de l’aquarelle, du cynaotype, de l’alugraphie, de la couture sur calque, des vignettes d’imprimerie en destruction graduelle, des réhauts d’acrylique, le tout pris dans une belle reliure japonaise au raphia)
    j’espère pouvoir vous montrer tout ça ce week end, et causer avec vous pliage, couture, collage, estampe

  • j-226 : Les deux rêves de cette nuit. Je ne sais plus lequel est le premier.

    #1 Je rêve que j’accompagne un groupe d’enfants le long d’un petit cours d’eau, comme ceux du bois de Vincennes. Les enfants jouent dans les cours d’eau qui ne sont pas aussi vaseux que ceux du Bois de Vincennes. Une des petites filles joue à retenir sa respiration le plus longtemps possible ― de cette façon idiote que je mentionne dans le spectacle Apnées ― jusqu’à ce que je réalise qu’en fait, elle est bloquée au fond de l’eau, retenue au cou par une racine ou un élément végétal, je me jette à l’eau, comme il m’est arrivé, une fois, de le faire, au Bois de Vincennes, quand Nathan, en crise, avait jeté Adèle, qui devait avoir trois ans, dans un de ces petites canaux d’irrigation du bois, et je parviens sans mal à dégager le cou de cette petite fille, qui ne ressemble à aucune petite fille que je connaisse, avec le même sentiment de mollesse, de viscosité et la libération du cordon qui lui passe autour du cou, que dans la scène d’accouchement dans Rester vertical d’Alain Garaudie, les choses auxquelles on rêve parfois, mais je suis incapable de redonner vie à cette petite fille, même en lui faisant du bouche à bouche, en demandant à Adèle, qui m’accompagne, de souffler dans la bouche de cette petite fille, comme il est recommandé de procéder lorsqu’il faut faire du bouche à bouche à un enfant, demander à un autre enfant, à la moindre capacité pulmonaire, plus en rapport avec celle de la victime, de souffler. Les choses auxquelles on repense en rêve, comme des cours de secourisme tellement lointains, au lycée, pensez. Réveil, en suffocant, comme de remonter à la surface.

    #2 Je rêve de me rendre à la synagogue pour ma Bahr Mizdah , puisque, en effet, j’ai décidé d’épouser la religion juive. En entrant dans le temple, je suis désespéré de trouver sur les bancs, presque dans les premiers rangs, de cette ancienne synagogue de Prague ― la seule synagogue dans laquelle j’ai un jour pénétré ― la mère de mes enfants, à laquelle j’adresse un signe qui veut dire que même ici, dans une synagogue, elle tient à ce point à en être ― à se mêler de mes affaires, en somme, t’es juif maintenant toi ? ― et que, de toute manière, avant qu’elle ne pose la question, les enfants sont à l’école, c’est un samedi matin et je dois faire ma Bahr Mizdah pendant qu’ils sont à l’école, ainsi va l’organisation de mon existence, pas un moment de répit, pas un moment de blanc, et ainsi vont les rapports avec la mère de mes enfants. Entre le rabbin qui doit, en tout premier lieu vérifier que les cadeaux qui ont été envoyés pour les enfants ― dans mon cas il s’agit d’une Bahr Mizdah tardive, dite de reconversion ― qui font ce jour-là aussi leur Bahr Mizdah ― à la réflexion, je vois bien comme je transpose ce que je sais, intimement, du culte catholique à la religion juive, à savoir la première communion pour une vingtaine d’enfants à la fois, pas sûr que l’on fasse des Bahr Mizdah à la chaîne, les lecteurs juifs corrigeront d’eux-mêmes ― pour vérifier que ces cadeaux sont bien kasher, il tique beaucoup sur les deux livres de bandes dessinées que m’a envoyés mon ami L.L. de Mars (http://www.le-terrier.net), Quelques prières d’urgence à réciter en cas de fin des temps et les Vies de la mort , pourtant, à mon sens, les deux meilleurs cadeaux qu’il pouvait me faire pour ma Bahr Mizdah , et je suis contraint d’expliquer au rabbin que ce sont bien deux ouvrages strictement religieux, que ce n’est pas parce que c’est de la bande dessinée que ce n’est pas religieux, au contraire, les choses qu’on est parfois contraint, en rêve, d’expliquer à un rabbin, le jour de sa Bahr Mizdah , dite de conversion. La petite réception qui fait suite à ma Bahr Mizdah , dans une manière d’antichambre de la synagogue, est l’occasion pour L.L. de Mars de me donner ma première leçon d’exégèse religieuse où il est question, pour chaque juif, de retrouver, dans sa propre chevelure, le cheveu que l’on tient de son père, généralement dans la nuque, c’est d’ailleurs pour cela qu’un rite de tonte de la nuque est souvent proposé pour les plus fervents, et que c’est à cette seule condition, celle de retrouver le cheveu de son père, que l’on devient vraiment juif. Et encore je simplifie.

