Le bloc-note du desordre : 2014-01-12

/?debut=2014-01-12#3065

  • J – 128 : Je dois terriblement vieillir au point sans doute de me fossiliser de mon propre vivant. Par exemple c’est de plus en plus souvent que je constate mon désintérêt dans une exposition d’art contemporain, désintérêt qui parfois s’orne également d’un peu de mépris ou tout simplement de soupirs lassés. Je me demande cependant si je ne suis pas parvenu à mettre le doigt dessus à l’exposition annuelle du Prix Marcel Duchamp à Beaubourg sans compter que la semaine dernière une rapide promenade dans les collections contemporaines du musée, le fameux nouvel accrochage dont on fait grand cas dans le milieu de l’art contemporain, cette rapide déambulation m’avait déjà ennuyé jusqu’à l’agacement. En soi ce n’est pas grave, je peux difficilement être retenu comme un étalon du bon goût en matière d’art contemporain, un repère de bon jugement, il y aurait des limites immédiates à ce que mon jugement, lapidaire et amateur par excellence, puisse servir de boussole, en revanche je me désole, qu’en étant, a priori, une personne, qui a un vrai goût pour l’art contemporain, s’emmerde, il n’y a pas d’autres verbes, dans les expositions des derniers développements de l’art contemporain, pas toutes, mais cela arrive quand même souvent.

    Ainsi cette fameuse exposition de ce qui devrait être le sang neuf de la création contemporaine, le prix Marcel Duchamp, et donc, les quatre finalistes de 2016, Kader Attia, Yto Barrada, Ulla von Brandenburg et Barthélémy Toguo.

    Je ne peux m’empêcher de me navrer qu’il est devenu impossible de rentrer dans la perception de telles œuvres sans lire des textes de présentation qui sont longs comme le bras et qui décrivent par le menu toutes les symboliques qu’il convient que le visiteur décèle dans les signes d’œuvres amorphes et, sans une telle lecture, impossible, même pour un visiteur un peu aguerri tout de même, en l’occurrence, moi, qui visite des expositions d’art contemporain depuis une trentaine d’années, d’établir de liens entre l’œuvre, à première vue, et les intentions capillotractées des artistes. Ainsi quand on pénètre dans cette exposition collective, on tombe sur d’immenses jarres de Barthélémy Toguo, en porcelaine, à la façon de celles que l’on trouve à l’entrée de la plupart des restaurants chinois et dont les motifs sont le répertoire habituel de dragons et de fleurs d’orchidées, à la différence près que les jarres de Barthélémy Toguo sont immenses, plus grandes que les visiteurs qui donc ne peuvent regarder dans la jarre, et qui sont ornées de motifs, certes asiatisants, si vous me passez l’expression, mais néanmoins certains motifs sortent du lot, notamment un visage dont on comprend qu’il s’agit de celui de l’artiste et de représentations qui sont telles des constellations. Dans cette forêt de jarres hypertrophiées, en son centre, se trouve une manière de clairière, qui accueille une paillasse de carreaux blancs sur lesquels sont posées des petites formes abstraites manifestement obtenues par la pulvérisation de ces substances de rebouchage bien commode que l’on trouve dans les magasins de bricolage, et qui évoquent, lointainement des corps cellulaires, des amibes, et encore je mentionne la chose uniquement parce que j’ai déjà commencé à loucher du côté des explications sérigraphiées sur les murs de l’exposition (et je précise que c’est sérigraphié, ce que j’ai appris il y a quelques années d’un ami sérigraphe dont c’est devenu la spécialité, la sérigraphie verticale, uniquement pour sous entendre que si à moi on offrait la possibilité de sérigraphier quoi que ce soit sur un mur dans un musée, je crois que j’aurais à cœur de choisir des images qui en valent la peine, et, si je suis contraint d’en rester au texte, le texte que j’écrirais pour la circonstance aurait, je l’espère, une autre portée que celle d’explications de ce qu’il convient de voir et déceler dans les œuvres contenues dans cette grande pièce d’exposition).

