Etat d’urgence et l’urgence d’en sortir : l’analyse juridique

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    http://libertes.blog.lemonde.fr/2016/01/28/etat-durgence-et-lurgence-den-sortir-lanalyse-juridique

    Une série de juristes de gauche ont publié une analyse fine (mais copieuse) de l’état d’urgence, en trois temps - ce sont des universitaires : la conformité aux engagements internationaux, l’analyse critique du régime, puis celle du projet de loi constitutionnel.
    Le texte est signé par le Syndicat de la magistrature (SM) ; le Syndicat des avocats de France (SAF) ; l’Observatoire international des prisons (OIP) ; la Quadrature du Net (LQDN) ; le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) ; Jeanne Sulzer et Charlotte Bernard, d’Amnesty International France ; Serge Slama, maître de conférences en droit public ; Jean-Philippe Foegle, doctorant, Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense ; Aurélien Camus, docteur, chargé d’enseignements ; et Kenza Belghiti Alaloui, Olivier Berlin Claros, Laetitia Braconnier Moreno, Anaïs Gollanes, Nina Korchi, Anaïs Lambert, Etienne Lemichel, Matthieu Quinquis, étudiant.e.s du Master II Droits de l’Homme de l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.

    Le document, de 75 pages !, est fourni en pdf (Scribd) téléchargeable. Il ne comporte pas d’executive summary, je ne sais pas si la presse va prendre le temps d’en analyser et résumer le contenu…

    • Quelques extraits.

      L’introduction

      Ce document est le fruit d’un travail collectif de juristes conscients de leur rôle et de leur responsabilité dans une société démocratique1. Ses auteur(e)s y ont pris part soit à titre personnel, soit comme représentant(e)s d’une association ou d’une organisation syndicale. Ils ont tous en commun la volonté de faire vivre l’exigence posée par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Klass c/ Allemagne du 6 septembre 1978, qui énonce que « les États [...] ne disposent pas [...] d’une latitude illimitée pour assujettir à des mesures de surveillance secrète les personnes soumises à leur juridiction. Consciente du danger, inhérent à pareille loi, de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre, elle affirme qu’ils ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée ».
      Profondément inquièt(e)s des conditions dans lesquelles la constitutionnalisation de l’état d’urgence est présentée et discutée, et des risques d’une intégration des mesures d’exception dans le droit commun, ils et elles ont tou(te)s été animé(e)s par la volonté de mettre à la disposition du public une analyse approfondie du régime de l’état d’urgence et des implications de son inscription dans le texte de la Constitution. Ils et elles souhaitent contribuer ainsi à nourrir le débat qu’exige un texte aussi lourd de conséquences pour les droits et libertés les plus fondamentales.
      Si des nuances peuvent exister dans l’appréciation portée par chacun(e) des auteur(e)s sur le principe même d’une constitutionnalisation de l’état d’urgence, leurs contributions ont pour objectif commun, en développant une analyse critique du texte qui va être soumis à la représentation nationale, d’en décrypter les enjeux et la portée.
      Le danger pour la démocratie est en effet double. Le risque d’une répression aveugle et disproportionnée que porte l’état d’urgence ne menace pas simplement l’exercice quotidien par le citoyen de ses libertés. En contribuant, par un surcroît d’arbitraire, à la dispersion des forces répressives, il est tout autant susceptible de menacer notre droit à la sûreté en diminuant sensiblement la capacité des autorités à faire face au phénomène criminel que l’on prétend combattre.

      Afin de répondre à ces interrogations essentielles, l’analyse se subdivise en trois parties :
      – Une présentation des principes internationaux qui gouvernent la proclamation d’un état d’exception temporaire ;
      – Une analyse critique du régime d’exception issu de la loi du 3 avril 1955, par comparaison avec les dispositions de droit commun et la législation pénale anti- terroriste ;
      – Une analyse critique de l’article 1er du projet de loi tel qu’éclairé par l’exposé des motifs du gouvernement.

    • L’introduction de la partie II et son plan

      PARTIE 2. ANALYSE CRITIQUE DU RÉGIME DE L’ÉTAT D’URGENCE

      Décrété le lendemain des assassinats terroristes du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été, moins d’une semaine plus tard, prolongé jusqu’au 26 février 2016 par un Parlement ayant approuvé à la quasi-unanimité le projet du gouvernement.
      Pareille précipitation ne peut qu’interpeller dès lors que l’on mesure l’ampleur des atteintes à l’Etat de droit que permet le régime d’exception institué par la loi du 3 avril 1955 et qui a été encore aggravé par la loi du 20 novembre 2015. Une ampleur telle que le gouvernement a dû officiellement notifier au Conseil de l’Europe et au comité des droits de l’homme des Nations Unies qu’il risquait de déroger aux droits respectivement garantis par la convention européenne des droits de l’homme et par le pacte international relatif aux droits civils et politiques.
      La seule question qui se pose est donc celle de la nécessité, dans une société démocratique, d’une telle atteinte aux libertés publiques. A cet égard, passé l’effet de sidération suscité par les attentats, le motif avancé par le gouvernement pour justifier la mise en place d’un tel régime d’exception – la lutte contre le terrorisme – doit être sérieusement discuté. D’abord, parce que l’état d’urgence n’a pas été introduit dans notre législation pour cette fin mais essentiellement, dans le contexte de la guerre d’Algérie, pour donner toute latitude à l’autorité administrative pour la répression des opposants au régime colonial.
      Ensuite et surtout parce que notre système répressif s’est doté, depuis 1986, d’une législation spécifique à la poursuite, l’instruction et au jugement des infractions terroristes, qui prévoit notamment la spécialisation des juridictions et la possibilité de mettre en œuvre des modes d’investigation dérogatoire au droit commun afin de tenir compte du caractère organisé de ce type de criminalité. Cet arsenal répressif est en outre construit autour d’une infraction très spécifique, l’association de malfaiteurs à visée terroriste, qui conduit à sanctionner de manière extrêmement large et précoce des actes préparatoires à un acte de terrorisme47.
      C’est pourquoi, on peut très légitimement se demander si le recours à l’état d’urgence est, sinon indispensable, du moins utile à la prévention et la sanction des infractions terroristes. Or, l’analyse minutieuse de ce régime d’exception et des mesures qu’il autorise permet d’affirmer que, loin de renforcer l’aptitude des pouvoirs publics à faire face à ce type de criminalité, il contribue au contraire à accroître le risque qu’il prétend combattre.
      La présente étude s’attachera donc à exposer pour quelles raisons l’état d’urgence ne peut, d’une façon générale, être considéré comme une atteinte aux libertés légitime dans une société démocratique (I), avant de présenter de façon détaillée l’analyse de chaque mesure, de la nature et du sens de leurs spécificités par rapport au droit commun (II).

      I. UNE ATTEINTE ILLÉGITIME DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE
      1. TOUTES LES MESURES PERMISES AU TITRE DE L’ÉTAT D’URGENCE SONT DÉJÀ PRÉVUES EN DROIT COMMUN
      2. LA SPÉCIFICITÉ DE L’ÉTAT D’URGENCE NE RÉSIDE PAS DANS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU PHÉNOMÈNE TERRORISTE, MAIS DANS UNE POUSSÉE GÉNÉRALISÉE DE L’ARBITRAIRE
      3. CETTE PROPENSION À L’ARBITRAIRE ACCROÎT LE RISQUE TERRORISTE

      II. ANALYSE DÉTAILLÉE DES MESURES PERMISES PAR L’ÉTAT D’URGENCE