    Je dois modifier ma façon d’entrer le matin dans le café le Marceau pour notre café du matin avec mon collègue Julien, en effet, chaque fois que je m’approche du bar, je tombe nez-à-nez avec le téléviseur connecté, comme on l’est à une perfusion, aux informations en continu, comme le sont les perfusions, au goutte à goutte, en continu. Ce matin, l’image est quasi inoffensive, on y voit les premiers de notre république corrompue et malade, réunis autour de ce qui semble être une cérémonie commémorative ― un 19 septembre ? ―, ou un enterrement, ou je ne sais quoi de pas spécialement folichon auquel les hommes et les femmes politiques de la droite et de la droite dure se réunissent avec des mines d’occasion et des costumes sombres, la Maire de Paris fait la tête en arrière-plan du Président de la République, mine de circonstance oblige, la Maire, elle, n’a pas du tout aujourd’hui cette prestance courageuse, et même cette beauté, que je lui trouve d’ordinaire, l’ancien président des otaries de droite, semble piaffer dans des rangs seconds de cette assemblée, comme à son habitude, ravagé par autant de tics qui disent sans équivoque son impatience maladive. Je n’ai aucune idée des raisons d’un tel rassemblement, je présume que je pourrais m’en informer, sur le coup en m’approchant du téléviseur pour en recevoir le son en sourdine, soit en rentrant au bureau et en me connectant au site du Monde , je sens bien comment travaille en moi un désir de savoir et la lutte que je mène intérieurement pour barrer le chemin de cette curiosité, dont je sais que l’objet est empoisonné. J’y vois un enjeu de taille, une raison de lutter, de discipline intérieure, de se gendarmer. Comme dans les vignettes des albums de Tintin , il y a un Milou satanique qui m’encourage avec des arguments fielleux, je suis encore éloigné de la catastrophe dont je veux tout ignorer, un bref regard sur l’actualité intérieure, nationale, ne m’apprendra rien, ne me fera aucun mal, et un Milou angélique, habillé de bleu azur et auréolé, qui me signifie qu’entre cela et une drogue ou un alcool forts, il n’y pas de différence de danger. C’est le Milou angélique qui gagne ce matin.

    #qui_ca

  • http://www.le-terrier.net/concerts/precarre8/index.htm

    ça y est, c’est fini, il est là, le furieux numéro consaré à Chris Ware

    avec des textes, dessins, collages, montages, notules, palimpsestes, commentaires et paratextes entrelacés de :
    Cathia ENGELBACH (Comédies, Hiatus, Absence)
    Aurélien LEIF (Dépression/suicide, Circularité, Illusion pictographique)
    Gwladys LE CUFF (Embryon, Homoncule, Genèse)
    L.L. de MARS (Perspectives, Monstres, Faire l’histoire)
    Julien MEUNIER (Mélodrame, Visages, Détail)
    Jean-François SAVANG & Guillaume CHAILLEUX (Narration sans sujet, Poétique iconique, Hyper-morale)
    Loïc LARGIER (l’Auteur, Projet, Décrire)
    et des participations hétéroclites de
    Oolong (archéotexte, Moins la main) C. de TROGOFF (Lieux communs), Morgane MONTERRAT (Ekphrasis), Emmanuel LeGlatin (couverture)

    pour en savoir plus sur cette construction éditoriale exceptionnelle autour d’une oeuvre qui méritait au moins ça, tout est là :

    http://www.le-terrier.net/concerts/precarre8/index.htm

    #collectif #bande_dessinée #expérimental #chris_ware


  • nous livrant à quelques vérifications dans le bordel du Terrier, nous découvrons que depuis 2006, cette cellule du Terrier est inaccessible, vierge de tout lien avec le reste du site et que c’est bien dommage :

    http://www.le-terrier.net/photojour/expo_alphagraph/index.htm

    boulot de cochons ...

    tous les montages photonumériques de C. de Trogoff exposés
    y sont téléchargeables et imprimables

    L.

  • En septembre, sortira un Pré Carré intégralement consacré à Ware.

    Un numéro d’une conception collective et expérimentale, mêlant, à tout moment de sa réalisation, de la rédaction à la maquette, écritures, axes de recherche et iconographies.
    Cet incroyable champ de paperoles théoriques, critiques, poétiques, plastiques, sortira au mois de septembre.