    Je ne doute pas que l’on puisse travailler, dans le cas présent, celui de Barthélémy Toguo, sur une thématique un peu pointue tout de même, ici une ode à la recherche scientifique en matière de SIDA, à sa grande créativité qui n’est pas rappeler celle des artistes, encore que là..., chacun voit la beauté où il veut, no problem , mais enfin il me semble que le propos peut être un peu plus critique de l’enjeu que de vaguement suggérer par des moyens tellement tellement indirects que la recherche est vertueuse et pleine d’imagination que c’en est presque de l’art. Franchement. Je n’ose imaginer la facture de réalisation d’une telle exposition pour accoucher d’un propos tellement maigre en somme.

    Ce qui est embêtant dans cette première œuvre de l’exposition c’est la façon dont elle conditionne le regard du spectateur, c’est une exposition collective et donc on va retrouver des préoccupations comparables chez les trois autres artistes, et de fait l’exposition de Kader Attia est une longue explication avec une vidéo surplombante dans laquelle se succèdent des personnalités philosophantes pour donner leur point de vue sur des sujets costauds, la mort, la religion, les morts, les fantômes, le deuil, au milieu desquelles personnalités on trouve Boris Cyrulnik qui, comme à son habitude, parle d’autorité, de sa haute autorité d’imposteur, et on comprend in fine que ce parcours chargé doit servir de justification intellectuelle à une œuvre qui est assez belle en soi et qui en fait se passerait très bien du verbiage précité, mais étant fabriqué dans des matériaux peu nobles, ce sont des sortes de totems constitués de compartiments d’emballage, on sent une incapacité de l’artiste de les imposer en tant que telles sans les habiller d’un discours qui fait autorité justement, quelle curieuse conception de l’art, c’est un peu comme si Mario Merz, Yannis Kounellis ou encore Gilberto Zorio, ou même encore Josef Beuys, affichaient à l’entrée de leurs expositions un petit texte plaintif à l’adresse des visiteurs pour indiquer qu’il s’excusaient d’avoir travaillé avec du feutre, de la récupération de palissade, du bois de coffrage, du rebut, de la paille, de la graisse, etc...

    Je passe sur l’œuvre assez ratée d’Ulla von Brandenburg, autrement plus inspirée en d’autres occasions, et pareillement le travail très riche d’Yto Barrada aurait pu être représenté très différemment, là aussi on louche du côté de l’explicatif et du discours de justification, dont l’œuvre se passe très bien, merci pour elles (l’œuvre et l’artiste).

    Et tout ceci est en contraste assez frappant de l’exposition monographique voisine, celle de Jean-Luc Moulène, qui, elle, n’a nul besoin de se parer de quelque discours que ce soit. Les œuvres sont autonomes, nullement accompagnées d’explications et elles détiennent en elles assez de force pour requérir du spectateur une implication personnelle, un regard. Du coup, c’est une vraie respiration.

    Une trentaine de sculptures sont présentées sur des socles neutres, elles se présentent dans des matériaux à la fois très différents et très contemporains, certaines œuvres semblent avoir été conçues et fabriquées brutes de fonderies c’est mal dit à l’aide d’imprimantes en trois dimensions, elles portent les stigmates du genre, présentées sur des socles, elles ont un caractère irréel, elles pourraient peser quelques grammes comme quelques quintaux. Dans un mélange qui se moque pas mal des conventions les formes, ces sculptures sont tantôt abstraites, tantôt figuratives, souvent le mélange étonnant des deux, quand elles ne sont pas la reproduction, à l’échelle un, de modules existant dans la paysage, ainsi l’assemblage d’un bas côté routier en ciment (mais est-ce du ciment ?), un de ces volumes dont on garnit les jetées pour les protéger de la violence des tempêtes ou encore un de ces modules de construction de murs de séparation, notamment de ceux qui abritent les colonies israéliennes. Ou encore une sculpture, à la forme abstraite a priori, est la rencontre, pas très subtile, mais néanmoins opérante, d’un corps féminin et d’une voiture de sport.

