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  • Strasbourg : la préfète, le SO des syndicats et les élues | Blogapart | 12.04.23

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/120423/la-prefete-les-syndicalistes-et-les-elu-es

    Un palier a été franchi lors de la manifestation du 6 avril avec une charge délibérée contre des membres du service d’ordre intersyndical de la manifestation. Des coups de matraques ont conduit à une ITT de deux jours pour un responsable du SO. Je publie ci-dessous la vidéo de la charge contre le SO, le témoignage de trois camarades de la FSU, membres du service d’ordre, ainsi que le communiqué de presse de l’intersyndicale. On peut aussi voir le témoignage du responsable du SO dans le reportage de France 3 Alsace.

    Les député·es NUPES Sandra Regol (EELV) et Emmanuel Fernandes (LFI) ont adressé un courrier à la Préfète demandant de faire la lumière sur les événements du 6 avril. La Préfète a répondu par une série de mensonges, immédiatement dénoncés dans une lettre ouverte par l’intersyndicale.
    [...]
    la Préfète, Josiane Chevalier [...] fait [également] le choix de l’attaque en signalant auprès de la procureure un collaborateur parlementaire de La France Insoumise, lequel a fait un travail de rassemblement des témoignages des personnes victimes de la nasse et des violences policières du 20 mars.

  • La stratégie de l’intersyndicale est-elle la bonne ? | Le Club
    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/120323/la-strategie-de-l-intersyndicale-est-elle-la-bonne

    Le Sénat a voté cette nuit la réforme des retraites en usant de l’article 44.3. Un fait est passé relativement inaperçu. Je m’étonne que bien peu de syndicats communiquent sur ce point, si on excepte quelques sections locales. Il s’agit de l’ajout, par Marc Ferracci, un député qui est un ami proche de Macron et son ancien conseiller économique, de l’article 1er bis. Cet article, qui a été retiré par les sénateurs, programme la remise d’un rapport sur la création d’un régime universel des retraites d’ici un an, à savoir la possible disparition du régime de la fonction publique et par conséquent l’alignement du calcul des trimestres sur les règles du privé, à savoir sur les 25 meilleures années et non sur les 6 derniers mois. Laurent Berger a redit ce midi sur BFM que son organisation était favorable au régime universel. Une fois la présente réforme adoptée, une autre sera immédiatement programmée.

    • Après le 7 mars, toujours de sérieuses limites…
      https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article3623

      A Boulogne-sur-mer, la journée de mobilisation du 7 mars a pris un caractère plus offensif. C’est un saut qualitatif mais qui restera sans effet si on ne poursuit pas au plus vite et plus fort dans cette voie.

      (...) Pour l’heure, entrevoit-on ces éléments confluer et s’incarner dans la pratique ? On perçoit ça et là des signaux encourageants, mais ils demeurent faibles et de peu de poids face au vent mauvais que soufflent les bureaucraties syndicales parisiennes sous direction Cfdtiste. Surtout, ils ne doivent pas être interprétés pour autre chose que ce qu’ils sont. Ainsi, nul n’ignore que les cinq délégués fédéraux de la CGT qui ont concocté l’agenda visant à « augmenter le rapport de force », en ont un autre en tête qui louche, celui-là, sur le 31 mars, début du 53° congrès de la confédération…

      Localement, les réactions au déroulement de la journée du 7 mars confirment que nous avons perdu un temps précieux et qu’il faut intensifier les actions sur le terrain. (...)

      #retraites #grève #blocage #syndicat

    • j’ai envoyé ça a ma députée :

      Madame la Députée,

      vous avez certainement vu les estimations, au moins 70% des français et plus de 90% des actifs sont opposés à la réforme de la retraite portée par le gouvernement. Dans le cadre de votre mandat représentatif, je vous demande de considérer cette réalité de terrain et de voter en conséquence. Vous êtes mandatée pour représenter les citoyens, non pour exécuter les ordres du gouvernement ou du président.

      Cordialement,
      Olaf, administré de Grotown.

      _
      une goutte d’eau, /dev/null, constitution piège à con, touça ; ensuite, obtenir un référendum sur la destitution de Macron :-)

  • « Bonjour, nous vous écrivons depuis la Syrie... » | la Commune Internationaliste du Rojava
    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/090223/bonjour-nous-vous-ecrivons-depuis-la-syrie

    Alors que le pouvoir turc a décrété l’état d’urgence, censure les réseaux sociaux et musèle toute critique du régime, la Commune Internationaliste du Rojava diffuse des vidéos et un communiqué important. « Les régimes syrien et turc utilisent la tragédie qui a frappé des milliers de personnes pour placer leurs pions sur l’échiquier géopolitique. » Source : Blog de Pascal Maillard

  • Assassinats de Kurdes : les autorités françaises n’entendent pas les alertes !
    Il y a tout juste une semaine, notre camarade et amie Pinar Selek écrivait ceci sur son blog Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/121222/plusieurs-anniversaires-en-turquie-toujours-le-meme-film-0 :
    « Bénéficiant du feu vert de la Russie et du silence complice de la communauté européenne qui essaie de sauver ses intérêts économiques et financiers de court terme, le gouvernement turc multiplie les attaques, accompagnées d’assassinats de militant·es et intellectuel·les. […] Les exilé·es ne sont pas à l’abri tant les “services turcs” sont actifs en Europe. L’année 2023 est prévisible : on verra de nouvelles explosions ou des attentats organisés par des « invisibles ». Les enquêtes n’aboutiront jamais… Tant que les pays occidentaux ne prendront pas une position claire, la Turquie ne sortira pas du tunnel d’horreur. »

    La coordination nationale des collectifs de solidarité avec Pinar Selek
    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/251222/assassinats-de-kurdes-les-autorites-francaises-nentendent-pas-les-al

    #international #kurde

  • #Pinar_Selek : une #persécution sans fin

    Ce 21 juin la Cour suprême de Turquie a prononcé une condamnation à la #prison_à_perpétuité contre l’écrivaine et sociologue réfugiée en France, confirmant une nouvelle fois qu’il n’y a pas d’état de droit dans ce pays. Publication de la première réaction de Pinar Selek ainsi que du communiqué de presse du Collectif de solidarité.

    Il y a un mois, en rédigeant une recension du second roman de Pinar Selek, je me disais que l’écrivaine allait pouvoir un peu souffler, se consacrer à l’écriture, à la recherche et à ses luttes et que le régime turc l’avait probablement oubliée. Aujourd’hui je ne peux m’empêcher de me souvenir du choc de la condamnation de janvier 2013 que nous avions apprise à l’université de Strasbourg où Pinar faisait sa thèse en bénéficiant de la protection académique. Et je me dis que le choc de la condamnation de ce 21 juin 2022 est encore plus violent. Parce que la condamnation vient de la #Cour_suprême de Turquie et qu’on pouvait espérer que les juges de cette instance auraient un minimum d’indépendance par rapport au pouvoir politique. Il n’en est rien. Ce choc est encore plus violent parce que le procureur de la Cour suprême avait requis une condamnation à la prison à perpétuité le 25 janvier 2017 et que les juges ont mis cinq ans à prononcer leur verdict. Plus violent aussi parce que la torture à distance se poursuit, inexorablement. Plus violent enfin parce que les voies de recours s’amenuisent et que la possibilité d’un retour de Pinar dans son pays s’éloigne à nouveau.

    Rappelons pour celles et ceux qui ignoreraient le destin de Pinar Selek qu’elle est la victime de la plus longue et la plus terrible persécution judiciaire infligée par le pouvoir turc. Bientôt un quart de siècle d’acquittements et de nouvelles condamnations qui s’enchainent sans fin, dans le déni absurde des faits : la sociologue n’a jamais posé de bombe sur le Marché aux épices d’Istanbul en 1998 pour la simple et bonne raison qu’il s’agissait d’un accident provoqué par une bouteille de gaz. Les preuves en ont été apportées par plusieurs commissions d’enquête et le seul témoin qui accusait Pinar s’est rétracté après qu’il a été établi que son témoignage avait été arraché sous la torture. Je renvoie à cette biographie (https://pinarselek.fr/biographie) qui comporte un tableau historique de l’affaire judiciaire et à cet entretien avec Livia Garrigue (https://blogs.mediapart.fr/edition/lhebdo-du-club/article/101220/hebdo-95-savoir-lutter-poetiser-entretien-avec-pinar-selek).

    Pourquoi cette persécution sans fin ? Peut-être d’abord parce que le régime turc ne supporte pas que la contestation vienne de ses propres citoyen.nes. Le pouvoir d’Erdogan reproche simplement à Pinar Selek d’être turque. Ce qu’il tolère encore moins, c’est une parole libre. Celle des artistes, des journalistes et des universitaires. Par ses livres, ses enquêtes de terrain et ses recherches, par son enseignement aussi, Pinar accomplit un travail relatif à ces trois professions qui sont parmi les plus réprimées par le pouvoir turc. Quand en plus il s’agit de la voix d’une femme qui porte loin la défense des femmes et de toutes les minorités, d’une femme antimilitariste qui dénonce les violences d’une société patriarcale, qui est l’amie des kurdes et des arméniens sur lesquels elle conduit des recherches, on comprend pourquoi le régime politique turc fait de Pinar Selek un exemple. Avec Pinar Selek il ne s’agit pas simplement de la répression d’une opposante politique. Mais de la répression d’une femme libre.

    Il y a quelques semaines, sur son blog de Mediapart (https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/270422/les-otages-de-la-resistance-de-gezi), Pinar, prenant la défense de huit intellectuel.les condamné.es par le pouvoir turc et devenu.es des « otages de la résistance de Gezi », écrivait ceci : « La spécificité du régime répressif turc découle de la définition constitutionnelle de la citoyenneté républicaine : le #monisme y prévaut dans tous les domaines. Quiconque s’écarte des normes établies par le pouvoir politique est immédiatement perçu comme dangereux, destructeur, voire ennemi. » Mais elle poursuivait ainsi : « Et c’est précisément la #résistance à ce monisme qui depuis longtemps fertilise les alliances entre les différents mouvements féministe, LGBT, antimilitariste, écologiste, libertaire, de gauche, kurde, arménien ». Pinar Selek incarne cette résistance. Le pouvoir turc s’en prend à un #symbole. Mais on ne fait pas disparaître un symbole. Plus la #violence d’un Etat s’exerce contre un symbole, plus le symbole devient vivant et fort. Pinar Selek est une « force qui va ». Mais elle est aussi une force fatiguée et fragile. Elle a besoin de notre soutien. Nous lui devons, après qu’elle a tant donné aux luttes locales et européennes, après qu’elle nous a tant appris. D’ores et déjà la Coordination nationale des Collectifs de solidarité (https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160917/la-coordination-des-collectifs-de-solidarite-avec-pinar-selek-est-ne) se mobilise et prépare de multiples actions, dont je rendrai compte dès la semaine prochaine dans un nouveau billet. Je donne à lire ci-dessous la première réaction de Pinar à sa condamnation ainsi que le communiqué des Collectifs de solidarité.

    –—

    DÉCLARATION DE PINAR SELEK FAITE À LA BBC SUITE À SA CONDAMNATION À PERPÉTUITÉ LE 21 JUIN

    Tout est possible sauf ma condamnation à nouveau.
    Ce jugement n’est pas seulement injuste et insensé mais de plus inhumain dans la mesure où dans le dossier, il y a de nombreux rapports d’expertise qui établissent qu’il s’agissait d’une explosion due à une fuite de gaz, où l’on n’a pas pris une seule fois ma déposition sur cette question, on ne m’a pas posé une seule question sur ce sujet.
    Le procès avait été lancé en s’appuyant uniquement sur la déposition d’Abdülmecit O. qui avait déclaré que nous avions agi ensemble, qui, par la suite, a renié sa déposition au tribunal car elle avait été extorquée sous la torture. Cette personne a été acquittée avec moi et son acquittement fut définitif et l’appel est demandé uniquement pour mon acquittement.
    Ce jugement n’a donc rien à voir avec le Droit.
    Comme les motifs du jugement ne sont pas encore publiés, je ne peux pas commenter davantage.
    Je lutterai, nous lutterons contre cette #injustice jusqu’à la fin.

    Pinar Selek

    –-

    Communiqué de presse

    mercredi 22 juin 2022

    Nous, collectifs de solidarité avec Pınar Selek, sommes choqués et révoltés par la décision grotesque et scandaleuse de la Cour suprême de Turquie qui vient de condamner l’écrivaine et sociologue à la prison à perpétuité.

    Absolument rien dans le dossier judiciaire ne tient debout, comme l’avaient démontré les quatre acquittements successifs(*).

    Les conséquences pour Pınar en apparaissent d’autant plus inhumaines : la condamnation à perpétuité en elle-même d’une part, mais également les millions d’euros de dommages et intérêts qui vont désormais s’abattre et faire peser sur Pınar et sa famille une pression financière inouïe.

    Nous, collectifs de solidarité avec Pınar Selek, restons pleinement mobilisés à ses côtés et allons mettre en œuvre tout ce qui est possible pour défaire cette décision inacceptable.

    Dès maintenant, nous en appelons à l’État Français afin qu’il exprime son soutien ferme et entier à sa ressortissante Pınar Selek, qu’il proteste officiellement auprès des autorité turques et s’engage à protéger Pınar Selek contre toutes les conséquences potentielles de cette décision inique.

    La Coordination des collectifs de solidarité avec Pınar Selek

    contact : comitepinarseleklyon@free.fr

    (*) Sociologue, écrivaine et militante de Turquie aujourd’hui exilée en France, Pınar Selek s’est engagée en Turquie pour la justice, les droits de tou·te·s et contre la violence et le militarisme, et subit pour cela la répression de l’État turc depuis 24 ans.

    En 1998, Pınar Selek est arrêtée et emprisonnée à cause de ses recherches. Elle est ensuite accusée d’avoir commis un attentat sur le marché d’Istanbul. Tous les rapports officiels d’expertise concluent à l’explosion accidentelle d’une bonbonne de gaz. Pınar Selek est acquittée à 4 reprises, mais à chaque fois l’État fait appel.

    Le seul témoin qui l’avait accusée d’avoir commis un attentat avec lui, un jeune homme kurde, s’est rétracté par la suite car ses aveux avaient été extorqués sous la torture, et il a été acquitté définitivement. Dans ce contexte, la poursuite des accusations contre Pınar Selek révèle donc son unique visée, qui est répressive.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/250622/pinar-selek-une-persecution-sans-fin

    #condamnation #justice (euhhh...) #Turquie

    • Pinar Selek : lettre ouverte au Président de la République

      Emmanuel Macron et son gouvernement apporteront-ils « un soutien ferme et inconditionnel » à Pinar Selek ? C’est la demande que formulent une cinquantaine de personnalités. Parmi les premiers signataires Arié Alimi, Ariane Ascaride, Julien Bayou, Judith Butler, Annie Ernaux, Olivier Faure, Mathilde Panot ou bien encore Edwy Plenel. Vous pouvez désormais vous associer à ce texte en le signant.

      Rédigée par les Collectifs de solidarité avec Pinar Selek et publiée initialement dans Libération, une Lettre ouverte à Emmanuel Macron demande que la France apporte son « soutien ferme et inconditionnel » à la sociologue persécutée par le pouvoir turc. Parmi les premiers signataires le journaliste Edwy Plenel, des personnalités du monde politique (Julien Bayou, Elsa Faucillon, Olivier Faure, Mathilde Panot, Sandra Regol), de la culture (Annie Ernaux, Ariane Ascaride, Robert Guédiguian, Valérie Manteau …), des chercheur·es et des intellectuel·les engagé·es (Etienne Balibar, Ludivine Bantigny, Judith Butler, Claude Calame, Laurence De Cock, Eric Fassin …), des avocats (Arié Alimi, Henri Braun, Patrick Baudouin, président de la LDH…), des présidents d’université et des responsables syndicaux (Solidaires, SNESUP et CGT). Un formulaire permet de recueillir de nouvelles signatures. Signez et faites signer cette lettre ouverte. Merci à vous ! Merci pour Pinar Selek.

      Pascal Maillard

      PS : Pour plus d’informations voir le site dédié à Pinar Selek et cet autre billet. Je signale également une tribune signée par des chercheur.es en sciences sociales parue dans Le Monde. Je rappelle enfin le lien vers une cagnotte qui doit permettre de financer les frais d’avocat et les déplacements en Turquie pour soutenir et défendre Pinar Selek.
      LETTRE OUVERTE

      À M. Emmanuel Macron, Président de la République Française,

      Copie : Mme Élisabeth Borne, Première ministre

      Copie : Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

      Copie : Mme Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe

      Copie : M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer

      Copie : Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

      Copie : Mmes et MM. les président·es de groupes à l’Assemblée nationale

      Lyon, le 12 juillet 2022

      Objet : Quatrième annulation de l’acquittement de Pinar Selek par la Cour suprême de Turquie le 21 juin 2022 et réaction de la France

      Monsieur le Président de la République,

      Au cours des dernières années, nous avons été amenés à échanger à plusieurs reprises avec vous et avec des membres de vos gouvernements successifs au sujet de la situation de Pinar Selek et de l’indispensable mobilisation de l’État français pour assurer la sécurité de notre concitoyenne eu égard à la persécution judiciaire dont elle est victime en Turquie, son pays d’origine.

      Ainsi, répondant à notre sollicitation, vous nous écriviez le 16 janvier 2018 que vous entreteniez « avec la Turquie un dialogue soutenu et exigeant sur la question des Droits de l’Homme », et que « la Turquie [devait] respecter ses engagements européens et internationaux en matière de libertés fondamentales ».

      Aujourd’hui, la situation de Madame Pinar Selek a brutalement évolué depuis l’annonce par la Cour suprême de Turquie mardi 21 juin 2022 de l’annulation de son acquittement, en dépit d’un dossier judiciaire vide et des quatre audiences qui après un examen des faits ont conduit, au fil de 24 ans de procédure, à ce que soit à chaque fois reconnue son innocence. Outre la gravité de la nouvelle injonction de la Cour Suprême de Turquie, qui au mépris de la réalité des faits exige que Pinar Selek soit condamnée, ce sont également des demandes de dommages et intérêts qui risquent à présent de s’abattre sur Pinar Selek et de faire peser sur elle et sa famille une pression financière inouïe.

      Nous nous permettons de rappeler que Pinar Selek a bénéficié de l’asile politique dans notre pays, qu’elle a ensuite acquis la nationalité française et qu’elle est aujourd’hui enseignante-chercheure à Université Côte d’Azur. Femme engagée, sociologue reconnue et écrivaine talentueuse, Pinar Selek est une grande figure de la défense de la liberté, de la recherche et des Droits humains. Nous croyons qu’elle mérite la reconnaissance et le soutien de la République.

      C’est pourquoi nous attirons votre attention sur l’urgence qu’il y aurait à ce que la France rappelle publiquement son soutien ferme et inconditionnel à notre compatriote et proteste auprès de la Turquie contre cette décision, qui traduit un harcèlement judiciaire hors du commun, une torture institutionnelle insupportable, et une atteinte au droit de Pinar Selek à être jugée de manière équitable, par un juge indépendant et impartial dans un délai raisonnable. Nous estimons enfin essentiel que votre gouvernement mette tout en œuvre pour assurer la protection nécessaire de notre ressortissante face aux conséquences de cette décision de justice, en particulier sur la sécurité et les biens de Pinar Selek.

      Nous sommes convaincus, Monsieur le Président de la République, que vous serez sensible à la situation de Pinar Selek et que vous agirez à la mesure de l’urgence.

      Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de toute notre considération.

      La coordination nationale des collectifs de solidarité avec Pinar Selek

      Premiers signataires :

      Arié Alimi, avocat

      Ariane Ascaride, comédienne
      Rusen Aytaç, avocate, membre du Conseil national des barreaux

      Etienne Balibar, professeur émérite, Université de Paris-Nanterre
      Ludivine Bantigny, universitaire, historienne
      Jeanne Barseghian, Maire de Strasbourg
      Zerrin Bataray, avocate, conseillère régionale Auvergne Rhône-Alpes
      Patrick Baudouin, avocat, président de la Ligue des droits de l’Homme
      Julien Bayou, député, président du groupe Écologiste-NUPES à l’Assemblée Nationale
      Alain Beretz, ancien président de l’Université de Strasbourg
      Oristelle Bonis , éditrice en chef, Éditions iXe

      Henri Braun, avocat au Barreau de Paris
      Jeanick Brisswalter, président Université Côte d’Azur
      Christine Buisson, chercheuse, co-secrétaire nationale de Sud Recherche EPST Solidaires
      Judith Butler, Maxine Eliot Professor of Comparative Literature and Critical Theory, University of California, Berkeley
      Claude Calame, historien et anthropologue, directeur d’études à l’EHESS, Président de la Section EHESS de la LDH
      Gérard Chaliand, écrivain
      Fabien Charreton, libraire
      Laurence De Cock, historienne, LDH
      Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg
      Jean-Pierre Djukic, Directeur de recherche, Université de Strasbourg
      Simon Duteil et Murielle Guilbert, délégués généraux de l’Union syndicale Solidaires
      Annie Ernaux, écrivaine
      Eric Fassin, sociologue, Paris 8
      Elsa Faucillon, députée, Gauche démocrate et républicaine-NUPES
      Olivier Faure, député de Seine-et-Marne – Premier secrétaire du Parti socialiste
      Robert Guédiguian, réalisateur
      Jacqueline Heinen, professeure émérite de sociologie, UVSQ Paris-Saclay
      Béatrice Hibou, politiste, directrice de recherche, Sciences Po, CERI, CNRS
      Ahmet Insel, économiste, ancien professeur de l’Université Galatasaray
      Henri Leclerc, avocat honoraire, Président d’Honneur de la Ligue des droits de l’Homme
      Marie Lesclingand, directrice du département de sociologie-démographie de l’Université Côte d’Azur
      Valérie Manteau, écrivaine, prix Renaudot 2018
      Sylvie Monchatre, sociologue, professeure, Université Lumière Lyon 2
      Rina Nissim, écrivaine, éditrice et naturopathe
      Mathilde Panot, députée, présidente du groupe LFI-NUPES à l’Assemblée Nationale
      Marie-Aimée Peyron, avocate, Ancienne Bâtonnière de Paris, vice-Présidente du Conseil national des barreaux
      Jean-François Pinton, président de l’ENS de Lyon
      Edwy Plenel, journaliste
      Martin Pradel, avocat, membre du Conseil national des barreaux
      Reine Prat, autrice, ancienne haute fonctionnaire au ministère de la Culture
      Sandra Regol, députée écologiste-NUPES
      Anne Roger, secrétaire générale du SNESUP-FSU
      Marie Rodriguez, LDH de Marseille
      Laurence Roques, avocate, présidente de la commission Libertés droits de l’Homme du Conseil national des barreaux
      Gaëlle Ronsin, directrice de publication de la revue Silence
      Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS
      Josiane Tack et Patrick Boumier, co-secrétaires généraux du SNTRS-CGT

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/180722/pinar-selek-lettre-ouverte-au-president-de-la-republique

  • Quand s’effondrent toutes les digues

    La chasse aux non-vaccinés est ouverte. Par l’État et ses représentants, par le gouvernement et de nombreux élus. Par des journalistes et des experts qui franchissent les limites de l’acceptable. Par des médecins aussi, qui appellent à ne pas prendre en charge les non vaccinés. Où va-t-on, quand s’effondrent toutes les digues de l’éthique ?

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/040122/quand-s-effondrent-toutes-les-digues
    #vaccins #vaccination #non_vaccinés #chasse_aux_non-vaccinés #chasse_aux_sorcières #éthique #covid-19 #coronavirus #responsabilité #irresponsabilité

    • Leurs dénis et leurs délits

      Les propos de Frédérique Vidal ce 29 décembre sur France Info ont été à l’image de toute la politique de ce gouvernement en matière de gestion sanitaire, oscillant entre inaction et stratégie de communication, improvisation et décisions irrationnelles, dénis répétés et propagation de la peur. Mais un jour les objets de leurs dénis deviendront des objets de délits.

      Ce 29 décembre 2021 restera une date singulière dans l’histoire des errements politiques du gouvernement pour combattre la pandémie de #Covid-19. Un ministre de la santé, auditionné par les élus de la République pour imposer un passe vaccinal décidé en Conseil des ministres, menace à demi- mot 5 millions de Françaises et de Français : « Il y a vraiment peu de chances que vous puissiez passer cette fois-ci entre les gouttes ». Le même jour, le Préfet de Paris décide de rendre obligatoire le port du masque en extérieur, à l’exception du bois de Vincennes et du bois de Boulogne, où l’on ne manquera pas de créer une forte concentration de promeneurs. L’Absurdistan est de retour – si tant est qu’il nous ait quitté. Au même moment une pétition qui voit dans le passe vaccinal « une atteinte majeure à l’État de droit » promet de dépasser très vite le million de signatures. Le même jour encore, on apprend que des élus ont reçu une cinquantaine de menaces de mort et que certains de leurs biens ont été saccagés. Un tel concours d’événements devrait obliger nos « gouvernants » au sérieux et à une certaine gravité. Mais ce n’est pas ainsi que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a commencé cette journée du 29 décembre 2021. Sa légèreté et son incurie nous ont laissés sans voix.

      S’il existait dans les Mediapart Awards 2021 une catégorie de « la meilleure tragi-comédie de l’année », nul doute que Frédérique Vidal serait l’autrice de la pièce en 12 actes qui remporterait le premier prix. Hier matin, en écoutant la ministre évoquer sur France info les « décisions » pour la rentrée universitaire et la tenue des examens, je suis resté coi, ne sachant pas si je devais rire ou pleurer. Dans mon état d’hébétude, une analogie m’a traversé l’esprit. Je me suis mis à penser à la scène du bureau ovale dans le film Don’t look up : déni cosmique. Face à une catastrophe qui est imminente, la présidente Janie Orlean a une formule qui pourrait résumer à elle-seule la politique française en matière de sécurisation sanitaire des écoles et des universités, et plus généralement de tous les services publics : « sit tight and assess », patienter et évaluer. Cette vacance, ou plutôt ce néant, dure depuis deux ans. Certes, Frédérique Vidal n’est pas Janie Orlean et Jean-Michel Blanquer n’est pas exactement son conseiller – il a même, politiquement, un peu plus de poids... Mais la stratégie politique de l’inaction relève d’une même couardise : ne rien faire pour ne pas déplaire est infiniment moins risqué que la moindre décision. C’est que Janie a dans le collimateur les élections de mi-mandat, quand le gouvernement français est en campagne au service de Macron-Roi, devenu avec son cher Castex, le « vaccinateur du genre humain ». La différence entre la fiction de Don’t look up et notre gouvernement est que le film est une bonne comédie satirique qui nous fait rire de nous-mêmes et de nos travers, alors que le spectacle que nous jouent nos politiciens est une très mauvaise tragédie dans laquelle, en définitive, ils jouent avec nos vies. Rappelons qu’il y a eu en France plus de 120 000 morts du Covid - sans compter les milliers de "morts indirectes" provoquées par "l’encombrement" des hôpitaux -, des dizaines de milliers de personnes qui subissent des séquelles graves de la maladie ou qui n’ont pu avoir accès aux soins en raison des fermetures de lits à l’hôpital, et plus d’un million de personnes qui souffrent de Covid long, sans qu’elles soient vraiment prises en charge et sans même que la recherche dispose de moyens pour trouver des thérapies efficaces (voir ici et là).

