• TOUTE RELATION À L’ÉTAT EST TOXIQUE

    Nous faudra-t-il crever de ne pas vivre pour réaliser que ceux qui gèrent nos existences la cancérisent ?
    Le sécuritaire qui se substitue au sanitaire est un crime délibéré. Nous savons que chacun est sujet à des réactions psychosomatiques qui diffèrent d’une personne à l’autre. Ce type d’organisation intime, seule une relation de confiance entre le médecin et son patient est habilitée à le prendre en charge et à le traiter en connaissance de cause.
L’État dans sa servile obédience aux mafias pharmaceutiques, a mis fin au « medicus curat, natura sanat » (le médecin soigne, la nature guérit) qui tissait entre soigné et soignant une solidarité propice à la guérison.
    Notre autodéfense sanitaire a toutes les raisons d’ignorer les raisons d’État. Ne sommes-nous pas en droit d’estimer nuls et non avenus des décrets dictés par le souci de propager une frayeur citoyenne, de confiner chacun dans sa niche où il fera de sa colère un instrument de délation ?
    La perspective de vie, c’est la création de soi et du monde.
    Dans la guerre que les mafias de la mort rentabilisée mènent contre nous, nos forces ; vives sont une arme absolue.
    Tragédie de la souffrance, comédie des traitements. Les victimes potentielles des épidémies l ; présentes et à venir sont prises d’angoisse à la pensée de variants récurrents. Tout détenteurs qu’ils soient de vaccins, dont l’effet placebo n’est pas négligeable, ils ont les yeux fixés sur le compteur médiatique qui enregistre au profit du virus providentiel les décès dus aux pesticides, à la pollution de l’air, aux gestionnaires de la peur, à la paupérisation, au saccage du secteur hospitalier, aux troubles des relations affectives, au retour du puritanisme, à l’agressivité, aux coups de folie, au racisme multicolore, à la misogynie, aux rats génétiquement améliorés du transhumanisme.
    Alors que le financement et l’amélioration des services sanitaires auraient été en mesure de faire face à une épidémie qui tue principalement des patients en mauvaise santé, on a assisté à une mise à sac des hôpitaux et de la médecine due au marché des intérêts privés et à une politique de rentabilité morbide. Sans parler de l’empoisonnement des nourritures, de la pollution de l’air et de l’eau, de la paupérisation, de l’usure au travail, de la grisaille de l’existence.
    Pour dissimuler leurs malversations sanitaires et leurs carences criminelles, les gouvernements propagent une panique qui identifie le coronavirus à une fatalité.
    Le capitalisme en est venu à mettre en scène sa propre mise à mort, et il la conçoit comme une dernière mise à prix.
    Il n’y a qu’une réponse à un État dont le ridicule éborgne et tue, c’est la joie de la désobéissance se déversant tel du sable dans les rouages qui fabriquent l’inhumain.
Passer outre aux interdits, au puritanisme, à la culpabilité qui sont autant d’entraves aux plaisirs de vivre renoue avec l’innocence originelle de l’enfance.
    Quand les vivants du monde viennent à nous, c’est à une rencontre avec nous-mêmes qu’ils nous convient ! Rien de tel pour affermir la pulsion de vie qui ne demande qu’à rayonner en nous et autour de nous. Être conscients et insouciants du danger ôte à l’ennemi ses armes pas à la conquête de l’aliénation. Son abstraction vole aujourd’hui en éclats et nous confronte à la souffrance de la bête qui loge en nous, la souffrance du non-dépassement.
    La comédie, elle, participe plutôt du drame bourgeois. Alors que le financement et l’amélioration des services sanitaires auraient été en mesure de faire face à une épidémie qui tue principalement des patients en mauvaise santé, on a assisté à une mise à sac des hôpitaux et de la médecine due au marché des intérêts privés et à une politique de rentabilité morbide. Sans parler de l’empoisonnement des nourritures, de la pollution de l’air et de l’eau, de la paupérisation, de l’usure au travail, de la grisaille de l’existence.
Pour dissimuler leurs malversations sanitaires et leurs carences criminelles, les gouvernements propagent une panique qui identifie le coronavirus à une fatalité.
    Passons outre à tout décret liberticide !
    La guerre civile est un jeu de mort où toutes et tous s’affrontent, la désobéissance civile est le jeu de la vie solidaire où les passions se vivent en s’accordant.
A chaque instant se pose la question : à qui cela profite-t-il ? La stratégie de la confusion est l’apanage des gouvernements et des puissances financières mondiales. L’art de la communication sert à discréditer les révoltes de la liberté offensée.
    L’épidémie est venue à point pour rendre au Pouvoir vacillant un peu de son autorité répressive.
    Certes, le coronavirus et ses mutations constantes représentent un danger incontestable. Mais là où des mesures favorables à la santé eussent permis d’en atténuer l’impact, on a assisté à une gestion catastrophique du chaos. La gabegie hospitalière, les mensonges en cascades, les marches et contre-marches, la prévarication des milieux scientifiques ont aggravé le péril. Plus toxique encore a été et reste la panique orchestrée par les médias, serpillières des intérêts privés. La partie était belle pour les grands laboratoires pharmaceutiques dont les actionnaires s’enrichissent chaque fois que les citoyens-cobayes paient le renouvellement des vaccins.
    Quant aux résidus de ceux qui bousillèrent le mouvement ouvrier, ils ont une revanche à prendre sur ce peuple qu’ils ne reconnaissent pas parce qu’il refuse de les reconnaître. Ils font périodiquement surgir de sa boite de Pandore un fascisme de pacotille qui leur sert de faire-valoir. Leur conscience révolutionnaire ignore manifestement la mise en garde de Bemeri, lors de la révolution espagnole : « Seule la lutte anticapitaliste peut s’opposer au fascisme. Le piège de l’antifascisme signifie l’abandon des principes de révolution sociale. La révolution doit être gagnée sur le terrain social et non sur le terrain militaire ».
    Ils en sont par ailleurs à cautionner la manœuvre de culpabilisation par laquelle les responsables de la dévastation sanitaire imputent la propagation de l’épidémie celles et ceux qui, refusant le rôle de cobayes, sont surtout coupables d’avoir compris que l’obligation de se faire vacciner laissait augurer un contrôle social à la chinoise.
Au lieu de dénoncer les fauteurs de la morbidité généralisée, une faction d’intellectuels,
de rétro-bolchéviques, de prétendus libertaires ont adopté la novlangue orwellienne, devenue le mode de communication traditionnel des instances gouvernementales. Ils dénient au peuple le droit de choisir ou non les vaccins en cours d’expérimentation. Ils apportent à l’État un soutien effarant en taxant d’individualistes les Gilets jaunes en lutte pour le droit de vivre et la liberté qu’elle implique. Or, cela fait trois ans que les insurgées et insurgés de la vie quotidienne n’ont plus à démontrer qu’ils sont des individus autonomes, réfléchissant par eux- mêmes, non des individualistes.
    Ni peur ni culpabilité. Le vivant aura raison de ce monde à l’envers et de ses complices.
La joie de vivre est une inclination naturelle, C’est à sa souveraineté que la nature devra d’être libérée de l’homme prédateur.
Seule une absolue liberté anéantira l’absolutisme qui nous tue.


    Raoul Vaneigem,
    
Rien ne résiste à la joie de vivre,

    Libres propos sur la liberté souveraine, 2022 (extraits)

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Raoul_Vaneigem
    http://inventin.lautre.net/livres.html#Vaneigem
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    • En Belgique, les meilleurs amis de Raoul : Le Bateau Ivre, le Batia Moûrt Sôu !
      https://www.facebook.com/groups/batiamourtsou/permalink/10157295367801125

      Dans l’entretien par écrit que Raoul Vaneigem a accordé au journal Le Monde (paru le 31/8/2019) la question suivante à été supprimée ainsi que l’intégralité de la réponse, sans en informer l’auteur.

      La voici (les mots écrits ci-dessous en capitale remplacent les mots en italiques du texte original : limite des possibilités graphiques de FB).

      Question "Le Monde" :
      Est-il possible de sortir de la spirale des violences ?

      Réponse Raoul Vaneigem :
      Il faut poser la question au gouvernement et lui rappeler le propos de Blanqui : « Oui messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres, les riches l’ont voulu ainsi, ils sont en effet les agresseurs. Seulement, ils considèrent comme action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu’il se défend s’il est attaqué. » Le projet de Blanqui, qui prône la lutte armée contre les exploiteurs, mérite d’être examiné à la lumière de l’évolution conjointe du capitalisme et du mouvement ouvrier, qui luttait pour l’anéantir.

      La conscience prolétarienne aspirant à fonder une société sans classe a été une forme transitoire dont l’histoire a revêtu la conscience humaine à une époque où le secteur de la production n’avait pas encore cédé la place à la colonisation consumériste. C’est cette conscience humaine qui resurgit aujourd’hui dans l’insurrection dont les Gilets jaunes ne sont qu’un signe avant-coureur. Nous assistons à l’émergence d’un PACIFISME INSURRECTIONNEL qui, avec pour seule arme une irrépressible volonté de vivre, s’oppose à la violence destructrice du gouvernement. Car l’État ne peut et ne veut entendre les revendications d’un peuple à qui est arraché graduellement ce qui constituait son bien public, sa RES PUBLICA.
      . . . . .
      La suite : https://www.facebook.com/groups/batiamourtsou/permalink/10157295367801125

  • INTOXICATION MENTALE
    Représentation, confusion, aliénation et servitude

    Nous oublions trop souvent que nos points de vue varient selon les situations, notre histoire et notre culture. Si notre mode de vie influe sur nos perceptions, voir d’une certaine façon crée sa propre réalité. Nous survivons sous influence d’un système qui formate nos conditions d’existences.

    De notre éducation jusqu’au travail et son monde de fétiches, les religions, les croyances et les idéologies manipulent notre esprit. Le matraquage publicitaire nous bourre le crâne de clichés et de comportements à reproduire pour se donner l’illusion d’exister dans la mise en scène de nos apparences. Dépossédés de nos personnalités nous sommes conditionnés par nos représentations spectaculaires.

    Intoxiqués par nos prothèses numériques, programmés par des machines omniprésentes, emportés par un désastre de confusions, nous sommes aliénés dans une soumission béate, une consommation exaltée et frénétique.

    Mais cette intoxication mentale n’est que superficielle et manque de cohésion. Tout n’est qu’affaire d’apparences trompeuses se fissurant à la surface des choses marchandes en perte de crédit. Cette société en faillite dysfonctionne et se désagrège, mais renaît aussitôt par métamorphose à l’envers du décor.

    Lukas Stella
    http://inventin.lautre.net/linvecris.html#intoxment
    http://inventin.lautre.net/livres.html#LukasStella
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  • TRAHISON DES INSTITUTIONS, LA MORT DE L’ÉTAT

    "Les institutions françaises n’existent plus... l’État est mort !"
    L’invitée de "Politique & Eco", Valérie Bugault, docteur en droit de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, explique pourquoi lÉtat français a disparu avec la première loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 et en quoi elle viole la Constitution de la Vème République. Dès cette date, l’exécutif s’est affranchi des règles institutionnelles françaises au profit d’entreprises mondialisées, en témoigne la réception par Emmanuel Macron du club du Dolder (Big Pharma), en août dernier, présidé par le PDG de Pfizer, Albert Bourla.

    Dans cet état de vide juridique, nous sommes désormais entrés dans une période de transition. Période débouchant le 1er janvier 2022 sur la présidence française de l’UE qui, selon Valérie Bugault, actera une liquidation de l’État français au profit d’une intégration de l’Europe fédérale, antichambre d’un gouvernement mondial. En attendant, Valérie Bugault appelle les Français à prendre conscience de la scission entre l’exécutif et les institutions dans le but d’imposer un projet alternatif. 


    https://youtu.be/sm4DJyZ_R7M

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    LES RAISONS CACHÉES DU DÉSORDRE MONDIAL

    Comment l’idée de démocratie a-t-elle cédé le pas au chaos universel ? Derrière les apparences, qui sont les réels protagonistes de la géopolitique mondiale ? Les Gilets jaunes sont-ils une résurgence du rêve occidental ? Une analyse juridique, institutionnelle, économique et monétaire, qui considère les évolutions historiques nationales et internationales, permet de saisir la réalité cachée du pouvoir actuel. Derrière le pouvoir politique apparent se profile, dans un jeu d’ombres et de lumières, le véritable pouvoir mondial.
    Les États ne sont majoritairement plus des entités autonomes et souveraines mais des coquilles vides, dénuées de légitimité politique. Depuis l’époque des Grandes découvertes et de la fusion, par Oliver Cromwell, des puissances militaire et financière, le « fait politique » a progressivement, partout dans le monde, cédé la place au « fait économique ».
    Les actuelles « démocraties » ne représentent pas les intérêts des populations mais les intérêts de ceux qui financent les campagnes électorales et les « partis ». Les donneurs d’ordre se cachent derrière les pantins politiques et l’anonymat des capitaux pour échapper à toute responsabilité. Les financiers, véritables responsables politiques, imposent ainsi leurs intérêts catégoriels aux populations en toute impunité. Ces grands détenteurs de capitaux opèrent à partir de leur quartier général de la City et répartissent leurs forces dans les paradis fiscaux qui ont fleuri aux quatre coins du monde. Les allégeances actuelles fonctionnent sur le modèle de l’hommage-lige féodal, à la réserve près que ces liens de subordination sont occultes.
    Dans les coulisses, le véritable modèle de nos démocraties modernes est le fonctionnement des mafias, qui contrôlent la Société par les récompenses matérielles et la terreur.

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    Voir aussi
    L’INVENTION DE LA CRISE
    Escroquerie sur un futur en perdition

    http://inventin.lautre.net/linvecris.html#linventiondelacrise
    http://inventin.lautre.net/livres.html#LukasStella

  • DÉFORMATION ET DÉSINFORMATION

    L’évènement de l’actualité se démarque comme la marchandise d’un spot publicitaire, remarquable et extraordinaire, étonnant et détonant. L’évènement suprême est bouleversant et catastrophique, l’infochoc captive et assujettit son spectateur. Les sociétés capitalistes actuelles exploitent un climat de panique qu’elles entretiennent, profitent des traumatismes qu’elles ont produits et des peurs qu’elles ont créées. Les chocs médiatiques, qu’ils soient sociaux, économiques ou politiques, les désastres, qu’ils soient naturels, guerriers ou terroristes, sont utilisés pour pouvoir imposer aux populations des régressions sociales sans précédent, des contrôles et des répressions, ainsi que le pillage sans limites des ressources publiques, le transfert des impôts d’État vers le privé par les intérêts d’une dette créée de toute pièce. Cette « stratégie du choc » permet d’accroître considérablement les inégalités au profit des hyperriches. « La seule façon de justifier de telles mesures était de faire planer la menace d’un effondrement économique. » (95) Ils ont créé une crise générale dans un climat de panique, pour tirer les meilleurs profits du désastre et renforcer l’ordre marchand par tous les moyens. Des armes de destructions massives sont inventées pour justifier un massacre dit chirurgical. On focalise l’attention sur la cigarette pour enfumer les esprits et faire écran à l’intoxication générale due aux multiples pollutions chimiques, et dans la confusion on lance des actes de terreur sous fausses bannières pour instaurer un état d’exception permanent. La catastrophe continuelle est devenue le fonctionnement normal de la société du spectacle, la désintégration s’est fait intégrer.

    Les contenus des médias sont uniformes parce qu’ils partagent les mêmes sources. « Les médias sont en symbiose avec de puissantes sources d’information pour des raisons économiques et du fait d’intérêts partagés. » (96) Certaines sources ont libre accès à tous les médias, tandis que d’autres seront toujours ignorées et systématiquement dénigrées. Les sources proches du gouvernement ou des milieux d’affaires sont d’amblée reconnues crédibles et expertes. Les chargés de communication des lobbys et des transnationales livrent aux médias tout un matériel préparé clé en main, prêt à publier. Ces mensonges qui servent des intérêts privés sont diffusés quotidiennement et font autorité comme des vérités prises pour argent comptant, renforçant l’ordre et la sécurité des marchandises. En disséminant les idées appropriées dans des milliers de médias différents, on peut confiner un débat dans des limites admissibles et conformes aux intérêts des hommes d’affaires.

    Le contrôle des sources s’est renforcé par restriction, comme mécanismes d’influence. La diminution des budgets alloués au journalisme et la concentration des médias ont rendu ces derniers plus dépendants que jamais de ceux qui produisent l’information et subventionnent la presse. « Le capitalisme médiatique crée une “information unique”, “une version mondiale”, où tous les médias, aussi nombreux qu’ils soient, proposent tous le même message. Ce “copier-coller” des dépêches d’agences de presse diffusées dans toutes les rédactions du globe. » (97)

    Les quatre principales agences de presse occidentales, Associated Press (AP), United Press Inter- national (UP), Reuters et l’Agence France Presse (AFP),- représentent plus de 80 % des informations internationales diffusées aujourd’hui dans le monde. Mais seulement 10 % des informations disponibles sont sélectionnées par ces agences internationales, 90 % de l’info ne sera jamais utilisé. Cette bureaucratisation centralisée de l’information est une réelle machine de guerre de désinformation planétaire. L’omission de la plupart des infos crée l’illusion de la réalité. « Ces agences sont des grandes entreprises étroitement liées à d’importants groupes financiers. Il y a aussi les banques qui financent les médias, les corporations qui possèdent ces médias, les entreprises qui ont des actions ou qui alimentent le journal à travers la publicité. » (98)

    Dans le monde médiatique, la diversité n’est pas de mise, il s’agit coûte que coûte de faire preuve de mimétisme, répéter la même histoire, traiter la même affaire au même moment, comme tous les autres. Dans une urgence maladive, chacun se précipite pour couvrir un évènement que d’autres couvrent déjà. Dans cette agitation imitative frénétique se produit un effet boule de neige de contamination, où chacun se persuade de l’importance extrême du sujet traité collectivement. « Le mimétisme entre les médias implique la répétition de la même information. Une information est prise pour la vérité au moment où elle est diffusée par plusieurs sources. » (99) La répétition à grande échelle dans le temps et l’espace, d’une info parcellaire et discutable, la rend instantanément crédible et la transforme mécaniquement en vérité indiscutable.