    Il y a un vrai plaisir à cette exposition des œuvres sculptés de Jean-Luc Moulène, chaque volume interroge à propos de ses conditions d’obtention, de ses potentielles significations, nécessairement polysémiques, de ses masses propres et de leur densité, et des matériaux même ou encore de leur assemblage, ce plaisir naît, c’est une évidence, de la grande liberté de l’artiste qui ne semble ne rien s’interdire et n’obéir qu’à sa seule curiosité et ce faisant il interroge à la fois les lois du genre, sa propre motivation et donne dans la foulée des pistes inspirantes pour d’autres œuvres. Ce n’est pas rien.

    Mais alors quel dommage de trouver sans cette rétrospective exposition, dans les quatre tomes d’un travail photographique du recensement, dans lequel figure les objets de grève , les objets fabriqués en Palestine , un quatrième tome de recensement de plantes sauvages poussant en milieu urbain, pas nécessairement le plus intéressant de cette série et, donc, la série des douze prostituées d’Amsterdam, douze femmes, prostituées donc, qui posent, nues, forcément nues (elles ne sont que cela aux yeux de l’artiste, une nudité mercantile, les jambes écartées, des fois que l’on n’aurait pas compris que ce sont ces sexes par lesquels vivent ces femmes, sur fond rouge, si des fois on n’aurait toujours pas compris que ces femmes sont des prostituées, que l’on identifie donc dans cette série par leurs sexes, nécessairement épilés, pour ne nous épargner aucune obscénité.

    Et là on peut vraiment se demander quel était le besoin de cet artiste tellement doué finalement de produire une telle série, tellement médiocre et qui à la différence du reste de son travail ne dit rien, ne fait nullement réfléchir, et qui montre au contraire à quel point cet artiste ne recule pas devant un surcroît d’exploitation de ces femmes, pour lesquelles il ne lui suffit donc pas qu’elles soient contraintes à la prostitution ( au même titre, c’est un rappel important, et toujours nécessaire, que 96% des prostituées ), il souhaite donc les exposer davantage, et les exposer en tant que prostituées, ce dont on peut se douter qu’elles ne sont pas nécessairement fières (ce dont elles ne devraient pas rougir, les pauvres), et tout cela selon ce qui est vraisemblablement acquis au travers d’une transaction financière qui relève, quels qu’en soient les termes exacts, de la prostitution pure et simple, une forme même de méta prostitution. En cela la démarche rejoint celle d’un Andres Serrano lançant son armée d’assistants dans les rues de New York acheter les panonceaux par lesquels les mendiants et les homeless demandent la charité, pour les besoins d’une vidéo dans laquelle la pauvreté des uns devient la décoration des autres ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2014-01-12#3065 ).

    Jean-Luc Moulène, en quoi cette œuvre est-elle indispensable dans un corpus par ailleurs magistral ? Quel est votre droit supérieur de la produire ? Bref, qu’est-ce que vous branlez ?

    Exercice #60 de Henry Carroll : Photographiez un mot de manière à en changer le sens.

    Ce matin regardant en l’air je remarque, pour le photographier, le mot Pain, en lettres immenses, de l’enseigne de la boulangerie industrielle, qui se détache sur un ciel gris. Et reculant pour le cadrer moins serré, je me cogne violemment la tête à l’angle d’un auvent. C’était donc à comprendre en anglais. Douleur. Bel exemple de faux-ami. (Extrait du Bloc-notes du Désordre )

    #qui_ca

  • Je me demande si je ne commence pas à avoir un vrai problème avec les oeuvres réalisées avec des gilets de sauvetage, en grande partie parce qu’elles ne disent rien d’autre que le signalement (d’autant plus du fait de l’orange fluorescent).

    Donc des gilets de sauvetage entourent les colonnes ioniques de la salle de concert de Berlin, j’agite en tous sens les différents signifiants de cette affaire pour tenter de dégager un discours, quelque chose qui serait autre chose que de rappeler aux personnes qui vont aller au concert ces prochains jours que de nombreux réfugiés se noyent pour venir en Europe et par ailleurs ceux qui y parviennent ne sont sans doute pas accueillis comme ils le mériteraient, ce qu’ils n’ignorent pas par ailleurs, et ce dont ils sont a priori surentraînés pour en détourner le regard. Et donc un artiste qui dit une chose aussi évidente produit-il une oeuvre ? quelque chose qui ne serait pas #monosémique ?

