Turquie : « Il existe une triste chaîne de violences d’État depuis 1915 »

/Turquie-%E2%80%89Il-existe-une-triste

  • Turquie : « Il existe une triste chaîne de violences d’État depuis 1915 »
    propos recueillis par Mathieu Léonard
    http://cqfd-journal.org/Turquie-%E2%80%89Il-existe-une-triste

    Étienne Copeaux est historien et animateur du blog susam-sokak. Il examine l’escalade actuelle de la violence en regard du contexte tourmenté de la Turquie contemporaine. Entretien.

    Dans la propagande se joue une guerre des mots. L’État, la presse aux ordres et les groupes nationalistes n’hésitent pas à utiliser un « vocabulaire génocidaire » pour appuyer ce qui est officiellement une « campagne antiterroriste » : « Vous serez anéantis dans vos maisons », dit Erdogan qui parle de « nettoyer le pays » ; le journal pro-pouvoir Yeni Safak titre « Le grand ménage », etc. Est-il raisonnable de faire des parallèles avec d’autres épisodes de massacres de l’histoire turque contemporaine ?

    Une idée revient avec insistance, c’est le « retour aux années 1990 », période extrêmement violente, au cours de laquelle des villes comme Lice ou Varto ont été attaquées par l’armée et partiellement détruites, où plus de 3 000 villages ont été incendiés ou rasés. Il y a eu des centaines de milliers de migrants forcés, des misères atroces auxquelles personne ne s’est intéressé, ni en Turquie ni à l’extérieur.

    Bien sûr, on ne revient pas aux années 1990 : les conditions, les formes et lieux de combat sont différents. Mais l’expression exprime une très forte crainte. Les gens qui vivent dans les villes actuellement attaquées par l’État sont ceux qui ont vécu les expulsions. Voilà qu’on les empêche à nouveau de vivre une vie normale… Les jeunes qui attaquent l’armée et la police actuellement sont les enfants de ces expulsés. Ils ont la rage pour ce qu’ont vécu leurs parents.

    Beaucoup d’intellectuels vont plus loin et comparent la situation à celle de la période kémaliste, du massacre des Kurdes du Dersim en 1938 (peut-être 30 000 morts) et de leur déportation. D’autres encore écrivent que la situation ressemble à celle qui prévalait juste avant le génocide des Arméniens de 1915. Bref, la Turquie vit actuellement dans une inquiétude extrême.

    Le vocabulaire « génocidaire » est tout juste celui du MHP, et il est repris par Erdogan lui-même. C’est comme si les fascistes du MHP étaient au pouvoir. Chacun a en mémoire d’autres massacres commis par ce parti (Marache en 1978 : 111 alévis exterminés) et les milliers d’assassinats perpétrés. Il existe une triste chaîne de violences d’État, depuis 1915, dont la mémoire se perpétue même si le discours officiel tente de les occulter, et chaque événement violent – y compris ce que les Kurdes vivent en ce moment – semble l’écho d’un précédent. D’où l’impression de déjà-vu et le sentiment perpétuel de retourner dans le passé.