• J – 146 : @aude_v

    les psychanalystes n’ont pas été de leur côté accusé.es de culpabiliser les mères d’enfants autistes ?

    Surtout par les psychologues pour chiens. C’est un peu une vieille lune ça, disons, pour faire bref, que si tu lis très vite, en sautant un mot sur trois, en tenant le texte à l’envers et avec un éclairage intermittent, des textes de théorie psychanalytique sur le sujet de l’autisme, tu peux avoir cette impression. Les tenants du comportementalisme ont trouvé là une brèche très efficace, comme, la plupart du temps, ce sont les mères qui s’occupent des enfants autistes (et nettement moins souvent les pères, c’est vrai, il y a des exceptions, tu l’auras compris entre mes lignes), c’est un argument très populaire.

    La guerre entre le comportementalisme et la psychanalyse est une chose incroyablement étrange, c’était, dans les années septante une sorte de joute théorique qui ne faisait de mal à personne et d’une certaine manière la psychanalyse a gagné cette première bataille : au début des années 80, il n’y avait plus grand monde pour soutenir la validité des thérapies courtes.

    Jusqu’à ce que les derniers comportementalistes trouvent un terrain de bataille où ils allaient pouvoir prendre leur revanche : l’autisme.

    Le comportementalisme obtient avec les enfants autistes de très bons résultats — par ailleurs si tu fermes les yeux sur un certain nombre de conduite qui, de mon point de vue, confinent à la maltraitance psychologique —, si tu acceptes que de très bons résultats recouvrent une réalité seulement plaisante en surface, c’est-à-dire une conduite d’automate en codes sociaux, ce qui rend un inestimable service à de nombreux parents qui de fait sont isolés socialement du fait du comportement curieux de leur enfant et nul n’est indemne de ce genre de honte et d’isolement sociaux (j’ai par exemple des souvenirs assez cuisants de situations avec mon fils dont je ne parviens toujours pas à rire dix ans plus tard, ou encore, il est la seule personne que je connaisse au monde qui tire la chasse avant d’aller aux toilettes, et pas après, des fois cela ne sent pas très bon chez moi, par exemple quand je rentre du travail c’est souvent la première chose que je doive faire, tirer la chasse). Naturellement si tu penses pour ton enfant que c’est l’alpha et l’oméga qu’il se tienne à carreau en toutes circonstances (et qu’il tire la chasse après ses besoins), non sans un ton de voix qui ne sera pas sans te rappeler C-3PO, alors le comportementalisme te donnera le sentiment de produire des miracles et le cas de ton enfant viendra grossir le nombre des déclarations de guérison de l’autisme dont se gargarisent les comportementalistes, je ne sais plus où mais je me souviens avoir lu le chiffre magique de 54,25% (j’imagine que dans le cas présent que ce qui compte c’est la précision au centième près).

    Naturellement si tu as d’autres attentes, des attentes plus chaleureuses, plus humaines et si tu t’entêtes à considérer qu’aussi diminué que soit ton enfant ce dernier demeure un être humain à part entière et qu’en dépit de son handicap, tu dois préserver un espace, si minuscule soit-il, de libre arbitre, alors tu vas vivre la méthode dite A.B.A. comme une façon de penser et voir les choses à la fois problématique et surtout limitée.

    Un des enseignements de la psychanalyse s’agissant de l’autisme est que ce dernier dans le repli extrême sur soi est une réponse du sujet à une angoisse très profonde. Tu auras compris que les comportementalistes font fi entièrement de cette angoisse, ne veulent pas la traiter et ne veulent même pas en entendre parler et je crois que c’est le plus gros reproche que je leur fais, réduire l’individu, le sujet, à la somme de ses comportements et de ses réflexes conditionnés.

    Déplaçons (et simplifions) un moment le débat. Le comportementalisme est de plus en plus en vogue sur le traitement des Troubles Obsessionnels du Comportement. Une personne par exemple a le besoin compulsif de se laver les mains soixante fois par jour, une cure comportementaliste va permettre à la personne d’associer au fait de se laver les mains soixante fois par jour des pensées négatives qui vont désormais lui servir de garde-fou par rapport à cette pathologie. La personne ne se lave plus soixante fois les mains par jour, du point de vue des comportementalistes cette personne est guérie. Du point de vue psychanalytique ceci n’est pas une guérison, au contraire, c’est un passage inquiétant, là où le sujet avait trouvé le moyen de détourner son angoisse profonde, on lui a retiré ce moyen mais on n’a pas effleuré le problème de son angoisse, il est donc fort probable que le prochain subterfuge que le patient va trouver pour contrecarrer ses effets d’angoisse sera nettement plus fâcheux que de se laver les mains soixante fois par jour, par exemple, étrangler des enfants à la sortie de l’école, évidemment j’exagère, mais c’est pour rendre le propos compréhensible.