      Avant d’établir la liste de quelques « dénis cosmiques » de Frédérique Vidal et ses compères, il convient de dire haut et fort qu’elle a dépassé en ce 29 décembre toutes les bornes. D’ailleurs le silence qui entoure ses déclarations, masquées par d’autres informations, est proprement sidérant. Parlant des étudiants elle a dit ceci : « Lorsqu’ils sont cas contact et vaccinés, ils peuvent se rendre aux examens, puisqu’ils ne sont plus considérés comme cas contact car leur vaccination est complète » (voir ici : https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/12/29/universite-les-partiels-auront-lieu-en-presentiel_6107601_4401467.html ou là : https://etudiant.lefigaro.fr/article/universite-frederique-vidal-annonce-le-maintien-des-examens-en-pre). S’il existait un vaccin contre l’#irresponsabilité politique il conviendrait de l’inoculer de toute urgence à Frédérique Vidal. Depuis quand et dans quel texte réglementaire apprend-on qu’une vaccination complète annule une situation de cas contact ? La ministre est-elle au courant qu’il y a plus de 100.000 cas par jour en moyenne et que la tranche d’âge des 20-29 ans est la plus touchée ? La ministre a-t-elle conscience qu’elle invite tous les #étudiants qui sont #cas_contact (avec ou sans symptômes) à se rendre à leurs examens à partir du moment où leur vaccination est « complète », sans d’ailleurs préciser si elle entend par #vaccination complète deux ou trois doses ? La ministre anticiperait-elle une décision à venir ? Dans tous les cas, cette affirmation invraisemblable et pour le moins irrationnelle est en contradiction avec la circulaire que la ministre a elle-même envoyée en date du 29 décembre 2021 aux chefs d’établissements. On peut en effet y lire ceci : « De la même manière, les #examens peuvent toujours être organisés en présentiel dans le respect des prescriptions du protocole sanitaire défini en novembre 2021. A cette fin, vous veillerez au respect des cas dans lesquels un étudiant contaminé ou cas contact ne doit pas se présenter et porterez cette information aux candidats le plus en amont possible des épreuves. » Par conséquent la distinction entre les personnes contact à risque modéré et à risque élevé reste en vigueur. On peut se référer à ce document, conforme au décret et surtout à ces informations de l’Assurance Maladie qui intègrent les nouvelles règles pour les cas contacts de personnes contaminées par le variant Omicron, nouvelles règles que la ministre semble totalement ignorer et qu’elle a oublié d’intégrer dans sa nouvelle circulaire. Au sujet du variant Omicron, le site de l’Assurance Maladie précise ceci : « compte-tenu de la particularité de ce variant, vous devez vous isoler immédiatement pour 7 jours (ou 17 jours si vous partagez son domicile), et ce même si vous êtes totalement vacciné ».

      Le rôle d’un.e ministre est d’informer : Frédérique Vidal désinforme. Le rôle d’un.e ministre est d’anticiper : Frédérique Vidal est la ministre de tous les retards. Le rôle d’un.e ministre est de prévenir les risques : Frédérique Vidal augmente les risques. Le rôle d’un.e ministre est de dire la vérité : Frédérique Vidal est dans le #déni permanent. Frédérique Vidal est à l’image de ce gouvernement et de tous ses membres. Elle doit démissionner.

      Voici maintenant ce que nient, imperturbablement depuis des mois, Frédérique Vidal et son gouvernement, concernant les personnels et les étudiants des universités. Voici les objets de leurs dénis et de leurs délits :

      - Ils veulent ignorer que de nombreux étudiants fragilisés par la crise sanitaire se présentent et se présenteront dès ce 3 janvier aux examens en étant positifs et parfois même symptomatiques, ou en étant personne contact à risque élevé, parce qu’ils ont tout simplement peur de devoir repasser les épreuves et d’échouer à leurs examens.
      - Ils ne veulent pas reconnaître l’état catastrophique des locaux universitaires où des centaines d’amphis sont sans aucune ventilation et des milliers de salles sans ouvrants fonctionnels.
      - Ils continuent sciemment d’ignorer que la transmission aéroportée du virus est la première cause de la contagion et ils laissent des milliers d’étudiants s’entasser dans des locaux avec des taux de CO2 supérieurs à 1000, 1500 ou même parfois 2000 ppm.
      - Ils ne reconnaissent toujours pas l’utilité des capteurs de CO2, lesquels permettent de définir les jauges des locaux, les seuils d’aération obligatoire et d’évacuation. C’est ainsi qu’Anne-Sophie Barthez, Directrice de la DGESIP sous la responsabilité directe de Frédérique Vidal, écrivait dans une circulaire en date du 19 novembre 2021, que le « dépassement des taux de CO2 recommandés n’est pas en soi un risque sanitaire », ce qui constitue un #mensonge éhonté au regard de nombreuses études scientifiques.
      - Ils ignorent sciemment la qualité de protection des masques FFP2 et les bénéfices de l’installation de purificateurs d’air, afin de s’exonérer de toute politique d’investissement dans la protection des personnels et des étudiants.
      – Ils ne veulent pas reconnaître le sous-encadrement vertigineux des administrations des universités, de leurs services de santé et de sécurité au travail, des laboratoires et des composantes d’enseignement, lesquels, minés par le développement de la précarité et de la souffrance au travail, sont littéralement abandonnés par l’État tout comme l’État a abandonné l’Hôpital.
      - Ils ne veulent pas admettre que la politique du tout-vaccinal est conduite à un échec retentissant et que seule une stratégie de prévention et d’actions de protection combinées et coordonnées permettra de combattre efficacement la pandémie.

      Dans sa circulaire du 29 décembre, qui traite essentiellement de la vaccination et de tests, Frédérique Vidal n’évoque ni les masques FFP2 évidemment, ni la mesure du CO2 qui est passée aux oubliettes, et encore moins les purificateurs d’air. Zéro moyen, comme toujours. Mais elle écrit ceci : « la situation actuelle ne justifie pas de nouvelles restrictions ». Le mot est riche d’enseignements. On n’est plus ici dans le seul déni. Il s’agit d’une véritable #dérive_idéologique : gouverner par les seules restrictions, réduire l’action publique à des mesures de privation des libertés. Nos « gouvernants » – si l’on peut encore user de cette dénomination - semblent ne plus être en état, ni en mesure de concevoir que l’action politique puisse consister en des décisions positives et concrètes de prévention, d’aide et de soutien à la population, en campagnes d’information, en plans d’accompagnement et en programmation de moyens.

      C’est ainsi que, concernant la seule rentrée universitaire, les mesures à prendre, attendues et réclamées, pour maintenir les cours et les examens en présence – ce qui est évidemment souhaitable -, sont les suivantes :

      - Distribution de masques FFP2 à tous les étudiants qui sont amenés à composer dans des salles et amphis sans jauges définies, ainsi qu’à tous les personnels qui le souhaitent ; la filtration de l’air commence avec le FFP2 (billet de septembre 2020 à relire : https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/240920/ffp2-mon-amour) !
      - Distribution massive de tests antigéniques sur les campus, en particulier avant les examens ;
      - Campagnes nationales et locales d’information sur les règles d’utilisation des masques et mise en place de formations et cet effet ;
      - Installation de capteur de CO2 dans tous les locaux et en priorité dans les amphis et salles sans ventilation et sans ouvrants fonctionnels ;
      - En fonction des mesures de CO2, définition des jauges de chaque local et installation de purificateurs d’air dans les locaux non conformes et tous les lieux de convivialité ;
      - Réparation des toutes les menuiserie non fonctionnelles et installation de ventilation motorisées dans tous les amphis et salles de grande capacité ;
      - Embauche de personnels en vue de réaliser les travaux d’amélioration et de réparation des locaux et plus généralement de gérer l’organisation et la mise en place de l’ensemble des mesures de sécurisation sanitaire des universités.

      Les quatre premières mesures peuvent et doivent être mises en œuvre rapidement. A cette fin le report de la rentrée d’une semaine laisserait le temps aux CHSCT de se réunir et aux établissements de s’organiser. Pour la mise en place des mesures 5, 6 et 7 – qui auraient dû être programmées dès le printemps 2020 -, le gouvernement doit dégager en urgence une enveloppe de crédits qui ira abonder immédiatement les budgets des universités. Comme ceux des hôpitaux et de l’ensemble des services publics.

      Nous l’avons compris depuis longtemps : la gestion du Covid-19 par le gouvernement répond avant tout à des considérations politico-économiques de courte vue et non à une stratégie sanitaire pensée sur la durée et construite pour toutes et tous, pour le bien commun. L’horizon défini par Macron est sa seule réélection. Il a privatisé la gestion sanitaire de la crise, comme il a privatisé l’Hôpital, comme il privatise la Recherche et l’Université. Pour être réélu, il lui faut - quoi qu’il en coûte - continuer de plaire, faire le moins de vagues possibles dans l’opinion en surfant sur les vagues épidémiques, et surtout continuer à engraisser le Cac 40 et les actionnaires qui n’ont jamais fait autant de profits. Et que les petits soldats obéissent. Par la force ou la servitude volontaire.

      Sans changement de stratégie sanitaire, nous savons que nous allons vers le pire. Que nos politiques en responsabilité réfléchissent un instant à ceci : quand ils disposent de moyens de protection de la santé et de la sécurité des personnes et qu’ils renoncent sciemment à les utiliser, ils commettent non seulement une #faute_morale, mais aussi, possiblement, un #délit. Il existe encore une Cour de justice de la République, qui a mis récemment en examen Agnès Buzyn (1).

      Mesdames et Messieurs les "gouvernants", nous n’oublierons ni vos dénis, ni vos délits ! Ni votre mépris, ni vos profits !

      Pascal Maillard

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/301221/leurs-denis-et-leurs-delits

  • #Liberté_académique et #justice_sociale

    On assiste en #Amérique_du_Nord à une recomposition du paysage académique, qui met l’exercice des #libertés_universitaires aux prises avec des questions de justice sociale, liées, mais pas seulement, au militantisme « #woke », souvent mal compris. Publication du premier volet d’un entretien au long cours avec #Isabelle_Arseneau et #Arnaud_Bernadet, professeurs à l’Université McGill de Montréal.

    Alors que se multiplient en France les prises de position sur les #libertés_académiques – voir par exemple cette « défense et illustration » -, un débat à la fois vif et très nourri se développe au #Canada depuis plus d’un an, après que des universitaires ont dû faire face à des plaintes pour #racisme, parfois à des suspensions de leur contrat, en raison de l’utilisation pédagogique qu’ils avaient faite des mots « #nègre » ou « #sauvages ». Significativement, un sondage récent auprès des professeurs d’université du Québec indique qu’une majorité d’entre eux pratiquent diverses formes d’#autocensure. C’est dans ce contexte qu’Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, professeurs au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill de Montréal, ont été conduits à intervenir activement dans le débat, au sein de leur #université, mais aussi par des prises de position publiques dans la presse et surtout par la rédaction d’un mémoire, solidement argumenté et très remarqué, qui a été soumis et présenté devant la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire.

    Initiée en février 2021 par le premier ministre du Québec, François Legault, cette commission a auditionné de nombreux acteurs, dont les contributions sont souvent de grande qualité. On peut télécharger ici le mémoire des deux universitaires et suivre leur audition grâce à ce lien (début à 5 :15 :00). La lecture du présent entretien peut éclairer et compléter aussi bien le mémoire que l’audition. En raison de sa longueur, je publie cet entretien en deux parties. La première partie est consacrée aux exemples concrets de remise en cause de la liberté de citer certains mots en contexte universitaire et traite des conséquences de ces pratiques sur les libertés académiques. Cette première partie intègre aussi une analyse critique de la tribune parue ce jour dans Le Devoir, co-signée par Blanquer et le ministre de l’Education du Québec, lesquels s’attaquent ensemble et de front à la cancel culture. La seconde partie, à paraître le vendredi 29 octobre, portera plus précisément sur le mouvement « woke », ses origines et ses implications politiques, mais aussi sur les rapports entre science et société. Je tiens à remercier chaleureusement Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet d’avoir accepté de répondre à mes questions et d’avoir pris le temps de construire des réponses précises et argumentées, dont la valeur tient tout autant à la prise critique de ces deux universitaires qu’aux disciplines qui sont les leurs et qui informent leur réflexion. Ils coordonnent actuellement un volume collectif interdisciplinaire, Libertés universitaires : un an de débat au Québec (2020-2021), à paraître prochainement.

    Entretien, première partie

    1. Pourriez-vous exposer le plus factuellement possible ce qui s’est passé au mois de septembre 2020 à l’université d’Ottawa et à l’université McGill de Montréal ?

    Isabelle Arseneau. À l’automne 2020 éclatait à l’Université d’Ottawa une affaire qui a passionné le Québec et a connu d’importantes suites politiques : à l’occasion d’une séance d’enseignement virtuel sur la représentation des identités en art, une chargée de cours, #Verushka_Lieutenant-Duval, expliquait à ses étudiants comment l’injure « #nigger » a été réutilisée par les communautés afro-américaines comme marqueur subversif dans les années 1960. Parce qu’elle a mentionné le mot lui-même en classe, l’enseignante est devenue aussitôt la cible de #plaintes pour racisme et, au terme d’une cabale dans les #réseaux_sociaux, elle a été suspendue temporairement par son administration. Au même moment, des incidents à peu près analogues se produisaient au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill, où nous sommes tous les deux professeurs. Dans un cours d’introduction à la littérature québécoise, une chargée de cours a mis à l’étude Forestiers et voyageurs de #Joseph-Charles_Taché, un recueil de contes folkloriques paru en 1863 et qui relate les aventures d’un « Père Michel » qui arpente le pays et documente ses « mœurs et légendes ». Des étudiants interrompent la séance d’enseignement virtuel et reprochent à l’enseignante de leur avoir fait lire sans avertissement préalable une œuvre contenant les mots « Nègres » et « Sauvages ». Quelques jours plus tard, des plaintes pour racisme sont déposées contre elle. Le dossier est alors immédiatement pris en charge par la Faculté des Arts, qui lui suggère de s’excuser auprès de sa classe et d’adapter son enseignement aux étudiants que pourrait offenser la lecture des six autres classiques de la littérature québécoise prévus au syllabus (dont L’Hiver de force de Réjean Ducharme et Les Fous de Bassan d’Anne Hébert). Parmi les mesures d’accommodement, on lui conseille de fournir des « avertissements de contenu » (« #trigger_warnings ») pour chacune des œuvres à l’étude ; de se garder de prononcer à voix haute les mots jugés sensibles et de leur préférer des expressions ou des lettres de remplacement (« n », « s », « mot en n » « mot en s »). Trois mois plus tard, nous apprendrons grâce au travail d’enquête de la journaliste Isabelle Hachey (1) que les plaignants ont pu obtenir, après la date limite d’abandon, un remboursement de leurs frais de scolarité et les trois crédits associés à ce cours qu’ils n’ont cependant jamais suivi et pour lequel ils n’ont validé qu’une partie du travail.

    Lorsque j’ai imaginé notre doctorante en train de caviarder ses notes de cours et ses présentations Powerpoint, ça a fait tilt. Un an plus tôt, je travaillais à la Public Library de New York sur un manuscrit du XIIIe siècle dont la première image avait été grattée par un lecteur ou un possesseur offensé par le couple enlacé qu’elle donnait jusque-là à voir. La superposition de ces gestes de censure posés à plusieurs siècles d’intervalle témoignait d’un recul de la liberté universitaire que j’associais alors plus spontanément aux campus américains, sans pour autant nous imaginer à l’abri de cette vague venue du sud (2). Devant de tels dérapages, mon collègue Arnaud Bernadet et moi avons communiqué avec tous les étages de la hiérarchie mcgilloise. Las de nous heurter à des fins de non-recevoir, nous avons cosigné une série de trois lettres dans lesquelles nous avons dénoncé la gestion clientéliste de notre université (3). Malgré nos sorties répétées dans les médias traditionnels, McGill est demeurée silencieuse et elle l’est encore à ce jour.

    2. Pour être concret, qu’est-ce qui fait que l’emploi du mot « nègre » ou « sauvages » dans un cours est légitime ?

    Isabelle Arseneau. Vous évoquez l’emploi d’un mot dans un cadre pédagogique et il me semble que toute la question est là, dans le terme « emploi ». À première vue, le contexte de l’énonciation didactique ne se distingue pas des autres interactions sociales et ne justifie pas qu’on puisse déroger aux tabous linguistiques. Or il se joue dans la salle de classe autre chose que dans la conversation ordinaire : lorsque nous enseignons, nous n’employons pas les mots tabous, nous les citons, un peu comme s’il y avait entre nous et les textes lus ou la matière enseignée des guillemets. C’est de cette distinction capitale qu’ont voulu rendre compte les sciences du langage en opposant le signe en usage et le signe en mention. Citer le titre Nègres blancs d’Amérique ou le terme « Sauvages » dans Forestiers et Voyageurs ne revient pas à utiliser ces mêmes termes. De la même façon, il y a une différence entre traiter quelqu’un de « nègre » dans un bus et relever les occurrences du terme dans une archive, une traite commerciale de l’Ancien Régime ou un texte littéraire, même contemporain. Dans le premier cas, il s’agit d’un mot en usage, qui relève, à n’en pas douter, d’un discours violemment haineux et raciste ; dans l’autre, on n’emploie pas mais on mentionne des emplois, ce qui est différent. Bien plus, le mot indexe ici des représentations socialement et historiquement situées, que le professeur a la tâche de restituer (pour peu qu’on lui fournisse les conditions pour le faire). Si cette distinction entre l’usage et la mention s’applique à n’importe quel contexte d’énonciation, il va de soi qu’elle est très fréquente et pleinement justifiée — « légitime », oui — en contexte pédagogique. Il ne s’agit donc bien évidemment pas de remettre en circulation — en usage — des mots chargés de haine mais de pouvoir continuer à mentionner tous les mots, même les plus délicats, dans le contexte d’un exercice bien balisé, l’enseignement, dont on semble oublier qu’il suppose d’emblée un certain registre de langue.

    3. Ce qui étonne à partir de ces exemples – et il y en a d’autres du même type -, c’est que l’administration et la direction des universités soutiennent les demandes des étudiants, condamnent les enseignants et vont selon vous jusqu’à enfreindre des règles élémentaires de déontologie et d’éthique. Comment l’expliquez-vous ? L’institution universitaire a-t-elle renoncé à défendre ses personnels ?

    Arnaud Bernadet. Il faut naturellement conserver à l’esprit ici ce qui sépare les universités nord-américaines des institutions françaises. On soulignera deux différences majeures. D’une part, elles sont acquises depuis longtemps au principe d’autonomie. Elles se gèrent elles-mêmes, tout en restant imputables devant l’État, notamment au plan financier. Soulignons par ailleurs qu’au Canada les questions éducatives relèvent avant tout des compétences des provinces et non du pouvoir fédéral. D’autre part, ces universités obéissent à un modèle entrepreneurial. Encore convient-il là encore d’introduire des nuances assez fortes, notamment en ce qui concerne le réseau québécois, très hétérogène. Pour simplifier à l’extrême, les universités francophones sont plus proches du modèle européen, tandis que les universités anglophones, répliques immédiates de leurs voisines états-uniennes, semblent davantage inféodées aux pratiques néo-libérales.

    Quoi qu’il en soit, la situation décrite n’a rien d’inédit. Ce qui s’est passé à l’Université d’Ottawa ou à l’Université McGill s’observe depuis une dizaine d’années aux États-Unis. La question a été très bien documentée, au tournant de l’année 2014 sous la forme d’articles puis de livres, par deux sociologues, Bradley Campbell et Jason Manning (The Rise of Victimhood Culture) et deux psychologues, Jonathan Haidt et Greg Lukianoff (The Coddling of the American Mind). Au reste, on ne compte plus sur les campus, et parmi les plus progressistes, ceux de l’Ouest (Oregon, État de Washington, Californie) ou de la Nouvelle-Angleterre en particulier, les demandes de censure, les techniques de deplatforming ou de “désinvitation”, les calomnies sur les médias sociaux, les démissions du personnel - des phénomènes qu’on observe également dans d’autres milieux (culture, médias, politique). En mai dernier, Rima Azar, professeure en psychologie de la santé, a été suspendue par l’Université Mount Allison du Nouveau-Brunswick, pour avoir qualifié sur son blog Black Lives Matter d’organisation radicale…

    Il y a sans doute plusieurs raisons à l’attitude des administrateurs. En tout premier lieu : un modèle néo-libéral très avancé de l’enseignement et de la recherche, et ce qui lui est corrélé, une philosophie managériale orientée vers un consumérisme éducatif. Une autre explication serait la manière dont ces mêmes universités réagissent à la mouvance appelée “woke”. Le terme est sujet à de nombreux malentendus. Il fait désormais partie de l’arsenal polémique au même titre que “réac” ou “facho”. Intégré en 2017 dans l’Oxford English Dictionary, il a été à la même date récupéré et instrumentalisé par les droites conservatrices ou identitaires. Mais pas seulement : il a pu être ciblé par les gauches traditionnelles (marxistes, libertaires, sociales-démocrates) qui perçoivent dans l’émergence de ce nouveau courant un risque de déclassement. Pour ce qui regarde notre propos, l’illusion qu’il importe de dissiper, ce serait de ne le comprendre qu’à l’aune du militantisme et des associations, sur une base strictement horizontale. Ce qui n’enlève rien à la nécessité de leurs combats, et des causes qu’ils embrassent. Loin s’en faut. Mais justement, il s’agit avec le “wokism” et la “wokeness” d’un phénomène nettement plus composite qui, à ce titre, déborde ses origines liées aux luttes des communautés noires contre l’oppression qu’elles subissaient ou subissent encore. Ce phénomène, plus large mais absolument cohérent, n’est pas étranger à la sociologie élitaire des universités nord-américaines, on y reviendra dans la deuxième partie de cet entretien. Car ni l’un ni l’autre ne se sont si simplement inventés dans la rue. Leur univers est aussi la salle de classe.

    4. Au regard des événements dans ces deux universités, quelle analyse faites-vous de l’évolution des libertés académiques au Québec ?

    Arnaud Bernadet. Au moment où éclatait ce qu’il est convenu d’appeler désormais “l’affaire Verushka Lieutenant-Duval”, le Québec cultivait cette douce illusion de se croire à l’abri de ce genre d’événements. Mais les idées et les pratiques ne s’arrêtent pas à la frontière avec le Canada anglais ou avec les États-Unis. Le cas de censure survenu à McGill (et des incidents d’autre nature se sont produits dans cet établissement) a relocalisé la question en plein cœur de Montréal, et a montré combien les cultures et les sociétés sont poreuses les unes vis-à-vis des autres. Comme dans nombre de démocraties, on assiste au Québec à un recul des libertés publiques, la liberté académique étant l’une d’entre elles au même titre que la liberté d’expression. Encore faut-il nuancer, car le ministère de l’enseignement supérieur a su anticiper les problèmes. En septembre 2020, le scientifique en chef Rémi Quirion a remis un rapport qui portait plus largement sur L’université québécoise du futur, son évolution, les défis auxquels elle fait face, etc. Or en plus de formuler des recommandations, il y observe une “précarisation significative” de la liberté académique, un “accroissement de la rectitude politique”, imputée aux attentes ou aux convictions de “groupes particuliers”, agissant au nom de “valeurs extra-universitaires”, et pour finir, l’absence de “protection législative à large portée” entourant la liberté académique au Québec, une carence qui remonte à la Révolution tranquille. En février 2021, le premier ministre François Legault annonçait la création d’une Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Cette commission qui n’a pas fini de siéger a rendu une partie de ses résultats, notamment des sondages effectués auprès du corps professoral (ce qui inclut les chargés de cours) : 60 % d’entre eux affirment avoir évité d’utiliser certains mots, 35 % disent avoir même recouru à l’autocensure en sabrant certains sujets de cours. La recherche est également affectée. Ce tableau n’est guère rassurant, mais il répond à celles et ceux qui, depuis des mois, à commencer dans le milieu enseignant lui-même, doublent la censure par le déni et préfèrent ignorer les faits. À l’évidence, des mesures s’imposent aujourd’hui, proportionnées au diagnostic rendu.

    5. La liberté académique est habituellement conçue comme celle des universitaires, des enseignants-chercheurs, pour reprendre la catégorie administrative en usage en France. Vous l’étendez dans votre mémoire à l’ensemble de la communauté universitaire, en particulier aux jeunes chercheurs, mais aussi aux personnels administratifs et aux étudiants ? Pourriez-vous éclairer ce point ?

    Arnaud Bernadet. Ce qui est en jeu ici n’est autre que l’extension et les applications du concept de liberté académique. Bien sûr, un étudiant ne jouit pas des mêmes dispositions qu’un professeur, par exemple le droit à exercer l’évaluation de ses propres camarades de classe. Mais a priori nous considérons que n’importe quel membre de la communauté universitaire est titulaire de la liberté académique. Celle-ci n’a pas été inventée pour donner aux enseignants et chercheurs quelque “pouvoir” irréaliste et exorbitant, mais pour satisfaire aux deux missions fondamentales que leur a confiées la société : assurer la formation des esprits par l’avancement des connaissances. En ce domaine, l’écart est-il significatif entre le choix d’un thème ou d’un corpus par un professeur, et un exposé oral préparé par un étudiant ? Dans chaque cas, on présumera que l’accès aux sources, la production des connaissances, le recours à l’argumentation y poursuivent les mêmes objectifs de vérité. De même, les administrateurs, et notamment les plus haut placés, doivent pouvoir bénéficier de la liberté académique, dans l’éventualité où elle entrerait en conflit avec des objectifs de gouvernance, qui se révéleraient contraires à ce qu’ils estimeraient être les valeurs universitaires fondamentales.

    6. Entre ce que certains considèrent comme des recherches “militantes” et les orientations néolibérales et managériales du gouvernement des universités, qu’est-ce qui vous semble être le plus grand danger pour les libertés académiques ?

    Arnaud Bernadet. Ce sont des préoccupations d’ordre différent à première vue. Les unes semblent opérer à l’interne, en raison de l’évolution des disciplines. Les autres paraissent être plutôt impulsées à l’externe, en vertu d’une approche productiviste des universités. Toutes montrent que le monde de l’enseignement et de la recherche est soumis à de multiples pressions. Aussi surprenant que cela paraisse, il n’est pas exclu que ces deux aspects se rejoignent et se complètent. Dans un article récent de The Chronicle of Higher Education (03.10.2021), Justin Sider (professeur de littérature anglaise à l’Université d’Oklahoma) a bien montré que les préoccupations en matière de justice sociale sont en train de changer la nature même des enseignements. Loin de la vision désintéressée des savoirs, ceux-ci serviraient dorénavant les étudiants à leur entrée dans la vie active, pour changer l’ordre des choses, combattre les inégalités, etc. C’est une réponse à la conception utilitariste de l’université, imposée depuis plusieurs décennies par le modèle néolibéral. Et c’est ce qu’ont fort bien compris certains administrateurs qui, une main sur le cœur, l’autre près du portefeuille, aimeraient donc vendre désormais à leurs “clients” des programmes ou de nouveaux curricula portant sur la justice sociale.

