La recherche collaborative en géographie avec les Autochtones. Eléments pour une approche critique

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  • Un grand institut de recherche français accusé de « biopiraterie »
    http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2016/02/01/des-chercheurs-francais-accuses-de-biopiraterie_4856892_3244.html

    Les feuilles de Quassia amara ont des propriétés insecticides et des vertus médicinales bien connues en Amérique latine, où elles sont en particulier utilisées pour traiter des accès de paludisme. Les chercheurs de l’IRD en ont isolé une molécule, la simalikalactone E (SkE), qu’ils destinent à enrichir la pharmacopée antipaludique. Mais avant de se concentrer sur cette plante, ils ont auparavant interrogé des communautés Kali’na, Palikur et des créoles en Guyane, pour connaître leurs remèdes traditionnels, leur technique, leurs effets.

    Cette enquête ethnobotanique n’a rien de secret : l’équipe d’ethnopharmaciens et de biologistes l’a racontée dans plusieurs articles scientifiques. Ce travail lui a d’ailleurs valu d’être récompensée par leur institution du Prix de l’innovation pour le Sud en 2013. France Libertés reproche à l’IRD de ne pas avoir demandé leur consentement aux communautés qui l’ont aiguillé sur le Quassia amara et de ne pas avoir cherché à les associer à cette découverte d’une façon ou d’une autre.
    « Absence totale d’éthique »

    « Nous soutenons que dans le cas de la SkE, l’invention revendiquée n’est pas nouvelle car les chercheurs ont reproduit un savoir transmis de génération en génération », résume Emmanuel Poilâne. « L’utilisation abusive des connaissances traditionnelles des populations sans leur consentement préalable, ainsi que l’absence totale de retour pour le territoire ne peuvent plus être tolérés », a réagi comme en écho Rodolphe Alexandre (divers gauche), le président de la collectivité territoriale de Guyane. Mardi 26 janvier, dans un communiqué, il dit avoir appris « avec grand étonnement », le dépôt d’un brevet sur une « espèce typique de la pharmacopée traditionnelle locale » et dénonce « l’absence totale d’éthique de la part de ces chercheurs ». Il cite en exemple de pratiques vertueuses d’autres recherches sur des plantes menées dans le cadre d’un partenariat entre le CNRS, l’Institut Pasteur, l’université de Guyane et l’agence régionale de développement économique.

    En France, au moins en SHS, les règles d’éthique sont beaucoup moins codifiées qu’au Canada par exemple. Je pense que c’est un des arrière-plan de l’article. A mon sens, cela permet de mettre en route des recherches beaucoup plus facilement, sans devoir planifier à l’avance tout ce qu’on va trouver et laissant donc une place au hasard et à la serendipidité, sans se poser immédiatement la question de l’intéressement des parties prenantes à la recherche.
    L’article pourrait davantage souligner un autre arrière-plan implicite : la pression croissante des directions d’instituts de recherche pour "valoriser" à travers des prises de brevets les "découvertes". C’est aussi une injonction croissante de la politique gouvernementale. On voit bien que cette appropriation/marchandisation des résultats de la recherche va à l’encontre de la création de communs, en l’occurrence de futurs médicaments d’intérêt général.

    Voir sur le sujet, et à titre de comparaison : Eric Glon, « La recherche collaborative en géographie avec les Autochtones. Eléments pour une approche critique », Géocarrefour [En ligne], mis en ligne le 17 août 2015, consulté le 01 février 2016. URL : http://geocarrefour.revues.org/9630
    #communs #recherche

    • Jean-Paul Moatti rappelle qu’il n’existait ni notion de communauté autochtone ni cadre défini pour obtenir leur consentement au moment de l’enquête de terrain, en 2003. Cela devrait changer. En effet, le projet de loi sur la biodiversité prévoit que la France ratifie prochainement le #protocole_de_Nagoya. Cet accord international sur l’accès aux ressources génétiques et sur « le partage juste et équitable des avantages » n’est pas une nouveauté : il découle d’un engagement pris au moment du Sommet de la Terre à Rio en 1992, sous l’égide des Nations unies. La France l’a signé en 2011, mais pas encore ratifié. Dès lors que cela sera fait, d’autres règles déontologiques devront être établies, l’#IRD y est-il prêt ? « Nous les mettrons bien sûr en œuvre dès que la loi sera votée et nous partagerons les éventuelles retombées économiques de cette innovation », assure-t-il.

      Selon Thomas Burelli, docteur en #droit à l’université d’Ottawa, la recherche publique française, oublieuse des connaissances partagées sur le terrain une fois passée la porte des labos, ne fait pas preuve de la meilleure bonne volonté dans ce domaine. Le juriste avait déjà épinglé les pratiques de l’IRD en Nouvelle-Calédonie.