Deltombe : « L’islamophobie, un instrument de pouvoir qui permet de reformuler le racisme d’antan »

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  • Deux entretiens d’Hassina Mechai a propos d’#islamophobie

    Avec Thomas Delthombe

    "Ayant étudié les représentations médiatiques de l’islam en France sur le temps long, entre les années 1970 et les années 2000, je suis sceptique lorsque l’on parle de « rupture » et de « nouveauté ». Beaucoup de ce qui est dit aujourd’hui sur l’« islam » et les « musulmans » – avec beaucoup de guillemets – était déjà en germe dans les décennies précédentes. S’il y a bien des évolutions, et s’il se produit par moment des phénomènes d’accélération, les représentations publiques ne changent pas du jour au lendemain.

    Pour ce qui concerne la période très récente, mais qui ne date pas des attentats de janvier et novembre 2015, je vois deux évolutions importantes. La première est la prise en compte du phénomène qualifié d’« islamophobie ». Alors que, pendant des années, les élites françaises refusaient globalement d’utiliser ce terme, et donc de regarder le phénomène qu’il décrit, les choses ont légèrement évolué depuis deux ou trois ans. Si le terme est encore loin de faire consensus, un nombre croissant de responsables politiques et médiatiques français acceptent désormais de l’utiliser. Cela est le résultat de plusieurs phénomènes : d’abord, l’explosion de faits, attaques ou discours que l’on peut difficilement décrire autrement que comme « islamophobes » ; ensuite, le travail patient de diverses associations qui, malgré un environnement difficile, réussissent peu à peu à inscrire la question de l’islamophobie dans l’agenda politique et médiatique.

    Le second phénomène important, qui n’est pas contradictoire avec le précédent, est la radicalisation d’une partie des milieux islamophobes. Un peu à la manière de Pegida en Allemagne, certains groupuscules et certaines personnalités se radicalisent dans leur haine de ce qu’ils imaginent être l’« islam ». Les discours de certains « intellectuels » français et de certains journalistes sont de plus en plus radicaux. On peut penser, pour illustrer cette tendance, à un journaliste comme Éric Zemmour dont les derniers livres, particulièrement réactionnaires, se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires. Un autre exemple intéressant est celui d’Alain Finkielkraut, dont le discours sur l’« islam » est d’une certaine manière encore plus radical que celui du Front national mais qui, lui aussi, vend des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres et qui a même été nommé à l’Académie française. À l’évidence, l’islamophobie est devenue un juteux filon…

    On pourrait ajouter une troisième évolution aux deux précédentes : l’émergence d’un discours islamophobe d’aspect « anti-islamophobe ». Cette évolution est le résultat des deux précédentes mais c’est un phénomène assez classique : lorsque le racisme est nommé comme tel (en l’espèce dans sa variante islamophobe) et lorsqu’une partie des milieux racistes se radicalisent (en l’occurrence en se focalisant sur l’« islam »), ceux que l’on pourrait appeler les « racistes modérés » – c’est-à-dire ceux qui participent au système raciste « sans le savoir » – ont tendance à camoufler et à refouler leur racisme. C’est ce qui est, à mon avis, en train de se produire actuellement : une partie des élites françaises acceptent de dénoncer l’islamophobie mais ne le font que de façon purement superficielle, incantatoire et morale, en prenant bien soin de ne jamais s’interroger sur ce que cette nouvelle forme de racisme révèle des structures de pouvoir dans la société française. Ce refoulement n’est évidemment pas fortuit."

    http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/deltombe-l-islamophobie-un-instrument-de-pouvoir-qui-permet-de-reform

    Avec Shlomo Sands

    " La France a eu une longue tradition judéophobe. Cette judéophobie a été un code de communication acceptable, pas seulement dans les milieux catholiques mais également chez beaucoup de laïcs républicains, de Barrès à Céline. L’intolérance envers la figure du Juif à travers le XIXème siècle la première moitié du XXème vient aussi d’une certaine culture nationale. Je pense que cette judéophobie, très profonde en France, a disparu non pas après la Seconde Guerre mondiale mais à la fin des années cinquante. Cette judéophobie n’existe plus dans la culture de masse ou dans les élites. Même dans l’extrême-droite française, avec le passage de Jean-Marie Le Pen à sa fille, l’antisémitisme a cessé d’être légitime. Cependant, il me semble qu’en marge dans les ghettos-cités, il y a la naissance d’une nouvelle judéophobie qui est liée au conflit israélo-palestinien.

    Je pense surtout que l’islamophobie a remplacé la judéophobie. Je montre, par exemple, que si on remplace dans le livre de Houellebecq, toutes les descriptions concernant les musulmans par des descriptions des juifs, on obtiendrait un pamphlet judéophobe. Ce mouvement s’est accompagné d’une nouvelle référence à une prétendue « civilisation judéo-chrétienne ». Or du point de vue purement théologique, ce concept est une blague, tout simplement. Le Judaïsme est plus proche de l’Islam que du Christianisme. Les conflits entre juifs et chrétiens ont été plus importants qu’entre juifs et musulmans. Le juif, comme minorité religieuse, a souffert beaucoup plus sous le christianisme que dans le monde musulman. Même s’il y avait le statut de dhimmi cela n’a rien à voir avec les souffrances dans le monde chrétien qui se sont terminées à Auschwitz. Mon grand-père et ma grand-mère, gazés en Pologne, ignoraient qu’ils vivaient dans une civilisation judéo-chrétienne. Quand j’entends ce concept, je suis effrayé et en colère car c’est une négation totale de l’Histoire."

    https://blogs.mediapart.fr/hassina-mechai/blog/190416/shlomo-sand-l-islamophobie-remplace-la-judeophobie

  • Thomas Deltombe : « L’islamophobie, un instrument de pouvoir qui permet de reformuler le #Racisme d’antan »
    http://contre-attaques.org/l-oeil-de/article/thomas

    Interview de Thomas Deltombe, journaliste et essayiste, qui pose son regard sur l’islamophobie des quarante dernières années. L’année 2015, ses deux attentats terroristes et l’islamophobie galopante marquent-ils une rupture dans le paysage historique Français en matière d’islamophobie. Thomas Deltombe y répond. Extrait. Après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015, le nombre d’actes islamophobes en France s’est sensiblement accru. Dans ce pays où vivent quelque cinq (...)

    #L'œil_de_Contre-Attaques

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