    Comme l’affirmait déjà l’un des premiers théoriciens et praticiens de la communication sociale, Göbbels, responsable de la propagande nazie sous la dictature d’Hitler, « le plus grand mensonge répété cent fois devient une grande vérité ». La répétition constante d’une information génère de la crédibilité, et d’autant plus si elle passe par une grande quantité et variété de médias. Tous les médias parlent constamment de la même chose. Dans l’univers de la marchandise, la quantité est preuve de qualité. Plus il y a de spectateurs à consommer l’information, plus celle-ci devient réelle, et plus on y croit plus on existe au cœur de son temps. Toujours plus de la même chose diffusée sur tous les supports imprègne les consommateurs exaltés et crée la réalité contemplée.

    « C’est le secret de la propagande : il faut complètement saturer des idées de la propagande la personne que la propagande veut imprégner, sans qu’elle se rende compte un seul instant qu’elle est saturée. La propagande a bien sûr un but, mais il doit être masqué avec tant de perspicacité et d’habileté que celui que le but doit imprégner ne remarque absolument rien. » (100) La propagande masque les intentions réelles de l’autorité pour laquelle elle agit derrière une profusion d’apparences trompeuses.

    L’uniformité paraît naturelle, et la soumission se présente comme une liberté d’expression. Cette pensée unique est toujours conforme aux intérêts du marché, c’est-à-dire du grand capital international, de la haute finance, autrement dit de la haute bourgeoisie. Dans le monde de la marchandise, on ne peut pas penser contre le marché, ou alors clandestinement. Le monde est ainsi représenté, c’est le meilleur système possible, l’expression de la nature humaine. L’économie marchande se présente comme le Dieu universel qu’on ne peut pas blasphémer. Les bien-pensants de la communication célèbrent alors la gloire de l’ordre des choses marchandes enfin établi.

    Lukas Stella, Intoxication mentale, représentation, confusion, aliénation et servitude (extraits), 2018
    http://inventin.lautre.net/livres.html#LukasStella

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    95. Naomi Klein, La stratégie du choc, 2008
    96. Mark Fishman, cité dans La fabrication du consentement de Noam Chomscky, 1988.
    97. Mathilde Clavier, Le Monde Diplomatique et la dégradation de la presse écrite par les faits divers : l’héritage de l’École de Francfort, Les cahiers du journalisme N° 16, 2006.
    98. Escuela Popular de Prosperidad, Manuel de lecture critique de la presse, 2000.
    99. James Curran et Jean Seaton, Power without Responsability, 1981.
    100. Joseph Goebbels, Discours aux directeurs de stations de radio, mars 1933.

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  • LA PRODUCTION DE LA PEUR

    « L’ensemble des informations est déformé et instrumentalisé pour valider toute action de l’État. Leur pandémie nous avertit que tout le monde est l’ennemi ». Contra la contra #4, La pandémie c’est la domestication, 2020

    L’obscurantisme, la peur et la confusion sont les armes dont abuse la propagande totalitaire d’un régime fascisant. Les médias affolent la population, la panique se répand, la terreur fortifie le pouvoir, l’autorité se renforce. Tout le monde a peur de tous les autres. La surveillance, la suspicion, la dénonciation, la délation, l’insécurité mutuelle, le strict respect de la discipline, la soumission à l’autorité et à la répression qu’elle applique pour maintenir son pouvoir de domination, l’angoisse d’une menace présumée, l’isolement supposé protecteur, nous mènent à la décomposition de la vie sociale, la destruction du commun, la désintégration de la société.

    Ainsi tout le monde devient le surveillant de la prison généralisée et informatisée, un espace disciplinaire qui puisse permettre de détecter les intentions des supposés coupables et les suspicions de déviances, afin de faire régner la normalisation totalitaire nécessaire au système d’exploitation marchand.

    Il s’agit de suspecter, de détecter et signaler tout comportement présumé criminel. Chacun devient l’espion, le juge et le bourreau de son voisin. Ici, l’important n’est pas que la délation soit efficace, mais bien de participer au régime policier pour légitimer volontairement la répression permanente de l’État totalitaire. Ce qui se cache derrière cette frousse spectaculaire internationale, c’est la crainte bien réelle des possédants du monde pour leurs sécurité.

    Tous ceux qui portent un autre regard sur la situation que celui officiel sont systématiquement calomniés, licenciés, censurés... Ce n’est qu’une histoire de chiffres indiscutables et jamais ce qu’il représentent dans la situation avec son contexte particulier. L’illusion est dans cette omission permanente.

    Le matraquage répétitif et permanent de la propagande de cette réalité des choses marchandes, déforme nos perceptions et notre compréhension de la situation. Nous ne sommes pas informés, mais « mis en forme ». Tout est normalisé sur le chemin d’accès au monde. La procédure à reproduire est la norme, une soumission au programme à exécuter.

    « Libre à ceux qui souhaitent mourir en paix d’attendre la mort dans le confort conjoint du cercueil et de la télévision, mais nous ne laisserons pas leur gâtisme infester notre volonté de vivre. » Raoul Vaneigem, La renaissance de l’humain est la seule croissance qui nous agrée, avril 2020

    Le virus n’est pas un ennemie envahisseur à combattre et à vaincre, car c’est perdu d’avance. Des virus il y en a partout, on en a des millions dans le corps, ils sont en nous-même et on apprend toujours à vivre avec. Vouloir les combattre c’est se détruire.
Le danger de l’épidémie n’est pas la contagion mais la peur et la psychose mortifère que les médias et les politicards génèrent. Ce n’est pas un problème de vaccins, de prolifération, de gouttelettes, de protection, de distanciation, de confinement, de restriction des libertés, de maintien de l’ordre et de répression, mais bien une question de vitalité, d’environnement propice, de prévention, de médicaments et de qualité des soins dans de bonnes conditions...

    « La crise sanitaire montre jusqu’où l’État obtient notre soumission au nom de la santé » Gille Dauvé. L’urgence sanitaire n’est qu’un prétexte totalitaire à la dictature marchande. Notre santé ne les intéresse que si nos maladies leurs sont profitables.

    Il s’agit maintenant de libérer la médecine de la corruption qui la gangrène, de libérer la recherche scientifique de l’emprise de la finance et de la main mise des trusts pharmaceutiques, d’émanciper la population de la dictature de l’État et de la libérer de l’emprise de la marchandise.

    Méfions-nous du scientisme mercantile ! Ne prenons pas la propagande conformiste de nos ennemis oppresseurs pour des réalités irréfutables. Remettons en cause leur pensée unique, discutons des faits, des démonstrations et des déductions, critiquons leurs évidences lucratives autoritaires...

    Les experts vendus aux trusts ne sont pas crédibles, les tests ne sont pas fiables, les médecins ne sont plus dignes de confiance, les politiques ont perdu tout crédit, la croyance aux médias dégringole, le spectacle s’effrite...

    Pour les gestionnaires du désastre l’épidémie n’est plus qu’un masque de fantôme, agité pour faire peur à ces vieux-enfants bien conformes et beaucoup trop crédules, afin de toucher de gros dessous-de-table et d’instaurer un régime néo-fasciste sous de faux prétextes.

    L’État corrompu impose sa politique d’urgence sanitaire en se basant sur des tests qui ne détectent que des traces et qui produisent un pourcentage de positifs, prévu par le taux de sensibilité programmé. Ils produisent ainsi la peur d’une épidémie imaginaire, afin de pouvoir vendre un maximum de vaccins OGM de leurs amis financiers des labos. Ces milliardaires gagnent des fortunes titanesques par l’exploitation de la croyance, de la crédibilité, produisant ainsi une soumission sans faille d’une partie de la population. Les gens ne sont pas malades du covid, ils sont malades de la peur, des mesures sanitaires du gouvernement, de comorbidité, de l’absence de soin, de la baisse de leurs défenses immunitaires...

    « La logique économique est, comme la discipline militaire, indiscutable. (...) Leur affairisme pue le mouroir et l’agonie. » Raoul Vaneigem, Manifeste 2020

    La fin de ce monde est une nécessité vitale. Quand tout semble sous contrôle, figé, réprimé, il y a toujours une part émergente non assujettie, un no man’s land imprévu où s’auto-organise un brin de vie qui s’est échappé pour ne pas disparaître. Quand la pression des pouvoirs dominants augmente, des fuites apparaissent et se propagent, des débordements dissimulés se répandent là où l’on ne les attendait pas, imprévisibles.

    Lukas Stella, août 2021
    http://inventin.lautre.net/livres.html#LukasStella

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  • À CORPS PERDU

    L’escroquerie de ce temps décompté se précipite, l’espace se restreint aux marchandages et aux spéculations dévastatrices, c’est alors que notre survie s’amenuise dans les restrictions, la misère et la barbarie.

    Le règne de l’exploitation et de sa servitude, des séparations guerrières et des arnaques mafieuses, paraît se réduire aujourd’hui au scénario d’une catastrophe programmée. Quand il n’y a plus d’avenir, on peut alors abandonner les préjugés réducteurs d’un passé révolu. C’est le moment de prendre le pouvoir sur ses propres conditions d’existence au cours de situations incertaines, par des pratiques libertaires en coopérant tous ensemble à l’auto-organisation égalitaire d’une démocratie générale.

    Lukas Stella, l’invention de la crise, escroquerie sur un futur en perdition, 2012.
    http://inventin.lautre.net/livres.html#LukasStella

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  • ÉTAT DU MONDE ET MONDE SANS ÉTAT

    « L’œuvre la plus néfaste du despotisme, c’est de séparer les citoyens, de les isoler les uns les autres, de les amener à la défiance, au mépris réciproques. Personne n’agit plus, parce que personne n’ose plus compter sur son voisin. » Arthur Arnould, communard.

    Au nombre des questions que la morne époque du coronavirus posera aux générations futures, il en est une inévitable en raison du trouble qu’elle sème dans la société, perturbant parfois les relations amicales. 

    « Comment avons-nous toléré qu’une poignée de retardés mentaux, incompétents jusque dans leurs mensonges, nous soumettent à leurs décrets arbitraires, à leurs foucades imbéciles ? Quelle peste émotionnelle s’est emparée de nous et a obtenu — comble de l’absurde — que nous renoncions à vivre pour parer au risque de mourir ? » 

    Dénonçant la sottise dominante, l’intelligence de quelques-uns a fourni d’utiles éclairages. Cependant, à la question de savoir pourquoi l’apeurement avait suscité une telle hystérie de conversion, aucune réponse n’a été apportée. 

    Il faudra bien en convenir tôt ou tard : on meurt du Coronavirus, c’est indéniable, mais on meurt plus sûrement encore de la pollution croissante, des nourritures empoisonnées, des hôpitaux mis à mal par la rentabilité, de la paupérisation accélérée, de l’angoissante précarité, de l’artifice publicitaire comptabilisant tous les décès sous le même label afin d’affoler la tête et le cœur. On meurt de la glaciation des relations affectives, des joies interdites, de l’absence d’humanité et d’entraide si indispensables à la santé. La dictature du morbide règne partout. Elle propage un malaise existentiel, un mal-être d’où naît le sentiment que mieux vaut crever que se traîner dans une vie que l’omniprésence de la marchandise vide de son sens. Comment en serait-il autrement alors que nous sommes la proie d’une machinerie mondiale qui broie la vie pour en extraire du profit ? On a cru bon d’éluder le problème en incriminant une malfaçon ontologique : une imbécillité native de l’homme et de la femme les déterminerait à agir contre eux-mêmes, à aller à l’encontre du bien qu’ils se veulent. Foutaise ! 

    L’entourloupe métaphysique évite de mettre en cause l’apparition et le développement d’une économie hostile à la nature et à la vie, qui marquent la naissance de notre civilisation. Nous avons sous les yeux les ravages qu’entraîna son triomphe : patriarcat, mépris de la femme, société de maîtres et d’esclaves, dénaturation et métamorphose en homo oeconomicus de l’homo sapiens, qui tendait à affiner et à dépasser son animalité. Le capitalisme n’est qu’une forme moderne de l’exploitation de l’homme par l’homme, qui a marqué la rupture avec notre évolution symbiotique initiale, inaugurant le dogme de l’antiphysis ou anti-nature. L’hystérie panique à laquelle nous avons assisté rappelle la thèse de Reich dans Psychologie de masse du fascisme : le blocage caractériel provoque une inversion de la vie en réflexe de mort. 

    Restaurer l’alliance avec la nature n’est pas un problème à dénouer mais un nœud gordien à trancher. Comment l’État pourrait-il mettre un terme au pillage qui épuise la terre et assèche le vivant alors qu’il compte parmi les zélateurs de la pollution ? Faut-il s’employer à briser son emprise ? Beaucoup le pensent. Mais quoi ! Il faut se rendre à l’évidence. L’État n’est plus qu’un rouage de l’économie mondiale qui impose partout ses diktats. Que reste-t-il de la république, de la res publica citoyenne, rongée depuis des décennies par l’affairisme, la corruption des notables, le ridicule du parlementarisme, les mondanités politiques, la guerre des vaccins singeant la concurrence des lessives qui lavent plus blanc, le sanitaire supplanté par le sécuritaire, le confinement et le « fini de rire ! » qui ôtent à l’affectif son apport immunitaire. De sorte que ce n’est plus la fin de l’État qu’il faut envisager, c’est son dépassement – sa conservation et sa négation. Réinventer la res publica, telle sera la tâche des assemblées locales et fédérées expérimentant la démocratie directe, l’auto-organisation ou quelque nom que vous donniez au gouvernement du peuple par le peuple. 

    Nous avons pour alliées les insurrections qui enflamment les régions les plus diverses du monde. Elles annoncent par à coups, sans triomphalisme, avec une résolution inébranlable un gigantesque basculement. Elles sont le fruit d’une prise de conscience qui sensibilise les individus tout à la fois à leur existence appauvrie par la glaciation capitaliste et à une irrépressible volonté de vivre qui les tient debout. 

    C’est à eux qu’il appartient d’abroger les décrets et les décisions du despotisme étatique, considérés comme dérisoires, nuls et non avenus, du point de vue de l’humain. 

    La liberté c’est la vie, vivre c’est être libre. Ce qui seul garantit l’authenticité du propos et lui évite de tourner à la formule creuse, c’est l’expérience vécue de micro-sociétés où le gouvernement du peuple est exercé directement par lui-même. 

    Restaurer la joie de vivre est notre priorité. La poésie faite par toutes et par tous réalise l’union de l’émancipation existentielle et de l’émancipation sociale. Il apparaîtra tôt ou tard que c’est notre arme absolue. 

    Raoul Vaneigem, écrivain et philosophe 
    Kairos 50, août 2021, https://www.kairospresse.be/journal/kairos-50

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  • UN SYSTÈME DE CROYANCES RÉGI PAR LA PEUR

    Sous la dictature économique et son conditionnement publicitaire, la liberté se crée dans un combat quotidien. Ce n’est pas un concept abstrait à l’usage de philosophes, de politiciens ou de publicitaires, mais bien une pratique individuelle et collective égalitaire. C’est la possibilité de pouvoir choisir l’usage de son temps, de la disposition de son corps et de son mental, de l’expression de ses émotions sans contraintes ni entraves.
    Le pouvoir de choisir un pouvoir dominateur autoritaire n’est pas une liberté. Celle-ci nécessite que les conditions d’existence soient consenties par chacun et auto-organisées égalitairement par tous. Personne ne peut imposer sa conception de la liberté sans nier celle des autres. La liberté s’accomplit par la fin de toute domination, l’abolition de l’esclavage du travail et de la mesure des inégalités par l’argent. Elle se réalise par la dissolution de la normalité imposée dans une diversité partagée. Elle ne peut être que générale, pour tous ou pour personne.

    La privation de liberté est l’abus de pouvoir de l’État policier pour maintenir et renforcer l’ordre de sa domination. Elle peut être subie ou acceptée dans une prison, un hôpital psychiatrique ou à domicile. Le confinement consenti est une astreinte collective à rester enfermé, un effort nécessaire, une incarcération volontaire à domicile. Si l’épidémie est grave, elle n’est pas dramatique. La moitié du monde a été confiné pour le Covid-19, incarcéré à domicile, interné la peur au ventre. C’est l’hystérie sécuritaire d’un pouvoir despotique qui est contagieuse et dangereuse. Le conseil scientifique du pouvoir fascisant est corrompu et pas crédible. Sous de faux prétextes, par les mesures coercitives d’un état d’urgence, on nous prive de nos libertés, pendant que la pensée unique médiatisée produit des crédules bien soumis. Le conditionnement mental est entretenu par une psychose permanente, et la soumission par l’instauration d’un climat de peur et de panique.

    Le confinement isole, sépare et déshumanise dans l’aliénation d’une survie de misère. Le rapport aux autres est devenu virtuel. Les prothèses technologiques ont remplacé les relations humaines. À ce qui était directement vécu s’est substituée une représentation numérique dans une mise en scène spectaculaire des rapports marchands. Et les manifs virtuelles au balcon n’expriment qu’un simulacre de révolte, des faux semblants qui affirment une résignation aux mensonges officiels de l’État policier. Dans les réseaux sociaux, il n’y a de communautaire que l’illusion d’être ensemble. La fausse communication fait de chacun le flic des relations aux autres dans un isolement bien réel. Les personnes-objets ne sont plus que des marchandises connectés virtuellement.