    7. La défense des libertés académiques, en l’occurrence la liberté pédagogique et la liberté de recherche d’utiliser tous les mots comme objet de savoir, est-elle absolue, inconditionnelle ? Ne risque-t-elle pas de renforcer un effet d’exclusion pour les minorités ?

    Isabelle Arseneau. Elle est plutôt à notre avis non-négociable (aucun principe n’est absolu). Mais pour cela, il est impératif de désamalgamer des dossiers bien distincts : d’une part, le travail de terrain qu’il faut encore mener en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (qu’il est désormais commun de désigner par l’acronyme « ÉDI ») ; d’autre part, les fondements de la mission universitaire, c’est-à-dire créer et transmettre des savoirs. Les faux parallèles que l’on trace entre la liberté académique et les « ÉDI » desservent autant la première que les secondes et on remarque une nette tendance chez certaines universités plus clairement néolibérales à utiliser la liberté académique comme un vulgaire pansement pour régler des dossiers sur lesquels elles accusent parfois de regrettables retards. Bien ironiquement, ce militantisme d’apparat ne fait nullement progresser les différentes causes auxquelles il s’associe et a parfois l’effet inverse. Revenons à l’exemple concret qui s’est produit chez nous : recommander à une enseignante de s’excuser pour avoir prononcé et fait lire un mot jugé sensible et aller jusqu’à rembourser leurs frais de scolarité à des étudiants heurtés, voilà des gestes « spectaculaires » qui fleurent bon le langage de l’inclusion mais qui transpirent le clientélisme (« Satisfaction garantie ou argent remis ! »). Car une fois que l’on a censuré un mot, caviardé un passage, proscrit l’étude d’une œuvre, qu’a-t-on fait, vraiment, pour l’équité salariale hommes-femmes ; pour l’inclusion des minorités toujours aussi invisibles sur notre campus ; pour la diversification (culturelle, certes, mais également économique) des corps enseignant et étudiant, etc. ? Rien. Les accommodements offerts aux plaignants sont d’ailleurs loin d’avoir créé plus d’équité ; ils ont au contraire engendré une série d’inégalités : entre les étudiants d’abord, qui n’ont pas eu droit au même traitement dans le contexte difficile de la pandémie et de l’enseignement à distance ; entre les chargés de cours ensuite, qui n’ont pas eu à faire une même quantité de travail pour un même salaire ; et, enfin, entre les universités, toutes soumises au même système de financement public, dont le calcul repose en bonne partie sur l’unité-crédit. Les salles de classe ont bon dos : elles sont devenues les voies de sortie faciles pour des institutions qui s’achètent grâce à elles un vernis de justice sociale qui tarde à se traduire par des avancées concrètes sur les campus. Confondre les dossiers ne servira personne.

    8. Reste que ce qui est perçu par des acteurs de la défense de droits des minorités comme l’exercice d’une liberté d’expression est vécu et analysé par d’autres acteurs comme une atteinte à la liberté académique, en particulier la liberté pédagogique. La situation n’est-elle pas une impasse propre à aviver les tensions et créer une polémique permanente ? Comment sortir de cette impasse ?

    Isabelle Arseneau. En effet, on peut vite avoir l’impression d’un cul-de-sac ou d’un cercle vicieux difficile à briser, surtout au vu de la polarisation actuelle des discours, qu’aggravent les médias sociaux. Dans ce brouhaha de paroles et de réactions à vif, je ne sais pas si on s’entend et encore moins si on s’écoute. Chose certaine, il faudra dans un premier temps tenter de régler les problèmes qui atteignent aujourd’hui les établissements postsecondaires depuis l’intérieur de leurs murs. En effet, la responsabilité me semble revenir d’abord aux dirigeants de nos institutions, à la condition de réorienter les efforts vers les bonnes cibles et, comme je le disais à l’instant, de distinguer les dossiers. À partir du moment où l’on cessera de confondre les dossiers et où l’on résistera aux raccourcis faciles et tendancieux, des chantiers distincts s’ouvriront naturellement.

    Du côté des dossiers liés à l’équité et à la diversité, il me semble nécessaire de mener de vrais travaux d’enquête et d’analyse de terrain et de formuler des propositions concrètes qui s’appuient sur des données plutôt que des mesures cosmétiques qui suivent l’air du temps (il ne suffit pas, comme on a pu le faire chez nous, de recommander la censure d’un mot, de retirer une statue ou de renommer une équipe de football). Plus on tardera à s’y mettre vraiment et à joindre le geste à la parole, plus longtemps on échouera à réunir les conditions nécessaires au dialogue serein et décomplexé. Il nous reste d’ailleurs à débusquer les taches aveugles, par exemple celles liées à la diversité économique de nos campus (ou son absence), une donnée trop souvent exclue de la réflexion, qui préfère se fixer sur la seule dimension identitaire. Du côté de la liberté universitaire, il est nécessaire de la réaffirmer d’abord et de la protéger ensuite, en reprenant le travail depuis le début s’il le faut. C’est ce qu’a fait à date récente la Mission nommée par le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras. Les travaux de ce comité ont abouti à l’élaboration d’un énoncé de principes fort habile. Ce dernier, qui a été adopté à l’unanimité par l’assemblée universitaire, distingue très nettement les dossiers et les contextes : en même temps qu’il déclare qu’« aucun mot, aucun concept, aucune image, aucune œuvre ne sauraient être exclus a priori du débat et de l’examen critique dans le cadre de l’enseignement et de la recherche universitaires », le libellé rappelle que l’université « condamne les propos haineux et qu’en aucun cas, une personne tenant de tels propos ne peut se retrancher derrière ses libertés universitaires ou, de façon générale, sa liberté d’expression » (4). Il est également urgent de mettre en œuvre une pédagogie ciblant expressément les libertés publiques, la liberté académique et la liberté d’expression. C’est d’ailleurs une carence mise au jour par l’enquête de la Commission, qui révèle que 58% des professeurs interrogés « affirment ne pas savoir si leur établissement possède des documents officiels assurant la protection de la liberté universitaire » et que 85% des répondants étudiants « considèrent que les universités devraient déployer plus d’efforts pour faire connaître les dispositions sur la protection de la liberté universitaire ». Il reste donc beaucoup de travail à faire sur le plan de la diffusion de l’information intra muros. Heureusement, nos établissements ont déjà en leur possession les outils nécessaires à l’implantation de ce type d’apprentissage pratique (au moment de leur admission, nos étudiants doivent déjà compléter des tutoriels de sensibilisation au plagiat et aux violences sexuelles, par exemple).

    Enfin, il revient aux dirigeants de nos universités de s’assurer de mettre en place un climat propice à la réflexion et au dialogue sur des sujets parfois délicats, par exemple en se gardant d’insinuer que ceux qui défendent la liberté universitaire seraient de facto hostiles à la diversité et à l’équité, comme a pu le faire notre vice-recteur dans une lettre publiée dans La Presse en février dernier. Ça, déjà, ce serait un geste à la hauteur de la fonction.

    9. Quelle perception avez-vous de la forme qu’a pris la remise en cause des libertés académiques en France avec la polémique sur l’islamo-gauchisme initiée par deux membres du gouvernement – Blanquer et Vidal – et poursuivi avec le Manifeste des 100 ?

    Arnaud Bernadet. Un sentiment de profonde perplexité. La comparaison entre “l’islamo-gauchisme”, qui nous semble en grande partie un épouvantail agité par le pouvoir macroniste, et le “wokism” états-unien ou canadien - qui est une réalité complexe mais mesurable, dont on précisera les contours la semaine prochaine - se révèle aussi artificielle qu’infondée. Un tel rapprochement est même en soi très dangereux, et peut servir de nouveaux amalgames comme il apparaît nettement dans la lettre publiée hier par Jean-Michel Blanquer et Jean-François Roberge : “L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme”. Déplions-la un instant. Les deux ministres de l’Éducation, de France et du Québec, ne sont pas officiellement en charge des dossiers universitaires (assurés par Frédérique Vidal et Danielle McCann). D’une même voix, Blanquer et Roberge condamnent - à juste titre - l’autodafé commis en 2019 dans plusieurs écoles du sud-ouest de l’Ontario sur des encyclopédies, des bandes-dessinées et des ouvrages de jeunesse qui portaient atteinte à l’image des premières nations. Or on a appris par la suite que l’instigatrice de cette purge littéraire, Suzie Kies, œuvrait comme conseillère au sein du Parti Libéral du Canada sur les questions autochtones. Elle révélait ainsi une évidente collusion avec le pouvoir fédéral. Inutile de dire par conséquent que l’intervention de nos deux ministres ressortit à une stratégie d’abord politique. En position fragile face à Ottawa, dont les mesures interventionnistes ne sont pas toujours compatibles avec son esprit d’indépendance, le Québec se cherche des appuis du côté de la France. Au nom de la “liberté d’expression”, la France tacle également Justin Trudeau, dont les positions modérées au moment de l’assassinat de Samuel Paty ont fortement déplu. Ce faisant, le Québec et la France se donnent aussi comme des sociétés alternatives, le Canada étant implicitement associé aux États-Unis dont il ne serait plus que la copie : un lieu où prospéreraient une “idéologie” et des “méthodes” - bannissement, censure, effacement de l’histoire - qui menaceraient le “respect” et l’esprit de “tolérance” auxquels s’adossent “nos démocraties”. Au lieu de quoi, non seulement “l’égalité” mais aussi la “laïcité” seraient garantes au Québec comme en France d’un “pacte” capable d’unir la “communauté” sur la base “de connaissances, de compétences et de principes fondés sur des valeurs universelles”, sans que celles-ci soient d’ailleurs clairement précisées. On ne peut s’empêcher toutefois de penser que les deux auteurs prennent le risque par ce biais de légitimer les guerres culturelles, issues au départ des universités états-uniennes, en les étendant aux rapports entre anglophones et francophones. Au reste, la cible déclarée du texte, qui privilégie plutôt l’allusion et se garde habilement de nommer, reste la “cancel culture” aux mains des “assassins de la mémoire”. On observera qu’il n’est nulle part question de “wokes”, de décolonialisme ou d’antiracisme par exemple. D’un “militantisme délétère” (mais lequel, exactement ?) on passe enfin aux dangers de la “radicalisation”, dans laquelle chacun mettra ce qu’il veut bien y entendre, des extrémismes politiques (national-populisme, alt-right, néo-nazisme, etc.) et des fondamentalismes religieux. Pour finir, la résistance aux formes actuelles de “l’obscurantisme” est l’occasion de revaloriser le rôle de l’éducation au sein des démocraties. Elle est aussi un moyen de renouer avec l’héritage rationaliste des Lumières. Mais les deux ministres retombent dans le piège civilisationniste, qui consiste à arrimer - sans sourciller devant la contradiction - les “valeurs universelles” à “nos sociétés occidentales”. Le marqueur identitaire “nos” est capital dans le texte. Il efface d’un même geste les peuples autochtones qui étaient mentionnés au début de l’article, comme s’ils ne faisaient pas partie, notamment pour le Québec, de cette “mémoire” que les deux auteurs appellent justement à défendre, ou comme s’ils étaient d’emblée assimilés et assimilables à cette vision occidentale ? De lui-même, l’article s’expose ici à la critique décoloniale, particulièrement répandue sur les campus nord-américains, celle-là même qu’il voudrait récuser. Qu’on en accepte ou non les prémisses, cette critique ne peut pas être non plus passée sous silence. Il faut s’y confronter. Car elle a au moins cette vertu de rappeler que l’héritage des Lumières ne va pas sans failles. On a le droit d’en rejeter les diverses formulations, mais il convient dans ce cas de les discuter. Car elles nous obligent à penser ensemble - et autrement - les termes du problème ici posé : universalité, communauté et diversité.

    10. La forme d’un « énoncé » encadrant la liberté académique et adopté par le parlement québécois vous semble-t-elle un bon compromis politique ? Pourquoi le soutenir plutôt qu’une loi ? Un énoncé national de référence, laissant chaque établissement en disposer librement, aura-t-il une véritable efficacité ?

    Isabelle Arseneau. Au moment de la rédaction de notre mémoire, les choses nous semblaient sans doute un peu moins urgentes que depuis la publication des résultats de la collecte d’informations réalisée par la Commission indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire. Les chiffres publiés en septembre dernier confirment ce que nous avons remarqué sur le terrain et ce que suggéraient déjà les mémoires, les témoignages et les avis d’experts récoltés dans le cadre des travaux des commissaires : nous avons affaire à un problème significatif plutôt qu’à un épiphénomène surmédiatisé (comme on a pu l’entendre dire). Les résultats colligés reflètent cependant un phénomène encore plus généralisé que ce que l’on imaginait et d’une ampleur que, pour ma part, je sous-estimais.

    Dans le contexte d’une situation sérieuse mais non encore critique, l’idée d’un énoncé m’a donc toujours semblé plus séduisante (et modérée !) que celle d’une politique nationale, qui ouvrirait la porte à l’ingérence de l’État dans les affaires universitaires. Or que faire des universités qui ne font plus leurs devoirs ? L’« énoncé sur la liberté universitaire » de l’Université McGill, qui protège les chercheurs des « contraintes de la rectitude politique », ne nous a été d’aucune utilité à l’automne 2020. Comment contraindre notre institution à respecter les règles du jeu dont elle s’est elle-même dotée ? Nous osons croire qu’un énoncé national, le plus ouvert et le plus généreux possible, pourrait aider les établissements comme le nôtre à surmonter certaines difficultés internes. Mais nous sommes de plus en plus conscients qu’il faudra sans doute se doter un jour de mécanismes plus concrets qu’un énoncé non contraignant.

    Arnaud Bernadet. Nous avons eu de longues discussions à ce sujet, et elles ne sont probablement pas terminées. C’est un point de divergence entre nous. Bien entendu, on peut se ranger derrière la solution modérée comme on l’a d’abord fait. Malgré tout, je persiste à croire qu’une loi aurait plus de poids et d’efficience qu’un énoncé. L’intervention de l’État est nécessaire dans le cas présent, et me semble ici le contraire même de l’ingérence. Une démocratie digne de ce nom doit veiller à garantir les libertés publiques qui en sont au fondement. Or, en ce domaine, la liberté académique est précieuse. Ce qui a lieu sur les campus est exceptionnel, cela ne se passe nulle part ailleurs dans la société : la quête de la vérité, la dynamique contradictoire des points de vue, l’expression critique et l’émancipation des esprits. Je rappellerai qu’inscrire le principe de la liberté académique dans la loi est aussi le vœu exprimé par la Fédération Québécoise des Professeures et Professeurs d’Université. Actuellement, un tel principe figure plutôt au titre du droit contractuel, c’est-à-dire dans les conventions collectives des établissements québécois (quand celles-ci existent !) Une loi remettrait donc à niveau les universités de la province, elle préviendrait toute espèce d’inégalité de traitement d’une institution à l’autre. Elle comblerait la carence dont on parlait tout à l’heure, qui remonte à la Révolution tranquille. Elle renforcerait finalement l’autonomie des universités au lieu de la fragiliser. Ce serait aussi l’occasion pour le Québec de réaffirmer clairement ses prérogatives en matière éducative contre les ingérences - bien réelles celles-là - du pouvoir fédéral qui tend de plus en plus à imposer sa vision pancanadienne au mépris des particularités francophones. Enfin, ne nous leurrons pas : il n’y a aucune raison objective pour que les incidents qui se sont multipliés en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années, et qui nourrissent de tous bords - on vient de le voir - de nombreux combats voire dérives idéologiques, cessent tout à coup. La loi doit pouvoir protéger les fonctions et les missions des universités québécoises, à ce jour de plus en plus perturbées.

    Entretien réalisé par écrit au mois d’octobre 2021

    Notes :

    1. Isabelle Hachey, « Le clientélisme, c’est ça » (La Presse, 22.02.2021)

    2. Jean-François Nadeau, « La censure contamine les milieux universitaires » (Le Devoir, 01.04.2017)

    3. Isabelle Arseneau et Arnaud Bernadet, « Universités : censure et liberté » (La Presse, 15.12.2020) ; « Les dérives éthiques de l’esprit gestionnaire » (La Presse, 29.02.2021) ; « Université McGill : une politique du déni » (La Presse, 26.02.2021).

    4. « Rapport de la Mission du recteur sur la liberté d’expression en contexte universitaire », juin 2021 : https://www.umontreal.ca/public/www/images/missiondurecteur/Rapport-Mission-juin2021.pdf

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/211021/liberte-academique-et-justice-sociale

    #ESR

    ping @karine4 @_kg_ @isskein

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    ajouté à la métaliste autour du terme l’#islamo-gauchisme... mais aussi du #woke et du #wokisme, #cancel_culture, etc.
    https://seenthis.net/messages/943271

    • La liberté académique aux prises avec de nouvelles #menaces

      Colloques, séminaires, publications (Duclos et Fjeld, Frangville et alii) : depuis quelques années, et avec une accélération notoire ces derniers mois, le thème de la liberté académique est de plus en plus exploré comme objet scientifique. La liberté académique suscite d’autant plus l’intérêt des chercheurs qu’elle est aujourd’hui, en de nombreux endroits du monde, fragilisée.

      La création en 2021 par l’#Open_Society_University_Network (un partenariat entre la Central European University et le Bard College à New York) d’un #Observatoire_mondial_des_libertés_académiques atteste d’une inquiétante réalité. C’est en effet au moment où des libertés sont fragilisées qu’advient le besoin d’en analyser les fondements, d’en explorer les définitions, de les ériger en objets de recherche, mais aussi de mettre en œuvre un système de veille pour les protéger.

      S’il est évident que les #régimes_autoritaires sont par définition des ennemis des libertés académiques, ce qui arrive aujourd’hui dans des #pays_démocratiques témoigne de pratiques qui transcendent les frontières entre #régime_autoritaire et #régime_démocratique, frontières qui elles-mêmes tendent à se brouiller.

      La liberté académique menacée dans les pays autoritaires…

      S’appuyant sur une régulation par les pairs (la « communauté des compétents ») et une indépendance structurelle par rapport aux pouvoirs, la liberté de recherche, d’enseignement et d’opinion favorise la critique autant qu’elle en est l’expression et l’émanation. Elle est la condition d’une pensée féconde qui progresse par le débat, la confrontation d’idées, de paradigmes, d’axiomes, d’expériences.

      Cette liberté dérange en contextes autoritaires, où tout un répertoire d’actions s’offre aux gouvernements pour museler les académiques : outre l’emprisonnement pur et simple, dont sont victimes des collègues – on pense notamment à #Fariba_Adelkhah, prisonnière scientifique en #Iran ; à #Ahmadreza_Djalali, condamné à mort en Iran ; à #Ilham_Tohti, dont on est sans nouvelles depuis sa condamnation à perpétuité en# Chine, et à des dizaines d’autres académiques ouïghours disparus ou emprisonnés sans procès ; à #Iouri_Dmitriev, condamné à treize ans de détention en #Russie –, les régimes autoritaires mettent en œuvre #poursuites_judiciaires et #criminalisation, #licenciements_abusifs, #harcèlement, #surveillance et #intimidation.


      https://twitter.com/AnkyraWitch/status/1359630006993977348

      L’historien turc Candan Badem parlait en 2017 d’#académicide pour qualifier la vague de #répression qui s’abattait dans son pays sur les « universitaires pour la paix », criminalisés pour avoir signé une pétition pour la paix dans les régions kurdes. La notion de « #crime_contre_l’histoire », forgée par l’historien Antoon de Baets, a été reprise en 2021 par la FIDH et l’historien Grigori Vaïpan) pour qualifier les atteintes portées à l’histoire et aux historiens en Russie. Ce crime contre l’histoire en Russie s’amplifie avec les attaques récentes contre l’ONG #Memorial menacée de dissolution.

      En effet, loin d’être l’apanage des institutions académiques officielles, la liberté académique et de recherche, d’une grande rigueur, se déploie parfois de façon plus inventive et courageuse dans des structures de la #société_civile. En #Biélorussie, le sort de #Tatiana_Kuzina, comme celui d’#Artiom_Boyarski, jeune chimiste talentueux emprisonné pour avoir refusé publiquement une bourse du nom du président Loukachenko, ne sont que deux exemples parmi des dizaines et des dizaines de chercheurs menacés, dont une grande partie a déjà pris le chemin de l’exil depuis l’intensification des répressions après les élections d’août 2020 et la mobilisation qui s’en est suivie.

      La liste ci-dessus n’est bien sûr pas exhaustive, les cas étant nombreux dans bien des pays – on pense, par exemple, à celui de #Saïd_Djabelkhir en #Algérie.

      … mais aussi dans les #démocraties

      Les #régressions que l’on observe au sein même de l’Union européenne – le cas du déménagement forcé de la #Central_European_University de Budapest vers Vienne, sous la pression du gouvernement de Viktor Orban, en est un exemple criant – montrent que les dérives anti-démocratiques se déclinent dans le champ académique, après que d’autres libertés – liberté de la presse, autonomie de la société civile – ont été atteintes.

      Les pays considérés comme démocratiques ne sont pas épargnés non plus par les tentatives des autorités politiques de peser sur les recherches académiques. Récemment, en #France, les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ont affirmé que le monde académique serait « ravagé par l’#islamo-gauchisme » et irrespectueux des « #valeurs_de_la_République » – des attaques qui ont provoqué un concert de protestations au sein de la communauté des chercheurs. En France toujours, de nombreux historiens se sont mobilisés en 2020 contre les modalités d’application d’une instruction interministérielle restreignant l’accès à des fonds d’#archives sur l’#histoire_coloniale, en contradiction avec une loi de 2008.


      https://twitter.com/VivementLundi/status/1355564397314387972

      Au #Danemark, en juin 2021, plus de 260 universitaires spécialistes des questions migratoires et de genre rapportaient quant à eux dans un communiqué public les intimidations croissantes subies pour leurs recherches qualifiées de « #gauchisme_identitaire » et de « #pseudo-science » par des députés les accusant de « déguiser la politique en science ».

      D’autres offensives peuvent être menées de façon plus sournoise, à la faveur de #politiques_néolibérales assumées et de mise en #concurrence des universités et donc du champ du savoir et de la pensée. La conjonction de #logiques_libérales sur le plan économique et autoritaires sur le plan politique conduit à la multiplication de politiques souvent largement assumées par les États eux-mêmes : accréditations sélectives, retrait de #financements à des universités ou à certains programmes – les objets plus récents et fragiles comme les #études_de_genre ou études sur les #migrations se trouvant souvent en première ligne.

      Ce brouillage entre régimes politiques, conjugué à la #marchandisation_du_savoir, trouve également à s’incarner dans la façon dont des acteurs issus de régimes autoritaires viennent s’installer au sein du monde démocratique : c’est le cas notamment de la Chine avec l’implantation d’#Instituts_Confucius au cœur même des universités, qui conduisent, dans certains cas, à des logiques d’#autocensure ; ou de l’afflux d’étudiants fortunés en provenance de pays autoritaires, qui par leurs frais d’inscriptions très élevés renflouent les caisses d’universités désargentées, comme en Australie.

      Ces logiques de #dépendance_financière obèrent l’essence et la condition même de la #recherche_académique : son #indépendance. Plus généralement, la #marchandisation de l’#enseignement_supérieur, conséquence de son #sous-financement public, menace l’#intégrité_scientifique de chercheurs et d’universités de plus en plus poussées à se tourner vers des fonds privés.

      La mobilisation de la communauté universitaire

      Il y a donc là une combinaison d’attaques protéiformes, à l’aune des changements politiques, technologiques, économiques et financiers qui modifient en profondeur les modalités du travail. La mise en place de programmes de solidarité à destination de chercheurs en danger (#PAUSE, #bourses_Philipp_Schwartz en Allemagne, #bourses de solidarité à l’Université libre de Bruxelles), l’existence d’organisations visant à documenter les attaques exercées sur des chercheurs #Scholars_at_Risk, #International_Rescue_Fund, #CARA et la création de ce tout nouvel observatoire mondial des libertés académiques évoqué plus haut montrent que la communauté académique a pris conscience du danger. Puissent du fond de sa prison résonner les mots de l’historien Iouri Dmitriev : « Les libertés académiques, jamais, ne deviendront une notion abstraite. »

      https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682

    • « #Wokisme » : un « #front_républicain » contre l’éveil aux #injustices

      CHRONIQUE DE LA #BATAILLE_CULTURELLE. L’usage du mot « wokisme » vise à disqualifier son adversaire, mais aussi à entretenir un #déni : l’absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’#égalité, de #justice, de respect des #droits_humains.

      Invoqué ad nauseam, le « wokisme » a fait irruption dans un débat public déjà singulièrement dégradé. Il a fait florès à l’ère du buzz et des clashs, rejoignant l’« #islamogauchisme » au registre de ces fameux mots fourre-tout dont la principale fonction est de dénigrer et disqualifier son adversaire, tout en réduisant les maux de la société à quelques syllabes magiques. Sur la scène politique et intellectuelle, le « wokisme » a même réussi là où la menace de l’#extrême_droite a échoué : la formation d’un « front républicain ». Mais pas n’importe quel front républicain…

      Formellement, les racines du « wokisme » renvoient à l’idée d’« #éveil » aux #injustices, aux #inégalités et autres #discriminations subies par les minorités, qu’elles soient sexuelles, ethniques ou religieuses. Comment cet « éveil » a-t-il mué en une sorte d’#injure_publique constitutive d’une #menace existentielle pour la République ?

      Si le terme « woke » est historiquement lié à la lutte des #Afro-Américains pour les #droits_civiques, il se trouve désormais au cœur de mobilisations d’une jeunesse militante animée par les causes féministes et antiracistes. Ces mobilisations traduisent en acte l’#intersectionnalité théorisée par #Kimberlé_Williams_Crenshaw*, mais le recours à certains procédés ou techniques est perçu comme une atteinte à la #liberté_d’expression (avec les appels à la #censure d’une œuvre, à l’annulation d’une exposition ou d’une représentation, au déboulonnage d’une statue, etc.) ou à l’égalité (avec les « réunions non mixtes choisies et temporaires » restreignant l’accès à celles-ci à certaines catégories de personnes partageant un même problème, une même discrimination). Le débat autour de ces pratiques est complexe et légitime. Mais parler en France du développement d’une « cancel culture » qu’elles sont censées symboliser est abusif, tant elles demeurent extrêmement marginales dans les sphères universitaires et artistiques. Leur nombre comme leur diffusion sont inversement proportionnels à leur écho politico-médiatique. D’où provient ce contraste ou décalage ?