    En fait c’est beaucoup une affaire de choix. D’où le titre du billet. Certains parents souhaitent que leurs enfants suivent une scolarité dans le privé, et d’autres, dont je suis, ne veulent surtout pas en entendre parler. Certains parents veulent que leurs enfants soient des pousseurs de citrouilles, d’autres dont, je suis ne veulent surtout pas en entendre parler. Certains parents souhaitent restreindre l’accès à internet pour leurs enfants, et d’autres dont je suis, préfèrent d’autres méthodes d’éducation. Certains parents veulent apprendre à leur fille la couture et la cuisine et à leur garçon le bricolage et un certain goût pour les automobiles, d’autres, dont je suis, trouvent que ce n’est pas une très bonne idée. Certains parents d’enfants autistes souhaitent lutter contre l’autisme de leur enfant en en combattant les symptômes à l’aide de la méthode A.B.A., d’autres, dont je suis, ne veulent pas en entendre parler, et souhaitent au contraire confier les soins de leur enfant à un thérapeute d’une toute autre obédience.

    Mais que l’on confie son enfant autiste à une école de pensée ou à une autre, n’empêche pas, vraiment pas, ne doit pas empêcher, de rester critique vis-à-vis de cette école de pensée. Pour te donner un exemple, je m’excuse d’avoir à utiliser celui de mon fils, mais allons-y : depuis fin 2003, il a connu deux psychologues, trois pédopsychiatres, six orthophonistes, un psychomotricien, un éducateur, un ostéopathe, un médecin traitant, une très belle collection d’Auxiliaires de Vie Scolaire, parmi lesquels se cachait une psychologue algérienne dont le diplôme algérien n’était pas reconnu en France et une autre encore, Algérienne également, qui avait largement le niveau d’éducatrice, elle se formait pour cela, tu te doutes bien que pour avoir connu un tel parcours, il y a eu à un moment ou à un autre des crises de confiance, des démissions, que sais-je ?

    J’ai une amie psychanalyste qui, sur la question de l’autisme, singulièrement, mais pas uniquement sur celle-là, a tendance à penser que l’école de pensée des personnes qui interviennent auprès des patients importe nettement moins que la valeur intrinsèque de la personne qui intervient, ce qui est logiquement équivalent à dire qu’il vaut mieux une bonne comportementaliste qu’un mauvaise lacanien. La pratique montre que c’est assez vrai. Par exemple, Nathan a connu un éducateur spécialisé qui utilisait des méthodes comportementalistes, ce type était un jeune homme très chouette et même s’il a, de son propre aveu, échoué avec Nathan, il lui a apporté quelques bienfaits.

    Cela fait deux fois dans le fil de cette discussion, et d’une autre, qu’est mentionnée la question de l’évaluation des méthodes, terrain de bataille sur lequel les comportementalistes aimeraient beaucoup emmener les psychanalystes : c’est un peu comme si les All Blacks insistaient pour affronter, au rugby, les quinze meilleurs joueurs d’échecs du monde. Etonnamment les joueurs d’échecs déclinent l’invitation. Comme quoi, ils ne sont pas fous.

    En revanche, dans cette bataille, tu remarqueras sans mal que les comportementalistes veulent la mort des psychanalystes (leur interdiction de soin) tandis que les psychanalystes se moquent pas mal de l’existence des comportementalistes. C’est, à mon sens, une indication très claire, pour moi, de la valeur des uns et des autres.

    De mon point de vue, les armes employées dans cette guerre par les comportementalistes sont consubstantielles de leur école, conditionnement de la pensée, propagande etc…, de leur côté les psychanalystes sont les purs esprits qui continuent de croire en l’émancipation du sujet, même chez leur adversaire.

    Et comme le faisait remarquer @tintin, pendant que cette guéguerre fait rage, les patients et leurs familles souffrent, telles les populations civiles en tant de guerre, et, finalement, n’ont pas d’autres exigences que celle de pouvoir choisir, qu’on leur laisse au moins ça, le choix, la plupart du temps dans une existence qui est essentiellement maillée de contraintes et dans laquelle les choix, sont en fait, peu nombreux. Merci de ne pas nous retirer celui-là, et que le dernier tire la chasse en partant.

    Exercice #49 de Henry Carroll : Photographiez un mensonge

    http://www.desordre.net/photographie/numerique/quotidien/3/selection/121.jpg

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/blog/?debut=2016-02-07#3129

    J’ai décidé d’assumer totalement (et publiquement) mon rôle de vieux con indigné, après cet autoportrait en vieux con perdu au multiplexe (http://seenthis.net/messages/460305 ), je reviens sur la mort de Pierre Boulez qui, n’a semble-t-il, pas beaucoup provoqué l’émotion de la professeure de musique de ma fille Adèle au contraire de celle de Michel Delpech. (http://seenthis.net/messages/447229 )

    Pierre Boulez et le bricolage (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2016/boulez.htm ), une chronique qu’il n’est pas recommandé de tenter de lire sur un écran de téléphone intelligent, même une tablette cela risque de pas trop le faire, comme on dit au multiplexe.