    Description de la genèse de ce numéro d’exception ici.

    http://www.le-terrier.net/concerts/precarre8/index.htm

    Avec C. de Trogoff, Julien Meunier, Aurélien Leif, Cathia Engelbach, Gwladys Le Cuff, L.L. de Mars, Emmanuel LeGlatin, Jean François Savang, Loïc Largier, Morgane Monterrat, Guillaume Chailleux, Oolong

  • Vient d’être mis en ligne par du9 une série de textes sur le travail de bande dessinée (son cadre social, politique, théorique aussi bien que ses dispositifs techniques ou son articulation à d’autres disciplines), qui prennent prétexte de notes digressives sur mes propres bouquins pour amorcer quelques pistes de réflexion sur le dessin en bandes et la création en général.
    C’est découpé en huit chapitres et précédé d’un entretien avec Xavier Guilbert, et c’est là :

    http://www.du9.org/dossier/comment-jai-ecrit-certains-de-mes-livres

    • Merci pource texte !

      Je ne peux m’empêcher d’en citer un court (si si) extrait :

      Quel rapport avec l’objet de ce texte ? Un lien d’importance, nodal, originel, même, si vous voulez mon avis :
      mon travail tourne invariablement autour de deux ou trois toutes petites idées et notamment celle-ci, si banale qu’il m’étonne d’avoir eu à la reformuler si souvent : enfant, ce qui nous grandit et qui nous habitera au point de nous constituer, ce n’est pas ce qu’on nous destine, ce qui est prétendument fait pour nous, mais ce qui nous est impénétrable, inintelligible, ou interdit. Ce sont les livres pris dans la bibliothèque parentale dont nous traquerons le sens pendant des années, les films « de grands » furtivement surpris dans le salon, dont le sens nous a totalement échappé et dont les images nous poursuivrons des années, les idées qu’on n’a pas daigné nous décortiquer et pour lesquelles il nous faudra longtemps inventer nous-mêmes une signification.
      Tout ce qu’on nous explique, tout ce qui nous est destiné, ce qui est taillé pour cette caricature de nous-mêmes qu’on appelle l’enfance, est outrancièrement normatif et ne laisse aucune place à l’invention de notre propre chef.
      Adulte, cette sensation forte, vertigineuse, que provoque la rencontre d’idées, de productions humaines vraiment autres, insoupçonnables, déstabilisantes, qui ne se donnent pas à nous du premier coup, se fait trop rare. Parce que le mot d’ordre est la clarté, la simplicité, la communication. Nous devrions, croit-on, avancer sans inquiétude dans le sens. Et quand on ne comprends pas, c’est celui qui parle qui est regardé avec soupçon. L’incommuniquant est renvoyé au mieux au caprice d’artiste, à la poésie (ce coup de la poésie qui y balance dans ses cordes toute écriture nouvelle[2] ), au pire à l’escroquerie intellectuelle ou la sphère clinique. Ah ah, le poète, le rêveur ! Ah ah, l’intello, le snob, le masturbé ! Ah ah, le taré.
      Je continue de préférer dans ma bibliothèque les livres qui me résistent, ceux dont les auteurs n’ont pas cherché à traduire leur vérité en termes illusoirement moyens, intelligibles par tous. C’est à mes yeux la plus belle forme de générosité qu’un auteur puisse m’offrir, celle qui me laisse la place de penser et d’inventer avec lui. Et j’ai décidé de ne pas plus traduire mon travail dans une langue moyenne fictive que mes poètes, essayistes ou romanciers préférés ne l’ont fait pour moi.

    • un autre passage

      À la question « Pourquoi faites-vous de la philosophie ? » B. Preciado répond que dès sa petite enfance elle était traitée comme une sale petite gouine. Il lui fut urgent de s’armer pour comprendre ce qui l’excluait, ne serait-ce que pour déterminer son implication personnelle réelle dans ce qu’un monde lui renvoyait de sa culpabilité. Le lien entre toutes les expressions minoritaires, artistiques ou philosophiques, se tisse depuis la violence faites aux enfants dès les premières rencontres avec le corps social et sa puissante détermination normative. Ce lien entre les corps chétifs et recrachés par les structures sociales, les institutions, les groupes d’affinités, les clubs, est le trou noir de toute société civilisée dans lequel se cache le vrai monde ; celui qui n’abdique rien pour lui-même, ne se refuse rien, rit de toute forme d’autorité, se soustrait à toutes les formes instituées de gratifications pour fonder seul son ordre, impossible, grotesque, irrécupérable, de grandeur. Tous mes amis sont restés ces petits monstres, ces erreurs sociales, les lopettes, débiles, minables, bizarres, de la cour d’école. Ils auraient pu, comme j’aurais pu moi-même, en crever. Ou pire, gommer leurs aspérités pour ressembler à leurs milliards de tortionnaires possibles. Le plus sage était de prendre la position de Topor : si vous prenez un taxi et que vous dites « chouette, il pleut », en général le chauffeur vous regarde avec une haine… ! comme si vous étiez le responsable de ce temps là. Je trouve ça chic d’être le maître du temps. Alors vous ajoutez : « J’espère que demain il pleuvra aussi ».