    Les médias et les politiques ont piqué leurs crises de nerfs hypochondriaques. La peur irraisonnée de la maladie et de l’autre présumé contagieux fait accepter les contraintes et la privation de liberté, la psychose fait endurer un peu près n’importe quoi, se résigner à subir la dictature et se soumettre à l’ordre sécuritaire. L’autre n’est plus qu’un ennemi contaminant qu’on maintient à distance, par des gestes barrière, nous plaçant ainsi dans un isolement sécuritaire autogéré. Et si l’autorégulation ne suffit pas, une discipline sécuritaire infantilisante nous rappelle violemment à l’ordre par la répression et l’obligation de payer une amende. Le confinement général, accompagné de l’absence de dépistage à grande échelle au plus tôt, et de l’absence de traitement par médicament, a prouvé son inefficacité, sa dangerosité par la psychose malsaine qu’il entretient. Toutes les lourdes menaces épidémiques répandues par les médias et les politiques se sont toujours avérées après coup, exagérées, fausses et mensongères.
    Mettre en perspective les chiffres morbides relatifs au développement de l’épidémie, dont nous bombardent quotidiennement les médias, en les replaçant dans un contexte élargi dans le temps et l’espace, peut permettre, par comparaison, de les relativiser et de dédramatiser les prévisions désastreuses et anxiogènes diffusées de partout. L’analyse critique et la réflexion situationnelle sont les seules échappatoires à cette propagande catastrophique qui répand dangereusement la crainte, la frayeur, l’angoisse et l’affolement.

    Les modélisations prédictives des biostatisticiens font office de dogme, justifiant la terreur et son état de guerre, permettant d’instaurer rapidement un régime totalitaire. L’acceptation de la contrainte exprime l’espérance d’une libération future, la pénitence devient rédemption, et la croyance en ce devenir une évidence avérée, une religion scientiste. C’est une conviction proche de la foi, construite sur une prédiction probabiliste qui s’impose comme une dévotion fanatique indispensable à une résurrection salvatrice.
    Une fois que la dramatisation a été crue, et le prétexte accepté, tous les gens de pouvoir se sont précipités pour utiliser cette aubaine et en profiter au maximum, que ce soit des États, des trusts ou des spéculateurs.
    La dette des États, gonflée par la Banque Centrale Européenne, sert à payer les entreprises et les financiers, et sert aussi de justification aux politiques d’austérité, qui ont déjà broyé nos services publics, nos systèmes de santé, nos droits, nos conditions de travail, nos congés... La création monétaire de milliers de milliards pour combler les dettes des entreprises, des actionnaires et des financiers, dévalue l’argent par une augmentation des prix et la résurgence d’une inflation tenace. En payant plus cher les marchandises, on paie une sorte de taxe au pouvoir pour rembourser cette dette, et ce racket général peut proliférer grace aux politiques antisociales. Sous prétexte de l’état d’urgence sanitaire, des mesures sont mises en place pour la surveillance généralisée, le tout sécuritaire faisant infuser dans les esprits la peur, le repli sur soi, la culpabilité et la stigmatisation. La récession économique produit une régression sociale avec une augmentation considérable du chômage et de la misère. Cette insécurité sociale justifie le durcissement de la dictature économique et de la tyrannie technologique.

    Le spectacle médiatique génère en permanence un vent de panique pour faire accepter l’escroquerie de la crise financière qui a surfé sur l’épidémie. La crise est la norme. La panique des uns fait le bonheur des autres. Le capitalisme n’est pas affaibli par la crise, passer d’une crise à l’autre est son fonctionnement normal. Le krach est un outil financier. La crise est déclenchée par les spéculateurs les plus avisés pour accélérer et accroître énormément et rapidement leurs profits sur le dos des plus petits qui ne l’ont pas vu venir.
    Cette crise était annoncée de longue date, les spéculateurs milliardaires ont utilisé le coronavirus pour mieux la déclencher et en tirer les meilleurs profits, quitte à ébranler l’équilibre général. L’économie et la production représentent moins de 10 % des richesses, les 90 % restant traficotent dans les sphères de la haute finance, dans des bulles financières spéculatives, qui rapportent bien plus que l’économie réelle pour ceux qui en ont les moyens et savent y faire. Si l’économie s’en retrouve affaiblie, c’est pour mieux faire payer les populations. Quand certains perdent, d’autres gagnent, rien ne se perd, la circulation de l’argent s’accélère considérablement pour un moment seulement.
    La démocratie est suspendue, la dictature établie, la loi martiale imposée. Le couvre-feu permanent est accompagné d’autorisations spéciales de sortie, instaurant le contrôle généralisé de la vie quotidienne. Il fallait écraser la rébellion qui se répandait et s’installait dans la durée. Ils devaient utiliser les grands moyens pour faire taire cette contestation mondiale, dans une période d’instabilité pour éviter l’effondrement des pouvoirs dominants et préserver les privilèges des hyperriches. L’autorité de l’État policier est renforcée afin d’achever le grand pillage des biens publics, et de parfaire l’arnaque de la crise financière que les populations encore plus appauvries devront payer, en se soumettant à leur misère soudainement accrue.

    Au cours de cette survie anxiogène sans devenir, les situations stressantes habituelles activent dans le cerveau des comportements réflexes de protection, d’adaptation et de soumission qui empêchent de réfléchir et de comprendre les situations subies. L’intoxication mentale des médias de masse se répand sans être vue, elle contamine l’air de rien. Notre exposition permanente à des produits ou des informations toxiques produit une accumulation de toxines persistantes dans notre organisme jusqu’à saturation. Nous sommes sous perfusion directe, dans notre corps et notre mental, empoisonnés de toute part en quantité infinitésimale et constante sur le très long terme. L’habituelle accoutumance nous est imperceptible, mais la dépendance bien réelle qu’elle entraîne produit une addiction durable maladive.
    La libre exploitation de la vie est inhérente au fonctionnement du capitalisme, la pollution dévastatrice qui en découle détruit l’humanité. Le pouvoir destructeur de la production marchande n’a plus d’entrave dès lors qu’il est économiquement nécessaire aux affaires juteuses de quelques multimilliardaires. La marchandisation s’est étendue à la globalité du monde, ses nuisances n’ont comme limites que l’écroulement général.
    Pour ne pas sombrer avec un monde en perdition, il est important maintenant de comprendre que notre intelligence cognitive est polluée par toutes sortes de toxines, et se retrouve, sans qu’on s’en aperçoive, conditionnée et diminuée. Notre appréhension du monde devient confuse et obscure, et notre aptitude à nous l’approprier réellement aliénée.

    Nous sommes séparés du monde sur lequel nous n’avons plus de prise. Cette réalité séparée nous échappe. On nous fait croire que chaque chose a sa place, qu’il ne faut pas tout mélanger et que cette dissociation favorise l’étude scientifique qui permet de différencier le vrai du faux. L’ignorance volontaire de la compréhension de l’ensemble, compartimente la pensée et limite la réflexion à des oppositions contradictoires bien cloisonnées, réduit l’intelligence à une soumission maladive, à une accumulation de vérités préfabriquées séparées, intransigeantes et autoritaires. La compréhension globale pertinente est diminuée et aliénée par les omissions, la focalisation, le cadrage, les séparations, la dissection, la décomposition. Tout est bien rangé dans des cases et n’est qu’affaire de spécialistes experts. La bonne convenance en vigueur impose une totale soumission à la conformité admise.
    Tout ce qui était structurellement relié est tranché dans le vif, disséqué, isolé puis bien séparé. Cette conception qui détruit la cohérence de la vie est pathologique. Nous sommes coupés mentalement de notre nature vivante par cette doctrine réductrice dominante. Étrangers à nous-mêmes, nous sommes étrangers aux autres et à notre monde qui devient un environnement extérieur, un objet à maîtriser, une marchandise à optimiser pour les affaires. Cette réalité objective prédéfinie, composée d’objets de commerce, se présente comme une évidence à laquelle on doit impérativement se soumettre, une fatalité.
    L’expérience de l’existence se limite à la consommation de ses représentations. L’absence d’expérimentation vécue fabrique un monde abstrait d’objets désincarnés. Dans une réalité dominée par les objets, se confondent dans la confusion, la perception d’un fait et son interprétation, l’observation et l’idée qu’on s’en fait, la description et son commentaire, l’expérience directement vécue et des jeux d’apparences préfabriqués. Notre vision du monde est troublée, détériorée, dénaturée et falsifiée par cette manière de voir, réelle toxine mentale qui nous empoisonne la vie.
    Pour nous émanciper de ce conditionnement uniformisé, nous devons expérimenter des pratiques personnelles situationnelles, d’où émerge une compréhension dont le sens dépend du contexte et du cours des événements. On peut ainsi commencer à comprendre les transformations des processus de la vie, dans le cours de leur histoire propre. Pour éviter de se faire enfermer et figer dans des vérités obtuses et autoritaires à prétention universelle, il nous faut partir de points de vue plus larges qui facilitent le partage de communications sur nos propres communications dans l’émergence d’une coopération collective égalitaire, indispensable au renversement de l’ordre des choses marchandes.

    L’information répandue par la presse, soumise aux directives de ses actionnaires a été mise sous la tutelle de quelques trusts médiatiques. L’opinion uniformisée est aujourd’hui manipulée et programmée dans la mise en scène de sa représentation. Le pouvoir illimité des agences de presse internationale permet la centralisation, le contrôle et la censure des infos mondialisées. La focalisation simultanée des mass-médias révèle et dissimule cette censure à la base de la construction de toute information déformante. Les faits sont récupérés, détournés dans un point de vue conforme aux intérêts des affairistes milliardaires, puis transformés en actualités événementielles, vision contemplative du désastre présentées en drames obsessionnels, qui servent prétexte au développement de politiques liberticides et antisociales. Ces grands organes de presse mettent la pression sur notre mental en organisant et conditionnant la vision et l’entendement de la réalité d’un monde en perpétuelle représentation.
    Le réel est ce qui est visible, ce qui n’apparaît pas n’existe pas. Tout ce qui sort du cadre, ce qui est hors champ n’a pas de réalité. Ce qui est derrière l’objectif n’a pas d’apparence, et est effacé. Cette omission forme l’angle mort du contexte dans l’observation restreinte d’une vision bornée, obtuse et étriquée. En changeant de point de vue, en recadrant plus large avec un contexte plus étendu, on change le sens accordé à la situation, ce qui en modifie la compréhension en l’enrichissant dans une dimension plus globale.
    Mais dans le monde des apparences, les convictions sont prises pour des vérités, des principes dogmatiques que l’on croit naturels. La vérité n’est qu’une croyance arrogante qui méprise les autres considéré comme étant fatalement dans l’ignorance et l’erreur. Ce qui est pris pour la vérité n’est qu’une approximation partielle prétentieuse. Ce n’est que l’illusion mégalomane de la perfection qui ne peut que s’imposer autoritairement comme le seul point de vue possible, la seule réalité. Ce n’est qu’une conception de l’esprit de l’observateur, à un moment de son histoire, qui ignore les autres, en les niant comme individus libres et égaux.
    Pour nous enrichir et nous accomplir nous pouvons affiner nos différences ensemble par une coopération égalitaire, en partageant, comparant et confrontant nos observations, nos réflexions et nos compréhensions du moment. Le réel se concrétise dans le monde que nous habitons en le vivant, en prenant les dimensions de notre cohabition avec les autres. L’accomplissement personnel se vit dans cette mise en commun qui construit nos existences. Nos dérives spontanées engendrent notre devenir dans le cours des hasards partagés.

    Lukas Stella, Double monde,
    Confinement en confusion, démence sous air conditionné, 2020
    (Extrait)
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  • L’ANARCHISME DANS LA RÉVOLUTION RUSSE
    Daniel Guérin, 1965

    L’anarchisme, après avoir trouvé un deuxième souffle dans le syndicalisme révolutionnaire, en puisa un troisième dans la Révolution russe. Cette affirmation peut, au premier abord, surprendre le lecteur, habitué à considérer la grande mutation révolutionnaire d’Octobre 1917 comme l’œuvre et comme l’apanage des seuls bolcheviks. En réalité, la Révolution russe fut un vaste mouvement de masses, une vague de fond populaire qui dépassa et submergea les formations idéologiques. Elle n’appartint à personne, sinon au peuple. Dans la mesure où elle fut une authentique révolution, impulsée de bas en haut, produisant spontanément des organes de démocratie directe, elle présenta toutes les caractéristiques d’une révolution sociale à tendances libertaires. Toutefois la faiblesse relative des anarchistes russes les empêcha d’exploiter des situations exceptionnellement favorables au triomphe de leurs idées.
    La Révolution fut finalement confisquée et dénaturée par la maîtrise, diront les uns, l’astuce, diront les autres, de l’équipe de révolutionnaires professionnels groupée autour de Lénine. Mais cette défaite, à la fois de l’anarchisme et de l’authentique révolution populaire, ne fut pas entièrement stérile pour l’idée libertaire. Tout d’abord, l’appropriation collective des moyens de production ne fut pas remise en cause et le terrain ainsi sauvegardé sur lequel, un jour peut-être, le socialisme par en bas prévaudra sur l’encasernement étatique ; ensuite, l’expérience de l’U.R.S.S. fournit l’occasion à un certain nombre d’anarchistes russes et non russes de tirer les leçons complexes d’un temporaire échec — leçons dont Lénine lui-même semblait prendre conscience à la veille de mourir —, de repenser, à ce propos, les problèmes d’ensemble de la révolution et de l’anarchisme. En un mot, selon l’expression de Kropotkine, reprise par Voline, elle leur enseigna, si besoin était, comment il ne faut pas faire une révolution. Loin de prouver l’impraticabilité du socialisme libertaire, l’expérience soviétique, dans une large mesure, a confirmé, au contraire, la justesse prophétique des vues exprimées par les fondateurs de l’anarchisme et, notamment, de leur critique du socialisme « autoritaire ».

    UNE RÉVOLUTION LIBERTAIRE

    Le point de départ de la Révolution de 1917 avait été celle de 1905, au cours de laquelle avaient surgi des organes révolutionnaires d’un type nouveau : les soviets. Ils étaient nés dans les usines de Saint-Pétersbourg au cours d’une grève générale spontanée. Vu l’absence à peu près complète d’un mouvement syndical et d’une tradition syndicaliste, ils avaient comblé un vide en coordonnant la lutte des usines en grève. L’anarchiste Voline fut du petit groupe qui, en liaison étroite avec les ouvriers et sur leur suggestion, eut l’idée de créer le premier soviet. Son témoignage rejoint celui de Trotsky qui, quelques mois plus tard, devait devenir le président du Soviet, et qui sans aucune intention péjorative, bien au contraire, écrit, dans son témoignage sur 1905 : « L’activité du soviet signifiait l’organisation de l’anarchie. Son existence et son développement ultérieurs marquaient une consolidation de l’anarchie ».
    Cette expérience s’était gravée pour toujours dans la conscience ouvrière et, quand éclata la Révolution de Février 1917, les dirigeants révolutionnaires n’eurent rien à inventer. Les ouvriers s’emparèrent spontanément des usines. Les soviets resurgirent d’eux-mêmes. Une nouvelle fois, ils prirent à l’improviste les professionnels de la Révolution. De l’aveu même de Lénine, les masses ouvrières et paysannes étaient « cent fois plus à gauche » que les bolcheviks. Le prestige des soviets était tel que l’insurrection d’Octobre ne put être déclenchée qu’au nom et à l’appel de ces derniers.
    Mais, en dépit de leur élan, ils manquaient d’homogénéité, d’expérience révolutionnaire, de préparation idéologique. Ils étaient, de ce fait, la proie facile de partis politiques aux conceptions révolutionnaires vacillantes. Bien qu’organisation minoritaire, le parti bolchevique était la seule force révolutionnaire réellement organisée, et qui savait où elle allait. Il n’avait guère de rivaux à l’extrême-gauche, ni sur le plan politique, ni sur le plan syndical. Il disposait de cadres de premier ordre. Il déploya, comme l’admet Voline, « une activité farouche, fébrile, foudroyante ».
    Cependant l’appareil du Parti — dont Staline était encore à cette époque, un des obscurs fleurons — avait toujours regardé avec une certaine méfiance les soviets, concurrence gênante. Au lendemain de la prise du pouvoir, la tendance spontanée et irrésistible à la socialisation de la production fut d’abord canalisée par le moyen du contrôle ouvrier. Le décret du 14 novembre 1917 légalisa l’ingérence des travailleurs dans la gestion des entreprises, dans le calcul du prix de revient, abolit le secret commercial, obligea les patrons à exhiber leur correspondance et leurs comptes. « Les intentions des dirigeants de la Révolution, rapporte Victor Serge, n’étaient pas d’aller au-delà. » En avril 1918, ils envisageaient encore (...) la constitution de sociétés mixtes par actions, auxquelles eût participé, avec l’État soviétique, le capital russe et étranger ».
    « L’initiative des mesures expropriatrices partit des masses et non du pouvoir. »
    Dès le 20 octobre 1917, au premier congrès des conseils d’usine, fut présentée une motion, d’inspiration anarchiste, qui demandait : « Le contrôle de la production et les commissions de contrôle ne doivent pas être seulement des commissions de vérification, mais (...) les cellules de l’avenir qui, dès maintenant, préparent le transfert de la production aux mains des ouvriers. » « Au lendemain de la Révolution d’Octobre, observe A. Pankratova, ces tendances anarchistes s’affirmèrent avec d’autant plus de facilité et de succès que les capitalistes opposèrent la plus vive résistance à l’application du décret sur le contrôle ouvrier et continuèrent à refuser l’ingérence des travailleurs dans la production. »
    Le contrôle ouvrier, en effet, se révéla vite une demi-mesure, inopérante et boiteuse. Les employeurs sabotaient, dissimulaient leurs stocks, soustrayaient l’outillage, provoquaient ou lock-outaient les ouvriers ; parfois ils se servaient des comités d’usine comme de simples agents ou auxiliaires de la direction, ou bien même ils croyaient profitable d’essayer de se faire nationaliser. Les ouvriers répondirent à ces manœuvres en s’emparant de l’usine et en la remettant en marche pour leur propre compte. « Nous n’écarterons pas nous-mêmes les industriels », disaient les ouvriers dans leurs motions, « mais nous prendrons en main la production s’ils ne veulent pas assurer le fonctionnement des fabriques. » Pankratova ajoute que, dans cette première période de socialisation « chaotique » et « primitive », les conseils d’usine « prenaient fréquemment la direction des usines dont les propriétaires avaient été éliminés ou avaient pris la fuite ».
    Très vite le contrôle ouvrier dut s’effacer devant la socialisation. Lénine violenta littéralement ses lieutenants timorés en les jetant dans le « creuset de la vivante création populaire », en les obligeant à parler un langage authentiquement libertaire. La base de la reconstruction révolutionnaire devait être l’autogestion ouvrière. Elle seule pouvait susciter dans les masses un enthousiasme révolutionnaire tel que l’impossible deviendrait possible. Lorsque le dernier manœuvre, lorsque n’importe quel sans-travail, quelle cuisinière, verrait les usines, la terre, l’administration confiées aux associations d’ouvriers, d’employés, de fonctionnaires, de paysans, aux comités démocratiques du ravitaillement, etc., créés spontanément par le peuple, « quand les pauvres gens verront et sentiront cela, aucune force ne sera en état de vaincre la révolution sociale ». L’avenir s’ouvrait à une république du type de la Commune de 1871, à une république des soviets.
    « Afin de frapper l’esprit des masses, raconte Voline, gagner leur confiance et leurs sympathies, le parti bolchevique lança (...) des mots d’ordre qui, jusqu’alors, caractérisaient (...) l’anarchisme. » Tout le pouvoir aux soviets, ce slogan, les masses, intuitivement, le comprirent dans le sens libertaire. « Les travailleurs, témoigne Archinoff, interprétèrent l’idée du pouvoir soviétique comme celle de leur libre disposition d’eux- mêmes, socialement et économiquement. » Au IIIe congrès des soviets (au début de 1818) Lénine lança : « Les idées anarchistes revêtent maintenant des formes vivantes », et, peu après, au VIIe congrès du Parti (6-8 mars), il fit adopter des thèses où il était question, entre autres, de socialisation de la production administrée par les organisations ouvrières (syndicats, comités d’usines, etc.), d’abolition des fonctionnaires de métier, de la police et de l’armée, d’égalité des salaires et traitements, de participation de tous les membres des soviets à la gestion et à l’administration de l’État, de suppression complète progressive dudit État et du signe monétaire. Au congrès des Syndicats (printemps 1918), Lénine décrivit les usines comme des « communes se gouvernant elles-mêmes de producteurs et de consommateurs ». L’anarcho-syndicaliste Maximoff va jusqu’à soutenir : « Les bolcheviks avaient abandonné non seulement la théorie du dépérissement graduel de l’État, mais l’idéologie marxiste dans son ensemble. Ils étaient devenus des sortes d’anarchistes. »