    Du coup cette oeuvre qui n’est que ce rappel, somme toute inutile, quelle est sa portée ? Elle ne peut pas prétendre raisonnablement à édifier les consciences (c’est sans doute son but déclaré en pleine inconscience à la fois de l’inefficacité et de l’obscénité même d’un tel geste, tellement limité), qui pourrait encore croire à l’efficacité de tels procédés ? Plus exactement ces procédés dépassés d’agit prop bien compris et bien entendus ont fini par se fondre dans le langage commun et c’est un danger qui n’est pas sans conséquence, parce qu’il agit désormais comme une dispense, on peut désormais dire, oui, je suis allé voir la dernière oeuvre de Aï Wei Wei (to Hell) avec des gilets de sauvetage avec la satisfaction d’un devoir citoyen accompli.

    L’artiste qui continue de produire de telles oeuvres sans s’apercevoir qu’il marque des buts contre le camp qu’il est supposé défendre n’est pas un artiste précisément parce qu’il ne créée pas de formes. De surcroît il dépossède ceux qui n’ont plus rien de leur dernier bien à la manière d’un Andres Serrano envoyant ses assistants dans New York pour acheter, sans dire à quel prix, les pannonceaux de cartons des clochards dans lequels ces derniers demandent un nickel ou une dime . C’est obscène.

    De cette même obscénité que des photographies des champs de mine d’or à ciel ouvert par Salgado, désormais exposées dans le monde entier, c’est la même obscénité, moindre mais tellement symbolique, d’un Depardon qui continue de refuser à l’ancien jeune punk berlinois s’étant juché à califourchon sur le mur de Berlin en 1989 tout partage, c’est un art de droite, un art du côté du pouvoir.

    Et la dispense agit désormais aussi pour l’artiste, il a produit une oeuvre à propos des réfugiés, de leur traversée périlleuse, de leur noyade ou de leur accueil rendu impossible, le voilà désormais dispensé de la véritable nécessité de réfléchir à la question en artiste. Et ça c’est nettement plus difficile qu’un simple détournement qui est avant tout un geste de publicitaire. Le détournement est facile, l’art est nettement plus difficile.

    Les véritables chefs d’oeuvre sur le sujet seront des oeuvres silencieuses, leurs auteurs n’étant même pas conscients d’être des artistes, ce seront des associations et des personnes qui trouveront des solutions inédites pour venir en aide aux réfugiés, ici et maintenant.

    A propos d’Andres Serrano et de l’oeuvre à laquelle je pense : http://www.desordre.net/blog/?debut=2014-01-12#3065

    Salgado :

    Depardon, mais est-ce que cette image est vraiment de lui ?, il me semble que l’artiste dans le cas présent est le jeune homme sur le mur, nettement moins le photographe

    • Je suis d’accord avec cette approche. La seule chose, tu dis deux fois « crise des réfugiés » et je pense que ce que nous vivons n’est pas une « crise de réfugiés » mais une « crise politique européenne » profonde, la crise d’une organisation regroupant les pays les plus riches au monde, avec un système de gouvernance et des infastructures au top du top et qui sont lamentablement en train de sombrer dans un tourbillon d’égoïsme et d’obscénité. Tu pointes très justement l’obscénité des images de certaines vedettes de la photos, il y a aussi une obscénité des expressions véhiculée par les médias (aussi frappes au lieu de bombardement par exemple) et que nous reprenons sans parfois même y faire attention. Je tombe aussi souvent dans ce piège.

      Les mots sont (si) importants :)

    • @reka tu as mille fois raison. Je vais réfléchir à une meilleure formulation, déjà je pensais que crise des réfugiés était meilleur que crise des migrants . Si j’avais le temps j’aimerais bien une mauvaise fois pour toutes tordre le cou à cette notion d’obscénité. Cela fait plusieurs fois que je bute sur ce sentiment en ayant bien du mal à décrire son origine. Or dans l’oeuvre d’Aï Wei Wei pour moi c’est absolument frappant, comme cela avait été frappant lors de l’exposition de Serrano en janvier 2014.

