Si elle tente aujourd’hui d’en rire, la jeune femme décrit « l’état de stress » , « les cauchemars » et « les pleurs » . « Mon boulot était en jeu, j’avais signé un contrat, j’ai dû annoncer la veille de la rentrée que je ne pourrai pas travailler avec eux, car nous n’avions pas trouvé de logement » , se rappelle Elise.
Tous les deux au smic, Elise et Etienne ont fini par trouver une maison délabrée à Saint-Barthélémy pour 140 000 euros. « On récupère les rebuts, les ruines, les bords de route » , poursuit la jeune femme. « En plus des belles maisons, les personnes avec des moyens s’offrent un cadre de vie sain, quand nous, on risque de crever d’un cancer à 60 ans » , ajoute Etienne, après avoir visité de nombreuses habitations « au milieu des champs de monocultures pleins de pesticides » .
En arrivant à Belle-Ile, en 2017, après l’embauche de son compagnon, Oriane Pantani a vécu plusieurs mois dans un bungalow avec leurs trois enfants, dont un nouveau-né. Leur second logement, une maison louée 1 000 euros par mois, s’est révélé tout aussi précaire : « Il pleuvait dans les chambres, et mon fils a fait de l’asthme à cause des champignons. »
Dix mois de l’année, Jimmy Faure, 47 ans, occupe une coquette maison ornée d’hortensias fuchsia dans la commune de Locmaria, à Belle-Ile. Durant l’été, l’entrepreneur dans le bâtiment est contraint de vivre au camping, laissant la place à sa propriétaire, de passage pour les vacances. « J’organise ma vie pour tout déplacer » , précise le père de famille séparé, posté devant son « potager à roulettes » , qu’il emporte avec lui au camping, où il accueille ses deux enfants l’été. Deux mois à 1 600 euros, sans eau, sans électricité.
« Mentalité de colons »
Vivant de gîte en gîte depuis des mois, Karène Lerner, 48 ans, a dû quitter son dernier logement fin juin. « Je payais 620 euros par mois, c’est le prix auquel le gîte est désormais loué à la semaine » , précise la mère de famille au chômage, installée en Bretagne depuis cet hiver, avec l’ambition d’ouvrir une écurie. Grâce à un article publié dans une gazette du coin, Karène s’est vue proposer un logement dans un local agricole, à Languidic. Une solution qu’elle espère temporaire : « Ma fille cadette s’installe avec moi à la rentrée. » En attendant, elle stocke « quarante-huit ans de vie dans un poulailler » , gardant, dans sa voiture, les objets de première nécessité, alors que ses deux chevaux vivent sur un terrain prêté par une connaissance.
Parfois, le départ constitue la seule option. Originaire de Belle-Ile depuis des générations, Tatiana Féchant, 45 ans, a quitté le caillou en 2021, emmenant son père et sa fille cadette, Thaïs. « Après des années en HLM,j’avais envie de devenir propriétaire, de laisser quelque chose à mes enfants » , confie cette mère de trois filles. Les prix étant devenus inabordables pour son salaire d’aide-soignante, elle s’est installée à Guern, près de Pontivy.
« En ayant vécu toute ma vie à Belle-Ile, je sais de quoi je la prive, mais l’évolution de l’île ne me convenait plus » , rapporte Mme Féchant, évoquant l’arrivée massive de néoinsulaires. Elise décrit aussi « la mentalité de colons » de certains résidents secondaires : « En venant dépenser leur argent ici, ils pensent apporter leurs bienfaits, à nous, les ploucs. » Cette crise du logement souligne avec acuité une reconfiguration sociale qui charrie son lot de tensions.
Samedi 2 juillet, deux mondes se font face à Quiberon. A l’initiative du collectif Dispac’h, des tentes Quechua ont été installées sur l’immense plage de la station balnéaire, alors que l’artère principale déverse son flot de touristes. « La Bretagne n’est pas à vendre » , « Camping pour locaux », « La Bretagne n’est pas une résidence secondaire » , peut-on lire sur les pancartes du rassemblement.
Déplorant « un manque de courage politique » et « une inaction des élus » , les différents collectifs réclament en urgence l’intégration de la Bretagne en « zone tendue » . Jusqu’ici réservée aux grandes agglomérations, cette catégorisation décidée par l’Etat permet notamment aux maires de plafonner les loyers ou d’augmenter la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Selon le collectif Dispac’h, si plusieurs communes se disent intéressées par ce dispositif, aucune n’en a fait la demande.
Lors de la dernière session du conseil régional de Bretagne, le président de la région, Loïg Chesnais-Girard (divers gauche), a réclamé au nouveau gouvernement des outils pour mieux réguler les locations de courte durée. « Nous voulons donner la capacité aux maires d’acquérir des biens pour ensuite loger leurs administrés » , détaille M. Chesnais-Girard. Jimmy Pahun député (Ensemble !) du Morbihan, défend, lui, le comblement des « dents creuses », des parcelles vides situées entre deux bâtiments construits dans un même hameau.
« Les seules mesures proposées consistent à construire de nouveaux logements, mais c’est une aberration écologique de défendre l’artificialisation des sols , selon Ewan Thébaud, porte-parole de Dispac’h. Les élus ont tout à gagner en dynamisant leurs communes à l’année » . Sinon, la pénurie de logements pourrait se transformer en pénurie de bras. « Il ne faudra pas s’étonner quand l’île sera vide, que les bars seront fermés l’hiver, que les infirmières devront quitter l’hôpital » , s’alarme Audrey, craignant que les volets fermés soient un jour aussi les siens.