    UNE RÉVOLUTION « AUTORITAIRE »

    Mais l’alignement audacieux sur l’instinct et sur la température révolutionnaire des masses, s’il réussit à donner aux bolcheviks la direction de la Révolution, ne correspondait pas à leur idéologie traditionnelle ni à leurs intentions véritables. De longue date, ils étaient des « autoritaires », férus des notions d’État, de dictature, de centralisation, de parti dirigeant, de gestion de l’économie par en haut, toutes choses en contradiction flagrante avec une conception réellement libertaire de la démocratie soviétique.
    L’État et la Révolution, écrit à la veille de l’insurrection d’Octobre, est un miroir où se reflète l’ambivalence de la pensée de Lénine. Certaines pages en pourraient être signées d’un libertaire et, comme on l’a vu plus haut, hommage y est rendu, au moins partiellement, aux anarchistes. Mais cet appel à la révolution par en bas se double d’un plaidoyer en faveur de la révolution par en haut. Les conceptions étatiques, centralisatrices, hiérarchiques ne prennent pas la forme d’arrière-pensées, plus ou moins dissimulées ; elles sont, au contraire, franchement étalées : l’État survivra à la conquête du pouvoir par le prolétariat, il ne dépérira qu’après une période transitoire. Combien de temps durera ce purgatoire ? Il ne nous est pas celé — on nous le dit sans regret, mais bien plutôt avec soulagement — que le processus sera « lent », de « longue durée ». Ce que la Révolution enfantera sera, sous l’apparence du pouvoir des soviets, l’« État prolétarien » ou « dictature du prolétariat », « l’État bourgeois sans bourgeoisie », lâche même l’auteur, quand il consent à aller au fond de sa pensée. Cet État omnivore a bien l’intention de tout absorber.
    Lénine se met à l’école de son contemporain, le capitalisme d’État allemand, la Kriegswirtschaft (économie de guerre). L’organisation de la grande industrie moderne par le capitalisme, avec sa « discipline de fer », est un autre de ses modèles. Il se pâme, notamment devant un monopole d’État tel que les P.T.T. et il s’écrie : « Quel mécanisme admirablement perfectionné ! Toute la vie économique organisée comme la Poste, (...) voilà l’État, voilà la base économique qu’il nous faut. » Vouloir se passer d’« autorité » et de « subordination », ce sont là des « rêves anarchistes », tranche-t-il. Tout à l’heure il s’échauffait à l’idée de confier aux associations ouvrières, à l’autogestion, la production et l’échange. Mais il y avait maldonne. Il ne cache pas sa recette magique : tous les citoyens devenus « les employés et les ouvriers d’un seul trust universel d’État », toute la société convertie en « un grand bureau et une grande fabrique ». Les soviets, bien sûr, mais placés sous la coupe du parti ouvrier, d’un parti dont c’est la tâche historique de « diriger » le prolétariat.
    Les plus lucides des anarchistes russes ne s’y trompèrent pas. A l’apogée de la période libertaire de Lénine, ils adjuraient déjà les travailleurs d’être sur leurs gardes :dans leur journal, Golos Truda (La Voix du Travail), on pouvait lire, dès les derniers mois de 1917 et le début de 1918, sous la plume de Voline, ces avertissements prophétiques : « Une fois leur pouvoir consolidé et légalisé, les bolcheviks — qui sont des socialistes, politiciens et étatistes, c’est-à-dire des hommes d’action centralistes et autoritaires — commenceront à arranger la vie du pays et du peuple avec des moyens gouvernementaux et dictatoriaux imposés par le centre (...). Vos soviets (...) deviendront peu à peu de simples organes exécutifs de la volonté du gouvernement central (...). On assistera à la mise en place d’un appareil autoritaire politique et étatique, qui agira par en haut et se mettra à écraser tout avec sa poigne de fer (...) Malheur à celui qui ne sera pas d’accord avec le pouvoir central. » « Tout le pouvoir aux Soviets deviendra, en fait, l’autorité des leaders du Parti. »
    Les tendances de plus en plus anarchisantes des masses obligeaient Lénine, toujours selon Voline, à s’écarter pour un temps de l’ancien chemin. Il ne laissait subsister l’État, l’autorité, la dictature que pour une heure, pour une toute petite minute. Et, après, ce serait « l’anarchisme ». « Mais, grands dieux, ne prévoyez- vous pas (...) ce que dira le citoyen Lénine lorsque le pouvoir actuel sera consolidé et qu’il deviendra possible de ne plus prêter l’oreille à la voix des masses ? » Il reviendra alors aux vieux sentiers battus. Il créera un « État marxiste », du type le plus accompli.
    Bien entendu, il serait hasardeux de soutenir que Lénine et son équipe tendirent consciemment un piège aux masses. Il y avait moins duplicité en eux que dualisme doctrinal. La contradiction était si évidente, si flagrante entre les deux pôles de leur pensée qu’il était à prévoir qu’elle ne tarderait pas à éclater dans les faits. Ou bien la pression anarchisante des masses obligerait les bolcheviks à oublier le versant autoritaire de leurs conceptions, ou, au contraire, la consolidation de leur pouvoir, en même temps que l’essoufflement de la révolution populaire, les amèneraient à ranger au magasin des accessoires leurs velléités anarchisantes.
    Un élément nouveau intervint, qui bouleversa les données du problème : les terribles circonstances de la guerre civile et de l’intervention étrangère, la désorganisation des transports, la pénurie de techniciens. Elles poussèrent les dirigeants bolcheviques à des mesures d’exception, à la dictature, à la centralisation, au recours à la « poigne de fer ». Mais les anarchistes contestèrent que ces difficultés eussent seulement des causes « objectives » et extérieures à la Révolution. Pour une part, elles étaient dues, à leur avis, à la logique interne des conceptions autoritaires du bolchevisme, à l’impuissance d’un pouvoir bureaucratisé et centralisé à l’excès. Selon Voline, c’était, entre autres, l’incompétence de l’État, sa prétention à vouloir tout diriger et contrôler qui le rendirent incapable de réorganiser la vie économique du pays et le conduisirent à une véritable « débâcle », marquée par la paralysie de l’activité industrielle, la ruine de l’agriculture, la destruction de tous liens entre les diverses branches de l’économie.
    Voline raconte, par exemple, que l’ancienne usine de pétrole Nobel, à Petrograd, ayant été abandonnée par ses propriétaires, ses quatre mille ouvriers décidèrent de la faire marcher collectivement. Ils s’adressèrent en vain au gouvernement bolchevique. Ils tentèrent alors de faire rouler l’entreprise par leurs propres moyens. Ils s’étaient répartis en groupes mobiles qui s’efforcèrent de trouver du combustible, des matières premières, des débouchés, des moyens de transport. Au sujet de ces derniers, ils avaient déjà entamé des pourparlers avec leurs camarades cheminots. Le gouvernement se fâcha. Responsable devant l’ensemble du pays il ne pouvait admettre que chaque usine agît à sa guise. S’obstinant, le conseil ouvrier convoqua une assemblée générale des travailleurs. Le commissaire du peuple au Travail se dérangea en personne pour mettre en garde les ouvriers contre « un acte d’indiscipline grave ». Il fustigea leur attitude « anarchiste et égoïste ». Il les menaça de licenciement sans indemnité. Les travailleurs rétorquèrent qu’ils ne sollicitaient aucun privilège : le gouvernement n’avait qu’à laisser les ouvriers et les paysans agir de la même façon dans tout le pays. En vain. Le gouvernement maintint son point de vue, et l’usine fut fermée.
    Le témoignage de Voline est corroboré par celui d’une communiste : Alexandra Kollontaï. Elle devait se plaindre, en 1921, de ce que d’innombrables exemples d’initiatives ouvrières eussent sombré dans la paperasserie et de stériles palabres administratives : « Combien d’amertume parmi les ouvriers (...) quand ils voient et savent [ce] que, si on leur avait donné le droit et la possibilité d’agir, ils auraient pu réaliser eux- mêmes (...) L’initiative s’affaiblit, le désir d’agir meurt. »
    Le pouvoir des soviets ne dura, en fait, que quelques mois, d’octobre 1917 au printemps de 1918. Très vite les conseils d’usine furent dépouillés de leurs attributions. Le prétexte invoqué fut que l’autogestion ne tenait pas compte des besoins « rationnels » de l’économie, qu’elle entretenait un égoïsme d’entreprises se faisant l’une à l’autre concurrence, se disputant de maigres ressources, voulant à tout prix survivre, bien que d’autres usines fussent plus importantes « pour l’État » et mieux équipées. En un mot, l’on aboutissait, selon les termes d’A. Pankratova, à une fragmentation de l’économie en « fédérations autonomes de producteurs du type rêvé par les anarchistes ». Sans aucun doute, la naissante autogestion ouvrière n’était pas sans reproche. Elle avait cherché péniblement, à tâtons, à créer de nouvelles formes de production qui n’avaient eu aucun précédent dans l’histoire humaine. Il lui était arrivé, certes, de se tromper, de faire fausse route. C’était le tribut de l’apprentissage. Comme le soutenait Kollontaï, le communisme ne pouvait naître que dans un processus de recherches pratiques, avec des erreurs peut-être, mais à partir des forces créatrices de la classe ouvrière elle-même ».
    Tel n’était pas le point de vue des dirigeants du Parti. Ils étaient trop heureux de reprendre aux comités d’usine les pouvoirs que, dans leur for intérieur, ils ne s’étaient que résignés à leur abandonner. Lénine, dès 1918, marquait ses préférences pour la « volonté d’un seul » dans la gestion des entreprises. Les travailleurs devaient obéir « inconditionnellement » à la volonté unique des dirigeants du processus de travail. Tous les chefs bolcheviques, nous dit Kollontaï, étaient « méfiants à l’égard des capacités créatrices des collectivités ouvrières ». Au surplus l’administration était envahie par de nombreux éléments petits-bourgeois, résidus de l’ancien capitalisme russe, qui s’étaient adaptés un peu trop vite aux institutions soviétiques, s’étaient fait attribuer des postes responsables dans les divers commissariats et entendaient que la gestion économique fût confiée, non aux organisations ouvrières, mais à eux-mêmes.
    On assista à l’immixtion croissante de la bureaucratie étatique dans l’économie. Dès le 5 décembre 1917, l’industrie fut coiffée par un Conseil Supérieur de l’Économie, chargé de coordonner autoritairement l’action de tous les organes de la production. Le congrès des Conseils de l’Économie (26 mai-4 juin 1918) décida la formation de directions d’entreprise dont les deux tiers des membres seraient nommés par les conseils régionaux ou le Conseil Supérieur de l’Économie et le troisième tiers seulement élu sur place par les ouvriers. Le décret du 28 mai 1918 étendit la collectivisation à l’ensemble de l’industrie, mais, du même coup, transforma les socialisations spontanées des premiers mois de la Révolution en nationalisations. C’était le Conseil Supérieur de l’Économie qui était chargé d’organiser l’administration des entreprises nationalisées.
    Les directeurs et cadres techniques demeuraient en fonctions, en tant qu’appointés de l’État. Au IIe congrès du Conseil Supérieur de l’Économie, à la fin de 1918, les conseils d’usine furent vertement tancés par le rapporteur pour diriger pratiquement l’usine, au lieu et place du conseil d’administration.
    Des élections aux comités d’usine continuèrent, pour la façade, à avoir lieu, mais un membre de la cellule communiste donnait lecture d’une liste de candidats fabriquée à l’avance et l’on procédait au vote à main levée, en présence des « gardes communistes », armés, de l’entreprise. Quiconque se déclarait contre les candidats proposés se voyait infliger des sanctions économiques (déclassement de salaires, etc.). Comme l’expose Archinoff, il n’y eut plus qu’un seul maître omniprésent, l’État. Les rapports entre les ouvriers et ce nouveau patron redevinrent ceux qui avaient existé entre le travail et le capital. Le salariat fut restauré, à la seule différence qu’il prenait désormais le caractère d’un devoir envers l’État.
    Les soviets n’eurent plus qu’une fonction nominale. Ils furent transformés en institutions de pouvoir gouvernemental. « Vous devez devenir les cellules étatiques de base » déclara Lénine, le 27 juin 1918, au congrès des conseils d’usine. Ils furent réduits, selon les termes de Voline, au rôle d’« organes purement administratifs et exécutifs, chargés de petites besognes locales sans importance, entièrement soumis aux “directives” des autorités centrales : gouvernement et organes dirigeants du Parti ». Ils n’eurent même plus « l’ombre d’un pouvoir ». Au IIIe congrès des syndicats (avril 1920), le rapporteur, Lozovsky, avoua : « Nous avons renoncé aux vieilles méthodes de contrôle ouvrier et nous n’en avons gardé que le principe étatique. » Désormais ce « contrôle » était exercé par un organisme de l’État : l’Inspection ouvrière et paysanne.
    Les fédération d’industrie, de structure centraliste, avaient, d’abord, servi aux bolcheviks à encadrer et à subordonner les conseils d’usine, fédéralistes et libertaires par nature. Dès le 1er avril 1918, la fusion entre les deux types d’organisation était un fait accompli. Désormais les syndicats, surveillés par le parti, jouèrent un rôle disciplinaire. Celui des métallurgistes de Petrograd interdit les « initiatives désorganisatrices » des conseils d’usine et blâma leurs tendances des plus dangereuses à faire passer aux mains des travailleurs telle ou telle entreprise. C’était là, disait-on, imiter de la pire façon les coopératives de production « dont l’idée avait, depuis longtemps, fait faillite et qui ne manqueraient pas de se transformer en entreprises capitalistes ».
    « Toute entreprise laissée à l’abandon ou sabotée par un industriel, dont la production était nécessaire à l’économie nationale, devait être placée sous la gestion de l’État. Il était « inadmissible » que les travailleurs prissent en main des entreprises sans l’approbation de l’appareil syndical.
    Après cette première opération d’encadrement, les syndicats ouvriers furent, à leur tour, domestiqués, dépouillés de toute autonomie, épurés, leurs congrès différés, leurs membres arrêtés, leurs organisations dissoutes ou fusionnées en unités plus larges. Au terme de ce processus, toute orientation anarcho- syndicaliste fut anéantie, le mouvement syndical étroitement subordonné à l’État et au parti unique.
    Il en fut de même en ce qui concerne les coopératives de consommation. Au début de la Révolution, elles avaient surgi de partout, s’étaient multipliées, fédérées. Mais elles avaient le tort d’échapper au contrôle du parti et un certain nombre de social-démocrates (mencheviks) s’y étaient infiltrés. On commença par priver les magasins locaux de leurs moyens de ravitaillement et de transport, sous le prétexte de « commerce privé » et de « spéculation », ou même sans le moindre prétexte. Ensuite furent fermées d’un coup toutes les coopératives libres, et, à leur place, installées, bureaucratiquement, des coopératives d’État. Le décret du 20 mars 1919 absorba les coopératives de consommation dans le commissariat au ravitaillement et les coopératives de production industrielle dans le Conseil Supérieur de l’Économie. De nombreux coopérateurs furent jetés en prison.
    La classe ouvrière ne réagit ni assez vite ni assez vigoureusement. Elle était disséminée, isolée dans un immense pays arriéré et en grande majorité rural, épuisée par les privations et les luttes révolutionnaires, plus encore, démoralisée. Ses meilleurs éléments, enfin, l’avaient quittée pour les fronts de la guerre civile ou avaient été absorbés par l’appareil du parti et du gouvernement. Cependant assez nombreux furent les travailleurs qui se sentirent plus ou moins frustrés de leurs conquêtes révolutionnaires, privés de leurs droits, mis en tutelle, humiliés par l’arrogance ou l’arbitraire des nouveaux maîtres, et qui prirent conscience de la véritable nature du prétendu « État prolétarien ». Ainsi, au cours de l’été 1918, des ouvriers mécontents
    élurent, dans les usines de Moscou et de Petrograd, des délégués pris dans leur sein, cherchant ainsi à opposer leurs authentiques « conseils de délégués » aux soviets d’entreprises déjà captés par le pouvoir. Comme en témoigne Kollontaï, l’ouvrier sentait, voyait et comprenait qu’il était mis à l’écart. Il put comparer le mode de vie des fonctionnaires soviétiques avec la façon dont il vivait lui — lui sur lequel reposait, au moins en théorie, la « dictature du prolétariat ».
    Mais quand les travailleurs virent tout à fait clair, il était déjà trop tard. Le pouvoir avait eu le temps de s’organiser solidement et disposait de forces de répression capables de briser toute tentation d’action autonome des masses. Au dire de Voline, une lutte âpre mais inégale, qui dura quelque trois ans et resta à peu près ignorée hors de Russie, opposa une avant-garde ouvrière à un appareil étatique qui s’obstinait à nier le divorce consommé entre lui et les masses. De 1919 à 1921, les grèves se multiplièrent dans les grands centres, à Petrograd, surtout, et même à Moscou. Elles furent, comme on le verra plus loin, durement réprimées.
    A l’intérieur même du Parti dirigeant, une « Opposition ouvrière » surgit qui réclama le retour à la démocratie soviétique et à l’autogestion. Au Xe congrès du Parti, en mars 1921, l’un de ses porte-parole, Alexandra Kollontaï, distribua une brochure qui demandait pour les syndicats la liberté d’initiative et d’organisation ainsi que l’élection par un « congrès de producteurs », d’un organe central d’administration de l’économie nationale. L’opuscule fut confisqué et interdit. Lénine fit adopter par la presque unanimité des congressistes une résolution assimilant les thèses de l’Opposition ouvrière aux déviations petites-bourgeoises et anarchistes : « Le « syndicalisme », le « semi-anarchisme » des oppositionnels était, à ses yeux, un « danger direct » pour le monopole du pouvoir exercé par le Parti au nom du prolétariat.
    La lutte se poursuivit au sein de la direction de la centrale syndicale. Pour avoir soutenu l’indépendance des syndicats par rapport au Parti, Tomsky et Riazanov furent exclus du présidium et envoyés en exil, tandis que le principal dirigeant de l’Opposition ouvrière, Chliapnikov, subissait le même sort, bientôt suivi par l’animateur d’un autre groupe oppositionnel. G. I. Miasnikov. Cet authentique ouvrier, justicier en 1917 du grand-duc Michel, qui comptait quinze années de présence dans le parti et, avant la Révolution, plus de sept ans de prison et soixante-quinze jours de grève de la faim, avait osé, en novembre 1921, imprimer dans une brochure que les travailleurs avaient perdu confiance dans les communistes, parce que le Parti n’avait plus de langage commun avec la base et qu’il tournait maintenant contre la classe ouvrière les moyens de répression mis en œuvre, de 1918 à 1920, contre les bourgeois.