      Et pour ce qui est de ce que tu décris de la crise politique, c’était ma question une autre fois à propos des poids démographiques des continents : combien de temps allons-nous encore maintenir à nos portes deux milliards de personnes avec tellement peu de ressources quand nous, Européens ne sommes que 500 millions et des ressources infiniment supérieures ? (Je ne me souviens plus de ton billet, mais tu y montrais des cartes où toute l’Afrique en superficie contenait à la fois toute l’Europe et les Etats-Unis et je te demandais si une telle carte était possible démographiquement ?)

    • @reka Merci pour ton insistance, j’ai repris le (court texte plus haut et je l’ai corrigé aux endroits qui effectivement étaient problématiques. Je le fais d’autant plus volontiers que ce sera peut-être plus tard l’encouragement nécessaire à écrie plus longuement sur ce sujet des oeuvres pseudo engagées et celles qui le sont vraiment, une sorte de Salgado versus Jarr. Mais cela va demander du temps et des exemples bien choisis.

    • L’obscénité c’est que le monde soit présenté, représenté, filmé, englué de morve artistique, sur le podium de l’information.
      À force de mépris de l’autre, ils ont perdu le droit d’être respecté, et là, on sent bien qu’ils puent la mort à s’autophotographier habillés en couverture de survie dorée, miroir de leur décrépitude mentale. Ils ne survivent pas, ils sont morts dans leur âmes, plus encore que tous les cadavres qui jonchent les plages et ils ne voient rien que la valse de leurs rires pédants, au chaud, gavés de petit four. Persuadés qu’il faut être au sommet de l’indigence politique (surtout ne rien faire que d’être premier sur la scène et s’auto regarder sans jamais être acteur d’un mieux collectif) est bien le summum de ces vies de conforts de merde ornées d’or et de bouffe débordante d’animaux crevés, d’esclaves noyées. L’ordre hiérarchique du divertissement, l’objectif de la caméra toujours détourné de ceux qui souffrent et meurent et à qui on confisque vies et paroles, au profit unique de l’égo du pouvoir qui se fraye un passage obscène pour ne pas lâcher son poste d’avant-garde. Qu’ils crèvent. Je ne sais pas où est l’art, dans l’humilité dans le vrai, pas dans ces mascarades honteuses de gros porcs ventrus.
      #société_du_spectacle

    • De cette même obscénité que des photographies des champs de mine d’or à ciel ouvert par Salgado, désormais exposées dans le monde entier, c’est la même obscénité, moindre mais tellement symbolique, d’un Depardon qui continue de refuser à l’ancien jeune punk berlinois s’étant juché à califourchon sur le mur de Berlin en 1989 tout partage, c’est un art de droite, un art du côté du pouvoir. @philippe_de_jonckheere
      Je ne connaissais pas cette anecdote à propos du cliché de #Depardon sur le mur de Berlin. C’est comme l’histoire du baiser de l’hôtel de ville. A savoir si l’art est de gauche ou de droite, ce n’est pas ce que je regarde en premier.

    • @vanderling Le baiser de l’hôtel de ville est en fait une histoire assez compliquée qui a été rendue d’autant plus compliquée par la gentillesse de Robert Doisneau qui dans un premier temps ne voulait pas décevoir le couple qui a cru se reconnaître. C’est, en fait, pas très comparable.

      Pour ce qui est de l’art de droite, c’est naturellement vite dit et cela mériterait sans doute un développement plus conséquent. Il faudrait s’entendre sur une définition de l’art (est-ce que l’art n’est qu’advention ?) et pour ce qui est de la droite et de la gauche, peut-être se référer à l’Abécédaire de Deleuze, coaxer ces définitions et je pense que l’on obtiendrait quelque chose d’assez monstrueux mais néanmoins pas sans force, à savoir que l’art ne peut pas être de droite, par définition.