      Une rupture du contrat social

      En réalité, au-delà de la critique/condamnation du phénomène « woke », la crispation radicale qu’il suscite dans l’hexagone puise ses racines dans une absence de volonté politique à prendre au sérieux les demandes d’égalité, de justice, de respect des droits humains. Un défaut d’écoute et de volonté qui se nourrit lui-même d’un mécanisme de déni, à savoir un mécanisme de défense face à une réalité insupportable, difficile à assumer intellectuellement et politiquement.

      D’un côté, une série de rapports publics et d’études universitaires** pointent la prégnance des inégalités et des discriminations à l’embauche, au logement, au contrôle policier ou même à l’école. Non seulement les discriminations sapent le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, mais la reproduction des inégalités est en partie liée à la reproduction des discriminations.

      De l’autre, le déni et l’#inaction perdurent face à ces problèmes systémiques. Il n’existe pas de véritable politique publique de lutte contre les discriminations à l’échelle nationale. L’État n’a pas engagé de programme spécifique qui ciblerait des axes prioritaires et se déclinerait aux différents niveaux de l’action publique.

      L’appel à l’« éveil » est un appel à la prise de conscience d’une rupture consommée de notre contrat social. La réalité implacable d’inégalités et de discriminations criantes nourrit en effet une #citoyenneté à plusieurs vitesses qui contredit les termes du récit/#pacte_républicain, celui d’une promesse d’égalité et d’#émancipation.

      Que l’objet si mal identifié que représente le « wokisme » soit fustigé par la droite et l’extrême-droite n’a rien de surprenant : la lutte contre les #logiques_de_domination ne fait partie ni de leur corpus idéologique ni de leur agenda programmatique. En revanche, il est plus significatif qu’une large partie de la gauche se détourne des questions de l’égalité et de la #lutte_contre_les_discriminations, pour mieux se mobiliser contre tout ce qui peut apparaître comme une menace contre un « #universalisme_républicain » aussi abstrait que déconnecté des réalités vécues par cette jeunesse française engagée en faveur de ces causes.

      Les polémiques autour du « wokisme » contribuent ainsi à forger cet arc politique et intellectuel qui atteste la convergence, voire la jonction de deux blocs conservateurs, « de droite » et « de gauche », unis dans un même « front républicain », dans un même déni des maux d’une société d’inégaux.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210928.OBS49202/wokisme-un-front-republicain-contre-l-eveil-aux-injustices.html

      #récit_républicain

    • « Le mot “#woke” a été transformé en instrument d’occultation des discriminations raciales »

      Pour le sociologue #Alain_Policar, le « wokisme » désigne désormais péjorativement ceux qui sont engagés dans des courants politiques qui se réclament pourtant de l’approfondissement des principes démocratiques.

      Faut-il rompre avec le principe de « #color_blindness » (« indifférence à la couleur ») au fondement de l’#égalitarisme_libéral ? Ce principe, rappelons-le, accompagne la philosophie individualiste et contractualiste à laquelle adhèrent les #démocraties. Or, en prenant en considération des pratiques par lesquelles des catégories fondées sur des étiquettes « raciales » subsistent dans les sociétés postcolonialistes, on affirme l’existence d’un ordre politico-juridique au sein duquel la « #race » reste un principe de vision et de division du monde social.

      Comme l’écrit #Stéphane_Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, « la République a un problème avec le #corps des individus, elle ne sait que faire de ces #différences_physiques, de ces couleurs multiples, de ces #orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également elle devait être #aveugle » ( Le Monde du 7 avril).

      Dès lors, ignorer cette #réalité, rester indifférent à la #couleur, n’est-ce pas consentir à la perpétuation des injustices ? C’est ce consentement qui s’exprime dans l’opération idéologique d’appropriation d’un mot, « woke », pour le transformer en instrument d’occultation de la réalité des discriminations fondées sur la couleur de peau. Désormais le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT ou même écologistes. Il ne se caractérise pas par son contenu, mais par sa fonction, à savoir, selon un article récent de l’agrégé de philosophie Valentin Denis sur le site AOC , « stigmatiser des courants politiques souvent incommensurables tout en évitant de se demander ce qu’ils ont à dire . Ces courants politiques, pourtant, ne réclament-ils pas en définitive l’approfondissement des #principes_démocratiques ?

      Une #justice_corrective

      Parmi les moyens de cet approfondissement, l’ affirmative action (« #action_compensatoire »), en tant qu’expression d’une justice corrective fondée sur la #reconnaissance des #torts subis par le passé et, bien souvent, qui restent encore vifs dans le présent, est suspectée de substituer le #multiculturalisme_normatif au #modèle_républicain d’#intégration. Ces mesures correctives seraient, lit-on souvent, une remise en cause radicale du #mérite_individuel. Mais cet argument est extrêmement faible : est-il cohérent d’invoquer la #justice_sociale (dont les antiwokedisent se préoccuper) et, en même temps, de valoriser le #mérite ? L’appréciation de celui-ci n’est-elle pas liée à l’#utilité_sociale accordée à un ensemble de #performances dont la réalisation dépend d’#atouts (en particulier, un milieu familial favorable) distribués de façon moralement arbitraire ? La justice sociale exige, en réalité, que ce qui dépend des circonstances, et non des choix, soit compensé.

      Percevoir et dénoncer les mécanismes qui maintiennent les hiérarchies héritées de l’#ordre_colonial constitue l’étape nécessaire à la reconnaissance du lien entre cet ordre et la persistance d’un #racisme_quotidien. Il est important (même si le concept de « #racisme_systémique », appliqué à nos sociétés contemporaines, est décrit comme une « fable » par certains auteurs, égarés par les passions idéologiques qu’ils dénoncent chez leurs adversaires) d’admettre l’idée que, même si les agents sont dépourvus de #préjugés_racistes, la discrimination fonctionne. En quelque sorte, on peut avoir du #racisme_sans_racistes, comme l’a montré Eduardo Bonilla-Silva dans son livre de 2003, Racism without Racists [Rowman & Littlefield Publishers, non traduit] . Cet auteur avait, en 1997, publié un article canonique sur le #racisme_institutionnel dans lequel il rejetait, en se réclamant du psychiatre et essayiste Frantz Fanon [1925-1961], les approches du racisme « comme une #bizarrerie_mentale, comme une #faille_psychologique » .

      Le reflet de pratiques structurelles

      En fait, les institutions peuvent être racialement oppressives, même sans qu’aucun individu ou aucun groupe ne puisse être tenu pour responsable du tort subi. Cette importante idée avait déjà été exprimée par William E. B. Du Bois dans Pénombre de l’aube. Essai d’autobiographie d’un concept de race (1940, traduit chez Vendémiaire, 2020), ouvrage dans lequel il décrivait le racisme comme un #ordre_structurel, intériorisé par les individus et ne dépendant pas seulement de la mauvaise volonté de quelques-uns. On a pu reprocher à ces analyses d’essentialiser les Blancs, de leur attribuer une sorte de #racisme_ontologique, alors qu’elles mettent au jour les #préjugés produits par l’ignorance ou le déni historique.

      On comprend, par conséquent, qu’il est essentiel de ne pas confondre, d’une part, l’expression des #émotions, de la #colère, du #ressentiment, et, d’autre part, les discriminations, par exemple à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de #pratiques_structurelles concrètes. Le racisme est avant tout un rapport social, un #système_de_domination qui s’exerce sur des groupes racisés par le groupe racisant. Il doit être appréhendé du point de vue de ses effets sur l’ensemble de la société, et non seulement à travers ses expressions les plus violentes.

      #Alexis_de_Tocqueville avait parfaitement décrit cette réalité [dans De la démocratie en Amérique, 1835 et 1840] en évoquant la nécessaire destruction, une fois l’esclavage aboli, de trois préjugés, qu’il disait être « bien plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé du maître, le préjugé de race, et enfin le préjugé du Blanc . Et il ajoutait : « J’aperçois l’#esclavage qui recule ; le préjugé qu’il a fait naître est immobile. » Ce #préjugé_de_race était, écrivait-il encore, « plus fort dans les Etats qui ont aboli l’esclavage que dans ceux où il existe encore, et nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les Etats où la servitude a toujours été inconnue . Tocqueville serait-il un militant woke ?

      Note(s) :

      Alain Policar est sociologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Dernier livre paru : « L’Universalisme en procès » (Le Bord de l’eau, 160p., 16 euros)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/28/alain-policar-le-mot-woke-a-ete-transforme-en-instrument-d-occultation-des-d

      #WEB_Du_Bois

      signalé par @colporteur ici :
      https://seenthis.net/messages/941602

    • L’agitation de la chimère « wokisme » ou l’empêchement du débat

      Wokisme est un néologisme malin : employé comme nom, il suggère l’existence d’un mouvement homogène et cohérent, constitué autour d’une prétendue « idéologie woke ». Ou comment stigmatiser des courants politiques progressistes pour mieux détourner le regard des discriminations que ceux-ci dénoncent. D’un point de vue rhétorique, le terme produit une version totalement caricaturée d’un adversaire fantasmé.

      (#paywall)
      https://aoc.media/opinion/2021/11/25/lagitation-de-la-chimere-wokisme-ou-lempechement-du-debat

    • Europe’s War on Woke

      Why elites across the Atlantic are freaking out about the concept of structural racism.

      On my 32nd birthday, I agreed to appear on Répliques, a popular show on the France Culture radio channel hosted by the illustrious Alain Finkielkraut. Now 72 and a household name in France, Finkielkraut is a public intellectual of the variety that exists only on the Left Bank: a child of 1968 who now wears Loro Piana blazers and rails against “la cancel culture.” The other guest that day—January 9, less than 72 hours after the US Capitol insurrection—was Pascal Bruckner, 72, another well-known French writer who’d just published “The Almost Perfect Culprit: The Construction of the White Scapegoat,” his latest of many essays on this theme. Happy birthday to me.

      The topic of our discussion was the only one that interested the French elite in January 2021: not the raging pandemic but “the Franco-American divide,” the Huntington-esque clash of two apparently great civilizations and their respective social models—one “universalist,” one “communitarian”—on the question of race and identity politics. To Finkielkraut, Bruckner, and the establishment they still represent, American writers like me seek to impose a “woke” agenda on an otherwise harmonious, egalitarian society. Americans who argue for social justice are guilty of “cultural imperialism,” of ideological projection—even of bad faith.

      This has become a refrain not merely in France but across Europe. To be sure, the terms of this social-media-fueled debate are unmistakably American; “woke” and “cancel culture” could emerge from no other context. But in the United States, these terms have a particular valence that mostly has to do with the push for racial equality and against systemic racism. In Europe, what is labeled “woke” is often whatever social movement a particular country’s establishment fears the most. This turns out to be an ideal way of discrediting those movements: To call them “woke” is to call them American, and to call them American is to say they don’t apply to Europe.

      In France, “wokeism” came to the fore in response to a recent slew of terror attacks, most notably the gruesome beheading in October 2020 of the schoolteacher Samuel Paty. After years of similar Islamist attacks—notably the massacre at the offices of the newspaper Charlie Hebdo in January 2015 and the ISIS-inspired assaults on the Hypercacher kosher supermarket and the Bataclan concert hall in November 2015—the reaction in France reached a tipping point. Emmanuel Macron’s government had already launched a campaign against what it calls “Islamist separatism,” but Paty’s killing saw a conversation about understandable trauma degenerate into public hysteria. The government launched a full-scale culture war, fomenting its own American-style psychodrama while purporting to do the opposite. Soon its ministers began railing against “islamo-gauchisme” (Islamo-leftism) in universities, Muslim mothers in hijabs chaperoning school field trips, and halal meats in supermarkets.

      But most of all, they began railing against the ideas that, in their view, somehow augmented and abetted these divisions: American-inspired anti-racism and “wokeness.” Macron said it himself in a speech that was widely praised by the French establishment for its alleged nuance: “We have left the intellectual debate to others, to those outside of the Republic, by ideologizing it, sometimes yielding to other academic traditions…. I see certain social science theories entirely imported from the United States.” In October, the French government inaugurated a think tank, the Laboratoire de la République, designed to combat these “woke” theories, which, according to the think tank’s founder, Jean-Michel Blanquer, Macron’s education minister, “led to the rise of Donald Trump.”

      As the apparent emissaries of this pernicious “Anglo-Saxon” identitarian agenda, US journalists covering this moment in France have come under the spotlight, especially when we ask, for instance, what islamo-gauchisme actually means—if indeed it means anything at all. Macron himself has lashed out at foreign journalists, even sending a letter to the editor of the Financial Times rebutting what he saw as an error-ridden op-ed that took a stance he could not bear. “I will not allow anybody to claim that France, or its government, is fostering racism against Muslims,” he wrote. Hence my own invitation to appear on France Culture, a kind of voir dire before the entire nation.

      Finkielkraut began the segment with a tirade against The New York Times and then began discussing US “campus culture,” mentioning Yale’s Tim Barringer and an art history syllabus that no longer includes as many “dead white males.” Eventually I asked how, three days after January 6, we could discuss the United States without mentioning the violent insurrection that had just taken place at the seat of American democracy. Finkielkraut became agitated. “And for you also, [what about] the fact that in the American Congress, Emanuel Cleaver, representative of Missouri, presiding over a new inauguration ceremony, finished by saying the words ‘amen and a-women’?” he asked. “Ça vous dérangez pas?” I said it didn’t bother me in the least, and he got even more agitated. “I don’t understand what you say, James McAuley, because cancel culture exists! It exists!”

      The man knew what he was talking about: Three days after our conversation, Finkielkraut was dropped from a regular gig at France’s LCI television for defending his old pal Olivier Duhamel of Sciences Po, who was embroiled in a pedophilia scandal that had taken France by storm. Duhamel was accused by his stepdaughter, Camille Kouchener, of raping her twin brother when the two were in their early teens. Finkielkraut speculated that there may have been consent between the two parties, and, in any case, a 14-year-old was “not the same thing” as a child.

      I tell this story because it is a useful encapsulation of France’s—and Europe’s—war on woke, a conflict that has assumed various forms in different national contexts but that still grips the continent. On one level, there is a certain comedy to it: The self-professed classical liberal turns out to be an apologist for child molestation. In fact, the anti-woke comedy is now quite literally being written and directed by actual comedians who, on this one issue, seem incapable of anything but earnestness. John Cleese, 81, the face of Monty Python and a public supporter of Brexit, has announced that he will be directing a forthcoming documentary series on Britain’s Channel 4 titled Cancel Me, which will feature extensive interviews with people who have been “canceled”—although no one connected with the show has specified what exactly the word means.

      Indeed, the terms of this debate are an insult to collective intelligence. But if we must use them, we need to understand an important distinction between what is called “cancel culture” and what is called “woke.” The former has been around much longer and refers to tactics that are used across the political spectrum, but historically by those on the right. “Cancel culture” is not the result of an increased awareness of racial disparities or a greater commitment to social justice broadly conceived—both of which are more urgent than ever—but rather a terrible and inevitable consequence of life with the Internet. Hardly anyone can support “cancel culture” in good faith, and yet it is never sufficiently condemned, because people call out such tactics only when their political opponents use them, never when their allies do. “Woke,” on the other hand, does not necessarily imply public shaming; it merely signifies a shift in perspective and perhaps a change in behavior. Carelessly equating the two is a convenient way to brand social justice activism as inherently illiberal—and to silence long-overdue conversations about race and inequality that far too many otherwise reasonable people find personally threatening.

      But Europe is not America, and in Europe there have been far fewer incidents that could be construed as “cancellations”—again, I feel stupid even using the word—than in the United States. “Wokeism” is really a phenomenon of the Anglosphere, and with the exception of the United Kingdom, the social justice movement has gained far less traction in Europe than it has in US cultural institutions—newspapers, universities, museums, and foundations. In terms of race and identity, many European cultural institutions would have been seen as woefully behind the times by their US counterparts even before the so-called “great awokening.” Yet Europe has gone fully anti-woke, even without much wokeness to fight.

      So much of Europe’s anti-woke movement has focused on opposing and attempting to refute allegations of “institutional” or “structural” racism. Yet despite the 20th-century continental origins of structuralism (especially in France) as a mode of social analysis—not to mention the Francophone writers who have shaped the way American thinkers conceive of race—many European elites dismiss these critiques as unwelcome intrusions into the public discourse that project the preoccupations of a nation built on slavery (and thus understandably obsessed with race) onto societies that are vastly different. Europe, they insist, has a different history, one in which race—especially in the form of the simple binary opposition of Black and white—plays a less central role. There is, of course, some truth to this rejoinder: Different countries do indeed have different histories and different debates. But when Europeans accuse their American critics of projection, they do so not to point out the very real divergences in the US and European discussions and even conceptions of race and racism. Rather, the charge is typically meant to stifle the discussion altogether—even when that discussion is being led by European citizens describing their own lived experiences.

      France, where I reside, proudly sees itself as a “universalist” republic of equal citizens that officially recognizes no differences among them. Indeed, since 1978, it has been illegal to collect statistics on race, ethnicity, or religion—a policy that is largely a response to what happened during the Second World War, when authorities singled out Jewish citizens to be deported to Nazi concentration camps. The French view is that such categories should play no role in public life, that the only community that counts is the national community. To be anti-woke, then, is to be seen as a discerning thinker, one who can rise above crude, reductive identity categories.

      The reality of daily life in France is anything but universalist. The French state does indeed make racial distinctions among citizens, particularly in the realm of policing. The prevalence of police identity checks in France, which stem from a 1993 law intended to curb illegal immigration, is a perennial source of controversy. They disproportionately target Black and Arab men, which is one reason the killing of George Floyd resonated so strongly here. Last summer I spoke to Jacques Toubon, a former conservative politician who was then serving as the French government’s civil liberties ombudsman (he is now retired). Toubon was honest in his assessment: “Our thesis, our values, our rules—constitutional, etc.—they are universalist,” he said. “They do not recognize difference. But there is a tension between this and the reality.”

      One of the most jarring examples of this tension came in November 2020, when Sarah El Haïry, Macron’s youth minister, traveled to Poitiers to discuss the question of religion in society at a local high school. By and large, the students—many of whom were people of color—asked very thoughtful questions. One of them, Emilie, 16, said that she didn’t see the recognition of religious or ethnic differences as divisive. “Just because you are a Christian or a Muslim does not represent a threat to society,” she said. “For me, diversity is an opportunity.” These and similar remarks did not sit well with El Haïry, who nonetheless kept her cool until another student asked about police brutality. At that point, El Haïry got up from her chair and interrupted the student. “You have to love the police, because they are there to protect us on a daily basis,” she said. “They cannot be racist because they are republican!”

      For El Haïry, to question such assumptions would be to question something foundational and profound about the way France understands itself. The problem is that more and more French citizens are doing just that, especially young people like the students in Poitiers, and the government seems utterly incapable of responding.

      Although there is no official data to this effect—again, because of universalist ideology—France is estimated to be the most ethnically diverse society in Western Europe. It is home to large North African, West African, Southeast Asian, and Caribbean populations, and it has the largest Muslim and Jewish communities on the continent. By any objective measure, that makes France a multicultural society—but this reality apparently cannot be admitted or understood.

      Macron, who has done far more than any previous French president to recognize the lived experiences and historical traumas of various minority groups, seems to be aware of this blind spot, but he stops short of acknowledging it. Earlier this year, I attended a roundtable discussion with Macron and a small group of other Anglophone correspondents. One thing he said during that interview has stuck with me: “Universalism is not, in my eyes, a doctrine of assimilation—not at all. It is not the negation of differences…. I believe in plurality in universalism, but that is to say, whatever our differences, our citizenship makes us build a universal together.” This is simply the definition of a multicultural society, an outline of the Anglo-Saxon social model otherwise so despised in France.

      Europe’s reaction to the brutal killing of George Floyd in may 2020 was fascinating to observe. The initial shock at the terrifyingly mundane horrors of US life quickly gave way to protest movements that decried police brutality and the unaddressed legacy of Europe’s colonial past. This was when the question of structural racism entered the conversation. In Britain, Prime Minister Boris Johnson responded to the massive protests throughout the country by establishing the Commission on Race and Ethnic Disparities, an independent group charged with investigating the reality of discrimination and coming up with proposals for rectifying racial disparities in public institutions. The commission’s report, published in April 2021, heralded Britain as “a model for other White-majority countries” on racial issues and devoted three pages to the problems with the language of “structural racism.”

      One big problem with this language, the report implied, is that “structural racism” is a feeling, and feelings are not facts. “References to ‘systemic’, ‘institutional’ or ‘structural racism’ may relate to specific processes which can be identified, but they can also relate to the feeling described by many ethnic minorities of ‘not belonging,’” the report said. “There is certainly a class of actions, behaviours and incidents at the organisational level which cause ethnic minorities to lack a sense of belonging. This is often informally expressed as feeling ‘othered.’” But even that modest concession was immediately qualified. “However, as with hate incidents, this can have a highly subjective dimension for those tasked with investigating the claim.” Finally, the report concluded, the terms in question were inherently extreme. “Terms like ‘structural racism’ have roots in a critique of capitalism, which states that racism is inextricably linked to capitalism. So by that definition, until that system is abolished racism will flourish.”

      The effect of these language games is simply to limit the terms available to describe a phenomenon that indeed exists. Because structural racism is not some progressive shibboleth: It kills people, which need not be controversial or even political to admit. For one recent example in the UK, look no further than Covid-19 deaths. The nation’s Office for National Statistics concluded that Black citizens were more than four times as likely to die of Covid as white citizens, while British citizens of Bangladeshi and Pakistani heritage were more than three times as likely to die. These disparities were present even among health workers directly employed by the state: Of the National Health Service clinical staff who succumbed to the virus, a staggering 60 percent were “BAME”—Black, Asian, or minority ethnic, a term that the government’s report deemed “no longer helpful” and “demeaning.” Beyond Covid-19, reports show that Black British women are more than four times as likely to die in pregnancy or childbirth as their white counterparts; British women of an Asian ethnic background die at twice the rate of white women.

      In the countries of Europe as in the United States, the battle over “woke” ideas is also a battle over each nation’s history—how it is written, how it is taught, how it is understood.

      Perhaps nowhere is this more acutely felt than in Britain, where the inescapable legacy of empire has become the center of an increasingly acrimonious public debate. Of particular note has been the furor over how to think about Winston Churchill, who remains something of a national avatar. In September, the Winston Churchill Memorial Trust renamed itself the Churchill Fellowship, removed certain pictures of the former prime minister from its website, and seemed to distance itself from its namesake. “Many of his views on race are widely seen as unacceptable today, a view that we share,” the Churchill Fellowship declared. This followed the November 2020 decision by Britain’s beloved National Trust, which operates an extensive network of stately homes throughout the country, to demarcate about 100 properties with explicit ties to slavery and colonialism.

      These moves elicited the ire of many conservatives, including the prime minister. “We need to focus on addressing the present and not attempt to rewrite the past and get sucked into the never-ending debate about which well-known historical figures are sufficiently pure or politically correct to remain in public view,” Johnson’s spokesman said in response to the Churchill brouhaha. But for Hilary McGrady, the head of the National Trust, “the genie is out of the bottle in terms of people wanting to understand where wealth came from,” she told London’s Evening Standard. McGrady justified the trust’s decision by saying that as public sensibilities change, so too must institutions. “One thing that possibly has changed is there may be things people find offensive, and we have to be sensitive about that.”

      A fierce countermovement to these institutional changes has already emerged. In the words of David Abulafia, 71, an acclaimed historian of the Mediterranean at Cambridge University and one of the principal architects of this countermovement, “We can never surrender to the woke witch hunt against our island story.”

      This was the actual title of an op-ed by Abulafia that the Daily Mail published in early September, which attacked “today’s woke zealots” who “exploit history as an instrument of propaganda—and as a means of bullying the rest of us.” The piece also announced the History Reclaimed initiative, of which Abulafia is a cofounder: a new online platform run by a board of frustrated British historians who seek to “provide context, explanation and balance in a debate in which condemnation is too often preferred to understanding.” As a historian myself, I should say that I greatly admire Abulafia’s work, particularly its wide-ranging synthesis and its literary quality, neither of which is easy to achieve and both of which have been models for me in my own work. Which is why I was surprised to find a piece by him in the Daily Mail, a right-wing tabloid not exactly known for academic rigor. When I spoke with Abulafia about it, he seemed a little embarrassed. “It’s basically an interview that they turn into text and then send back to you,” he told me. “Some of the sentences have been generated by the Daily Mail.”

      As in the United States, the UK’s Black Lives Matter protests led to the toppling of statues, including the one in downtown Bristol of Edward Colston, a 17th-century merchant whose wealth derived in part from his active involvement in the slave trade. Abulafia told me he prefers a “retain and explain” approach, which means keeping such statues in place but adding context to them when necessary. I asked him about the public presentation of statues and whether by their very prominence they command an implicit honor and respect. He seemed unconvinced. “You look at statues and you’re not particularly aware of what they show,” he said.

      “What do you do about Simon de Montfort?” Abulafia continued. “He is commemorated at Parliament, and he did manage to rein in the power of monarchy. But he was also responsible for some horrific pogroms against the Jews. Everyone has a different perspective on these people. It seems to me that what we have to say is that human beings are complex; we often have contradictory ideas, mishmash that goes in any number of different directions. Churchill defeated the Nazis, but lower down the page one might mention that he held views on race that are not our own. Maintaining that sense of proportion is important.”

      All of these are reasonable points, but what I still don’t understand is why history as it was understood by a previous generation must be the history understood by future generations. Statues are not history; they are interpretations of history created at a certain moment in time. Historians rebuke previous interpretations of the past on the page all the time; we rewrite accounts of well-known events according to our own contemporary perspectives and biases. What is so sacred about a statue?

      I asked Abulafia why all of this felt so personal to him, because it doesn’t feel that way to me. He replied, “I think there’s an element of this: There is a feeling that younger scholars might be disadvantaged if they don’t support particular views of the past. I can think of examples of younger scholars who’ve been very careful on this issue, who are not really taking sides on that issue.” But I am exactly such a younger scholar, and no one has ever forced me to uphold a certain opinion, either at Harvard or at Oxford. For Abulafia, however, this is a terrifying moment. “One of the things that really worries me about this whole business is the lack of opportunities for debate.”

      Whatever one thinks of “woke” purity tests, it cannot be argued in good faith that the loudest European voices on the anti-woke side of the argument are really interested in “debate.” In France especially, the anti-woke moment has become particularly toxic because its culture warriors—on both the right and the left—have succeeded in associating “le wokeisme” with defenses of Islamist terrorism. Without question, France has faced the brunt of terrorist violence in Europe in recent years: Since 2015, more than 260 people have been killed in a series of attacks, shaking the confidence of all of us who live here. The worst year was 2015, flanked as it was by the Charlie Hebdo and Bataclan concert hall attacks. But something changed after Paty’s brutal murder in 2020. After a long, miserable year of Covid lockdowns, the French elite—politicians and press alike—began looking for something to blame. And so “wokeness” was denounced as an apology for terrorist violence; in the view of the French establishment, to emphasize identity politics was to sow the social fractures that led to Paty’s beheading. “Wokeness” became complicit in the crime, while freedom of expression was reserved for supporters of the French establishment.

