PARTIE 2. ANALYSE CRITIQUE DU RÉGIME DE L’ÉTAT D’URGENCE
Décrété le lendemain des assassinats terroristes du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été, moins d’une semaine plus tard, prolongé jusqu’au 26 février 2016 par un Parlement ayant approuvé à la quasi-unanimité le projet du gouvernement.
Pareille précipitation ne peut qu’interpeller dès lors que l’on mesure l’ampleur des atteintes à l’Etat de droit que permet le régime d’exception institué par la loi du 3 avril 1955 et qui a été encore aggravé par la loi du 20 novembre 2015. Une ampleur telle que le gouvernement a dû officiellement notifier au Conseil de l’Europe et au comité des droits de l’homme des Nations Unies qu’il risquait de déroger aux droits respectivement garantis par la convention européenne des droits de l’homme et par le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La seule question qui se pose est donc celle de la nécessité, dans une société démocratique, d’une telle atteinte aux libertés publiques. A cet égard, passé l’effet de sidération suscité par les attentats, le motif avancé par le gouvernement pour justifier la mise en place d’un tel régime d’exception – la lutte contre le terrorisme – doit être sérieusement discuté. D’abord, parce que l’état d’urgence n’a pas été introduit dans notre législation pour cette fin mais essentiellement, dans le contexte de la guerre d’Algérie, pour donner toute latitude à l’autorité administrative pour la répression des opposants au régime colonial.
Ensuite et surtout parce que notre système répressif s’est doté, depuis 1986, d’une législation spécifique à la poursuite, l’instruction et au jugement des infractions terroristes, qui prévoit notamment la spécialisation des juridictions et la possibilité de mettre en œuvre des modes d’investigation dérogatoire au droit commun afin de tenir compte du caractère organisé de ce type de criminalité. Cet arsenal répressif est en outre construit autour d’une infraction très spécifique, l’association de malfaiteurs à visée terroriste, qui conduit à sanctionner de manière extrêmement large et précoce des actes préparatoires à un acte de terrorisme47.
C’est pourquoi, on peut très légitimement se demander si le recours à l’état d’urgence est, sinon indispensable, du moins utile à la prévention et la sanction des infractions terroristes. Or, l’analyse minutieuse de ce régime d’exception et des mesures qu’il autorise permet d’affirmer que, loin de renforcer l’aptitude des pouvoirs publics à faire face à ce type de criminalité, il contribue au contraire à accroître le risque qu’il prétend combattre.
La présente étude s’attachera donc à exposer pour quelles raisons l’état d’urgence ne peut, d’une façon générale, être considéré comme une atteinte aux libertés légitime dans une société démocratique (I), avant de présenter de façon détaillée l’analyse de chaque mesure, de la nature et du sens de leurs spécificités par rapport au droit commun (II).
I. UNE ATTEINTE ILLÉGITIME DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE
1. TOUTES LES MESURES PERMISES AU TITRE DE L’ÉTAT D’URGENCE SONT DÉJÀ PRÉVUES EN DROIT COMMUN
2. LA SPÉCIFICITÉ DE L’ÉTAT D’URGENCE NE RÉSIDE PAS DANS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU PHÉNOMÈNE TERRORISTE, MAIS DANS UNE POUSSÉE GÉNÉRALISÉE DE L’ARBITRAIRE
3. CETTE PROPENSION À L’ARBITRAIRE ACCROÎT LE RISQUE TERRORISTE
II. ANALYSE DÉTAILLÉE DES MESURES PERMISES PAR L’ÉTAT D’URGENCE