      @aude_v Aude, comme toi l’affaire de la petite Colombienne prisonnière d’un glissement de terrain a agi comme repoussoir pour moi de façon quais initiatique d’autant plus qu’alors j’apprenais le métier de photographe au milieu de photographes de presse. Dans le cas présent il s’agit de journalisme, je ne dis pas que c’est plus excusable, mais je vais reconnaître au journalisme une plus grande marge pour ce qui est de se tromper. Dans le cas de la récupération par des artistes de thèmes douloureux, il s’agit à mon avis d’un autre sujet. Sur lequel je tente depuis quelques temps de réfléchir. Je n’ai pas beaucoup de pistes pour le moment. La seule direction dans laquelle je parviens à entrevoir un début de réflexion est la suivante et elle est fragile, c’est souvent par manque de culture que les artistes pèchent dans de telles oeuvres. Il leur manque bien souvent la compréhension des rouages.

      Je te donne un exemple. Yannick Haenel et son Jan Karski qui est à gerber, Jonathan Littel et ses Bienveillantes qui sont un grand délire, Le fils de Saul de Lazlo Nemes qui est un œuvre toxique, sont des exemples de types qui se documentent sur le sujet (je choisis cet exemple parce qu’il est extrême, mais il n’est pas sans solution, je parle de la destruction des Juifs d’Europe), l’effort de reconstitution est réel, mais il n’est pas louable dans ce qu’il oublie la plupart du temps les victimes qui de viennent quantité négligeable de la même façon que les figurants qui jouent les poursuivants dans un film de James Bond meurent et n’ont de seule fonction que celle de la chute graphique de leur corps, cela devient décoratif.
      Je viens de lire, sur ce sujet, un livre nettement plus intelligent, beaucoup plus modeste et qui est un chef d’œuvre, il s’agit d’Une île une forteresse d’Hélène Gaudy, à propos du vrai faut ghetto-camp de concentration de Terezin livre dans lequel, loin de l’idée d’une reconstitution spectaculaire, l’auteure prend le parti d’une reconstitution patiente à partir des vestiges aussi ténus soient-ils, des archives en les interprétant avec mille précautions, en faisant part de ses doutes dans de telles interprétations, et à la fin du livre, tu comprends que même dans une œuvre de propagande il y a quelques étincelles de véracité (il n’est jamais question de vérité dans le livre d’Hélène Gaudy, seulement de vraisemblance) et que dans les témoignages fussent-ils de première main, il y a des tas et des tas d’éléments qui clochent. Du grand art. De la littérature majeure.

      Par rapport aux réfugiés, pour ce qu’ils représentent un sujet d’actualité, je ne pense pas a priori qu’un artiste puisse parvenir à produire une œuvre qui soit juste. En tout cas Wei Wei est aux antipodes de ce qui pourrait être juste, lui est clairement du côté de l’obscénité. Il faudrait dans un premier temps de poser la question de la nécessité d’une telle œuvre et ce qu’elle apporterait.

      Bien que n’en éprouvant pas la nécessité moi-même, ne me sentant pas du tout légitime à produire une telle œuvre, en tant qu’artiste je peux tenter de me poser la question de ce que je ferais si j’étais sommé de produire une œuvre sur un tel sujet et si je refusais pas (si on me le proposait, je refuserais) qu’est-ce que je ferais. Il me semble qu’il y a deux directions possibles, l’une d’elles qui regarderait dans la direction des performances de Chris Burden dans les années septante aux Etats-Unis, de ces œuvres dans lesquelles il se met en situation de détresse au beau milieu d’une galerie ou d’un musée et attend une réaction de la part des visiteurs, la performance prenant fin dès qu’un visiteur s’enquiert de savoir s’il peut porter secours à l’artiste, ou une autre direction, celle que prennent des quidams qui ne sont pas a priori des artistes et qui prennent sur eux, parfois contre les lois en vigueur dans leur pays, de porter secours et accueil aux réfugiés.

    • @aude_v Je note la référence de la Séduction du Bourreau , merci. J’avais écrit une chronique à propos des Bienveillantes : http://www.desordre.net/blog/?debut=2010-08-01#2577

      Je ne suis pas certain que les oeuvres silencieuses et a priori celles qui se mettent ne tête de créer de l’inconfort soient une garantie de succès, ce sont des approches prudentes mais qui peuvent tout à fait taper à côté. Ca peut même être très décoratif.