      The irony is fairly clear: Those who purported to detest American psychodramas about race and social justice had to rely on—and, in fact, to import—the tools of an American culture war to battle what they felt threatened by in their own country. In the case of Paty’s murder and its aftermath, there was another glaring irony, this time about the values so allegedly dear to the anti-woke contingent. The middle school teacher, who was targeted by a Chechen asylum seeker because he had shown cartoons of the prophet Muhammad as part of a civics lesson about free speech, was immediately lionized as an avatar for the freedom of expression, which the French government quite rightly championed as a value it would always protect. “I will always defend in my country the freedom to speak, to write, to think, to draw,” Macron told Al Jazeera shortly after Paty’s killing. This would have been reassuring had it not been completely disingenuous: Shortly thereafter, Macron presided over a crackdown on “islamo-gauchisme” in French universities, a term his ministers used with an entirely straight face. If there is a single paradox that describes French cultural life in 2021, it is this: “Islamophobia” is a word one is supposed to avoid, but “Islamo-leftism” is a phenomenon one is expected to condemn.

      Hundreds of academics—including at the Centre National de la Recherche Scientifique, France’s most prestigious research body—attacked the government’s crusade against an undefined set of ideas that were somehow complicit in the Islamist terror attacks that had rocked the country. Newspapers like Le Monde came out against the targeting of “islamo-gauchisme,” and there were weeks of tedious newspaper polemics about whether the term harks back to the “Judeo-Bolshevism” of the 1930s (of course it does) or whether it describes a real phenomenon. In any case, the Macron government backtracked in the face of prolonged ridicule. But the trauma of the terror attacks and the emotional hysteria they unleashed will linger: France has also reconfigured its commitment to laïcité, the secularism that the French treat as an unknowable philosophical ideal but that is actually just the freedom to believe or not to believe as each citizen sees fit. Laïcité has become a weapon in the culture war, instrumentalized in the fight against an enemy that the French government assures its critics is radical Islamism but increasingly looks like ordinary Islam.

      The issue of the veil is infamously one of the most polarizing and violent in French public debate. The dominant French view is a function of universalist ideology, which holds that the veil is a symbol of religious oppression; it cannot be worn by choice. A law passed in 2004 prohibits the veil from being worn in high schools, and a separate 2010 law bans the face-covering niqab from being worn anywhere in public, on the grounds that “in free and democratic societies…o exchange between people, no social life is possible, in public space, without reciprocity of look and visibility: people meet and establish relationships with their faces uncovered.” (Needless to say, this republican value was more than slightly complicated by the imposition of a mask mandate during the 2020 pandemic.)

      In any case, when Muslim women wear the veil in public, which is their legal right and in no way a violation of laïcité, they come under attack. In 2019, for instance, then–Health Minister Agnès Buzyn—who is now being investigated for mismanaging the early days of the pandemic—decried the marketing of a runner’s hijab by the French sportswear brand Decathlon, because of the “communitarian” threat it apparently posed to universalism. “I would have preferred a French brand not to promote the veil,” Buzyn said. Likewise, Jean-Michel Blanquer, France’s education minister, conceded that although it was technically legal for mothers to wear head scarves, he wanted to avoid allowing them to chaperone school trips “as much as possible.”

      Nicolas Cadène, the former head of France’s national Observatory of Secularism—a laïcité watchdog, in other words—was constantly criticized by members of the French government for being too “soft” on Muslim communal organizations, with whose leaders he regularly met. Earlier this year, the observatory that Cadène ran was overhauled and replaced with a new commission that took a harder line. He remarked to me, “You have political elites and intellectuals who belong to a closed society—it’s very homogeneous—and who are not well-informed about the reality of society. These are people who in their daily lives are not in contact with those who come from diverse backgrounds. There is a lack of diversity in that elite. France is not the white man—there is a false vision [among] our elites about what France is—but they are afraid of this diversity. They see it as a threat to their reality.”

      As in the United States, there is a certain pathos in the European war on woke, especially in the battalion of crusaders who belong to Cleese and Finkielkraut’s generation. For them, “wokeism” —a term that has no clear meaning and that each would probably define differently—is a personal affront. They see the debate as being somehow about them. The British politician Enoch Powell famously said that all political lives end in failure. A corollary might be that all cultural careers end in irrelevance, a reality that so many of these characters refuse to accept, but that eventually comes for us all—if we are lucky. For many on both sides of the Atlantic, being aggressively anti-woke is a last-ditch attempt at mattering, which is the genuinely pathetic part. But it is difficult to feel pity for those in that camp, because their reflex is, inescapably, an outgrowth of entitlement: To resent new voices taking over is to believe that you always deserve a microphone. The truth is that no one does.

      https://www.thenation.com/article/world/woke-europe-structural-racism

  • #Harcèlement et #maltraitance institutionnelle à l’#université

    Le harcèlement est devenu un véritable #fléau dans les universités. Il touche tous les personnels. Les #femmes en sont les premières victimes. En cause un #management de plus en plus délétère, des conditions de travail qui brisent les #solidarités, des mesures de prévention très insuffisantes et des plans d’action pour l’#égalité professionnelle qui restent anémiques.

    L’université va mal. Alors que Frédérique Vidal, dans une conférence de presse de rentrée totalement hors sol, célébrait récemment son bilan sur un air de « Tout va très bien Madame la Marquise », des enquêtes et analyses montrent que cette rentrée universitaire est la plus calamiteuse qui soit : la #précarité_étudiante reste dramatique en l’absence de toute réforme des bourses - promise et oubliée -, les #burnout explosent chez les personnels, eux aussi de plus en plus précaires, et les jeunes docteurs sont nombreux à considérer que « la #France est un pays sans avenir pour les jeunes chercheurs ». Significativement une enquête en 2020 auprès d’un millier de personnels de l’Université de Strasbourg nous apprenait que 46 % des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs considéraient que les conditions d’exercice de leurs missions étaient mauvaises alors que 49% d’entre eux étaient pessimistes quant à leur avenir professionnel.

    En 2021, avec 30 000 étudiants supplémentaires sans les moyens nécessaires pour les accompagner, les universitaires en sont réduits à gérer la #pénurie et à constater une dégradation inexorable des conditions d’étude et de travail. La crise sanitaire a certes fonctionné comme un démonstrateur et un accélérateur de cette dégradation, mais elle ne saurait masquer la #violence_institutionnelle et la responsabilité historique de l’État lui-même. Depuis 20 ans au moins, les politiques publiques ont méthodiquement saigné, privatisé et précarisé les #services_publics de la santé et du savoir, l’hôpital et la #recherche. L’ironie est cruelle : beaucoup de celles et ceux qui prennent soin de nos corps et de celles et ceux qui fécondent notre esprit sont aujourd’hui en grande souffrance physique et psychique. Si un tel contexte affecte au sein de l’université et de la recherche les personnels de tous statuts, il n’en reste pas moins que les inégalités sont exacerbées et que les salariés les plus touchés sont les précaires et les femmes.

    Les 18 observations qui suivent sont issues d’une expérience de dix années d’accompagnement d’enseignantes et d’enseignants qui sont en difficulté ou en souffrance. De plus en plus souvent en grande souffrance. Elles ne portent que sur des situations de personnels enseignants - mais certaines d’entre elles pourraient aussi être pertinentes pour des personnels Biatss - et ne traitent pas du harcèlement au sein de la communauté étudiante ou entre personnels et étudiants, un sujet tout aussi grave. Cet accompagnement de personnels enseignants est réalisé à titre syndical, mais aussi comme membre d’un CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). J’estime aujourd’hui que la souffrance des personnels a atteint et dépassé les limites de ce qui est humainement et éthiquement admissible. Afin de comprendre la nature de ces limites, je formule une série de réflexions, à partir de notes prises au fil des années. Il me semble qu’elles portent un sens, même si elles ne peuvent être généralisées et n’ont pas une valeur de vérité absolue. Il s’agit ici d’un témoignage reposant sur une expérience, possiblement partageable, certainement partagée par d’autres collègues, une expérience également informée par des échanges avec des représentants de personnels de diverses universités. Ces observations sont suivies d’une brève réflexion sur les plans d’action pour l’égalité femmes-hommes dans les universités, plans dont l’institution se sert trop souvent pour créer un effet de masque sur des pratiques intolérables.

    1. S’il arrive que des hommes soient victimes de situation de présomption de harcèlement ou de pression au travail, je constate que sur 10 dossiers ce sont en moyenne 8 femmes qui sollicitent un accompagnement. Cette moyenne est relativement constante d’une année à l’autre.

    2. Les situations de présomption de harcèlement moral dont les femmes sont victimes comportent souvent une dimension sexiste, si bien que les frontières entre harcèlement moral et harcèlement sexuel sont poreuses.

    3. La difficulté la plus grande pour prouver une situation de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, consiste dans le recueil de témoignages qui ne soient pas anonymes.

    4. Quand les personnels sollicitent un accompagnement syndical, ils sont en souffrance depuis de nombreux mois, souvent plus d’un an, parfois plusieurs années. On peut en déduire que les procédures de prévention, d’alerte et de signalement ne fonctionnent pas bien.

    5. Les situations de présomption de harcèlement ou de pression au travail procèdent le plus souvent par « autorité hiérarchique », l’auteur appartenant à une direction de composante, d’institut ou de laboratoire. Ces membres de la direction de structures peuvent, en certains cas, être eux-mêmes victimes de pression au travail, voire de harcèlement. Ils subissent en particulier une pression forte des directions des universités et ont la responsabilité de gérer la pénurie.

    6. On observe depuis la loi LRU et la généralisation des appels à projet et de la concurrence entre les universités, laboratoires et collègues, un exercice de plus en plus bureaucratique, solitaire et autoritaire de la gestion des différentes structures d’enseignement et de recherche : alors que les enseignants-chercheurs et chercheurs en responsabilité sont des pairs élus - et non des supérieurs hiérarchiques directs de leurs collègues -, ils se comportent de plus en plus comme des chefs d’entreprise.

    7. Il est rare qu’une situation de harcèlement implique seulement deux personnes : l’auteur du harcèlement et sa victime. Le harcèlement se développe dans un collectif de travail qui présente des problèmes organisationnels et prospère avec la complicité active des uns et le silence des autres.

    8. Le nombre et la gravité des situations de pression au travail et/ou de harcèlement sont proportionnels au degré de sous-encadrement, de sous-formation des encadrants et de restriction budgétaire que subit une composante.

    9. Les moyens les plus fréquemment utilisés dans le cadre d’un harcèlement d’un.e enseignant.e par voie hiérarchique sont les suivants : le dénigrement et la dévalorisation, parfois en direction des collègues, voire des étudiants, l’imposition d’un service non souhaité, l’imposition de tâches administratives, l’évaluation-sanction, la menace de modulation du service à la hausse pour cause de recherche insuffisante, le refus d’accès à des responsabilités ou à des cours souhaités, le refus de subventions ou de soutien financiers pour la recherche, les menaces de sanctions disciplinaires.

    10. Le harcèlement administratif peut prendre trois formes. Soit un retard ou une incapacité durable de l’administration à résoudre une situation en raison d’un sous-encadrement des services - c’est très fréquent. Soit des erreurs ou des fautes de l’administration qu’elle ne reconnaît pas - c’est régulier. Soit un refus politique de reconnaitre les torts de la hiérarchie, et par conséquent de l’établissement lui-même – c’est systématique.

    11. Le harcèlement d’un personnel peut être organisé avec comme objectif de le faire quitter la faculté ou le laboratoire à des fins de réorganisation des formations ou de la recherche, ou encore pour des raisons de postes.

    12. La saisine des sections disciplinaires pour des fautes ou des comportements déviants qui pouvaient être traités dans le cadre d’une médiation, est de plus en plus fréquente, ce qui témoigne d’une dérive autoritaire des présidents d’université qui n’hésitent plus à utiliser et à abuser des pouvoirs que leur attribue la LRU.

    13. Le traitement des situations de harcèlement conduit le plus souvent les DRH à déplacer la victime dans une autre composante alors que le personnel harcelant est confirmé dans son poste et ses responsabilités. La victime subit alors une triple peine : le changement professionnel qui implique soit un surtravail, soit un désoeuvrement dans le cas d’une placardisation ; l’absence de reconnaissance du préjudice et l’absence de réparation ; l’injustice, la révolte et la souffrance provoquées par le maintien du personnel harceleur dans ses responsabilités.

    14. Les personnels de santé – médecins de prévention, psychologues du travail – avouent leurs difficultés ou même leur impuissance à aider efficacement les victimes. Ils finissent par conseiller à la victime de s’en aller, de démissionner, de changer de poste. Il arrive aussi que des militants syndicaux formulent le même conseil afin de protéger la victime.

    15. L’administration passe plus de temps et d’énergie à construire son irresponsabilité qu’à traiter les situations de souffrance au travail. Elle estime tour à tour que ce sont les directeurs de composantes qui n’aident pas la DRH, que les médecins sont impuissants ou que le CHSCT est responsable de l’enquête en cours et de ses résultats. Tout est fait pour dédouaner les équipes politiques et les directions administratives en place. Chacun pense à se protéger juridiquement avant de protéger la victime.

    16. Au premier rang du travail de déresponsabilisation de l’institution par elle-même, il y a l’imputation presque systématique de la responsabilité de la vie privée du personnel dans la cause de sa souffrance, et en particulier dans les facteurs qui ont déclenché une tentative de suicide ou un suicide.

    17. Les cabinets d’expertise en risques psychosociaux, les formations au management et le développement des pratiques de coaching traitent rarement les causes du harcèlement et de la souffrance au travail : ils ont pour fonction principale de remettre les personnels au travail.

    18. Les « Assises des ressources humaines » et autres procédures participatives qui se mettent en place dans les universités, de même que les proclamations de « bienveillance » qui accompagnement les discours des directions et présidences, constituent les derniers avatars du management néolibéral, principalement destinés à auréoler les DRH des universités d’une vertu éthique et démocratique.

    C’est aussi cette dernière question qui traverse le communiqué de presse du SNESUP-FSU de l’université de Strasbourg sur la politique sociale et la stratégie de cet établissement. A quoi donc peuvent servir des « Assises des Ressources humaines » si le président qui les propose distribue de manière discrétionnaire des primes d’intéressement à 9 professeurs des universités dont 8 hommes et une femme ? Parallèlement, je poserais aussi la question suivante : à quoi donc peuvent servir tous les plans de parité et d’égalité professionnelle qui sont adoptés en ce moment dans les universités si les établissements d’enseignement supérieur sont incapables d’éradiquer en leur sein les multiples pratiques de pression au travail, de dénigrement, de discrimination ou de harcèlement ?

    Ces Plans d’action pour l’égalité professionnelle femmes-hommes dans l’Enseignement supérieur et la recherche existent depuis 2013, ont été relancés en 2018 et inscrits en 2019 dans la loi de Transformation de la fonction publique. Les universités ont donc l’obligation de les adopter. Ces plans d’action, tels qu’ils sont actuellement conçus et mis en œuvre par les institutions, ne doivent pas nous leurrer : même si certains dispositifs sont propres à faire avancer les causes de l’égalité et de la parité – la lutte contre les inégalités salariales en particulier -, ils constituent d’abord les produits d’une communication et d’une politique néolibérale qui ont pour fonction de donner une apparence féministe et humaniste à un management qui reste fondamentalement masculin et autoritaire. Soyons aussi attentif à ceci : il se pourrait que se mette en place un management « diversitaire ». Vous serez managés et « ménagés », certes en fonction des multiples évaluations que vous subissez, mais aussi en fonction de votre genre, de votre statut, de vos orientations et bien sûr de vos conceptions et pratiques des libertés académiques.

    Pour finir, j’insiste sur ceci : le silence doit cesser. Des drames humains se déroulent à bas bruit au sein des universités. Ce silence n’est plus supportable. L’état de mal-être et de souffrance des personnels est tel qu’il est grand temps de tirer le signal d’alarme. Les administrations, en protégeant les harceleurs, font plus que mépriser les victimes : elles légitiment et favorisent toutes les formes de violence au travail, de discrimination et de sexisme. Mais les administrations ne sont pas séparables des agents qui les composent, des enseignants qui sont parfois devenus, malgré eux ou volontairement, des administrateurs à mi-temps et à temps plein. Il n’y aura pas d’amélioration des relations de travail au sein des facultés et laboratoires sans une réflexion collective qui conduise à des amendements dans les comportements individuels, à une promotion et une défense active de la collégialité qui ne peut exister sans le respect de l’intégrité de chaque personne. C’est à ces conditions que l’on pourra faire de la recherche et de l’enseignement l’invention d’un sujet collectif qui ne peut exister sans ce qui est au fondement de l’éthique : être un sujet pour un autre sujet.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/111021/harcelement-et-maltraitance-institutionnelle-l-universite

    #facs #précarisation #privatisation #souffrance #harcèlement_moral #sexisme #harcèlement_sexuel #autorité_hiérarchique #loi_LRU #concurrence #appels_à_projets #silence #sous-encadrement #sous-formation #restrictions_budgétaires #dénigrement #dévalorisation #évaluation-sanction #menace #sections_disciplinaires #médiation #dérive_autoritaire #placardisation #réparation #injustice #silence #irresponsabilité #déresponsabilisation #bienveillance #coaching #management_néolibéral #mal-être

    ping @_kg_

    –-

    ajouté à la métaliste sur le #harcèlement_sexuel à l’université :
    https://seenthis.net/messages/863594
    et plus précisément ici :
    https://seenthis.net/messages/863594#message863596

  • Guy va faire une #grève_de_la_faim pour sauver Boubacar et Sidiki
    https://vimeo.com/537259287

    Guy commencera ce 5 mai une grève de la faim pour sauver Boubacar
    et Sidiki de l’#expulsion. Quelles sont donc les motivations de la préfète de la Somme pour faire preuve de si peu d’humanité et risquer ainsi de mettre des vies en danger ? La situation de ces deux jeunes Guinéens est celle de centaines d’#étudiants_étrangers, soumis à la triple peine de la crise sanitaire, de l’exil et du rejet.

    Un ami et collègue de l’#Université_de_Picardie Jules Verne à #Amiens m’alerte sur la situation de deux jeunes Guinéens : Sidiki, étudiant inscrit en Master 1 de géographie, et Boubacar qui prépare son Bac. Tous deux ont reçu une Obligation de quitter le territoire français (#OQTF). Tous deux sont soutenus et aidés depuis plusieurs années par des associations et par Guy, 74 ans, qui a hébergé Boubacar chez lui.

    Boubacar est arrivé à Amiens en 2017, a réussi son CAP, son BEP et est aujourd’hui en Bac pro. Comme il est sans famille en Guinée, Guy lui a proposé de devenir son père adoptif, ce qu’il a accepté. La procédure est en cours. Mais une OQTF a été délivrée. Guy a obtenu son annulation au tribunal administratif. Mais la préfète a fait appel.

    Sidiki, comme tant de migrants fuyant la misère ou la persécution, a traversé la Libye, la Méditerranée et l’Italie. La France veut le renvoyer dans son pays alors qu’il a réussi sa licence, est inscrit régulièrement en master, est soutenu par l’équipe enseignante et même par le président de l’Université. Six mois après sa demande de #titre_de_séjour étudiant - avec un dossier complet et très solide, m’assure-t-on -, la préfète de la Somme lui envoie une OQTF. Il y a aujourd’hui des centaines de Sidiki en France. Dans le Bas-Rhin, la préfète vient d’envoyer une OQTF à un étudiant soutenu par la Cellule de veille et d’alerte de l’université de Strasbourg (1), et comme si ça ne suffisait pas, des OQTF ont été aussi envoyées à ses parents et à ses frères et sœurs, mineurs et scolarisés. Partout la honte ! Honte aux préfets et préfètes qui veulent remplir leurs quotas, honte à Darmanin et à Macron qui donnent les ordres.

    Le courage et la détermination de Guy forcent l’admiration. A l’image des migrants qu’il accompagne et soutient. Aujourd’hui, l’extrémité à laquelle il en est réduit – mettre sa santé et peut-être sa vie en danger – est tout simplement proportionnelle à la #violence extrême et à l’#inhumanité d’une administration qui applique avec zèle une politique inique. Cette politique est inique parce qu’elle est contraire au droit d’asile et à notre devoir d’hospitalité. Cette politique est inique parce qu’elle affaiblit et remet en cause une tradition d’accueil qui ne survit que par des engagements individuels, militants ou associatifs. Cette politique est inique parce qu’elle fait subir aux étudiants étrangers sans carte de séjour, aux migrants et réfugiés une triple peine : à une situation sanitaire qui fragilise les plus pauvres et qui aggrave la détresse de l’exil et de la solitude, le gouvernement ajoute encore l’angoisse quotidienne de l’arrestation et de l’expulsion. Cette politique est inhumaine parce qu’elle est totalement aveugle aux situations et aux histoires individuelles. Cette politique est d’une violence sans limite parce qu’un acte administratif d’expulsion vient briser des vies qui ont déjà été brisées, des vies qui ont déjà traversé des épreuves d’une violence sans limite.

    Il faut écouter Guy qui nous dit que les migrants « profitent à notre pays parce que ce sont des gens fabuleux ». Il faut regarder la vidéo qui accompagne cette pétition (https://www.change.org/p/madame-la-pr%C3%A9f%C3%A8te-de-la-somme-guy-va-commencer-une-gr%C3%A8ve-de-l) et la diffuser jusqu’à ce que la honte et la réprobation publique submergent la préfète de la Somme et le gouvernement tout entier.

    (1) Le collectif strasbourgeois « Parrainer un.e étudiant.e » (https://blogs.mediapart.fr/parrainer-un-e-etudiant-e/blog/260221/parrainer-un-e-etudiant-e-pour-entrer-dans-le-monde-dapres-appel-ten) qui met en contact des aidants avec des étudiants en difficulté est essentiellement sollicité par des étudiants étrangers : 9 demandes de soutien sur 10.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/020521/guy-va-faire-une-greve-de-la-faim-pour-sauver-boubacar-et-sidiki
    #sans-papiers #France #résistance

    ping @isskein @karine4 @_kg_

  • La Coordination des collectifs de solidarité avec #Pınar_Selek 2000 - 2021

    2000 ........ 2020 ........
    Chère Pınar,
    Il y 20 ans, tu sortais enfin de prison, après deux ans d’enfermement et de tortures.
    20 ans plus tard, la géopolitique de la Turquie est bouleversée...
    Mais ton procès et les menaces contre toi continuent.
    Toi, tu continues tes luttes, comme tu l’avais promis en sortant de prison.
    Nous, nous continuons à tes cotés.
    Merci à toutes les personnalités qui ont accepté de joindre leur voix à la nôtre dans ce film pour te le dire.

    La Coordination des collectifs de solidarité avec Pınar Selek.

    https://www.youtube.com/watch?v=U24A7FiPxAc


    #Pinar_Selek #procès #droit_à_la_vie #torture #Turquie #prison #emprisonnement #lutte #témoignage #solidarité #solidarité_internationale #justice (!) #résistance #haine #arbitraire #arbitraire_du_pouvoir #répression_judiciaire #expliquer_c'est_excuser #terrorisme #Etat_de_droit #minorités #kurdes #islamisme #déradicalisation #évangélisation_de_l'islamisme #AKP #armée #processus_du_28_février #re-radicalisation #complotisme #conspirationnisme #nationalisme_turc #étatisation #Erdogan #stock_cognitif #amis_de_2071 #ennemis_de_2071 #2071 #pétitions #espoir
    #film #film_documentaire

    ping @isskein @cede @karine4

    • Pinar Selek et la faillite de l’état de droit en Turquie

      Plus de vingt ans ont passé depuis sa sortie de prison. Pinar Selek, toujours menacée d’une condamnation à perpétuité par le pouvoir turc, poursuit ses luttes en France et en Europe. Un film témoigne aujourd’hui des multiples combats de l’écrivaine et sociologue. L’histoire de Pinar Selek est devenue une part de l’Histoire de la Turquie. Et de la nôtre.

      La Coordination des collectifs de solidarité avec Pinar Selek (https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160917/la-coordination-des-collectifs-de-solidarite-avec-pinar-selek-est-ne) diffuse un petit film sur l’écrivaine et sociologue. Ce film est important. Ute Müller en est la réalisatrice. Le film s’ouvre par les phrases fortes de l’écrivaine et journaliste Karin Karakasli : « Vous ne pouvez pas vous empêcher de répéter le nom de la personne que vous aimez comme un mantra », dit-elle. L’amie de Pinar la nomme ainsi : « la personne qui est mon honneur, ma fierté et mon bonheur ». Elle définit le procès de Pinar Selek de manière cinglante et précise : « Une violation du droit à la vie, un meurtre légal et une torture psychologique ». Tout est dit par la bouche de Karin Karakasli, qui prend soin de rappeler les faits de cette persécution invraisemblable.

      L’économiste et politologue Ahmet Insel souligne ensuite à quel point l’histoire de Pinar Selek est exemplaire de « l’arbitraire du pouvoir exercé par une répression judiciaire » et de « la faillite de d’état de droit en Turquie ». S’il rappelle que Pinar a été condamnée au moyen de preuves totalement inventées, c’est aussi pour observer une évolution de la répression politique en Turquie : le pouvoir accuse désormais ses opposants de terrorisme et les enferme sans avoir besoin de la moindre preuve. Suivent cinq autres témoignages et analyses, qu’il faut écouter attentivement, tous aussi importants les uns que les autres : celui de Umit Metin, Coordinateur général de l’ACORT (Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie), ceux de l’historien Hamit Bozarslan et du juriste Yériché Gorizian, celui de la journaliste Naz Oke et enfin les propos de Stéphanie, membre du Collectif de solidarité de la ville de Lyon.

      Parmi tous ces témoignages, il y a une phrase de Karin Karakasli qui résonne très fort et restera dans nos mémoires : « Vivre dans une Turquie où Pinar ne peut revenir, ne diffère pas d’une condamnation à vivre dans une prison en plein air ». Il faut en finir avec les prisons de pierre et les prisons en plein air. Pinar Selek, qui tient un blog sur Mediapart, invente des cerfs-volants qui traversent les frontières. Un jour les membres de ses collectifs de solidarité feront avec elle le voyage jusqu’à La Maison du Bosphore, où ils retrouveront Rafi, le joueur de Doudouk, cet instrument qui symbolise dans le roman de l’écrivaine la fraternité entre les kurdes, les arméniens et les turcs.

      Pascal Maillard,

      Membre de la Coordination des collectifs de solidarité

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/270421/pinar-selek-et-la-faillite-de-letat-de-droit-en-turquie

  • Macron roi

    Alors que le #Parlement est en ce jour transformé en une chambre d’enregistrement des désirs du Roi, il importe de revenir sur le bilan d’une année de gouvernement-covid. Est-ce la pandémie qui est hors de contrôle, ou bien notre président ? Les deux certainement.