    LE RÔLE DES ANARCHISTES

    Dans ce drame, où une révolution de type libertaire fut transmuée en son contraire, quel rôle jouèrent les anarchistes russes ? La Russie n’avait guère de traditions libertaires. C’était à l’étranger que Bakounine et Kropotkine étaient devenus anarchistes. Ni l’un ni l’autre ne militèrent jamais comme anarchistes en Russie. Quant à leurs œuvres, elles avaient paru, au moins jusqu’à la Révolution de 1917, à l’étranger, souvent même en langue étrangère. Seuls quelques extraits en avaient été introduits clandestinement, difficilement, en Russie, en quantités très restreintes. Toute l’éducation sociale, socialiste et révolutionnaire des Russes n’avait absolument rien d’anarchiste. Tout au contraire, assure Voline, « la jeunesse russe avancée lisait une littérature qui, invariablement, présentait le socialisme sous un jour étatiste ». L’idée gouvernementale habitait les esprits : la social-démocratie allemande les avait contaminés.
    Les anarchistes n’étaient « qu’une petite poignée d’hommes sans influence » ; tout au plus quelques milliers. Leur mouvement, toujours selon Voline, était « encore bien trop faible pour avoir une influence immédiate et concrète sur les événements ». En outre, ils étaient, pour la plupart, des intellectuels, de tendances individualistes, trop peu mêlés au mouvement ouvrier. Nestor Makhno, qui, avec Voline, fit exception et, dans son Ukraine natale, œuvra au cœur des masses, écrit, sévèrement, dans ses Mémoires, que l’anarchisme russe « se trouva en queue des événements et même parfois tout à fait en dehors d’eux ».
    Pourtant il semble y avoir quelque injustice dans ce jugement. Le rôle des anarchistes ne fut nullement négligeable entre la Révolution de Février et la Révolution d’Octobre. Trotsky en convient à plusieurs reprises au cours de son Histoire de la Révolution russe. « Hardis » et « actifs » malgré leur petit nombre, ils furent des adversaires de principe de l’assemblée constituante à un moment où les bolcheviks n’étaient pas encore antiparlementaires. Bien avant le parti de Lénine, ils inscrivirent sur leurs drapeaux le mot d’ordre : Tout le pouvoir aux soviets. Ce furent eux qui animèrent le mouvement de socialisation spontanée du logement, souvent contre le gré des bolcheviks. Ce fut en partie sous l’impulsion de militants anarcho-syndicalistes que les ouvriers s’emparèrent des usines, avant même Octobre.
    Pendant les journées révolutionnaires qui mirent fin à la république bourgeoise de Kerensky, les anarchistes furent à la pointe du combat militaire, notamment au sein du régiment de Dvinsk qui, sous les ordres de vieux libertaires tels que Gratchoff et Fedotoff, délogea les « cadets » contre-révolutionnaires. Ce fut l’anarchiste Anatole Gelezniakoff, avec l’aide de son détachement, qui dispersa l’assemblée constituante : les bolcheviks ne firent que ratifier le fait accompli. De nombreux détachements de partisans, formés par des anarchistes ou conduits par eux (ceux de Mokrooussoff, de Tcherniak et autres), luttèrent sans trêve contre les armées blanches, de 1918 à 1920.
    Il n’y eut guère de ville importante qui ne comptât un groupe anarchiste ou anarcho-syndicaliste diffusant un matériel imprimé relativement considérable : journaux, magazines, tracts, brochures, livres. À Petrograd deux hebdomadaires, à Moscou un quotidien avaient un tirage de 25.000 exemplaires chacun. L’audience des anarchistes s’accrut au fur et à mesure que la Révolution s’approfondit, puis se détacha des masses.
    Le 6 avril 1918, le capitaine français Jacques Sadoul, en mission en Russie, écrivait dans un rapport : « Le parti anarchiste est le plus actif, le plus combatif des groupes de l’opposition et probablement le plus populaire (...). Les bolcheviks sont inquiets. » A la fin de 1918, affirme Voline, « cette influence devint telle que les bolcheviks, qui n’admettaient aucune critique, et encore moins une contradiction, s’inquiétèrent sérieusement ». Pour l’autorité bolchevique, rapporte Voline, « tolérer la propagande anarchiste équivalait (...) au suicide. Elle fit son possible pour empêcher d’abord, interdire ensuite, et supprimer finalement, par la force brutale toute manifestation des idées libertaires ».
    Le gouvernement bolchevique « commença par fermer brutalement les sièges des organisations libertaires, par interdire aux anarchistes toute propagande ou activité ». C’est ainsi que dans la nuit du 12 avril 1918, à Moscou, des détachements de gardes rouges, armés jusqu’aux dents, nettoyèrent, par surprise, vingt-cinq maisons occupées par les anarchistes. Ceux-ci, se croyant attaqués par des gardes blancs, ripostèrent à coups de feu. Puis, toujours selon Voline, le pouvoir passa rapidement « à des mesures plus violentes : la prison, la mise hors la loi, la mise à mort ». « Quatre ans durant, ce conflit tiendra en haleine le pouvoir bolchevique (...) jusqu’à l’écrasement définitif du courant libertaire manu militari (fin 1921). »
    La liquidation des anarchistes put être menée d’autant plus aisément qu’ils s’étaient divisés en deux fractions, l’une qui refusa d’être domestiquée, l’autre qui se laissa apprivoiser. Ces derniers invoquèrent la nécessité historique pour faire acte de loyalisme vis-à-vis du régime et approuver, au moins momentanément, ses actes dictatoriaux. Pour eux, il s’agissait, d’abord, de terminer victorieusement la guerre civile, d’écraser la contre-révolution.
    Tactique à courte vue, estimèrent les anarchistes intransigeants. Car, précisément, c’était l’impuissance bureaucratique de l’appareil gouvernemental, la déception et le mécontentement populaires qui alimentaient les mouvements contre-révolutionnaires. En outre, le pouvoir finissait par ne plus distinguer l’aile marchante de la Révolution libertaire, qui contestait ses moyens de domination, des entreprises criminelles de ses adversaires de droite. Accepter la dictature et la terreur, c’était, pour les anarchistes, qui allaient en être eux- mêmes les victimes, une politique de suicide. Enfin, le ralliement des anarchistes dits « soviétiques » facilita l’écrasement des autres, des irréductibles, qui furent traités de « faux » anarchistes, de rêveurs irresponsables n’ayant pas les pieds sur la terre, de stupides brouillons, de diviseurs, de fous furieux et, finalement, de bandits, de contre-révolutionnaires.
    Le plus brillant, donc le plus écouté, des anarchistes ralliés fut Victor-Serge. Employé du régime, il publia, en français, une brochure qui tentait de le défendre contre la critique anarchiste. Le livre qu’il écrivit plus tard, L’An I de la Révolution russe est pour une large part, une justification de la liquidation des soviets par le bolchevisme. Le parti — ou plutôt son élite dirigeante — y est présenté comme le cerveau de la classe ouvrière. C’est aux chefs dûment sélectionnés de l’avant-garde de découvrir ce que peut et doit faire le prolétariat. Sans eux les masses organisées dans les soviets ne seraient « qu’une poussière d’hommes aux aspirations confuses traversées de lueurs d’intelligence ».
    Victor-Serge était trop lucide, certes, pour se faire la moindre illusion sur la nature véritable du pouvoir soviétique Mais ce pouvoir était encore tout auréolé du prestige de la première révolution prolétarienne victorieuse ; il était honni par la contre-révolution mondiale ; et c’était une des raisons — la plus honorable — pour lesquelles Serge — comme tant d’autres révolutionnaires — crut devoir mettre un bœuf sur sa langue. Au cours de l’été 1921, il confia, dans le privé, à l’anarchiste Gaston Leval, venu à Moscou, dans la délégation espagnole, pour le IIIe congrès de l’Internationale communiste : « Le Parti communiste n’exerce plus la dictature du prolétariat mais sur le prolétariat. » De retour en France, Leval publia dans Le Libertaire des articles, où, s’appuyant sur des faits précis, il mit en parallèle ce que Victor-Serge lui avait glissé à l’oreille et ses propos publics qualifiés de « mensonges conscients ». Dans Living my Life, Emma Goldman, la libertaire américaine qui le vit à l’œuvre à Moscou, n’est pas non plus tendre pour Victor-Serge.

    LA « MAKCHNOVTCHINA »

    Si la liquidation des anarchistes urbains, petits noyaux impuissants, devait être relativement aisée, il n’en fut pas de même dans le sud de l’Ukraine où le paysan Nestor Makhno avait constitué une forte organisation anarchiste rurale, à la fois économique et militaire. Fils de paysans pauvres ukrainiens, Makhno avait vingt ans en 1919. Tout jeune, il avait participé à la Révolution de 1905 et était devenu anarchiste. Condamné à mort par le tsarisme, sa peine avait été commuée et les huit années qu’il passa, presque toujours aux fers, à la prison de Boutirki, avaient été sa seule école. Avec l’aide d’un codétenu, Pierre Archinoff, il combla, au moins en partie, les lacunes de son instruction.
    L’organisation autonome des masses paysannes dont il prit l’initiative, au lendemain d’Octobre, couvrait une région peuplée de 7 millions d’habitants, formant une sorte de cercle de 280 kilomètres de hauteur sur 250 de large. A son extrémité sud elle touchait à la mer d’Azov, où elle atteignait le port de Berdiansk. Son centre était Gulyai-Polyé, un gros bourg de 20 à 30.000 habitants. Cette région était traditionnellement rebelle. Elle avait été, en 1905, le théâtre de troubles violents.
    Tout avait commencé avec l’établissement, en Ukraine, d’un régime de droite, imposé par les armées d’occupation allemande et autrichienne et qui s’était empressé de rendre à leurs anciens propriétaires les terres que les paysans révolutionnaires venaient de leur enlever. Les travailleurs du sol défendirent leurs toutes récentes conquêtes les armes à la main. Ils les défendirent aussi bien contre la réaction que contre l’intrusion intempestive, à la campagne, des commissaires bolcheviques, et leurs trop lourdes réquisitions. Cette gigantesque jacquerie fut animée par un justicier, une sorte de Robin des Bois anarchiste, surnommé par les paysans : « Père Makhno ». Son premier fait d’armes fut la prise de Gulyai-Polyé, à la mi-septembre 1918. Mais l’armistice du 11 novembre amena le retrait des forces d’occupation germano-autrichiennes, en même temps qu’il offrit à Makhno une occasion unique de constituer des réserves d’armes et de stocks.
    Pour la première fois dans l’histoire, les principes du communisme libertaire furent mis en application dans l’Ukraine libérée et, dans la mesure où les circonstances de la guerre civile le permirent, l’autogestion pratiquée. Les terres disputées aux anciens propriétaires fonciers furent cultivées en commun par les paysans, groupés en « communes » ou « soviets de travail libres ». Les principes de fraternité et l’égalité y étaient observés. Tous, hommes, femmes, enfants devaient travailler dans la mesure de leurs forces. Les camarades élus aux fonctions de gestion, à titre temporaire, reprenaient ensuite leur travail habituel aux côtés des autres membres de la commune.
    Chaque soviet n’était que l’exécuteur des volontés des paysans de la localité qui l’avait élu. Les unités de production étaient fédérées en districts et les districts en régions. Les soviets étaient intégrés dans un système économique d’ensemble, basé sur l’égalité sociale. Ils devaient être absolument indépendants de tout parti politique. Aucun politicien ne devait y dicter ses volontés sous le couvert du pouvoir soviétique. Leurs membres devaient être des travailleurs authentiques, au service exclusif des intérêts des masses laborieuses.
    Lorsque les partisans makhnovistes pénétraient dans une localité, ils apposaient des affiches où l’on pouvait lire : « La liberté des paysans et des ouvriers appartient à eux-mêmes et ne saurait souffrir aucune restriction. C’est aux paysans et aux ouvriers eux-mêmes d’agir, de s’organiser, de s’entendre entre eux dans tous les domaines de leur vie, comme ils le conçoivent eux-mêmes et comme ils le veulent (...). Les makhnovistes ne peuvent que les aider, leur donnant tel ou tel avis ou conseil (...). Mais ils ne peuvent ni ne veulent en aucun cas les gouverner. »
    Quand, plus tard, à l’automne de 1920, les hommes de Makhno furent amenés à conclure, d’égal à égal, un accord éphémère avec le pouvoir bolchevique, ils insistèrent pour l’adoption de l’additif suivant : « Dans la région où opérera l’armée makhnoviste, la population ouvrière et paysanne créera ses institutions libres pour l’autoadministration économique et politique ; ces institutions seront autonomes et liées fédérativement — par pactes — avec les organes gouvernementaux des Républiques soviétiques. » Abasourdis, les négociateurs bolcheviques disjoignirent cet additif de l’accord, afin d’en référer à Moscou, où, bien entendu, il fut jugé « absolument inadmissible ».
    Une des faiblesses relatives du mouvement makhnoviste était l’insuffisance d’intellectuels libertaires dans son sein. Mais, au moins par intermittence, il fut aidé, du dehors. Tout d’abord, de Kharkov et de Koursk, par les anarchistes qui, à la fin de 1918, avaient fusionné en un cartel dit Nabat (le Tocsin), animé par Voline. En avril 1919, ils tinrent un congrès où ils se prononcèrent « catégoriquement et définitivement contre toute participation aux soviets, devenus des organismes purement politiques, organisés sur une base autoritaire, centraliste, étatique ». Ce manifeste fut considéré par le gouvernement bolchevique comme une déclaration de guerre et le Nabat dut cesser toute activité. Par la suite, en juillet, Voline réussit à rejoindre le quartier général de Makhno où, de concert avec Pierre Archinoff, il prit en charge la section culturelle et éducative du mouvement. Il présida un de ses congrès, celui tenu en octobre, à Alexandrovsk. Des Thèses générales précisant la doctrine des « soviets libres » y furent adoptées.
    Les congrès groupaient à la fois des délégués des paysans et des délégués des partisans. En effet, l’organisation civile était le prolongement d’une armée insurrectionnelle paysanne, pratiquant la tactique de la guérilla. Elle était remarquablement mobile, capable de parcourir jusqu’à cent kilomètres par jour, non seulement du fait de sa cavalerie, mais grâce aussi à son infanterie qui se déplaçait dans de légères voitures hippomobiles, à ressorts. Cette armée était organisée sur les bases, spécifiquement libertaires du volontariat, du principe électif, en vigueur pour tous les grades, et de la discipline librement consentie : les règles de cette dernière, élaborées par des commissions de partisans, mis validées par des assemblées générales, étaient rigoureusement observées par tous.
    Les corps francs de Makhno donnèrent du fil à retordre aux armées « blanches » interventionnistes. Quant aux unités de gardes-rouges des bolcheviks, elles étaient assez peu efficaces. Elles se battaient seulement le long des voies ferrées sans jamais s’éloigner de leurs trains blindés, se repliant au premier échec, s’abstenant souvent de rembarquer leurs propres combattants. Aussi inspiraient-elles peu de confiance aux paysans qui, isolés dans leurs villages et privés d’armes, eussent été à la merci des contre-révolutionnaires.
    « L’honneur d’avoir anéanti, en automne de l’année 1919, la contre-révolution de Denikine revient principalement aux insurgés anarchistes », écrit Archinoff, le mémorialiste de la makhnovtchina.
    Mais Makhno refusa toujours de placer son armée sous le commandement suprême de Trotsky, chef de l’Armée Rouge, après la fusion dans cette dernière des unités de gardes-rouges. Aussi le grand révolutionnaire crut-il devoir s’acharner contre le mouvement insurrectionnel. Le 4 juin 1919, il rédigea un ordre, par lequel il interdit le prochain congrès des makhnovistes, accusés de se dresser contre le pouvoir des Soviets en Ukraine, stigmatisa toute participation au congrès comme un acte de « haute trahison » et prescrivit l’arrestation de ses délégués. Inaugurant une procédure qu’imiteront, dix-huit ans plus tard, les staliniens espagnols contre les brigades anarchistes, il refusa des armes aux partisans de Makhno, se dérobant au devoir de leur porter assistance, pour ensuite les accuser de trahir et de se laisser battre par les troupes blanches.
    Cependant les deux armées se retrouvèrent d’accord, par deux fois, lorsque la gravité du péril interventionniste exigea leur action commune, ce qui se produisit, d’abord, en mars 1919 contre Denikine, puis au cours de l’été et de l’automne 1920, quand menacèrent les forces blanches de Wrangel que, finalement, Makhno détruisit. Mais, aussitôt le danger extrême conjuré, l’Armée Rouge reprenait les opérations militaires contre les partisans de Makhno, qui lui rendaient coup pour coup.
    A la fin de novembre 1920, le pouvoir n’hésita pas à organiser un guet-apens. Les officiers de l’armée makhnoviste de Crimée furent invités par les bolcheviks à participer à un conseil militaire. Ils y furent aussitôt arrêtés par la police politique, la Tchéka, et fusillés, leurs partisans désarmés. En même temps une offensive en règle était lancée contre Gulyai-Polyé. La lutte — une lutte de plus en plus inégale — entre libertaires et « autoritaires » dura encore neuf mois. Mais, à la fin, mis hors de combat par des forces très supérieures en nombre et mieux équipées, Makhno dut abandonner la partie. Il réussit à se réfugier en Roumanie en août 1921, puis à gagner Paris, où il mourut plus tard, malade et indigent. Ainsi se terminait l’épopée de la makhnovtchina, prototype, selon Pierre Archinoff, d’un mouvement indépendant des masses laborieuses et, de ce fait, source d’inspiration future pour les travailleurs du monde.

