• « Nous sommes si imprégnés par la logique de l’entreprise que nous l’appliquons à nos propres vies » (Thibault Le Texier, Libération)
    http://www.liberation.fr/debats/2016/01/29/thibault-le-texier-nous-sommes-si-impregnes-par-la-logique-de-l-entrepris

    Le principal facteur de diffusion de cette rationalité, c’est la place centrale qu’a pris l’#entreprise dans nos sociétés. En un siècle, elle a accaparé tous les moyens nécessaires à notre survie : elle nous permet de nous déplacer, de nous nourrir, de nous loger, de nous habiller, mais aussi de nous informer ou de prendre soin de nos enfants. Etant chaque jour au contact de dizaines d’entreprises, nous sommes de plus en plus imbibés par leur logique.
    […]
    La « rationalité managériale » vise l’efficacité, l’organisation, le contrôle et la rationalisation. […] Même à l’#hôpital, à l’#école, dans la fonction publique, beaucoup de savoir-faire informels finissent par être codifiés.
    […]
    La rationalité managériale est devenue un véritable sens commun, une évidence. Par exemple, personne ne questionne plus le principe d’#efficacité, l’un des points cardinaux du management. […] Désormais, même en politique, l’efficacité est une valeur suprême - davantage que la justice ou la souveraineté. On peut décider de politiques très efficaces et parfaitement injustes sans que ça ne choque grand monde !

    #éducation #santé #capitalisme #management

  • Thibault Le Texier : « Nous sommes si imprégnés par la logique de l’#entreprise que nous l’appliquons à nos propres vies » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2016/01/29/thibault-le-texier-nous-sommes-si-impregnes-par-la-logique-de-l-entrepris

    l’entreprise actuelle n’a alors un comportement « moral » que si elle en tire un bénéfice ?

    On assiste à un retournement des valeurs. Un des grands prêtres américains du #management scientifique, Harrington Emerson, disait à peu près : « l’efficacité ne doit pas être jugée selon les standards de la moralité, c’est la moralité qui doit être jugée selon les standards de l’efficacité. » La morale ne doit plus être une fin en soi, mais un simple moyen. On ne doit être #moral que si ça nous permet d’atteindre des objectifs prédéterminés.

    Prenez la question des #réfugiés par exemple : on se demande si on a les capacités techniques pour les accueillir, quelles sont leurs compétences, si ça aura un impact sur la croissance, etc. On fait un calcul de rendement pour savoir si ces gens sont les bienvenus ou non. Ça pose aussi des questions sur la place des personnes âgées dans notre société. Avant, les anciens étaient dépositaires d’une autorité et d’un savoir reconnus par tous. Aujourd’hui, l’évolution des connaissances est si rapide que même des gens de 50 ans sont jugés has been et inutiles. Juger les individus essentiellement à l’aune de leur fonctionnalité et de leur efficacité peut avoir des conséquences désastreuses. On en a l’exemple tous les jours.
    Le management serait une façon de gouverner, de l’ordre du politique ?

    On ne voit souvent des entreprises que leur aspect marchand et financier. La gestion obéit pourtant à une logique plus #politique que capitaliste. Le manager n’est ni un propriétaire ni quelqu’un qui recherche le profit. On a été sensibilisés aux excès du #capitalisme, et on comprend relativement bien maintenant comment il fonctionne. Le management, en revanche, est souvent regardé comme une technique neutre et sans danger, une simple question d’efficacité. Le fait qu’il passe ainsi inaperçu, alors même qu’il imprègne en profondeur nos institutions et nos valeurs, est l’une de ses grandes forces. Il est donc plus que temps de le passer au crible de la critique.

    • De l’école à l’hôpital en passant par l’Etat, le chercheur Thibault Le Texier montre dans son ouvrage « le Maniement des hommes » que plus aucun territoire n’est imperméable aux méthodes managériales, au risque de ne plus juger l’individu qu’à l’aune de l’efficacité.

      « Le #management imprègne en profondeur nos institutions et nos #valeurs »
      Robert Badinter vient de rendre son rapport sur la refonte du code du travail : pour faire contrepoids à la relation de subordination de l’employé vis-à-vis de son employeur, il s’agit « d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne humaine au travail ». Dans cette recherche constante d’équilibre entre des exigences contradictoires, Thibault Le Texier (photo DR), chercheur en sciences humaines attaché au Gredeg (Groupe de recherche en droit, économie, gestion à l’université de Nice), rappelle à quel point l’#entreprise est devenue l’institution cardinale de notre société, et le management notre mode de pensée dominant. Dans le Maniement des hommes, il souligne une vision instrumentale de l’être humain, désormais considéré comme un moyen d’atteindre une certaine fin.

      Vous décrivez une « rationalité managériale » omniprésente et omnipotente. Comment se diffuse-t-elle ?
      Le principal facteur de diffusion de cette rationalité, c’est la place centrale qu’a pris l’entreprise dans nos sociétés. En un siècle, elle a accaparé tous les moyens nécessaires à notre survie : elle nous permet de nous déplacer, de nous nourrir, de nous loger, de nous habiller, mais aussi de nous informer ou de prendre soin de nos enfants. Etant chaque jour au contact de dizaines d’entreprises, nous sommes de plus en plus imbibés par leur logique. Autrefois, on passait plus de temps au contact de la famille, de l’Eglise, de l’Etat… On baignait dans un fluide différent.

      La personne devient une entreprise, note sur le travail de production de soi , André Gorz, 2001
      http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4199