    « Le président a acquis une vraie #expertise sur les sujets sanitaires. Ce n’est pas un sujet inaccessible pour une intelligence comme la sienne. » #Jean-Michel_Blanquer, Le Monde, le 30 mars 2021

    « Ce n’est pas Macron qui manque d’#humilité, c’est l’humilité qui n’est pas à la hauteur », #EmmanuelMacronFacts

    « Père Ubu – Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allons rester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi » Alfred Jarry, Ubu roi, Acte IV, scène 3

    Je serai bref. On écrit bien trop sur Macron. Les trois épigraphes ci-dessus disent à peu près tout. Il faudrait juste ajouter que dans certaines versions de la mythologie grecque Hybris est l’un des enfants de la Nuit et d’Érèbe, une divinité des Enfers. L’#hybris désigne la #démesure, l’#excès_de_pouvoir et le vertige auquel il conduit. La Vème République est une détestable machine à produire de l’hybris. Des présidents hors de contrôle.

    En ce 31 mars 2021, Macron roi préside un #Conseil_de_défense_sanitaire où ne siège autour de lui qu’une petite grappe de ministres choisis par ses soins. Conseil opaque, soumis au secret et échappant à tout #contrôle_législatif . Le soir du même jour, il annonce ses décisions à ses sujets, au nom d’un « nous », dont on ne saura jamais s’il est de majesté ou s’il renvoie aux choix collectifs et débattus d’un #exécutif. Ce « je-nous » annonce donc le #reconfinement de toute la métropole, avec la fermeture des écoles. Je propose de déduire de ces décisions les trois #échecs de Macron, qui correspondent à trois #fautes, lesquelles sont directement en rapport avec la démesure qui caractérise le personnage, #démesure encouragée par la fonction et notre #constitution épuisée. Quand faire le #bilan d’une politique se résume, de facto, à la caractérologie de son Auteur, on se dit qu’il est grand temps de changer de République et d’en finir avec le #présidentialisme.

    Le premier échec de Macron roi, c’est le reconfinement de toute la métropole avec ses conséquences en termes de #santé_mentale, de #précarisation accrue pour les plus pauvres et les classes moyennes, et d’aggravation de la #crise_économique. L’engagement pris à de multiples reprises de ne pas reconfiner nationalement n’a jamais été accompagné de la politique qu’un tel choix exigeait. Macron a mis tout le pays dans une #impasse. Le reconfinement est la conséquence directe de ce choix. La décision de laisser filer l’#épidémie fin janvier, - dans un contexte de diffusion des variants, avec l’exemple anglais sous les yeux, et contre l’avis de toute la #communauté_scientifique -, a été, littéralement, criminelle. Macron était parfaitement informé de la flambée qui aurait lieu mi-mars. Nous y sommes.

    Le second échec de Macron roi, distrait et appuyé par son fou préféré dans son obstination à ne #rien_faire pour sécuriser sérieusement l’#Éducation_nationale, aura été la #fermeture contrainte des #écoles et le prolongement du semi-confinement des étudiant.es, qu’il convient de ne pas oublier : les dégâts sont pour elle et eux sans fin, que certain.es aident à réparer : https://blogs.mediapart.fr/parrainer-un-e-etudiant-e/blog/260221/parrainer-un-e-etudiant-e-pour-entrer-dans-le-monde-dapres-appel-ten. En plus des scandales des #masques, des #tests et des #vaccins, Macron et son gouvernement sont en effet directement comptables d’une #inaction incompréhensible. Monté sur son « cheval à phynances », Macron roi a certes arrosé les entreprises de centaines de milliards, mais n’en a dépensé aucun pour l’#Hôpital, l’École, l’#Université, la #Recherche et plus généralement la #sécurisation_sanitaire des #lieux_publics, parmi lesquels tous les lieux de #culture.

    Or, depuis bientôt un an, des chercheurs font la démonstration que des solutions existent (voir ici : https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/120121/rendre-l-universite-aux-etudiants-sans-attendre-les-decideurs ) et que la stratégie « #Zéro_Covid » est certainement la plus efficace et la plus propre à protéger des vies : voir par exemple les propositions concrètes de Rogue-ESR (https://rogueesr.fr/zero-covid). Pourquoi donc « une intelligence comme la sienne » ne parvient-elle pas à s’élever jusqu’à la compréhension que la #détection de la saturation en #CO2 d’un lieu fermé et l’utilisation de #filtres_Hepa sont des dispositifs techniques simples, efficaces et susceptibles de limiter la propagation du #virus ? Même des esprits infiniment plus bornés que le sien – Wauquiez par exemple (https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/covid-l-efficacite-des-purificateurs-d-air-contre-le-sa), qui dégage 10 millions pour des #purificateurs_d’air dans les écoles et lycées - ont parfaitement saisi au bout de 6 mois ce que Macron-Roi mettra deux ans à reconnaitre.

    Le troisième échec de Macron roi, le plus terrible, est le nombre de #morts, de vies brisées, de souffrances psychiques et physiques que des années de soins peineront à soulager. Bientôt 100 000 morts. Des légions de "covid longs", des enfants, des adolescents et des étudiants habités par l’angoisse de contaminer leur parents … Question : combien de milliers de vies auraient pu être épargnées, non pas seulement par des décisions énergiques fin janvier 2021, mais par un véritable #plan_d’action visant à apporter une sécurité sanitaire digne de ce nom, à toute la population ? Pourquoi 3000 #lits de #réanimation supplémentaires seulement maintenant et pas à l’été 2020, avant la seconde vague ? Pourquoi Zéro mesure technique et financière pour les #universités quand des étudiants se suicident ? Pourquoi Zéro vaccin pour protéger les enseignants ? Pourquoi faire si peu de cas de « La valeur d’une vie » (https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/260121/la-valeur-d-une-vie) ?

    L’analyse des causes de ces #échecs montre que ce ne sont pas des #erreurs, mais des #fautes politiques. Tout d’abord une gestion présidentialiste et autocratique de la #crise_sanitaire, couplée avec un virage idéologique vers l’extrême droite. Ensuite le refus de toute #politique_d’anticipation, qui est à concevoir comme une conséquence du « #en-même-temps » : le #laisser_faire néolibéral du macronisme se conjugue avec un retrait massif de l’#Etat et un affaiblissement de la #Fonction_publique. Enfin la #gestion_sanitaire de Macron roi a pris lors de cette épidémie la forme d’un #pari : s’accoutumer au virus, #vivre_avec, le laisser filer permettra peut-être d’éviter un #confinement. Le pari au lieu de la #raison et de la #délibération, le jeu avec la science, le rêve de devenir un savant, l’adulation de Raoult, Macron roi devenu « l’expert », l’épidémiologiste en chambre. La limite de cette folie est éthique : un #pouvoir, quel qu’il soit, ne peut pas parier des vies comme dans une partie de poker.

    A ces trois fautes correspondent trois marqueurs de l’identité politique de Macron roi : l’#opportunisme, le #jeu et le #cynisme. Macron est certainement le président le plus dangereux que nous ayons eu depuis Pétain. Il est le président qui aura consenti à la mort de dizaines de milliers de citoyen.ne.s, qui aura fait le lit de l’#extrême_droite et aura remplacé la politique par un jeu de roulette russe. Président hors de contrôle, il est devenu à lui seul le haut comité médical qu’il a institué. Il est devenu à lui seul tout le Parlement. Il est devenu sa propre caricature. Le Roi et le fou du Roi. Seul en son Palais, "divertissant son incurable ennui en faisant des paris avec la vie de ses sujets"*.

    Pascal Maillard

    Père Ubu s’interrogeait ainsi : « Le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? ». Il parait que sous la plume de Jarry cette question rhétorique renvoyait au cynisme politique de Bismarck.

    * L’expression est de l’écrivain Yves Charnet, dans un livre à paraître.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/010421/macron-roi

    #macronisme #Macron #France #covid #coronavirus #Blanquer

  • #Frédérique_Vidal annonce vouloir demander une #enquête au #CNRS sur l’#islamogauchisme à l’#université

    Sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach dimanche 14 février, la ministre de la recherche et de l’#enseignement_supérieur, Frédérique Vidal, a fustigé, dans un flou le plus total et pendant 4 minutes 30 secondes, des chercheurs et chercheuses soupçonné·e·s d’islamogauchisme et a annoncé la commande au CNRS d’une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion. »

    L’entame du sujet annonçait déjà la couleur : « Moi, je pense que l’#islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » affirme Frédérique Vidal.

    Puis la ministre de la recherche continue tout de go, sans s’appuyer sur aucune étude scientifique ni même quoi que ce soit qui pourrait prouver ce qu’elle dit :

    « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des #idées_radicales ou des #idées_militantes de l’islamogauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de #diviser, de #fracturer, de #désigner_l’ennemi, etc… »

    Mélange entre #biologie et #sociologie

    Pour se prévaloir implicitement de son titre d’enseignante-chercheuse, la ministre effectue un mélange erroné entre biologie et sociologie en affirmant :

    « En biologie, on sait depuis bien longtemps qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de #race et vous voyez à quel point je suis tranquille sur ce sujet là. »

    Cette phrase est censée répondre à des chercheur·euse·s en #SHS qui ont fait le constat, non de l’existence de races humaines biologiques, mais de l’existence de #discriminations liées à des races perçues par la société.

    #Confusionnisme sur les #libertés_académiques

    La ministre continue ensuite un discours confusionniste en faisant croire que les chercheur·euse·s revendiquent le droit de chercher contre leurs collègues :

    « Dans les universités, il y a une réaction de tout le milieu académique qui revendique le #droit_de_chercher, d’approfondir les connaissances librement et c’est nécessaire »

    La plupart des chercheur·euse·s qui revendiquent ce droit, le font surtout en s’opposant à la droite sénatoriale qui voulait profiter de la Loi Recherche pour restreindre les libertés académiques (https://www.soundofscience.fr/2517) et à l’alliance LR/LREM lors de la commission paritaire de cette même loi qui a voulu pénaliser les mouvements étudiants (https://www.soundofscience.fr/2529), empêchée, au dernier moment, par le Conseil constitutionnel.

    La ministre Frédérique Vidal semble faire un virage à 180° par rapport à sa position définie dans sa tribune publiée en octobre dernier par l’Opinion et titrée « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du #fanatisme » (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). Cette #contradiction entre deux positions de la ministre à trois mois et demi d’intervalle explique peut-être le confusionnisme qu’elle instaure dans son discours.

    Alliance entre #Mao_Zedong et l’#Ayatollah_Khomeini

    Mais ce n’est pas fini. #Jean-Pierre_Elkabbach, avec l’aplomb que chacun lui connaît depuis des décennies, affirme tranquillement, toujours sans aucune démarche scientifique :

    « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre #Mao Zedong et l’Ayatollah #Khomeini »

    Loin d’être choquée par une telle comparaison, Frédérique Vidal acquiesce avec un sourire :

    « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela. »

    C’est dans ce contexte là, que la ministre déclare :

    « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des #courants_de_recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »

    La suite du passage n’est qu’accusations d’utilisations de titres universitaires non adéquates, ce que la ministre ne s’est pourtant pas privée de faire quelques minutes plus tôt et accusations de tentatives de #censure.

    La ministre finit sa diatribe en appelant à défendre un « #principe_de_la_République » jamais clairement défini et proclame un curieux triptyque « #Danger, #vigilance et #action » qui ne ressemble pas vraiment au Républicain « Liberté, égalité, fraternité ».

    https://www.soundofscience.fr/2648
    #Vidal #ESR #facs #France #séparatisme

    –---

    Fil de discussion sur ce fameux « séparatisme » :
    https://seenthis.net/messages/884291

    Et l’origine dans la bouche de #Emmanuel_Macron (juin 2020) et #Marion_Maréchal-Le_Pen (janvier 2020) :
    https://seenthis.net/messages/884291
    #Macron #Marion_Maréchal

    • Quand ta ministre te fout tellement la honte que tu dois lui dire gentiment :

      Du jamais vu : répondant à la ministre de l’enseignement supérieur, la Conférence des présidents d’université « fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile » et invite « à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce » !

    • Comme le faisait justement remarquer un syndicaliste (entendu à la radio) le terme « islamo-gauchisme » est construit sur le même modèle que le « judéo-bolchévisme » de l’entre deux guerre.
      Avec le résultat qu’on connait...

    • Je n’ai plus de ministre
      https://academia.hypotheses.org/31026

      Après le président de la République, après plusieurs autres ministres, c’est notre ministre de tutelle, Frédérique Vidal, qui a repris à son compte la rhétorique de l’« islamo gauchisme » en déclarant notamment « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » et en annonçant commissionner une enquête du CNRS sur les pratiques universitaires.

      Ces déclarations sont extrêmement graves et forment une attaque frontale non seulement contre les libertés universitaires qui garantissent l’indépendance de la recherche au pouvoir politique, mais aussi contre toutes celles et ceux qui à l’université et ailleurs mettent leur énergie à rendre la société meilleure : plus juste, plus inclusive, moins discriminante, où tous et toutes ses membres ont place égale. L’« islamo gauchisme » est un mot dont le flou est une fonction. Côté pile, face une demande de définition (dont on notera l’absence chez madame la ministre) on trouvera un contour restreint, qui se veut repoussoir, et dont on aura bien du mal à trouver des signes tangible. Mais côté face, en utilisant le mot on convoque sans avoir besoin de l’expliciter un grand nombre d’idées et d’actions qui se retrouvent stigmatisées. Là où des chercheurs et chercheuses révèlent des discriminations et leur mécanisme de racialisation, c’est-à-dire d’assignation d’autrui à une race qui n’existe que dans l’esprit de ceux qui discriminent ; là où des militantes et militants dénoncent ces discriminations, les documentent, les exposent ; on les désigne comme nouveaux racistes ou « obsédés de la race ».

      Ainsi le gouvernement espère-t-il sans doute protéger son action des critiques virulentes qu’elle appelle. Déclare-t-on ne pas voir le problème si des femmes choisissent de s’habiller d’une façon ou d’une autre pour suivre leurs cours à l’université, y compris la tête couverte d’un foulard ? Islamo gauchisme. Déclare-t-on qu’il faut se préoccuper d’une très faible représentation des femmes et des personnes racisées aux postes titulaires de recherche et d’enseignement, alors que le jury d’admission du CNRS déclasse l’une de ces personnes trois fois en désavouant le jury d’admissibilité ? Islamo gauchisme. Dénonce-t-on la destruction illégale des tentes de migrants par les forces de l’ordre ? Islamo gauchisme.

      Madame la ministre, j’avais beaucoup à critiquer dans vos actions, vos inaction, vos discours et vos non-dits. Vous avez choisi d’achever de démontrer publiquement que vous n’êtes pas là pour servir les universités, leurs étudiantes et étudiants, leur personnel, mais pour servir votre carrière, quitte à l’adosser à un projet politique mortifère. Je ne vous reconnais aujourd’hui plus comme ma ministre, Madame Vidal. Je ne me sens plus lié par vos écrits. Vous avez rompu le lien de confiance qui doit lier une ministre aux agents et usagers de son ministère. Seule votre démission pourrait encore redonner son sens à la fonction que vous occupez sur le papier.

    • « Danger, vigilance et action ». La Ministre demande à l’Alliance Athena d’actionner le tamis

      Grâce à Martin Clavey, The Sound of Science, nous disposons du verbatim de l’ « interview » de Frédérique Vidal par Jean-Pierre Elkabach le 14 février 2021 sur CNews.

      Frédérique Vidal annonce qu’elle va demander « notamment au CNRS » de faire une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».Elle précise aujourd’hui à AEF qu’elle en fait la demande officielle à l’Alliance Athena.Dirigée actuellement par Jean-François Balaudé, président de la commission des moyens de la CPU et président du Campus Condorcet ainsi que par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, et vice-président de l’Alliance depuis le 1er novembre 2016, ce consortium va être chargé de distinguer parmi les « opinions ».

      Dans son interview, Frédérique Vidal annonce son intention de demander une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

      « Ce qu’on peut observer, c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou militantes. En regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi ».

      « Quand on s’en sert pour exprimer des opinions ou faire valoir des opinions, en niant le travail de recherche, c’est là qu’il faut le condamner.

      « Il faut être extrêmement ferme, il faut systématiquement parler et que l’université se réveille »

      « Disons-le, quand les gens ne font pas de sciences mais du scientisme », poursuit la Ministre qui a couvert au moins une grave affaire de fraude scientifique.


      *

      Alors que certains entendent distinguer les « sciences critiques » et les « sciences militantes » et que la Ministre commande à des anciens universitaires de trier entre le bon grain et l’ivraie, Academia invite donc ses lecteurs et ses lectrices à relire Max Weber1 dans la traduction précise d’Isabelle Kalinowki :

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Academia, pour sa part, a choisi contre une nouvelle forme de police politique, la protection des libertés académiques.

      https://academia.hypotheses.org/30958

    • #Diffamation à l’encontre d’une profession toute entière ? La Ministre doit partir. Communiqué de la LDH EHESS

      Malgré leur habitude des faux-semblants et du peu d’attention portée à leur profession, les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures sont confronté.es aujourd’hui à une campagne de #dénigrement sans précédent, désignant en particulier par le terme aussi infâmant qu’imprécis « d’islamo-gauchisme » des établissements ou des disciplines dans leur entier.

      Il serait attendu d’une ministre qu’elle prenne quelque hauteur dans ce débat de plus en plus nauséabond, et qu’elle refuse de reprendre à son compte des notions aussi peu scientifiquement fondées. On attendrait que la responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle-même issue de ce milieu, relève avec gratitude la façon dont les enseignant.es universitaires ont en première ligne fait face à la détresse étudiante en cette période de pandémie ; ils n’ont pas démérité en tant que pédagogues, allant même au-delà dans leur rôle d’accompagnement d’étudiant.es par ailleurs largement oubliés.

      Mais, plutôt que de s’intéresser à la crise qui les touche, Mme Frédérique Vidal, sur les ondes d’une chaîne télévisuelle dont un des animateurs a été condamné pour injure et provocation à la haine, répond par l’affirmative lorsque M. Elkabbach décrit les universités françaises, dont elle a la charge, comme étant régies par une sorte d’alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini.

      Et elle enchaîne le lendemain en demandant à l’Alliance Athena (qui n’est pas une inspection mais une institution qui coordonne les sciences sociales) « d’enquêter » sur l’islamo-gauchisme et ses « courants » dans le milieu académique.

      Une accusation typique de l’extrême-droite est ainsi reprise une nouvelle fois par une ministre de la République, rassemblant dans une formule ignominieuse un groupe fantasmatique et fantasmé de pseudo-adversaires qui ne sont, en réalité jamais nommés, ou au prix d’approximations grossières amalgamant des concepts mal compris et de noms de collègues ne partageant parfois que peu de choses (si ce n’est les menaces parfois graves que ces accusations font tout à coup tomber sur eux).

      Bref, à ces accusations mensongères faisant courir des risques parfois graves à des fonctionnaires, leur ministre ne trouve à répondre que par de vagues admonestations décousues (selon lesquelles, par exemple, en tant que biologiste elle peut dire que « la race » n’existe pas), et par la réitération des accusations portées à leur encontre. Plus encore, elle en appelle à une sorte de police par et dans les institutions d’enseignement et de recherche, rejoignant de la sorte les interdictions de certaines thématiques (les études sur le genre) dans les universités hongroises, brésiliennes ou roumaines

      Elle se fait ainsi complice de faits de diffamation collective à l’encontre d’une profession toute entière, mais aussi d’une dévalorisation accrue des universités. Elle parvient ainsi, au-delà de ces dégâts dans l’opinion qui ne peuvent qu’accroître le désespoir des étudiantes et des étudiants dont les formations sont ainsi décrites, à confirmer sa décrédibilisation personnelle aux yeux des personnels de l’ESR.

      Un appel à la démission de Frédérique Vidal avait été porté en novembre 2020 par la CP-CNU, représentant l’ensemble des disciplines, après le vote de la loi LPR.

      Plus que jamais, au regard de ces nouvelles dérives dans un contexte de difficultés sans précédent pour l’université et la recherche, sa démission s’impose, tout comme l’abandon de cette prétendue « enquête » non seulement nauséabonde mais déshonorante au regard des difficultés sans précédent dans lesquelles se débat l’ESR. Oui, danger, vigilance et action mais à l’encontre de la Ministre.

      Qu’aucun.e collègue, quel que soit son statut, ne prête main forte à cette campagne de dénonciation.

      https://academia.hypotheses.org/31060

    • Vidal au stade critique. Communiqué de Sauvons l’université !, 17 février 2021

      Sauvons l’université ! avait été la première à monter au créneau lorsque Jean-Michel Blanquer, dans les pas d’Emmanuel Macron et de Marion Maréchal-Le Pen, avait tenu des propos diffamatoires devant les sénateurs et sénatrices. Academia reproduit le communiqué que l’association fait paraître ce jour sur leur site.

      –---

      Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer

      « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase :

      « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre :

      « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      https://academia.hypotheses.org/31070

    • L’ « islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique. Communiqué du CNRS, 17 février 2021

      « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

      Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

      La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

      C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

      https://academia.hypotheses.org/31086

    • Non à la #chasse_aux_sorcières ! Communiqué de la #CP-CNU, 17 février 2021

      La CP-CNU demandait la #démission de Vidal dès le 6 novembre 2020 en ces termes

      « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la #légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université.

      C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous posons la question de la pertinence du maintien en fonctions de Madame la Ministre dans la mesure où toute communication semble rompue entre elle et la communauté des enseignants-chercheurs. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération. »

      Les choses étant dites, elles n’ont pas été répété dans le communiqué de 17 février 2021

      https://academia.hypotheses.org/31089

    • Sortir toute armée de la cuisse de Jupiter. Communiqué de l’#Alliance_Athéna, 18 février 2021

      L’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (#Athéna) est un lieu de concertation et de coopération stratégique entre les universités et les organismes de recherche. Elle a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales, sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques. L’alliance porte les positions partagées qui émergent de ce dialogue auprès des instances de décision et de financement de la recherche, de niveau national et européen notamment. L’alliance Athéna consacre ainsi exclusivement ses réflexions aux questions de recherche avec pour objectif constant de servir le débat scientifique, de préserver les espaces de controverses et de favoriser la diversité des questions et des méthodes. A cet égard, il n’est pas du ressort de l’alliance Athéna de conduire des études qui ne reposeraient pas sur le respect des règles fondatrices de la pratique scientifique, qui conduiraient à remettre en question la pertinence ou la légitimité de certains champs de recherche, ou à mettre en doute l’intégrité scientifique de certains collègues.

      https://academia.hypotheses.org/31107

    • Heating Up Culture Wars, France to Scour Universities for Ideas That ‘Corrupt Society’
      https://i.imgur.com/fA6rz4K.png

      The government announced an investigation into social science research, broadening attacks on what it sees as destabilizing American influences.

      Stepping up its attacks on social science theories that it says threaten France, the French government announced this week that it would launch an investigation into academic research that it says feeds “Islamo-leftist’’ tendencies that “corrupt society.’’

      News of the investigation immediately caused a fierce backlash among university presidents and scholars, deepening fears of a crackdown on academic freedom — especially on studies of race, gender, post-colonial studies and other fields that the French government says have been imported from American universities and contribute to undermining French society.

      While President Emmanuel Macron and some of his top ministers have spoken out forcefully against what they see as a destabilizing influence from American campuses in recent months, the announcement marked the first time that the government has moved to take action.

      It came as France’s lower house of Parliament passed a draft law against Islamism, an ideology it views as encouraging terrorist attacks, and as Mr. Macron tilts further to the right, anticipating nationalist challenges ahead of elections next year.

      Frédérique Vidal, the minister of higher education, said in Parliament on Tuesday that the state-run National Center for Scientific Research would oversee an investigation into the “totality of research underway in our country,’’ singling out post-colonialism.

      In an earlier television interview, Ms. Vidal said the investigation would focus on “Islamo-leftism’’ — a controversial term embraced by some of Mr. Macron’s leading ministers to accuse left-leaning intellectuals of justifying Islamism and even terrorism.

      “Islamo-leftism corrupts all of society and universities are not impervious,’’ Ms. Vidal said, adding that some scholars were advancing “radical” and “activist” ideas. Referring also to scholars of race and gender, Ms. Vidal accused them of “always looking at everything through the prism of their will to divide, to fracture, to pinpoint the enemy.’’

      France has since early last century defined itself as a secular state devoted to the ideal that all of its citizens are the same under the law, to the extent that the government keeps no statistics on ethnicity and religion.

      A newly diversifying society, and the lasting marginalization of immigrants mostly from its former colonies, has tested those precepts. Calls for greater awareness of discrimination have met opposition from a political establishment that often views them as an invitation to American multiculturalism and as a threat to France’s identity and social cohesion.

      In unusually blunt language, the academic world rejected the government’s accusations. The Conference of University Presidents on Tuesday dismissed “Islamo-leftism’’ as a “pseudo notion” popularized by the far right, chiding the government’s discourse as “talking rubbish.’’

      The National Center for Scientific Research, the state organization that the minister ordered to oversee the investigation, suggested on Wednesday that it would comply, but it said it “firmly condemned” attacks on academic freedom.

      The organization said it “especially condemned attempts to delegitimize different fields of research, like post-colonial studies, intersectional studies and research on race.’’

      Opposition by academics hardened on Thursday, when the association that would actually carry out the investigation, Athéna, put out a sharply worded statement saying that it was not its responsibility to conduct the inquiry.

      The seemingly esoteric fight over social science theories — which has made the front page of at least three of France’s major newspapers in recent days — points to a larger culture war in France that has been punctuated in the past year by mass protests over racism and police violence, competing visions of feminism, and explosive debates over Islam and Islamism.

      It also follows years of attacks, large and small, by Islamist terrorists, that have killed more than 250 French, including in recent months three people at a basilica in Nice and a teacher who was beheaded.

      While the culture war is being played out in the media and in politics, it has its roots in France’s universities. In recent years, a new, more diverse generation of social science scholars has embraced studies of race, gender and post-colonialism as tools to understand a nation that has often been averse to reflect on its history or on subjects like race and racism.

      They have clashed with an older generation of intellectuals who regard these social science theories as American imports — though many of the thinkers behind race, gender and post-colonialism are French or of other nationalities.

      Mr. Macron, who had shown little interest in the issues in the past, has won over many conservatives in recent months by coming down hard against what he has called “certain social science theories entirely imported from the United States.’’

      In a major speech on Islamism last fall, Mr. Macron talked of children or grandchildren of Arab and African immigrants “revisiting their identity through a post-colonial or anticolonial discourse’’ — falling into a trap set by people who use this discourse as a form of “self-hatred’’ nurtured against France.

      In recent months, Mr. Macron has moved further to the right as part of a strategy to draw support from his likely main challenger in next year’s presidential election, Marine Le Pen, the far-right leader. Polls show that Mr. Macron’s edge has shrunk over Ms. Le Pen, who was his main rival in the last election.