    CRONSTADT

    Les aspirations des paysans révolutionnaires makhnovistes étaient assez semblables à celles qui poussèrent conjointement à la révolte, en février-mars 1921, les ouvriers de Petrograd et les matelots de la forteresse de Cronstadt. Les travailleurs urbains souffraient, à la fois, de conditions matérielles devenues intolérables du fait de la pénurie de vivres, de combustibles, de moyens de transport et d’un régime de plus en plus dictatorial et totalitaire, qui écrasait la moindre manifestation de mécontentement. A fin février, des grèves éclatèrent à Petrograd, Moscou et dans quelques autres centres industriels. Les travailleurs, marchant d’une entreprise à l’autre, fermant les usines, attirant dans leurs cortèges de nouveaux contingents d’ouvriers, réclamaient pain et liberté. Le pouvoir répondit par une fusillade, les travailleurs de Petrograd par un meeting de protestation, qui rassembla 10.000 ouvriers.
    Cronstadt était une base navale insulaire, à trente kilomètres de Petrograd, dans le golfe de Finlande, gelé en hiver. Elle était peuplée de matelots et de plusieurs milliers d’ouvriers occupés dans les arsenaux de la marine militaire. Les marins de Cronstadt avaient joué un rôle d’avant-garde dans les péripéties révolutionnaires de 1917. Ils avaient été, selon les termes de Trotsky « l’orgueil et la gloire de la Révolution russe ». Les habitants civils de Cronstadt formaient une commune libre, relativement indépendante du pouvoir. Au centre de la forteresse une immense place publique jouait le rôle d’un forum populaire pouvant contenir 30.000 personnes.
    Certes, les matelots n’avaient plus, en 1921, les mêmes effectifs ni la même composition révolutionnaire qu’en 1917 ; ils étaient, bien plus que leurs prédécesseurs, issus de la paysannerie ; mais ils avaient conservé l’esprit militant et, du fait de leurs performances antérieures, le droit de participer activement aux réunions ouvrières de Petrograd. Aussi envoyèrent-ils aux travailleurs en grève de l’ancienne capitale des émissaires, qui furent refoulés par les forces de l’ordre. Au cours de deux meetings de masses tenus sur le forum, ils reprirent à leur compte les revendications des grévistes. A la seconde réunion, le 1er mars, ils étaient 16.000 présents, marins, travailleurs et soldats, et nonobstant la présence du chef de l’État, le président de l’exécutif central, Kalinine, ils adoptèrent une résolution demandant la convocation, en dehors des partis politiques, dans les dix jours suivants, d’une conférence des ouvriers, soldats rouges et marins de Petrograd, de Cronstadt et de la province de Petrograd. En même temps ils exigeaient l’abolition des « officiers politiques », aucun parti politique ne devant avoir de privilèges, ainsi que la suppression des détachements communistes de choc dans l’armée et de la « garde communiste » dans les usines.
    C’était bel et bien le monopole du parti dirigeant qui était visé. Un monopole que les rebelles de Cronstadt n’hésitaient pas à qualifier d’« usurpation ». Feuilletons, pour le résumer, le journal officiel de cette nouvelle Commune, les Izvestia de Cronstadt. Laissons parler les matelots en colère. Le Parti communiste, après s’être arrogé le pouvoir, n’avait, selon eux, qu’un souci : le conserver par n’importe quel moyen. Il s’était détaché des masses. Il s’était révélé impuissant à tirer le pays d un état de débâcle générale. Il avait perdu la confiance des ouvriers. Il était devenu bureaucratique. Les soviets, dépouillés de leur pouvoir, étaient falsifiés, accaparés et manipulés, les syndicats étatisés. Une machine policière omnipotente pesait sur le peuple, dictant sa loi par des fusillades et la pratique de la terreur. Sur le plan économique régnait, au lieu et place du socialisme annoncé, basé sur le travail libre, un dur capitalisme d’État. Les ouvriers étaient de simples salariés de ce trust national, des exploités, tout comme naguère. Les sacrilèges de Cronstadt allaient jusqu’à contester l’infaillibilité des chefs suprêmes de la Révolution. Ils se gaussaient, avec irrévérence, de Trotsky, et même, de Lénine. Au-delà de leurs revendications immédiates : restauration des libertés, élections libres à tous les organes de la démocratie soviétique, ils visaient un objectif d’une portée plus lointaine et d’un contenu nettement anarchiste : une « troisième Révolution. »
    Les rebelles, en effet, entendaient demeurer sur le terrain révolutionnaire. Ils s’engageaient à veiller sur les conquêtes de la révolution sociale. Ils affirmaient n’avoir rien de commun avec ceux qui auraient voulu « rétablir le knout du tsarisme », et, s’ils ne cachaient pas leur intention de renverser le pouvoir des « communistes », ce n’était pas pour que « les ouvriers et les paysans redeviennent esclaves ». Ils ne coupaient pas non plus tous les ponts entre eux et le régime, avec lequel ils espéraient encore « pouvoir trouver un langage commun ». Enfin, s’ils réclamaient la liberté d’expression, ce n’était pas pour n’importe qui, mais seulement pour des partisans sincères de la Révolution : anarchistes et « socialistes de gauche » (formule qui excluait les social-démocrates ou mencheviks).
    Mais l’audace de Cronstadt allait beaucoup plus loin que ne le pouvaient supporter un Lénine, un Trotsky. Les chefs bolcheviks avaient identifié, une fois pour toutes, la Révolution avec le Parti communiste et tout ce qui allait à l’encontre de ce mythe ne pouvait être, à leurs yeux, que « contre-révolutionnaire ». Ils virent toute l’orthodoxie marxiste-léniniste s’effilocher. Cronstadt leur parut d’autant plus effrayant qu’ils gouvernaient au nom du prolétariat et que, soudain, leur pouvoir était contesté par un mouvement qu’ils savaient authentiquement prolétarien. Au surplus, Lénine s’en tenait à la notion quelque peu simpliste qu’une restauration tsariste était la seule alternative à la dictature de son Parti. Les hommes d’État du Kremlin de 1921 raisonnèrent comme, plus tard, ceux de l’automne 1956 : Cronstadt fut la préfiguration de Budapest.
    Trotsky, l’homme « à la poigne de fer », accepta de prendre personnellement la responsabilité de la répression. « Si vous persistez, on vous canardera comme des perdreaux », fit-il savoir, par la voie des ondes, aux « mutins ». Les matelots furent traités de « blanc-gardistes », de complices des puissances occidentales interventionnistes et de la « Bourse de Paris ». Leur soumission serait obtenue par la force des armes. Ce fut sans succès que les anarchistes Emma Goldman et Alexandre Berkman, qui avaient trouvé asile dans la patrie des travailleurs, après avoir été déportés des États-Unis, firent valoir, dans une lettre pathétique adressée à Zinoviev, que l’usage de la force ferait « un tort incalculable à la Révolution sociale » et adjurèrent les « camarades bolcheviks » de régler le conflit par une négociation fraternelle. Quant aux ouvriers de Petrograd terrorisés, soumis à la loi martiale, ils ne purent se porter au secours de Cronstadt.
    Un ancien officier tsariste, le futur maréchal Toukhatchevsky, fut chargé de commander un corps expéditionnaire composé de troupes qu’il avait fallu trier sur le volet, car nombre de soldats rouges répugnaient à tirer sur leurs frères de classes. Le 7 mars commença le bombardement de la forteresse. Sous le titre : « Que le monde sache ! » les assiégés lancèrent un appel ultime : « Le sang des innocents retombera sur la tête des communistes, fous furieux enivrés par le pouvoir. Vive le pouvoir des Soviets ! » Se déplaçant sur la glace du golfe de Finlande, les assiégeants réduisirent, le 18 mars, la « rébellion », dans une orgie de massacres.
    Les anarchistes n’avaient guère joué de rôle dans l’affaire. Cependant le comité révolutionnaire de Cronstadt avait invité à le rejoindre deux libertaires : Yartchouk (animateur du soviet de Cronstadt en 1917) et Voline ; en vain, car ils étaient, à ce moment, détenus par les bolcheviks. Comme l’observe Ida Mett, historienne de La Révolte de Cronstadt, l’influence anarchiste ne s’y exercera « que dans la mesure où l’anarchisme propageait lui aussi l’idée de la démocratie ouvrière ». Mais, s’ils n’intervinrent pas directement dans l’événement, les anarchistes s’en réclamèrent : « Cronstadt, écrivit plus tard Voline, fut la première tentative populaire entièrement indépendante pour se libérer de tout joug et réaliser la Révolution sociale : tentative faite directement, (...) par les masses laborieuses elles-mêmes, sans « bergers politiques », sans « chefs » ni « tuteurs ». Et Alexandre Berkman : « Cronstadt fit voler en éclats le mythe de l’État prolétarien ; il apporta la preuve qu’il y avait incompatibilité entre la dictature du Parti communiste et la Révolution. »

    L’ANARCHISME MORT ET VIVANT

    Bien que les anarchistes n’aient pas joué un rôle direct dans le soulèvement de Cronstadt, le régime profita de cet écrasement pour en finir avec une idéologie qui continuait à les effrayer. Quelques semaines plus tôt, le 8 février, le vieux Kropotkine était mort sur le sol russe, et sa dépouille avait été l’objet de funérailles imposantes. Elle fut suivie par un immense convoi d’environ cent mille personnes. Mêlés aux drapeaux rouges, les drapeaux noirs des groupes anarchistes flottaient au-dessus de la foule et l’on pouvait y lire en lettres de feu : « Où il y a autorité il n’y a pas de liberté. » Ce fut, racontent les biographes du disparu, « la dernière grande manifestation contre la tyrannie bolchevique et bien des gens y prenaient part autant pour réclamer la liberté que pour rendre hommage au grand anarchiste ».
    Après Cronstadt, des centaines d’anarchistes furent arrêtés. Quelques mois plus tard, une libertaire, Fanny Baron, et huit de ses camarades, devaient être fusillés dans les caves de la prison de la Tchéka, à Moscou.
    L’anarchisme militant avait reçu le coup de grâce. Mais, hors de Russie, les anarchistes qui avaient vécu la Révolution russe entreprirent le vaste travail de critique et de révision doctrinales qui revigora et rendit plus concrète la pensée libertaire. Dès le début de septembre 1920, le congrès du cartel anarchiste d’Ukraine, dit Nabat, avait rejeté catégoriquement l’expression « dictature du prolétariat » qu’il voyait conduire fatalement à la dictature sur la masse d’une fraction du prolétariat, celle retranchée dans le Parti, des fonctionnaires et d’une poignée de chefs. Peu avant de disparaître, dans un Message aux travailleurs d’Occident, Kropotkine avait dénoncé avec angoisse la montée d’une « formidable bureaucratie » : « Pour moi, cette tentative d’édifier une république communiste sur des bases étatistes fortement centralisées, sous la loi de fer de la dictature d’un parti, s’est achevée en un fiasco formidable. La Russie nous enseigne comment ne doit pas s’imposer le communisme. »
    Dans son numéro des 7-14 janvier 1921, le journal français Le Libertaire faisait publier un appel pathétique des anarcho-syndicalistes russes au prolétariat mondial : « Camarades, mettez fin à la domination de votre bourgeoisie tout comme nous l’avons fait ici. Mais ne répétez pas nos erreurs : ne laissez pas le communisme d’État s’établir dans vos pays ! »
    Sur cette lancée, l’anarchiste allemand Rudolf Rocker rédigea, dès 1920, et publia, en 1921, La Banqueroute du Communisme d’État, la première analyse politique qui ait été faite de la dégénérescence de la Révolution russe. A ses yeux, ce n’était pas la volonté d’une classe qui trouvait son expression dans la fameuse « dictature du prolétariat », mais la dictature d’un parti prétendant parler au nom d’une classe et s’appuyant sur la force des baïonnettes. « Sous la dictature du prolétariat s’est développée en Russie une nouvelle classe, la commissarocratie, dont l’oppression est ressentie par les larges masses tout autant que jadis celle des tenants de l’ancien régime. » En subordonnant systématiquement tous les éléments de la vie sociale à la toute-puissance d’un gouvernement doté de toutes les prérogatives, « on ne pouvait qu’aboutir à cette hiérarchie de fonctionnaires qui fut fatale à l’évolution de la Révolution russe. » Les bolcheviks n’ont pas seulement emprunté l’appareil de l’État à l’ancienne société, ils lui ont donné une toute-puissance que ne s’arroge aucun autre gouvernement. »
    En juin 1922, le groupe des anarchistes russes exilés en Allemagne, sous la plume de A. Gorielik, A. Komoff et Voline, publia à Berlin un petit livre révélateur : Répression de l’anarchisme en Russie soviétique. Une traduction française, due à Voline, en parut au début de 1923. On y trouvait, classé alphabétiquement, un martyrologe de l’anarchisme russe. Alexandre Berkman, en 1921 et 1922, Emma Goldman, en 1922 et 1923, publièrent coup sur coup plusieurs brochures sur les drames auxquels ils avaient assisté en Russie. A leur tour, les rescapés du makhnovisme réfugiés en Occident, Pierre Archinoff et Nestor Makhno lui-même, produisirent leurs témoignages. Beaucoup plus tard, au cours de la deuxième guerre mondiale, furent rédigés, avec la maturité d’esprit que conférait le recul des années, les deux grands ouvrages libertaires classiques sur la Révolution russe, celui de G.P. Maximoff, celui de Voline.
    Pour Maximoff, dont le témoignage a paru en langue anglaise, les leçons du passé apportent la certitude d’un avenir meilleur. La nouvelle classe dominante de l’U.R.S.S. ne peut et ne doit vivre éternellement. Le socialisme libertaire lui succédera. Les conditions objectives poussent à cette évolution : « Est-il concevable (.. ) que les travailleurs veuillent le retour des capitalistes dans les entreprises ? Jamais ! Car c’est précisément contre l’exploitation par l’État et ses bureaucrates qu’ils se rebellent. » Ce que les travailleurs veulent, c’est remplacer cette gestion autoritaire de la production par leurs propres conseils d’usine, c’est unir les conseils en une vaste fédération nationale. Ce qu’ils veulent, c’est l’autogestion ouvrière. De même les paysans ont compris qu’il ne saurait être question de revenir à l’économie individuelle. La seule solution, c’est l’agriculture collective, la collaboration des collectivités rurales avec les conseils d’usine et les syndicats : en un mot, l’expansion du programme de la Révolution d’Octobre dans la liberté.
    Toute tentative inspirée de l’exemple russe, affirme hautement Voline, ne pourrait aboutir qu’à un « capitalisme d’État basé sur une odieuse exploitation des masses », le « pire des capitalismes et qui n’a absolument aucun rapport avec la marche de l’humanité vers la société socialiste ». Elle ne pourrait que promouvoir « la dictature d’un parti qui aboutit fatalement à la Répression de toute liberté de parole, de presse, d’organisation et d’action, même pour les courants révolutionnaires, sauf pour le parti au pouvoir », qu’à une « inquisition sociale » qui étouffe « le souffle même de la Révolution ». Et Voline de soutenir que Staline « n’est pas tombé de la lune ». Staline et le stalinisme ne sont, à ses yeux, que la conséquence logique du système autoritaire fondé et établi de 1918 à 1921. « Telle est la leçon mondiale de la formidable et décisive expérience bolchevique : leçon qui fournit un puissant appui à la thèse libertaire et qui sera bientôt, à la lumière des événements, comprise par tous ceux qui peinent, souffrent, pensent et luttent. »

    Extrait de "L’anarchisme" de Daniel Guérin,1965.
    http://inventin.lautre.net/livres.html#Guerin

  • DE L’INSÉCURITÉ PUBLIQUE
    et de quelques moyens d’y remédier

    L’insécurité n’est pas une donnée objective, mais un sentiment. Elle ne se mesure pas à l’aide de statistiques ou de mesures gouvernementales. Difficile à cerner, le sentiment d’insécurité naît d’impressions confuses, désagréables, accumulées au cours du temps. Dans tous les cas, c’est un signal que l’on va mal. On se sent menacé, inquiet, excédé par un trop-plein de rencontres déplaisantes, de vexations, de peurs, d’humiliations. La vie en société ressemble plus à un enfer qu’à un paradis.

