• Déchéance de la nationalité ? La leçon américaine de Trop

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/20/decheance-de-la-nationalite-la-lecon-americaine-de-trop_1428605_3232.html

    Le 22 mai 1944, Albert Trop, un jeune soldat américain, s’évadait d’une prison militaire américaine de Casablanca où il se trouvait confiné pour des motifs disciplinaires. Il errait quelques heures entre Casablanca et Rabat sans argent ni nourriture. Affamé, il finissait par se rendre à l’armée américaine. Traduit devant une cour martiale, Trop fut condamné pour « désertion en temps de guerre » à trois ans de travaux forcés et renvoyé de l’armée pour manquement à l’ honneur. Huit ans plus tard, en 1952, l’administration lui refusait la délivrance d’un passeport au motif que les condamnations subies pendant la guerre lui avaient fait perdre sa citoyenneté américaine, par l’effet de la Section 401(g) du Nationality Act de 1940, loi dont les origines remontaient à la Guerre de sécession. L’intéressé s’en rapportait alors à la justice jusqu’ à la Cour suprême des Etats-Unis. (...)

    "LA DÉCHÉANCE DE LA CITOYENNETÉ N’EST PAS UNE ARME"

    La Cour suprême constate ensuite que le Nationality Act, qui vise à travers la déchéance de la citoyenneté, à « punir » les déserteurs, est une loi « pénale » qui doit être assujetties aux règles strictes qui régissent cette matière. Elle juge alors que cette rupture forcée du lien d’allégeance constitue « une forme de punition plus primitive encore que la torture en tant qu’elle détruit l’existence politique de l’individu en développement depuis des siècles… » ["It is a form of punishment more primitive than torture, for it destroys for the individual the political existence that was centuries in the development"], l’apatride devenu étranger en son pays et susceptible d’être à tout moment expulsé ayant « perdu le droit d’ avoir des droits » ["(He) has lost the right to have rights "]. La Haute cour en conclut que la déchéance de la citoyenneté, érigée en peine complémentaire du crime de désertion, est contraire à la prohibition des traitements inhumains et dégradants du 8e amendement à la Constitution américaine.

    Du point de vue de la politique pénale, on ne peut que relever l’humanisme qui empreint cet arrêt ayant toujours force de précédent, dans lequel il est affirmé notamment que la « déchéance de la citoyenneté n’est pas une arme dont le gouvernement peut user pour marquer son mécontentement devant certaines conduites, quelque répréhensible qu’elles soient » ["The deprivation of citizenship is not a weapon that the Government may use to express its displeasure at a citizen’s conduct, however reprehensible that conduct may be"] – et se féliciter aussi des bienfaits de l’indépendance du judiciaire exercé dans le cadre d’ une véritable séparation des pouvoirs. Du point de vue de l’avocat, il est sans doute fascinant qu’une évasion soit indirectement à l’origine d’un des plus beaux arrêts de cette Cour, certes d’inspiration libérale, mais qui n’était pas réputée pour son angélisme en matière pénale, ce dont témoigne le statu quo dans lequel la « Cour Warren » a laissé la peine de mort.

    Stéphane Ceccaldi, avocat