      Chloé Morin, a public opinion expert at the Fondation Jean-Jaurès, a Paris-based research group, said that Mr. Macron’s political base has completely shifted to the right and that his minister’s use of the expression Islamo-leftism “speaks to the right-wing electorate.”

      “It has perhaps become one of the most effective terms for discrediting an opponent,” Ms. Morin said.

      Last fall, Mr. Macron’s ministers adopted a favorite expression of the far right, “ensauvagement,’’ or “turning savage,’’ to decry supposedly out-of-control crime — even though the government’s own statistics showed that crime was actually flat or declining.

      Marwan Mohammed, a French sociologist and expert on Islamophobia, said that politicians have often used dog-whistle words, like “ensauvagement’’ or “Islamo-leftism,’’ to divide the electorate.

      “I think the government will be offering us these kinds of topics with a regular rhythm until next year’s presidential elections,’’ Mr. Mohammed said, adding that these heated cultural debates distracted attention from the government’s mishandling of the coronavirus epidemic, the economic crisis and even the epidemic-fueled crisis at the nation’s universities.

      The expression “Islamo-leftism” was first coined in the early 2000s by the French historian Pierre-André Taguieff to describe what he saw as a political alliance between far-left militants and Islamist radicals against the United States and Israel.

      More recently, it has been used by conservative and far-right figures — and now by some of Mr. Macron’s ministers — against those they accuse of being soft on Islamism and focusing instead on Islamophobia.

      Experts on Islamophobia examine how hostility toward Islam, rooted in France’s colonial experience, continues to shape the lives of French Muslims. Critics say their focus is a product of American-style, victim-based identity politics.

      Mr. Taguieff, a leading critic of American universities, said in a recent email that Islamophobia, along with the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” sought to create the false narrative of “systemic racism’’ in France.

      Sarah Mazouz, a sociologist at the National Center for Scientific Research, said that the government’s attacks on these social theories “highlight the difficulty of the French state to think of itself as a state within a multicultural society.”

      She said the use of the expression “Islamo-leftism” was aimed at “delegitimizing” these new studies on race, gender and other subjects, “so that the debate does not take place.”

      https://www.nytimes.com/2021/02/18/world/europe/france-universities-culture-wars.html

    • L’ « islamogauchisme » — et le HCERES — au tapis. #Jean_Chambaz et #Pap_Ndiaye — et Thierry Coulhon — sur Radio France

      L’islamogauchisme, concept de Pierre-André Taguieff au début des années 2000 pour signaler des formes de dérives d’une extrême-gauche pro-palistinien tendant à des discours antisémites, se trouve désormais récupéré par l’extrême-droite à des fins d’anathème.Deux interventions matinales très claires de Jean Chamblaz, président de Sorbonne Université, et de Pap Ndiaye, professeur à Sciences po.

      A retrouver sur academia :

      https://academia.hypotheses.org/31126

    • #Pétition : #Vidal_démission !

      Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

      Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.

      Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

      La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.

      Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.

      Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités
      d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.

      Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

      Vous pouvez signer la pétition ici : https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder

      https://academia.hypotheses.org/31187

    • Islamo-gauchisme à l’université ? La proposition de Vidal fait bondir ces universitaires

      Sur CNews, la ministre a annoncé vouloir "demander notamment au CNRS" une enquête "sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université."

      “L’islamo-gauchisme gangrène les universités”. C’est ce titre du Figaro que le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a présenté à Frédérique Vidal, invitée sur son plateau sur CNews dimanche 14 février, l’invitant à le commenter avec lui. La réponse de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs.

      “Je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société”, a-t-elle affirmé.

      Et d’ajouter : “Ce que l’on observe, à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc…”
      “Une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini”

      Des idées que semble alors partager Jean-Pierre Elkabbach, qui décrit les universitaires en question comme “une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini.”

      “Mais vous avez raison, renchérit la ministre. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela.”

      À la suite de quoi, la ministre a annoncé sur le plateau de CNews qu’elle allait confier une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université.”

      Pour Christelle Rabier, maîtresse de conférence à l’EHESS, ce n’est pas un hasard si la ministre tient ces propos maintenant. “La semaine dernière, elle a été mise en cause au Sénat pour répondre face à la détresse étudiante, remarque-t-elle. Il y a 20% des étudiants qui ont recours à l’aide alimentaire, sans parler des suicides et de la détresse psychologique. Elle en est directement responsable.”
      Attaques contre les universitaires

      Les propos de la ministre ont provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs, même s’ils ne surprennent pas. “Nous sommes vraiment scandalisés, s’indigne une chercheuse du CNRS, qui préfère rester anonyme. La ministre s’en prend - une fois de plus - à la liberté académique en confondant approches scientifiques critiques et militantisme.”

      Après la Loi de programmation sur la recherche, très mal reçue, c’est pour eux une nouvelle attaque contre les universitaires, dans un contexte aggravé par la crise sanitaire. Le 6 novembre, la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU) avait demandé la démission de Frédérique Vidal.

      “On observe plusieurs formes d’attaques contre les universitaires, soutient Christelle Rabier. Les non-renouvellements et les suppressions de postes, des attaques systématiques de collègues sur leurs travaux, en particulier si ce sont des femmes et qu’elles traitent de questions qui pourraient remettre en cause l’ordre dominant.”
      L’utilisation du terme “islamo-gauchisme”

      Pour les enseignants-chercheurs, l’utilisation du terme “islamo-gauchisme” n’est pas anodin. “C’est un mot un peu aimant, qui rassemble toutes les détestations et qui ne veut absolument rien dire, estime Christelle Rabier. Et que cela vienne d’une ministre, qui n’a déjà plus de légitimité depuis plusieurs mois, c’est intolérable.”

      Pour François Burgat, directeur de recherches au CNRS, cette “appellation stigmatisante” a pour objectif de “discréditer les intellectuels (non musulmans) qui se solidarisaient ou qui refusaient de criminaliser les revendications des descendants des populations colonisées.”

      Le terme avait déjà été utilisé par Jean-Michel Blanquer le 22 octobre, qui affirmait :“Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages”, notamment ”à l’université.” Quelques jours plus tard, Frédérique Vidal avait réagi tardivement pour rappeler le principe des libertés académiques.

      “On peut constater depuis hier qu’elle a franchi un cran supplémentaire. C’est juste scandaleux”, s’indigne la chercheuse du CNRS.

      Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’université (CPU) a fait part de “sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’“islamogauchisme” à l’université”.

      Elle appelle ”à élever le débat”. “Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition”, a-t-elle proposé.


      https://twitter.com/CPUniversite/status/1361727549739515908

      “Une réalité hautement contestable”

      L’annonce d’une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université”, si elle n’est pas en soit répréhensible, pose plusieurs questions.

      “Le ‘cahier des charges’ de la demande qui lui est adressée fait réellement peur, estime François Burgat. La ministre s’abstrait purement et simplement de toute exigence scientifique.” Pour le chercheur, le postulat de la ministre, selon lequel “la société est gangrénée par l’islamo-gauchisme”, dont l’université, et une “réalité hautement contestable” qui ne repose sur “aucun corpus”.

      La chercheuse du CNRS qui préfère garder l’anonymat ajoute : “Si des cas particuliers sont litigieux au regard de la loi, qu’elle les cite et ouvre le débat. Sinon, qu’elle se taise.”

      Et d’ajouter : “Nous sommes des chercheurs, nous essayons de penser et analyser le monde, mobiliser des outils, et débattre de nos méthodes ou concepts d’analyse. Nous ne sommes pas au service d’un ministère et de ses obsessions politiques et calculs électoralistes.”

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-proposition-de-vidal-sur-lislamo-gauchisme-fait-bondir-ces-univers

    • Frédérique Vidal veut demander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université

      La ministre de l’Enseignement supérieur souhaite ainsi faire le distinguo entre « recherche académique » et « militantisme ».

      Mobilisée sur la précarité étudiante liée à la crise sanitaire actuelle ou sur la multiplication des dénonciations d’agressions sexuelles dans les IEP avec le hashtag #SciencesPorc, Frédéric Vidal ouvre un nouveau front. Invitée ce dimanche sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé vouloir « demander notamment au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université. »

      Par « ces sujets », la ministre parle de « l’islamo-gauchisme », qui selon elle « gangrène la société dans son ensemble », et donc l’université également.

      Avec ces travaux, Frédérique Vidal souhaiterait ainsi « distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion », relate le site d’information scientifique Soundofscience, qui se fait l’écho de l’annonce.

      « Alliance » entre Mao et Khomeini

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont », affirme la ministre, malgré l’émoi provoqué dans le milieu universitaire par ces accusations, régulières ces derniers mois. « Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      En guise de conclusion, la ministre a de nouveau persisté et signé dans son idée, prenant au mot une affirmation de Jean-Pierre Elkabbach selon laquelle la situation à l’université pourrait ressembler à « une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini. »

      « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », termine-t-elle.

      Les universités déjà émues par des propos de Blanquer

      Ce n’est pas la première fois qu’un membre du gouvernement utilise ce terme. En octobre dernier, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait à son tour dénoncé « l’islamo-gauchisme » qui fait selon lui « des ravages à l’université », prenant notamment pour cibles le syndicat étudiant Unef et La France Insoumise. « Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée », avait-il alors ajouté au micro d’Europe 1.

      Face à cette accusation, la Conférence des présidents d’université (CPU) s’était émue et avait tenu à répondre au ministre.

      « Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une ’idéologie’ qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme », était-il affirmé dans un communiqué.

      https://www.bfmtv.com/societe/education/frederique-vidal-veut-demander-au-cnrs-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l

    • Frédérique Vidal tombe dans la fange de l’extrême droite

      Invitée de CNews ce 14 février, Frédérique Vidal a emboité le pas aux dérives de Blanquer et Darmanin en reprenant la petite musique nauséabonde de « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène la société dans son ensemble » et l’université en particulier. Un discours qui stigmatise tout ensemble les universitaires et les musulmans.

      Ce dimanche j’échangeais avec un étudiant qui, comme des milliers d’autres, tente de survivre à la désocialisation et aux cours à distance. Il ne va pas bien. Je lui ai proposé une conversation téléphonique. Le confinement, le sens de la vie, les doutes face à un projet professionnel... Mais ce qui le rend le plus anxieux, parmi toutes les difficultés qu’il tente d’affronter, c’est simplement le fait d’être musulman. Il m’a dit : « l’anxiété d’être musulman aujourd’hui ». Tout est là. Et je crois que c’est vraiment le résultat d’une politique. L’exploitation idéologique et sécuritaire du #terrorisme. La loi sur le « séparatisme » qui détricote nos libertés et grave dans le marbre la #stigmatisation des #musulmans. La politique guerrière de Macron au Sahel et le mépris, affiché ce jour, des pays africains. Tout ceci fait système. Et l’étudiant avec lequel je parle l’a très bien compris. L’étudiant musulman qui a eu peur en entendant Vidal, dimanche dernier. Et qui m’en a parlé en premier.

      J’ai donc écouté Frédérique Vidal répondre à Elkabbach, sur la chaîne qui est devenue le caniveau du journalisme d’extrême droite. Zemmour and co. Et une fois de plus j’ai eu #honte en écoutant « ma » ministre. Honte pour l’intelligence critique et les savoirs qu’elle devrait représenter. Honte de voir une « chercheuse », ancienne présidente d’université, asséner des #contre-vérités, insulter les universitaires et la pensée elle-même, se complaire dans la fange de l’extrême droite et rejoindre ainsi Blanquer et Darmanin dans le jeu dangereux de celui qui sera plus radical que Marine le Pen. En novembre 2020 la CP-CNU appelait à la démission de la ministre et écrivait ceci : « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université. » Aujourd’hui au nom de qui parle cette ministre ? Au nom du gouvernement et de Macron, ou au nom de Marine Le Pen ? De qui ou de quoi fait-elle le jeu ?

      On peut se faire une idée de la partie que Vidal a jouée en écoutant cet extrait mis en ligne par The Sound of Science, une vidéo devenue virale en quelques heures, Vidal devenue virale par sa haine des sciences humaines, de la recherche libre et des universitaires :

      https://twitter.com/SoundofScFr/status/1361390845111451650

      Petit retour en arrière. En octobre 2020 Frédérique Vidal avait été pressée par la CPU de recadrer Blanquer qui s’en était pris violemment aux universitaires, ravagés par « l’islamo-gauchisme », et accusés de « #complicité_intellectuelle avec le terrorisme ». La ministre avait pris position dans un journal à faible visibilité en affirmant dans une tribune, contre son collègue, que « l’université n’est pas un lieu d’expression ou d’encouragement du terrorisme ». La ministre défendait alors « la liberté d’expression et les libertés académiques » qui « sont indissociables ». De deux choses l’une : ou bien Vidal défend les libertés académiques, la liberté de recherche et la liberté d’expression des universitaires qui ont une valeur constitutionnelle, ou bien elle sacrifie ces trois libertés sur l’autel d’une attaque idéologique du libéralisme autoritaire contre l’université et la recherche. Comment comprendre cette contradiction ? Comment comprendre la violente #stigmatisation des islamo-gauchistes sur le plateau de C News quatre mois après la tribune de L’Opinion ? L’art macronien du « en même temps » ? Une immense #hypocrisie dans la tribune du mois d’octobre ? Un voile de fumée jeté sur un bilan désastreux ? La réponse à une commande politique de Macron ? Continuer la petite chanson « le RN est trop mou, LREM fera mieux dans la radicalité » ?

      Rien de tout ceci n’est exclu, mais je pense que la réponse est donnée par Vidal elle-même dans la suite de l’entretien. Très spontanément Vidal, pour remettre à leur place les méchants universitaires qui font des études de genre trop libres ou des études postcoloniales trop engagées, en appelle à l’évaluation-sanction par les pairs et pourquoi pas à la #délation et à la #condamnation : « C’est là qu’il faut être condamné … Allons-y, disons quand les gens ne font pas de #science, mais font du #scientisme » - où Vidal montre, au passage, qu’elle ne maitrise pas le concept de scientisme (à 43:20 ici). Et Vidal de diligenter une enquête du CNRS sur les disciplines suspectes. Comme si le CNRS était une section disciplinaire ou avait des pouvoirs d’enquête. Ce que la CPU elle-même dénonce en remettant vertement en place la ministre dans un communiqué qui appelle à "stopper la confusion et les polémiques stériles" et à cesser de "raconter n’importe quoi" (sic).

      A quoi assiste-on ? A une #dérive_autoritaire qui montre que la LPR et la chasse idéologique aux islamo-gauchistes forment un tout. Evaluer, sanctionner, séparer, diviser les universitaires pour les affaiblir. Les monter les uns contre les autres. Faire en sorte que l’institution soit elle-même l’agent de la chasse aux sorcières. Instiller partout la #concurrence, la #peur, la #suspicion et la #servitude_volontaire. Le premier séparateur des universitaires, c’est la LPR. Dans le viseur de Vidal : la limitation et la surveillance des libertés académiques. Macron, son gouvernement et LREM font le même travail avec toute la société. Dans leur viseur : la limitation et la surveillance des libertés publiques. Monter le plus grand nombre de citoyens contre les musulmans, monter les français contre eux-mêmes. Macron et son système, c’est une guerre sans fin, une guerre contre le peuple. Le #séparatisme permanent. Il est temps de nous unir contre lui. Il est temps de déradicaliser ce gouvernement.

      Contre le séparatisme, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes de nos amis musulmans. Contre la LPR, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des universitaires. Contre la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des étudiants. Vite de la lumière, avant que ne retombe la longue nuit brune de l’histoire !

      #Pascal_Maillard

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160221/frederique-vidal-tombe-dans-la-fange-de-l-extreme-droite

    • "Islamo-gauchisme" à l’université : 5 questions sur l’enquête demandée par Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé lundi 15 février qu’elle souhaitait enquêter sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Des propos qui ont indigné le monde universitaire.

      « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société. » D’une phrase prononcée dimanche 14 février, Frédérique Vidal a provoqué une levée de bouclier du monde académique et de la gauche française.

      Invitée de CNews ce jour-là, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur l’islamo-gauchisme, terme décrit par le journaliste comme désignant « une sorte d’alliance (...) entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ». C’est là que Frédérique Vidal a annoncé « demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université ». Une séquence repérée par le site The Sound of Science.

      Le lendemain, la ministre a confirmé sa position devant l’Assemblée nationale. « Je vais demander à ce que l’on fasse un bilan des recherches qui se déroulent dans notre pays que ce soit les recherches sur le postcolonialisme… » a-t-elle répondu à la question de Bénédicte Taurine, députée de la France insoumise, sans finir son énumération. Mais quel est l’objet de cette enquête ?

      1. Qu’est-ce que l’"islamo-gauchisme" ?

      Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de l’écrivain #Pierre_André-Taguieff en 2000. Il le définit alors comme une association entre les mouvements de gauche et les mouvements pro-palestiniens. Cependant, comme l’explique le linguiste Albin Wagener à RTL.fr, ce terme a très vite été repris par l’extrême-droite pour désigner « deux ennemis : l’islam et la gauche ».

      Aujourd’hui, son utilisation s’est démocratisée au point de se faire une place dans les éléments de langage du gouvernement et de la gauche elle-même, dans la bouche de #Manuel_Valls. Ainsi, le terme controversé qualifié même de « faux concept » par le chercheur Pascal Boniface, désigne aujourd’hui une supposée collusion entre les mouvements islamistes et certains mouvements de gauche.

      Pour Philippe Marlière, chercheur et auteur d’une tribune publiée dans Mediapart au mois de décembre, la trajectoire de ce terme est inquiétante. ""L’islamo-gauchisme’ est un mot grossièrement codé qui désigne un ennemi (l’islamisme) et ses porteurs de valise (les intellectuels de gauche critiques), explique-t-il. Ce vocabulaire d’#extrême_droite crée et entretient un climat de #guerre_civile. Il ne nourrit pas le débat, il prend les personnes pour #cible."

      Le CNRS, lui, affirme dans un communiqué que le terme ne revêt « aucune réalité scientifique » quand la conférence des présidents d’université (CPU) parle de « pseudo-notion ».

      2. Qu’est-ce que le CNRS ?

      L’acronyme CNRS désigne le Centre national de la recherche scientifique. Placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dirigé par Frédérique Vidal, il est l’organisme de référence de la recherche universitaire française. Plus particulièrement, l’enquête demandée par la ministre s’intéresse aux #sciences_sociales, c’est-à-dire des disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la science politique.

      Dans ses propos devant l’Assemblée nationale, Frédérique Vidal cite ainsi l’alliance Athéna présidée par le CNRS en alternance avec la Conférence des Présidents d’Université (CPU). Sur son site, cette institution est décrite comme réunissant « les principaux acteurs de la recherche publique française en #sciences_humaines_et_sociales », plus communément désignées sous le sigle #SHS.

      3. Quel est le type de recherche visé ?

      Dans ses propos tenus sur CNews, Frédérique Vidal a justifié sa décision de mener une enquête sur « l’islamo-gauchisme » au sein de ces champs disciplinaires pour « distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion ».

      Le CNRS a répondu mercredi soir à la ministre de l’Enseignement supérieur dans un communiqué désapprobateur. « Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ’race’, ou tout autre champ de la connaissance », écrit le centre de recherche.

      Une réponse claire et nette aux nombreuses attaques ciblant ces champs disciplinaires qualifiés parfois de « racialistes » par leurs détracteurs qui se multiplient ces derniers mois. En octobre, Jean-Michel Blanquer avait par exemple explicitement cité « les ravages » de l’islamo-gauchisme comme ayant joué un rôle dans l’assassinat de #Samuel_Paty.

      « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion, expliquait-il au Journal du Dimanche dans des propos décryptés par L’Obs. C’est le terreau d’une #fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises. »

      4. #Postcolonialisme, #intersectionnalité... De quoi parle-t-on ?

      Théorisée par la juriste américaine #Kimberlé_Crenshaw à la fin des années 1980, l’intersectionnalité permet d’étudier un phénomène sociologique en appliquant une réflexion multiple, au carrefour de plusieurs parts d’identité comme le genre, la classe et la race (au sens de race sociale perçue par la société, pas de la race biologique qui n’existe pas). Son objectif n’est donc pas d’essentialiser mais de prendre en compte différentes caractéristiques sociologiques pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les situations de discrimination. Par exemple, une femme noire ne vivra pas seulement d’un côté le sexisme et de l’autre le racisme, mais l’intersection des deux.

      Quant aux théories décoloniales et postcoloniales, elles permettent d’étudier la société contemporaine au regard des dynamiques historiques et du racisme qui découle de périodes telles que l’#esclavage et la #colonisation. Ce sont ce type de recherches qui révèlent les #inégalités sous toutes leurs formes (sociologiques, économiques, politiques, historiques...) qui sont visées lorsque les ministres parlent d’"islamo-gauchisme" à l’université.

      5. Comment le monde universitaire réagit-il ?

      Au-delà de condamner les propos de Frédérique Vidal, dans son communiqué, le CNRS regrette une « #instrumentalisation de la science » et rappelle qu’il existe des voies de « l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche ». « C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », conclut l’organisme.

      La veille, la conférence des présidents d’université (CPU) publiait elle aussi un communiqué dans lequel elle s’étonnait de « l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ’du militantisme ou de l’opinion’ ». « La CPU réclame, au minimum, des clarifications urgentes, tant sur les fondements idéologiques d’une telle enquête, que sur la forme, qui oppose CNRS et universités alors que la recherche est menée conjointement sur nos campus par les chercheurs et les enseignants-chercheurs. »

      Contacté par RTL.fr, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation n’a pour l’heure par répondu aux sollicitations.

      https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/islamo-gauchisme-a-l-universite-5-questions-sur-l-enquete-demandee-par-frederiqu

    • Les leçons de Vidal

      Avec ses sorties sur « l’islamo-gauchisme » cette semaine, la ministre déléguée à l’Enseignement supérieur fait surtout les affaires de ses collègues de l’Education et de l’Intérieur. Une femme se grille. Des hommes engrangent.

      La chose se répète souvent sous ce quinquennat. Une ministre femme, issue de la société civile (donc non-politique) qui monte en première ligne pour faire les affaires politiciennes de ses collègues ministres hommes (eux devenus professionnels de ce milieu). La sortie de Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » est un nouvel exemple de ce constat. La ministre de l’Enseignement supérieur n’a pas « dérapé » sur CNews, dimanche, face à Jean-Pierre Elkabbach. Elle savait très bien ce qu’elle faisait. Sinon elle n’aurait pas réitéré ses propos au centre de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi après-midi, lors de la séance hebdomadaire des questions d’actualité au gouvernement.

      Alors qu’elle avait été muette sur le sujet, en octobre, lorsque deux de ses camarades au gouvernement, Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin, avaient déjà balancé, en octobre à l’Assemblée, cette formule appartenant au champ lexical de l’extrême droite, la voilà qui les devance. Le ministre de l’Education et celui de l’Intérieur ont pourtant passé deux semaines sur les bancs lors du projet de loi « confortant les principes de la République » sans écart de langage. Ordre du Président de se tenir à carreaux sur ce texte censé réincarner « le rassemblement » de la majorité sur la laïcité. Foutaises. A peine les ministres avaient-ils récupéré leurs bons de sorties pour les médias que Vidal est partie à son tour en croisade contre les affreux « islamo-gauchistes » qui professeraient dans les amphis. Recadrée par le président de la République, éloignée un peu plus du monde universitaire et du monde étudiant… Mauvais résultat pour elle : la voici un peu plus isolée Rue Descartes. A qui profite donc cette séquence ? A Ses collègues Darmanin et Blanquer qui voient un de leurs marqueurs politiques progresser. Vidal, une femme, prend le bouillon médiatique et une humiliation présidentielle. Ses collègues, hommes, avaient été épargnés.

      Vidal n’est pas la première victime de cette stratégie du bélier. On rembobine. Mars 2019, en pleine « concertation » sur la réforme des retraites, la ministre de la Santé et des Solidarités d’alors, Agnès Buzyn, s’autorise une sortie inattendue sur un « allongement de la durée du travail ». « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, expliquait Buzyn. Est-ce que, alors que le nombre d’actifs diminue, nous allons pouvoir maintenir sur les actifs le poids des retraites qui vont augmenter en nombre et en durée ? Nous savons que cet équilibre-là va être de plus en plus difficile à tenir. » Exactement la ligne portée en coulisses par le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, et de ses deux camarades de l’ex-UMP installés à Bercy : Bruno Le Maire et (déjà) Gérald Darmanin. Lequel se presse pour saluer le « courage » de Buzyn.

      Comme pour Vidal, les politiques hommes avaient laissé une femme issue de la société civile monter au front médiatique pour pousser leurs propres billes. Obligée de rétropédaler (repousser l’âge de départ n’était pas dans le programme d’Emmanuel Macron et le haut-commissaire d’alors, Jean-Paul Delevoye, menaçait de démissionner), Buzyn s’était abîmée dans cette aventure politicienne. Cette dernière n’est plus au gouvernement. Le Maire et Darmanin plus que jamais.

      https://www.liberation.fr/politique/les-lecons-de-vidal-20210219_BI4BCKNDCNBXBDMT2TRO3BZPB4
      #genre #hommes #femmes #hommes_politiques #femmes_politiques

    • Frédérique Vidal, une ministre bisbilles en tête

      Déjà critiquée, entre autres, pour son management à l’université Sophia-Antipolis, la Niçoise s’est lancée dimanche, sans le soutien de l’Elysée, dans une offensive contre l’« islamo-gauchisme » dans la recherche, se mettant à dos une majorité d’enseignants.

      On ne l’attendait pas vraiment sur ce dossier. Frédérique Vidal, ministre de troisième rang en macronie, a surpris beaucoup de monde en appelant à lancer, dimanche sur CNews, une enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans la recherche universitaire.

      Décrédibilisée dans les rangs de la recherche supérieure après avoir maintenu la ligne libérale de la loi de programmation de la recherche (LPR), fragilisée dans les universités après plusieurs cafouillages sur l’organisation en ce temps de crise sanitaire, critiquée pour son manque de réactions face au malaise étudiant qui a poussé certains au suicide, Frédérique Vidal n’a pourtant pas hésité à se mettre à dos une nouvelle fois une bonne partie des professionnels qui dépendent de son ministère.

      Au sein du gouvernement, l’axe Blanquer-Darmanin-Schiappa, porteur de ce débat droitier sur l’islam, a-t-il décidé de se servir d’elle comme bélier, après deux semaines sans grandes controverses sur le projet de loi de lutte contre les « séparatismes » ? Ou bien Vidal a-t-elle choisi ce registre en guise de diversion, alors que les polémiques sur la précarité étudiante ne s’apaisent pas ? En tout cas, on ne la suit pas côté Elysée. Le Président reste attaché à « l’indépendance des enseignants-chercheurs », a bien souligné le porte-parole, Gabriel Attal, mercredi à l’issue du Conseil des ministres. Un désaveu.