    Quels facteurs y concourent ? Ce n’est pas tant l’impertinence de la jeunesse, son côté « sauvageon », qui a toujours à la fois exaspéré et charmé les adultes. Mais plutôt la répétition d’actes imbéciles et méchants, d’autant plus irritants qu’on sait fort bien que leurs auteurs sont eux aussi excédés, mal dans leur peau, comme rendus malfaisants par une vie sociale insatisfaisante. Il n’y a rien de rassurant à constater que le malheur des uns augmente le malheur des autres.

    Une partie des actes qui suscitent le sentiment d’insécurité sont commis par des jeunes de milieu populaire, souvent issus de l’immigration. Il s’agit généralement d’attitudes, de paroles ou de gestes qui témoignent d’un refus de respecter ce qu’on appellerait « les règles élémentaires de la vie en société ». Autrement dit, cette courtoisie, cette civilité, cette urbanité, qui font qu’on peut vivre ensemble dans une ville tout en étant différents. C’est évidemment le signe que la ville n’est plus un lieu où vivre ensemble, de quelque culture qu’on soit.

    Pour une large part, il s’agit d’agressions, verbales ou physiques, justifiant le droit du plus fort à écraser le plus faible. C’est la logique de la compétition poussée à l’extrême. L’esprit capitaliste à l’état pur, porté par ceux qui n’ont pas la chance de posséder un capital.

    C’est souvent un comportement en bande, où l’union fait la force, dont l’usage permet de se venger de l’humiliation passée en la faisant subir à celui ou celle qui, isolé(e) face à la bande, se trouve momentanément en position de faiblesse. Effet pervers d’une solidarité vécue sur le mode de l’exclusion, qui bafoue le sentiment de fraternité, fondement de toute véritable démocratie. Les exclus du système pratiquent ainsi la logique dont ils souffrent pour exclure à leur tour les victimes qu’ils trouvent sur leur chemin. A cet égard, ces délinquants sont de bons élèves, qui suivent aveuglément les principes qu’on leur a inculqués, mais dont l’esprit de concurrence n’a pas trouvé d’emploi. Leur conduite est semblable à celle des gagneurs de l’entreprise capitaliste, à la différence près qu’ils n’ont pas de terrain économique où l’exercer. Dès lors, ils le font au hasard, sur un territoire qui n’est pas fait pour ça.

    Parmi les bandes qui agissent ainsi, il en est de plus perverses, par ailleurs supposées défendre les faibles. Il s’agit par exemple de certaines patrouilles de forces de l’ordre, fonctionnant dans la même logique que les voyous auxquels ils sont supposés s’affronter. La revanche de l’humilié, qui à son tour humilie les autres, peut aussi s’appuyer sur la part de pouvoir que s’arroge le petit fonctionnaire, imbu d’une force qui lui est fournie par procuration. Au lieu d’agir en frère secourable, il se comporte en parâtre vengeur, et augmente d’autant le sentiment d’insécurité des citoyens.

    Face à ces situations, si l’on pense que la guerre est une bonne réponse et qu’il faut augmenter la répression, au risque de susciter des réponses encore plus violentes, il est alors logique d’élire des gens de droite ou d’extrême-droite, dont c’est le rôle politique de défendre l’ordre à tout prix. Avec le fascisme au pouvoir, c’est la violence qui devient l’institution centrale, en balayant la démocratie. Il n’y a plus de sentiment d’insécurité, parce que les individus, privés de leurs droits de citoyens, sont désormais dans l’insécurité totale face à l’Etat. C’est la terreur qui devient souveraine. La droite classique, en principe, exprime quant à elle le point de vue d’une minorité de possédants pour qui la sécurité provient du travail des autres et l’insécurité des risques que ceux-ci se révoltent. Propagande et autorité sont alors les outils nécessaires à la paix sociale.

    La primauté de l’économie sur toute autre considération est dans la logique du capitalisme, pour lequel toute la vie sociale doit se soumettre à la nécessité de conserver la disparité entre les possédants et les autres. Dans cette logique, le sentiment d’insécurité est un moteur d’élimination des faibles. C’est sans doute pourquoi la droite le met en avant et propose des moyens de lutte qui, en fait, le renforcent. En cas d’urgence, elle pourrait même recruter les voyous et confier provisoirement le pouvoir à des bandes fascistes.

    La gauche, en principe, est porteuse d’un projet de justice sociale, où l’économie devrait obéir à d’autres impératifs. C’est en tout cas l’argument qu’elle se donne auprès du peuple. L’idéal qu’on lui reconnaît se rattache à des utopies qui dessinent un monde juste, fraternel, égalitaire. Mais en réalité, deux déviations l’ont éloignée de cet objectif. La première est le rattachement à l’idéologie soviétique, qui pose le capitalisme d’Etat comme étape intermédiaire vers l’avènement d’une société juste. Les gens n’ont plus d’autonomie et deviennent les pions d’une Masse qu’il convient de manipuler. L’Histoire a montré que ce système constituait en fait une redoutable dictature. La seconde déviation, plus moderne, confie à la gauche le soin de réguler les tensions sociales du capitalisme. Il ne s’agit plus de changer la vie, mais seulement d’aménager le système. Les promesses de fraternité ne sont alors qu’un argument publicitaire à destination du peuple. On fait ainsi carrière dans la gauche comme dans la droite, et les gens ne voient plus de différence entre les deux.

    Comme les sociologues l’ont constaté, les variations du chômage et autres indicateurs économiques n’influent que peu sur le sentiment d’insécurité et le cortège de petite délinquance qui l’accompagne. L’impression de mal-être dépend plus de la suprématie de l’économie que de ses fluctuations. Les suicides de jeunes, les tueries absurdes
    par désespoir, les actes irrationnels de malveillance, sont des manifestations d’une perte de confiance dans le social. Or l’homme n’est que social. Lorsqu’il oublie le sens des autres, il perd son humanité. Toutes les aberrations sont alors possibles.

    Quand la gauche vend son âme au capitalisme, elle fait le sale boulot à la place de la droite. Ainsi a-t-on vu le gouvernement de gauche de Lionel Jospin faire passer la sûreté nationale (nom officiel de la sécurité publique) avant le bien-être des gens, y compris dans l’école. Faute d’une politique effectivement fraternelle et sociale, on a cédé aux solidarités de caste. On a fait passer des lois réactionnaires pour donner plus de pouvoir à la police et punir encore plus les comportements ludiques ou déviants. On propose même de rouvrir les bagnes pour enfants et on traque les relations sexuelles au nom de la protection de l’enfance. La liberté se cache derrière les juges et la fraternité n’a même plus de sourire sur le visage des politiciens.

    Le pire est à craindre si ne se lève pas une nouvelle génération de gens de gauche, pour qui le sentiment d’insécurité doit se résoudre par le développement de pratiques sociales, fraternelles, culturelles, et amoureuses. Avant de proposer le pouvoir de dire non, il faut affirmer la liberté de pouvoir dire oui. Ne plus diriger, assister, contrôler, mais ouvrir des espaces de liberté, favoriser l’autonomie, laisser s’exprimer les différences.

    En attendant d’abolir le capitalisme, on peut lui rogner les ailes. Imposer la démocratie à l’intérieur des entreprises, en ôtant leur pouvoir de nuire aux actionnaires. Et surtout, s’occuper d’autre chose que d’économie. Mettre en place des zones d’échanges, de fête et de fraternité. Créer un climat de confiance et d’amour entre les gens qui n’ont pas de pouvoir à prendre. Développer partout où c’est possible des structures de démocratie participative. Coopérer au lieu d’entrer en compétition. Cesser de soutenir les professionnels de la politique. Mettre en place une vraie écologie humaine. Rendre communautaires les espaces publics. Laisser parler ceux qui ont quelque chose à dire. Faire taire la propagande, commerciale ou politique. Laisser baiser ceux qui ont envie de le faire. Faire cesser les atteintes à la

    liberté de disposer de son propre corps. Laisser chanter, danser, peindre, écrire, jouer de la musique, tous ceux qui ont le désir de s’exprimer, sans impératif de rentabilité. Laisser fumer des herbes enivrantes à ceux qui aiment ça. Enlever le contrôle des médias aux politiques et aux sociétés commerciales. Dénoncer la laideur des urbanismes et y porter remède. Créer des lieux de discussion pour décider ensemble de quoi faire dans le social. Etc.

    Surtout ne pas inventer de nouveau parti.

    Paul Castella, mai 2002.
    Décédé le 3 octobre 2017 au Maroc
    --
    http://inventin.lautre.net/livres.html#paulcastella

    http://www.dailymotion.com/video/xbs6gr_paul-castella-de-l-insecurite-publi

  • VIVRE, OU RIEN
    IL FAUT POUSSER CE QUI TOMBE

    Le monde, ou rien. Voilà quelques semaines que nous sommes plongés dans l’ébullition de la lutte, ses coups de folies et son euphorie. Qu’importe qu’elle triomphe de cette loi. Elle n’est qu’un déclencheur, qu’une occasion, rien de plus. Le statu quo est tout aussi immonde. Ce qui se passe un peu partout est plutôt une manifestation d’une rage diffuse, d’une colère montante, d’un dégoût qui se généralise vis-à-vis de ce monde et ses avocats qui nous martèlent sans cesse, que non, vraiment, il n’y a pas d’alternative.
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    Lois sécuritaires, renforcement du pouvoir (et de l’armement) de la police, arrestations arbitraires et matraquage aveugle, la vieille logique du gouvernement par la peur est reprise avec un certain brio par ce gouvernement « socialiste ». Et les médias jouent parfaitement leur rôle, faisant planer une menace diffuse, pluridirectionnelle et omniprésente, implantant jour après jour la peur dans chaque conscience, avec une abnégation remarquable.
    L’État s’appuie en effet sur un arsenal législatif dit « antiterroriste » toujours plus important, toujours plus total, censé nous « protéger » de la « menace djihadiste ». Mais qui peut se faire des illusions sur l’efficacité de mesures judiciaires sur un individu déterminé à mourir pour mener son action à terme ? En tout cas ceux qui nous gouvernent ne s’en font pas. L’antiterrorisme est un voile. La constitutionnalisation de mesures d’exception comme l’État d’urgence ou le renforcement des pouvoirs de la police a un but tout autre. Il s’agit bien, en réalité, de contenir, de contrôler, de maîtriser ceux qui refusent cet état de fait et font de ce refus un principe d’action en vue de faire émerger un autre monde. Ce sont bien ceux qui ont choisi de lutter contre le travail et contre l’État, contre le capitalisme et la pauvreté des existences qu’il génère qui sont in fine visés par ces dispositifs.
    Si nous ne sommes pas organisés, si nos volontés ne se rejoignent pas toujours, ou pas au même moment, ce qui les terrifie est que la convergence se fasse soudainement, à la suite d’un évènement quelconque. Non pas la convergence des luttes comme on peut l’entendre dans les cortèges syndicaux qui n’est qu’un simple agrégat de composantes disparates et conservatrices et qui est vouée à s’effondrer avec le mouvement, mais la convergence des désirs. Du désir de vivre un monde que l’on construira, que nous construisons déjà. Que dans ces moments de lutte se tissent des liens, naissent des amours, émergent des projets communs, se créent des communautés de résistance. Que ces désirs diffus, éparpillés, divers, se rencontrent au gré d’une assemblée étudiante un peu laborieuse, d’une occupation, d’une garde-à-vue ou d’un repas partagé et que ce désir d’être ensemble, d’imaginer ensemble, de faire ensemble devienne de plus en plus pressant. Voilà ce qu’ils craignent.
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    Nous qui désirons sans fin, nous voulons vivre pleinement, nous voulons vivre érotiquement. Nous sommes Eros, parce qu’il est comme nous pulsion de vie en même temps qu’amour, parce qu’il est comme nous révolte contre un monde de mort.
    Nous voulons être amour, vivre l’amour, faire l’amour. Nous voulons jouir d’être la vie : fêter, imaginer, créer, rêver, voir, faire, être ensemble, vivre ensemble.
    La vie est un flux, celui de se sentir soi-même, de sentir l’Autre et de sentir notre monde, s’éprouvant, s’épanouissant, s’accomplissant dans cette sensualité. Ce monde actuel, lui, pétrifie ce flux sous forme de marchandise-travail, il nous en dépossède au profit de choses mortes (marchandises, argent, capital) et d’une vie fausse, il réprime ce flux avec l’État, il manipule médiatiquement celui-ci, il est une réification, une aliénation, une mortification, une répression, une manipulation, une négation de la vie.
    Nous n’en voulons plus, de ce monde, de son travail, de ses relations, de ses destructions, de sa misère existentielle. La vie aujourd’hui n’est rien dans ce monde de mort, demain elle sera tout - et ce monde, mort.
    Nous voulons construire autre chose qu’une cage. Nous voulons faire autre chose que travailler. Nous voulons vivre autre chose que cette survie, cette sous-vie. Nous voulons habiter autre chose que ce taudis. Nous voulons aimer autrement que dans l’industrie pornographique. Nous voulons nous imaginer autrement qu’au travers de l’idéologie. Nous voulons être ensemble plutôt qu’être en guerre. Nous voulons créer autre chose que cette destruction. Nous voulons rêver d’autre chose que de ce cauchemar. Nous voulons échanger autre chose que de l’argent et des marchandises. Nous voulons faire croître autre chose que l’économie. Nous voulons faire société autrement qu’au travers du capitalisme. Nous voulons autre chose que ce monde, c’est-à-dire que de ce monde, d’aucune chose, nous voulons.
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    L’économie c’est la guerre, la guerre de tous contre tous. Dès tout petit, on nous pousse à suivre nos propres intérêts, dans le cadre posé par la société de marché, on nous fait croire que l’égoïsme est une catégorie ontologique, que la « nature humaine » est ainsi et que pour ne pas perdre il faut donc gagner. Dominer, écraser, maximiser, voilà les maîtres mots de l’entrepreneur de soi, de l’individu d’aujourd’hui qui veut survivre dans cette jungle concurrentielle. À travers le capitalisme, véritable société de l’économie, nos subjectivités se formatent dans un devenir-marchandise de la vie. Le capitalisme façonne des subjectivités à son image et selon sa logique : prédatrices, impitoyables, séparées-isolées l’une de l’autre, égoïstes, machiniques, calculatrices. Même si notre subjectivité vivante résiste tendanciellement à ce formatage, il n’en reste pas moins que notre subjectivité est un champ de bataille – et son résultat – entre une rationalité capitaliste et notre pulsion de vie. Pour que celle-ci triomphe, et elle est une condition préalable à une société vivante-émancipée, sachons que c’est uniquement dans une révolte de la vie qu’une telle subjectivité peut advenir. Les révoltes de la vie ont transformé, transforment, transformeront nos subjectivités, avant même que dans une société nouvelle, de nouvelles vies émergent de nouvelles subjectivités.
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    Notre vie ne tolère d’autre limite que celle de sa perpétuation comme Jouir personnel et collectif, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de limite au Jouir de nos vies que celle où notre pulsion de vie se transforme en pulsion de mort, et où notre Jouir se renverse en Souffrir. La vie n’est pas une débauche, une barbarie, une folie ; c’est au contraire un équilibre entre une vie sur-réprimée, donc mortifiée, et une vie déchaînée, donc (auto) destructrice. La société dans laquelle nous vivons, au contraire, est une barbarie au sens où elle nous sur-réprime d’un côté tandis qu’elle nous pousse de l’autre à un déchaînement destructeur de soi et des Autres. Or notre société est justement une immense accumulation de surrépressions, souvent présentées de manière mensongère comme « naturelles » (travail), voire comme des « libérations » (guerre sportive, pornographie, Spectacle médiatique). La révolte de la vie, sans mortification ni pulsion de mort, est donc une révolte de l’énergie érotique, de la pulsion de vie, trop longtemps sur-réprimée, contre cette sur-répression, et sans devenir pulsion de mort.

    NE TRAVAILLEZ JAMAIS

    L’aggravation continuelle de la crise structurelle du capitalisme (en plus de sa financiarisation et sa gestion en faveur des actionnaires et du patronat), entraîne depuis plus de 40 ans une intensification et une précarisation continue du travail, avec d’un côté une masse croissante de chômeurs brisés par une société du travail sans travail, et de l’autre une organisation néocapitaliste du travail continuellement restructurée, exerçant une pression énorme sur ses salariés (jusqu’au harcèlement), organisant une guerre de tous contre tous au sein même de l’entreprise, et démultipliant ainsi isolement, haines, humiliations, stress, déformations physiques, accidents de travail, licenciements brutaux, dépression, burn-out, suicides. Le travail est d’ores et déjà une souffrance intolérable – mais ne l’est-il pas structurellement ? Nous souffrons de devoir quotidiennement nous vendre comme marchandise pour survivre, ou d’être dépréciés de ne pas être un esclave « rentable » du capitalisme. Nous souffrons de devoir obéir à des impératifs absurdes, avilissants, destructeurs. Nous souffrons de devoir exécuter ces impératifs dans des conditions éprouvantes, voire dangereuses. Nous souffrons de cette activité indifférenciée, absurde, destructrice. Nous souffrons d’être réduits à des robots, des machines, des esclaves. Nous souffrons d’être humiliés faute d’être des esclaves suffisamment « performants ». Nous souffrons de rentrer vidés, de ne pas pouvoir vivre. Nous souffrons d’être en guerre de tous contre tous avec nos semblables, d’être objet d’une haine envieuse ou d’envier haineusement quelqu’un d’autre. Nous souffrons d’être menacés d’élimination économique chaque seconde. Nous souffrons d’être dans une précarité permanente. Nous souffrons d’être traités de « capital humain », de « mauvaise graisse », de « facteur humain », de « bras cassés », d’« assistés », de « fainéants ». Nous souffrons d’être des soldats d’une guerre économique permanente, sacrifiés sur l’autel de la compétitivité, de la productivité et de la croissance, bref du capitalisme. Nous souffrons de souffrir seul, de devoir nous cacher notre souffrance, de nous mentir, de ne pas pouvoir parler de notre souffrance, de devoir cacher celle-ci aux autres. Nous souffrons qu’on nous mente, et qu’on se propose d’approfondir encore notre souffrance et notre servitude avec cette nouvelle réforme du travail. Nous souffrons de travailler, il n’y a pas de « souffrance au travail », travailler au sein du capitalisme c’est souffrir, il n’y a pas « le travail et ses souffrances », le travail, c’est souffrance. Cette loi n’est donc qu’un ultime approfondissement du travail comme souffrance et comme servitude.
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    Ne travaillez jamais signifie : ne vendez jamais votre vie, votre temps, votre activité, votre faire, comme marchandise, comme marchandise produisant d’autres marchandises et de l’argent, comme marchandise produisant un monde de mort.
    Le travail est en effet, de par son essence même, l’activité non-libre, inhumaine, asociale. Le travail, c’est une dépossession de sa vie au profit d’une fonction machinique de production de marchandises et de valeur, c’est une vente de soi, de son existence, de son temps de vie, de son activité, de son faire, comme marchandise. C’est un esclavage libre, libre au sens où on l’on peut refuser de travailler contrairement aux esclaves, mais comme on a été dépossédé de toute possibilité d’existence en-dehors du Marché, pour survivre, on doit travailler. Comme des esclaves, nous avons une compensation, eux en nature, nous en argent. Comme des esclaves, on nous envoie des forces de répression lorsqu’on se révolte. Qu’on vende des heures d’activité ou notre production soi-disant autonome, qu’on soit salarié.e ou ubérisé.e, nous sommes réduits à des marchandises productrices de marchandises (qu’importe quelles marchandises, qu’importe comment, tant qu’elles rapportent). Notre labeur n’est pas une réponse qualitative à nos besoins particuliers (y compris collectifs), mais une production machinique de marchandises et d’argent, ou (auparavant) une acquisition machinique de savoirs formatés que l’on soit lycéen.ne ou étudiant.e. Avec ou sans proxénète, nous sommes tous des prostitué.e.s, nous vendons notre cerveau, nos muscles, notre sexe, qu’importe. Nous sommes des robots (travailleurs, en tchèque), des individus réduits à des machines productrices. Nous sommes soumis au capitalisme, ce Moloch insatiable, ce train aveugle écrasant tout sur son passage. La pulsion de vie doit se défaire du travail, du capitalisme et de l’État, c’est d’une abolition et non d’une réforme qu’il s’agit.
    Nous n’avons pas peur de cette société de travail sans travail, c’est cette société de travail sans travail qui a peur de nous.
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    Nous n’avons de toute façon pas d’autre choix que d’en finir avec le capitalisme et son travail, en raison même de la dynamique du capitalisme en crise. Chaque entreprise doit, en raison d’une saturation tendancielle des marchés et d’une compétition généralisée pour vendre ses marchandises, réduire ses coûts, donc substituer du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots. Cette élimination de « travail vivant » fait qu’il y a, par conséquent, une baisse tendancielle de la demande (hors-crédit) puisque ceux qui ne travaillent plus ont moins de revenus (comme ceux qui restent d’ailleurs). Depuis 40 ans de troisième révolution industrielle, avec l’introduction de l’informatique, de l’automatisation et de la robotique dans le processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d’une substitution complète de certains pans du « travail vivant » par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées...) provoque ainsi l’explosion du chômage technologique. Et ce chômage technologique, alimentant une baisse de demande solvable, donc une baisse tendancielle de la consommation, entraîne une saturation d’autant plus rapide des marchés, des crises de surproduction toujours plus fréquentes donc de nouvelles substitutions de « travail vivant » par des machines/robots, entraînant une nouvelle baisse de demande solvable, une nouvelle phase de crise, etc., et cela ad nauseam. La dynamique du capitalisme conduit donc à une éviction progressive du « travail vivant » du procès capitaliste : 10-15% de chômage aujourd’hui, plus de 47% en 2030 selon certaines projections. Et cette augmentation structurelle du « chômage technologique » s’effectue en parallèle, comme on le voit depuis plus de 50 ans, d’une intensification et d’une précarisation du « travail vivant » restant. Le devenir structurel du capitalisme, c’est donc une multiplication des phases de crise, une augmentation progressive du chômage technologique et une intensification-précarisation du travail restant, jusqu’au chômage quasi-total, l’esclavage des derniers travailleurs et l’effondrement du capitalisme.
    L’économie ne veut plus de nous, nous ne voulons plus d’elle. L’économie veut se débarrasser de nous, débarrassons-nous d’elle !

    LA VIE LIBÉRÉE

    Le mouvement actuel d’opposition au projet de loi-travail a réveillé nos vies et nos rêves au nom d’un mauvais rêve de certains, il faut maintenant qu’elle s’attaque au cauchemar réalisé du travail et de sa crise. Il ne s’agit plus de lutter défensivement contre une loi en attendant qu’une prochaine phase de crise nous l’impose au nom du « réalisme économique », il faut combattre offensivement cette réalité économique de crise et en crise. Il ne faut plus mendier l’ajournement de l’inévitable au sein du capitalisme en crise, mais abolir celui-ci aujourd’hui. Le réformisme « progressiste » est mort, il n’y a plus qu’un sous-réformisme de cogestion de crise, seule une optique résolument révolutionnaire est désormais réaliste.
    Nous savons toutes et tous que nos « mouvements sont faits pour mourir », et ce n’est pas grave. Si c’est en général un projet de loi rétrograde ou un évènement particulier comme une immolation ou une « bavure » policière qui vont servir de déclencheur à un mouvement de protestation et créer des communautés d’acteurs près à se battre contre un objet commun, le mouvement dépasse toujours son objet et c’est ce dépassement qu’il nous faut chercher.
    Nous nous intéressons peu à la massification, les pétitions sont signées puis oubliées, les cortèges défilent et rentrent chez eux, les vitrines sont brisées puis réparées, les murs tagués puis nettoyés. Si la manifestation peut faire infléchir, si les grèves peuvent faire peur, si les émeutes peuvent être salutaires il nous faut nous saisir de ces moments particuliers que sont les situations insurrectionnelles pour nous rencontrer, nous constituer en communautés, en communautés de lutte, en communautés d’ami.e.s. Il nous faut créer. Il nous faut nous créer.
    Un mouvement ouvre une brèche, crée une coupure temporelle, une rupture dans le déroulement linéaire de nos vies. Ces moments de « pause » nous conduisent à reconsidérer nos vies, à les saisir telles qu’elles sont et à les imaginer telles qu’on voudrait qu’elles soient. Ces brèches sont souvent l’occasion de rencontres, de densification des liens, de création de relations qui dépassent le seul intérêt stratégique. C’est sur la durabilité et la qualité de ces relations qu’il nous faut nous appuyer maintenant pour qu’émergent des communes, partout, tout le temps. Plus que des simples communautés de lutte ou de résistance qui, par définition n’existent que le temps de la lutte, bâtissons de véritables foyers d’insoumission, des points de fixation des colères et des désirs. Saisissons-nous d’appartements, de friches, de bocages, saisissons-nous d’entrepôts, d’universités, de châteaux, transformons des sols bétonnés en jardins d’approvisionnement des luttes. Etablissons-nous sur les territoires et habitons-les et vivons-y le monde que l’on veut vivre.
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    Omnia sunt communia. Nous formerons ensemble des communes, comme celle de Paris de 1871, d’Aragon de 1936 et de Notre-Dame-des-Landes, des communes associées entre elles, des communes où nous ferons ensemble ce que nous voulons et personnellement ce que nous voulons, des communes où il y aura de commun ce qui aura été décidé comme tel et ce qu’il y aura de personnel aura été décidé comme tel, des communes où nous pourrons faire autre chose de nos vies que nous vendre comme marchandise, produire des marchandises et consommer des marchandises. Les habitant.e.s des communes plutôt communisantes feront ensemble ce qu’ils auront librement choisi de faire - en accord avec les possibilités du monde-de-la-vie - et partagerons en fonction des besoins de leurs membres leurs activités comme leurs produits (avec, en cas d’abondance insuffisante, une auto-régulation collective). Les communes plutôt personnalisantes seront peuplées de personnes faisant séparément ce qu’ils ont envie-besoin de faire, et partageront après coup sous forme d’une chaîne de dons libres. Désormais, dans l’une comme dans l’autre, nul.le ne sera obligé de vendre son cerveau, ses muscles ou son sexe. Les communes formeront entre elles une chaîne de dons, permettant une satisfaction de l’ensemble de leurs besoins tout en entretenant des relations d’amitié.
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    La vie s’épanouira dans une vita contemplativa, mais aussi dans une vita activa, où, au lieu de s’asservir au travail et au capitalisme, nous cultiverons des légumes et des fruits, nous construirons des maisons, tracerons des chemins, écrirons des histoires et des chansons, nous ferons ce qu’il nous plaira en même temps que ce qu’il nous faudra dans l’optique d’une poursuite de notre vie s’épanouissant, et non ce qu’une demande abstraite de marchandises exige. De nouvelles subjectivités émergeront de ces nouvelles vies, épanouies dans une diversité non-finie du faire.
    Il n’y aura plus de gens seulement artistes au détriment de l’épanouissement artistique des autres et de leur propre épanouissement dans d’autres domaines, mais des gens qui, entre autres choses, feront de l’art. Nous ne voulons pas simplement rendre l’art commun à tous mais intégrer l’art à notre faire, à nos vies. Il n’y aura plus de sphère séparée du travail, mais une vie mêlant vita activa et vita contemplativa. Le temps sera celui de notre vie et de ses activités, non celui des montres et du travail. Il n’y aura pas de comptabilité, de mesure, de pointage, de productivité, de rendement, d’évaluation individuelle des performances.
    Nous ré-apprendrons des savoirs-faire dont nous avons été dépossédés (et ce, à chaque génération, avec l’école comme enseignement de l’ignorance), nous saurons tout faire nous-mêmes (collectivement), après des siècles de prolétarisation réduisant l’activité productive à un nombre limités de gestes répétés ad nauseam.
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    Les communes formeront leurs propres institutions, lesquelles seront instituées selon notre volonté collective et désinstituées lorsqu’elles ne nous conviendront plus. Les habitants des communes décideront collectivement, en assemblée, ce qu’il faut faire s’agissant des affaires de tous. Et s’il y a des décisions qu’il faut prendre au niveau d’une fédération (plus ou moins grande) de communes, c’est du bas que devra venir toute décision finale. Les communes aboliront donc immédiatement l’État, ce frère jumeau du capitalisme, cette structure de domination bureaucratico-militaro-policière, ce système d’extorsion. Il ne s’agit pas de réhabiliter la politique comme sphère séparée du reste de la société, puisque l’auto-organisation et l’auto-détermination sont le contraire même de l’État et de la politique. Il s’agit plutôt de redonner au politique sa temporalité originaire, celle de la quotidienneté.
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    Il est évident que nos communes devront être au-delà des genres et des races constituées capitalistiquement. Les communes seront, ainsi, sans masculinité viriliste, celle du sujet capitaliste, insensible, impitoyable, suprémaciste, et sans féminité soumise, subordonnée, dissociée. Elles seront, de même, sans sujet colonial, raciste, dominateur, exploiteur, et sans sujet indigène, racisé, dominé, exploité. Les communes abolissent d’une seule traite prolétaires et capitalistes, sujet masculins et sujets féminins, (post) coloniaux et indigènes, loin de se contenter de l’affirmation du pôle dominé, lequel fut constitué au moment de l’émergence du capitalisme comme système d’exploitation, patriarcal et colonial.
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    Le monde, oui, mais pas ce monde de mort. Au niveau des infrastructures, nous détournerons ce qui est détournable pour en faire ce que nous aurons décidé d’en faire, nous détruirons ce qui n’est pas détournable (gigantesques usines, systèmes aéroportuaires et autres infrastructures de mort) dans une logique non-capitaliste (puisqu’une infrastructure résulte d’une logique matérielle découlant elle-même d’une logique sociale - et lorsque cette logique sociale est capitaliste, il en résulte une logique matérielle et donc une infrastructure intrinsèquement capitaliste). Au niveau des techniques, nous détournerons des techniques détournables, nous détruirons des techniques indétournables (bombes nucléaires, centrales nucléaires, etc.), nous re-découvrirons des techniques et des savoirs-faire, nous développerons des techniques et des savoirs-faire développés aux marges du capitalisme (permaculture), nous inventerons des techniques nouvelles découlant d’une forme de vie et de société nouvelles. Nous établirons un équilibre entre de gigantesques villes invivables, bétonnées et polluées, et des déserts ruraux, en transformant celles-ci en communes urbaines de taille humaine sans rupture avec une campagne environnante, et celles-là en communes rurales de centaines ou de milliers d’habitants. Il en résultera un univers matériel de techniques et d’infrastructures conviviales, autonomisantes, non-destructrices, et de communes de taille humaine. On ne s’en remettra donc pas à des méga-usines automatisées, où ce qu’on avait voulu abolir (travail, hiérarchie, spécialisation des activités, pollutions) se reconstituera.
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    Il est temps d’en finir avec le travail, avec l’économie, avec l’État, avant qu’ils en finissent avec nous. Ce sera notre monde, ou rien. Ce ne sera pas ce monde de mort, mais la mort de ce monde. Crevons cette société morbide, moderne, capitaliste, colonialiste-raciste, patriarcale, étatiste, hétéronome, hiérarchique, totalitaire. Créons une société vivante, nouvelle, non-marchande, égalitaire, libertaire, autonome, horizontale, plurielle. Créons une vie de désir, cette vie que nous désirons, que nous décidons. Créons des espaces-temps d’intersubjectivité, d’auto-organisation, d’insoumission.

    Soyons résolus à ne pas mourir, et nous voilà vivre. L’histoire ne se fera pas sans nous, une fois encore. Ce sera notre histoire, cette fois.

    Comité érotique révolutionnaire
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    http://www.palim-psao.fr/2016/04/vivre-ou-rien-il-faut-pousser-ce-qui-tombe-par-le-comite-erotique-revolut
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    http://inventin.lautre.net/livres.html#comiterotique

    L’autonomie ou rien
    http://inventin.lautre.net/livres/CER-L-autonomie-ou-rien.pdf

    Vivre la commune
    http://inventin.lautre.net/livres/CER-Vivre-la-commune.pdf

    Libérons-nous du travail
    http://www.palim-psao.fr/2016/12/parution-de-liberons-nous-du-travail-le-manifeste-du-comite-erotique-revo

  • Herbert Marcuse en français, Progrès technique et répression sociale, sur Radio Zinzine chez @tranbert
    https://sniadecki.wordpress.com/2016/03/01/rmu-marcuse

    Pour lui, la société contemporaine se soumet aux règles de la libéralisation économique et d’une administration de plus en plus totalitaire et son avenir dépend surtout du développement de l’appareil technologique. Deux tendances contraires sont alors analysées : l’abolition ou la perpétuation du travail. En effet, la défense contre un ennemi extérieur, l’accélération du progrès technique, une productivité toujours plus grande et une augmentation du niveau de vie mènent, par souci de contrôle de l’individu, à la répression sociale par un travail obligatoire. Marcuse poursuit sa démonstration philosophique en discutant la théorie freudienne de la civilisation : aurons-nous la capacité de modifier la structure de la société afin de reconstruire un monde qui se rapproche de la rationalité et de la liberté ?

    J’ignorais que Marcuse parlait français, bien que ce soit avec un fort accent germano-américain et une élocution assez laborieuse, ce qui rend le contenu très philosophique de sa conférence plus aisément compréhensible…

    http://www.zinzine.domainepublic.net/emissions/RMU/2015/RMU20151216-Marcuse.mp3

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