      « Elle a toujours eu de l’ambition »

      Dans le casting de début de quinquennat, Vidal faisait pourtant partie de ces ministres de la société civile censés ouvrir le monde politique au monde universitaire. Une présidente d’université pour s’occuper des universités, forcément ça avait du sens dans le « en même temps » macronien. Jusque-là, la Niçoise n’était jamais sortie du couloir qu’on lui avait assigné. A peine s’était-elle aventurée, en 2019 – soit bien avant la crise sanitaire, économique et sociale –, dans une poignée de réunions de ministres souhaitant incarner « l’aile gauche » de l’ex-gouvernement Philippe. L’idée était, à l’époque, de tenter de s’organiser pour peser davantage sur la ligne de l’exécutif, jugée trop… à droite.

      Et avant son arrivée au gouvernement, Frédérique Vidal n’avait aucun engagement politique. L’universitaire est passée des bancs de la fac, où elle étudiait la génétique, à la présidence de cette même université, en 2012. Une évolution fulgurante en moins de vingt-cinq ans. Sabine, aujourd’hui chercheuse syndiquée CGT Ferc Sup, était inscrite dans la même promo, « il y a un peu plus de vingt ans », en maîtrise de biochimie et en DEA de virologie. « C’est quelqu’un qui a toujours eu de l’ambition, dit-elle. Ça a été une bonne enseignante, mais elle a fait peu de recherche sur la durée car elle a très vite rejoint la direction de la formation. Elle est devenue doyenne de la fac de sciences, puis présidente. »

      « Phrases assassines »

      Les techniques managériales de Vidal marquent les esprits à l’université de Sophia-Antipolis. « C’est quelqu’un qui ne tolère pas le débat, ce qui est paradoxal quand on est universitaire, ni la contradiction, ce qui est un problème quand on est scientifique, estime Sabine. Elle a imprimé cette façon de diriger. »

      En novembre, le directeur général de la recherche et de l’innovation, Bernard Larrouturou, qui dépendait de son ministère, a claqué violemment la porte. Dans une lettre qu’avait révélée Libération, il dénonçait la gestion peu humaine du cabinet de Vidal.

      Sandra (1) parle de « tendances managériales à l’américaine » qui l’auraient poussée au burn-out. Cette technicienne audiovisuelle, ancienne déléguée syndicale à l’université, pointe une « infantilisation », avec un renforcement de la hiérarchie, et des « expériences assez douloureuses en conseil d’administration », avec des « phrases assassines » à chaque question ou opposition de sa part. « Mme Vidal est une vraie grande pédagogue, défend le docteur en génétique Erwan Paitel, son ancien bras droit à l’université, qui l’a rejointe au ministère. Elle sait gouverner au sens d’aller au bout de ses idées. »

      Mais, selon différents membres de l’université qui témoignent à Libération, « les sciences de l’éducation ont été mises plus bas que terre », « les sciences humaines étaient méprisées », « ça rigolait » à l’évocation des profs d’histoire. « Quand elle parle d’islamo-gauchisme, c’est juste un moyen de bâillonner le débat d’idées, estime Marc, syndiqué CGT Ferc Sup et travaillant dans un labo de maths à Nice. C’est une insulte pour notre intelligence et pour les victimes. On est à Nice, on a été touché par plusieurs attentats, c’est assez dégueulasse de jouer là-dessus. »

      (1) Cette personne a souhaité rester anonyme pour ne pas nuire à sa carrière.

      https://www.liberation.fr/societe/frederique-vidal-une-ministre-bisbilles-en-tete-20210217_G4WLKNLQGNGTZPOF

    • « Frédérique Vidal risque d’alimenter une #police_de_la_pensée qui serait dramatique »

      Le président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard, revient sur la sortie de sa ministre de tutelle sur « l’islamo-gauchisme », qu’il juge « schématique » et « caricaturale ».

      En s’inquiétant du développement d’« idées militantes de l’islamo-gauchisme » dans les universités françaises au cours d’une interview à CNews dimanche, la ministre Frédérique Vidal a suscité de nombreuses critiques dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’universités a par exemple dénoncé une « nouvelle polémique stérile » et invité les politiques à ne pas « raconter n’importe quoi ». Président de l’université Clermont-Auvergne, l’historien Mathias Bernard revient sur cette sortie médiatique. Pour lui, les propos caricaturaux de la ministre instrumentalisent politiquement des études nécessaires au débat scientifique.

      Dans un communiqué, les présidents d’universités ont dit leur « stupeur » à la suite des propos de Frédérique Vidal. Pourquoi cette surprise ?

      Parce que cela ne correspond pas aux positions antérieures de la ministre. A l’automne, elle avait tenu des propos bien plus distanciés lorsque son collègue Jean-Michel Blanquer avait parlé d’islamo-gauchisme. A cela, il faut ajouter le contexte sanitaire : la priorité n’est pas de lancer un débat politicien, mais plutôt de répondre à la détresse des étudiants après un an de confinement. C’est un bel exemple du décalage entre les gouvernants et la réalité des opérateurs sur le terrain.

      Qu’est-ce qui invalide cette accusation d’« islamo-gauchisme » ?

      Depuis une quinzaine d’années, ce mot est instrumentalisé politiquement. Il ne sert pas à caractériser un ensemble de positions scientifiques, mais à les discréditer. Cette notion produit aussi un effet de généralisation : l’islamo-gauchisme gangrènerait l’université, comme on l’a vu écrit il y a quelques jours à la une du Figaro. Cette rhétorique de la contamination rappelle les discours antisémites des années 30 sur l’influence juive qui corromprait l’ensemble des corps sociaux. Dans mon université, il n’y a eu par exemple aucun incident, aucune étude ou manifestation scientifique susceptible de s’apparenter à une « menace islamo-gauchiste ». Cette généralisation crée une dramatisation, un climat anxiogène qui ne peut qu’alimenter le rejet.

      Quels sont les faits initiaux à partir desquels s’opère cette généralisation ?

      Il existe un militantisme intolérant qui, en empêchant par exemple la tenue de certaines conférences, pose problème à l’université, car celle-ci est par nature un lieu de dialogue. Mais il faut le distinguer des études en sciences sociales qui s’inscrivent dans l’héritage de la pensée postcoloniale et élaborent une pensée critique qui contribue au débat scientifique. Or, ce sont ces débats qui font progresser la science. Une prise de position rapide, schématique et caricaturale comme celle de Frédérique Vidal risque de jeter l’opprobre sur toute cette réflexion et d’alimenter une forme de police de la pensée qui serait dramatique. Cela donne l’impression que des chercheurs confondraient massivement militantisme et travail universitaire, ce qui n’est pas le cas. Et si des cas se présentaient, il existe des instances pour les traiter. Inutile d’instrumentaliser le CNRS, dont les chercheurs travaillent au quotidien avec les universités.

      Faut-il y voir une volonté de contrôle politique du travail universitaire ?

      Les contraintes inhérentes à une interview télévisée ont sans doute occasionné des maladresses. Mais si on regarde ces propos à l’aune du contexte plus global, marqué à la fois par une séquence très régalienne de la présidence Macron et par les débats sur la loi « séparatisme », il peut y avoir une volonté de distinguer deux types de recherche, l’une bonne et l’autre dangereuse. Un peu comme à l’époque de la guerre froide où l’on se méfiait de l’université marxiste. Cela explique une partie de la défiance actuelle du monde politique vis-à-vis de l’université, qui est constitutionnellement indépendante du point de vue scientifique.

      Le dialogue entre le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche et la ministre est-il rompu ?
      En 2020, les débats sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ont contribué à une rupture assez nette entre la ministre et une partie de la communauté universitaire. Mais il ne faut pas généraliser : les présidents d’université et les établissements continuent à travailler avec le ministère dans cette période difficile. Je suis certes critique sur cette sortie médiatique, je n’en suis pas moins reconnaissant à la ministre d’avoir défendu l’ouverture des universités alors que la situation sanitaire reste tendue.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/frederique-vidal-risque-dalimenter-une-police-de-la-pensee-qui-serait-dra

    • #Thomas_Piketty : «Frédérique Vidal doit partir»

      Les déclarations sur l’« islamo-gauchisme » de la ministre de l’Enseignement supérieur montrent sa méconnaissance des sciences sociales, estime l’économiste. Elle livre à la vindicte populaire des chercheurs dont les savoirs sont pourtant essentiels.

      Une suspicion généralisée qui amènerait à un dialogue de sourds : l’économiste Thomas Piketty, connu pour ses recherches internationales sur les inégalités, estime que la demande d’enquête sur la présence de courants « islamo-gauchistes » à l’université, faite dimanche par la ministre Frédérique Vidal, est un non-sens.

      Jean-Michel Blanquer en octobre, Frédérique Vidal aujourd’hui. Pourquoi ces attaques contre le monde universitaire, et sur ce thème de l’islamo-gauchisme ?

      L’horreur des attentats de 2015-2016 et de la décapitation de Samuel Paty en 2020 fait que chacun cherche naturellement des explications, des coupables. Chez les plus désespérés, mais aussi parmi les plus cyniques, certains ont eu l’idée géniale de soupçonner de complicité jihadiste n’importe quel chercheur s’intéressant aux questions de discrimination, ou encore n’importe quel croyant musulman achetant du hallal ou portant des leggings sur la plage, un foulard dans la rue ou lors d’une sortie scolaire. Ces soupçons ignobles sont totalement à côté de la plaque, dans un contexte où le pays devrait être rassemblé derrière son système de justice, de police et de renseignement pour lutter contre l’ultraminorité terroriste. Cette logique de la suspicion généralisée ne peut conduire qu’à des raidissements et à des dialogues de sourds. Et pendant ce temps-là, personne ne parle des politiques antidiscriminatoires dont nous aurions tant besoin, et qui demandent des débats approfondis et apaisés, tant les enjeux sont nouveaux et ouverts.

      Pourquoi demandez-vous la démission de la ministre Frédérique Vidal ?

      Avec ses déclarations, Frédérique Vidal a démontré sa totale inculture et sa profonde ignorance de la recherche en sciences sociales. Elle livre à la vindicte populaire les personnes qui produisent et diffusent les savoirs dont nous avons tant besoin dans cette époque hyperviolente. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir dans plusieurs régions et au niveau national, c’est totalement irresponsable. Elle doit partir.

      Vous connaissez bien le monde de la recherche. Quelle est la réalité de ces « chercheurs minoritaires qui porteraient au sein de l’université des idées radicales et militantes de l’islamo-gauchisme » que dénonce la ministre ?

      Je ne connais aucun chercheur que l’on puisse soupçonner de près ou de loin de complaisance avec les jihadistes, ou dont les travaux auraient pu « armer idéologiquement le terrorisme », suivant l’expression désormais routinière au sommet de l’Etat. Et le terrorisme au Nigeria, au Sahel, en Irak, aux Philippines, c’est aussi de la faute des universitaires islamo-gauchistes français ou américains ? C’est ridicule et dangereux. Au lieu de mobiliser l’intelligence collective pour appréhender des processus sociohistoriques inédits et complexes, ce que font précisément les chercheurs en sciences sociales, on sombre dans la logique du bouc émissaire à courte vue.

      Pensez-vous qu’il y a un climat anti-intellectuels en France ?

      Les diatribes anti-intellectuels sous Sarkozy avaient marqué une première étape. Mais l’hystérie actuelle autour de l’accusation d’islamo-gauchisme nous fait franchir un nouveau seuil. Petit à petit, les responsables politiques français, du centre droit à l’extrême droite, se rapprochent sans le savoir de l’attitude des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) qui, depuis dix ans, visent à asseoir leur domination politique en stigmatisant toujours davantage la minorité musulmane (14% de la population, soit 150 millions de personnes tout de même) et les intellectuels réputés islamo-gauchistes soupçonnés de les défendre. On l’ignore trop souvent en France, mais cette hargne des nationalistes hindous se nourrit elle aussi des attentats jihadistes commis sur le sol indien, comme ceux de Bombay en 2008 ou les attaques au Cachemire musulman début 2019. Là encore, je peux comprendre que le traumatisme des attentats conduit les uns et les autres à chercher des explications pour cette horreur nihiliste. Mais cela n’a aucun sens de soupçonner de complicité les 150 millions de musulmans indiens qui, comme en France, cherchent simplement à mener une vie ordinaire, à trouver un travail, un revenu, un logement, et ne se demandent pas chaque matin comment ils vont venir en aide à un terroriste. Les soupçons vis-à-vis des universitaires indiens, qui tentent de faire leur travail dans des conditions précaires, sont toutes aussi odieux. En Inde, le gouvernement BJP en est arrivé à fomenter des émeutes antimusulmans, à fermer des centres de recherche et à faire arrêter des intellectuels. On en est évidemment très loin en France, mais il est urgent de se mobiliser avant que les choses ne continuent à dégénérer pour les groupes les plus fragiles. Concrètement, les intellectuels français disposent encore de solides ressources pour se défendre, mais il n’en va pas de même pour les populations issues de l’immigration extra-européenne, qui font face dans notre pays à des discriminations sociales et professionnelles extrêmement lourdes et à une stigmatisation croissante.

      Vous qui travaillez avec des réseaux de recherches dans le monde entier, comment jugez-vous l’université française par rapport aux autres grandes universités internationales ? Y a-t-il une américanisation de la recherche ?

      L’idée d’une contamination des chercheurs français par leurs collègues américains ne correspond à aucune réalité. En pratique, le développement des études coloniales et postcoloniales, par exemple des travaux sur l’histoire des empires coloniaux et de l’esclavage, est une coproduction internationale. Cette évolution implique depuis longtemps des chercheurs basés en Europe, aux Etats-Unis, en Inde, au Brésil, etc. Elle est là pour durer, et c’est tant mieux. Le phénomène colonial s’étale de 1500, avec les débuts de l’expansion européenne, jusqu’aux années 60 avec les indépendances, voire jusqu’aux années 90 si l’on intègre le cas de l’apartheid sud-africain. A l’échelle de la longue durée, cette phase coloniale vient tout juste de se terminer. Ses conséquences sur les structures sociales ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. Il a fallu quelques décennies pour que la recherche s’empare pleinement des thèmes coloniaux et postcoloniaux. Ce n’est pas près de changer, et c’est tant mieux.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/thomas-piketty-frederique-vidal-doit-partir-20210217_22G6RI2Q4ZA6RID5XRX5
      #Piketty

    • «Islamo-gauchisme»: Vidal provoque la #consternation chez les chercheurs

      En annonçant commander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre a suscité l’ire du monde de la recherche. Les présidents d’université dénoncent « une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser […] à l’extrême droite », le CNRS émet de profondes réserves.

      Particulièrement transparente ces derniers mois malgré la crise grave que connaît l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal embrase la communauté universitaire, abasourdie par son intention de commander « une enquête » au CNRS sur « l’islamo-gauchisme » à l’université.

      Tout est parti d’un entretien pour le moins sidérant accordé par la ministre, dimanche 14 février, à CNews, la chaîne préférée de l’extrême droite. Interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur la récente une du Figaro titrée « Comment l’islamo-gauchisme gangrène l’université », la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a commencé par acquiescer à ce « constat ».

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont […]. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi », commence-t-elle par affirmer.

      « Vous ajoutez aussi les #indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale… tout ça, ça forme un tout ? », la relance doctement Jean-Pierre Elkabbach.

      Nullement gênée par l’incroyable confusion de la question, la ministre acquiesce à nouveau. « Absolument. D’ailleurs en biologie cela fait bien longtemps qu’on sait qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de race donc vous voyez à quel point je suis tranquille avec ce sujet-là », répond-elle, montrant combien les récents débats scientifiques sur la notion de « race » dans les sciences sociales lui ont totalement échappé.

      « Oui, vous, vous êtes tranquille, mais il y a des minorités et elles sont agissantes… », relance encore le journaliste en agitant les doigts – une gestuelle censée représenter une forme d’infiltration de ces « minorités » à l’université.

      « Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini ? », suggère encore un Jean-Pierre Elkabbach à qui le sujet tient manifestement à cœur.

      « Vous avez raison. Mais c’est pour cela qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », avance Frédérique Vidal, sans que le spectateur, à ce stade, sache très bien ce que « cela » désigne, perdu entre les différentes chimères de « l’islamo-maoïsme » et du « féminisme-racialiste »…

      « C’est pour cela que je vais demander, notamment au CNRS, de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche, sur ces sujets, dans l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme, de l’opinion », lance alors la ministre.

      Dans la communauté scientifique, l’annonce de la ministre a manifestement pris tout le monde de court. Interrogé mardi sur les contours de cette future mission d’enquête, le CNRS semblait bien en peine de fournir le moindre élément de réponse. « À ce stade, nous en discutons avec le cabinet de Frédérique Vidal pour préciser les attentes de la ministre », nous a-t-on d’abord répondu dans un embarras manifeste.

      Au cabinet de Frédérique Vidal, on semble tout autant dans le brouillard, quant aux « attentes de la ministre ». « Les objectifs de cette étude seront définis dans les prochains jours. Il s’agira de définir ce qui existe comme courants d’études en France, sur différents thèmes », nous répond-on finalement. Difficile de faire plus vague.

      S’agit-il de faire une typologie des « courants » de pensée plus ou moins suspects ainsi que, pourquoi pas, des listes d’enseignants participant à ces courants comme aux grandes heures du maccarthysme ?

      L’enquête, selon le ministère, sera « portée » par l’alliance Athena « qui regroupe les principaux acteurs de la recherche publique française et qui est présidée par #Antoine_Petit », c’est-à-dire le directeur du CNRS. Sauf que l’alliance Athena est encore dirigée pour un mois par #Jean-François_Balaudé, qui, comme l’a révélé Le Monde, n’a même pas été informé de ce projet.

      Traversant aujourd’hui une période particulièrement difficile en raison de la pandémie, avec des étudiants en grande détresse et un corps d’enseignants-chercheurs à bout de souffle, la communauté universitaire s’est littéralement embrasée ces dernières heures.

      Mercredi en fin de journée, le CNRS a finalement publié un communiqué cinglant, expliquant que « l’islamogauchisme » était un « #slogan_politique » qui « ne correspond à aucune réalité scientifique ». « L’#exploitation_politique qui en est faite est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ». L’organisme de recherche, qui précise qu’il mènera une enquête « visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », a pris les devants en affirmant qu’il « condamne en particulier les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de "race", ou tout autre champ de la connaissance ».

      La conférence des présidents d’université, d’ordinaire très prudente, s’est fendue mardi en fin de journée d’un communiqué assassin faisant part de sa « stupeur » et réclamant des « clarifications urgentes » à leur ministre de tutelle. « L’islamo-gauchisme n’est pas un #concept. C’est une #pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisée », écrit ainsi l’organisation qui représente tous les présidents d’université.

      Le but de cette « enquête » confiée au CNRS est-il d’identifier des éléments potentiellement idéologiquement dangereux au sein de la communauté universitaire ? Sur ce point également, la Conférence des présidents d’université (CPU) tient à mettre les choses au point : « La CPU regrette la confusion entre ce qui relève de la liberté académique, la liberté de recherche dont l’évaluation par les pairs est garante, et ce qui relève d’éventuelles fautes et infractions, qui font l’objet si nécessaire d’enquêtes administratives », et qui sont confiées dans ce cas à l’Inspection générale de l’éducation.

      « La CPU s’étonne aussi de l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève “du militantisme ou de l’opinion”, cingle l’organisation. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Sauf qu’en matière de « n’importe quoi », la CPU et le monde de la recherche plus généralement n’avaient, sans doute, pas encore tout entendu. Questionnée mardi par la députée Bénédicte Taurine (La France insoumise) sur sa volonté de créer une « police de la pensée », Frédérique Vidal a eu cette réponse étonnante : « Alors, oui, en sociologie on appelle ça mener une enquête. Oui, je vais demander à ce qu’on fasse un bilan de l’ensemble des recherches qui se déroulent actuellement dans notre pays… Sur le postcolonialisme… Mais moi, vous savez, j’ai été extrêmement choquée de voir apparaître au Capitole un drapeau confédéré et je pense qu’il est essentiel que les sciences sociales se penchent sur ces questions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. »

      Un rapprochement entre études postcoloniales et drapeau confédéré, emblème aujourd’hui des suprémacistes blancs, que personne n’a compris… Et pourquoi citer désormais les #études_postcoloniales qui sont un domaine de recherche présent dans les universités du monde entier ?

      Beaucoup d’universitaires et de chercheurs indignés ont demandé, à l’instar de l’économiste Thomas Piketty ou de la philosophe #Camille_Froidevaux-Metterie, le départ de la ministre aujourd’hui désavouée par une grande partie de la communauté scientifique. « Avec Frédérique Vidal, le gouvernement Macron-Castex réalise le rêve de Darmanin : contourner Le Pen par sa droite… Cette ministre indigne doit partir », a déclaré Thomas Piketty sur Twitter, où le mot-dièse #VidalDemission a rencontré un grand succès.

      Une « chasse aux sorcières »

      Les chercheurs du CNRS que Mediapart a interrogés ont unanimement rejeté l’idée d’être « instrumentalisés » par l’improbable projet d’enquête de la ministre.

      Pour l’historienne Séverine Awenengo Dalberto, chargée de recherche au CNRS et membre de l’Institut des mondes africains, Frédérique Vidal doit effectivement démissionner. « C’est scandaleux et honteux de vouloir restreindre les libertés académiques, d’instrumentaliser la recherche en histoire et sciences sociales à des fins politiciennes, et surtout, dans le contexte pandémique actuel, de mépriser à ce point les étudiants et étudiantes en portant l’attention médiatique et parlementaire sur cette fausse question de l’islamo-gauchisme plutôt que sur la détresse et la précarité des jeunes », explique-t-elle. Cette historienne, spécialiste des questions coloniales, fustige une démarche visant, selon elle, « à banaliser un discours d’extrême droite et à alimenter les fractures qu’elle feint de dénoncer. Comment peut-elle sérieusement penser que travailler sur des discriminations raciales, sur les mécanismes et les effets des assignations identitaires chromatiques, c’est reconnaître l’existence de races biologiques ? »

      Comme elle, nombre de chercheurs insistent aussi sur l’#absurdité de faire diligenter cette enquête sur l’université par le CNRS, puisque nombre de laboratoires ont une double tutelle CNRS et université.

      Le spécialiste des mobilisations ouvrières Samuel Hayat, chargé de recherche au CNRS, décrit ainsi ses collègues « entre #sidération et #découragement ». « Cela s’inscrit dans la suite logique de la gestion autoritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche par Frédérique Vidal », souligne-t-il, en référence à la loi de programmation sur la recherche passée au forceps. « C’est une offensive générale contre, en gros, le #discours_critique et la #pensée_critique », estime-t-il. « Pour Frédérique Vidal, l’université doit être dans “l’#excellence” et la #rentabilité mais l’idée qu’il y ait des pôles de résistances critiques aux politiques est insupportable », assure-t-il. Ce politiste souligne aussi combien cette « chasse aux sorcières » rappelle les politiques menées au Brésil, en Hongrie, aux États-Unis, en Turquie ou au Japon contre les libertés académiques.

      Si dans ces pays la bataille s’est principalement concentrée sur les études de #genre, accusées de détruire les fondements de la société, la lutte contre l’#islamisme offre, en France, l’excuse toute trouvée pour traquer les chercheurs « déviants ». « Comme ils ne vont pas trouver d’islamistes dans les universités, ils s’appuient sur un concept comme “l’islamo-gauchisme” qui ne veut rien dire mais qui permet d’amalgamer les savoirs critiques au terrorisme », affirme Samuel Hayat. « La cerise sur le gâteau est l’instrumentalisation du CNRS, qui est un établissement public de recherche qui détermine évidemment son agenda de recherche. Être traité comme une officine pour cerner un objet qui n’existe pas, c’est particulièrement insultant. Le CNRS doit réaffirmer qu’il n’est pas aux ordres des objectifs politiques du gouvernement. »

      Pour l’historienne Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’Afrique aux XVIIIe et XIXe siècles, cette annonce de Frédérique Vidal s’inscrit dans « un pur enjeu électoral consistant à placer la question de l’islam au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Le problème c’est que c’est un #discours_performatif et qu’ils n’en mesurent pas les conséquences », souligne-t-elle, décrivant des discours stigmatisants « qui blessent une partie de la société française à qui l’on veut faire comprendre qu’elle doit rester à sa place ».

      Pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’islamophobie comme nouvelle forme de racisme, le sociologue #Abdellali_Hajjat (qui a quitté la France pour enseigner en Belgique devant le climat de plus en plus hostile à ces travaux dans l’Hexagone) estime que les déclarations de Frédérique Vidal sont « la énième étape d’un processus de #panique_morale d’une partie des #élites_françaises qui a commencé au moins en 2015-2016. Et cela marque le succès d’un intense #lobbying de la part des “#universalistes_chauvins”, tenants de la fausse opposition entre “universalistes” et “décoloniaux”, estime-t-il. La ministre dit qu’il s’agit de distinguer travail de recherche et militantisme… Il semble qu’il s’agit surtout de cibler les universitaires qui seraient “déviants” d’un point de vue politique et scientifique ».

      Selon lui, malgré l’ineptie du discours d’une ministre qui semble largement dépassée par la situation, et qui pourrait prêter à sourire, la situation est très alarmante. « Cette volonté d’#hégémonie, de #contrôle total sur la recherche rappelle les pratiques des régimes politiques contemporains les plus autoritaires », assène-t-il.

      « Je suis en colère car ce qui est en train de se passer est à la fois honteux et très inquiétant », affirme de son côté Audrey Célestine, maîtresse de conférences en sociologie politique et études américaines à l’Université de Lille et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. « Nous sommes dans une forme de #maccarthysme », assure-t-elle jugeant le niveau du débat public « atterrant ». « Lorsqu’on voit quelqu’un comme #Raphaël_Enthoven évoquer “la #peste_intersectionnelle”, on se dit qu’il y a une fierté à étaler dans ces débats son #ignorance crasse. Je suis pour le débat mais avec des gens qui lisent les travaux dont ils parlent », explique-t-elle. Comme pour tous les chercheurs interrogés, Frédérique Vidal a désormais perdu toute #crédibilité et ne peut plus rester ministre de tutelle.

      Après les premières déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche avait semblé vouloir défendre les libertés académiques. « L’université n’est ni la matrice de l’extrémisme ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement », avait-elle rappelé à son collègue du gouvernement.

      Aujourd’hui, Frédérique Vidal semble appliquer avec zèle une feuille de route écrite par l’exécutif. Interrogé sur France Inter, le 1er février par Léa Salamé, sur la place des « indigénistes » et des « racialistes » à l’université – un questionnement qui en dit long sur la maîtrise du sujet –, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a ainsi expliqué que ces idéologies sont peut-être « majoritaires » à l’université : « C’est un drame pour la France et nous devons absolument débattre pied à pied, idée par idée cela », a détaillé ce matin-là – sans souci du mélange des genres – le « premier flic de France ».

      « C’est d’ailleurs ce qu’a souhaité le président de la République dans son discours des Mureaux », rappelait-il alors, en référence au discours du chef de l’État ciblant le « #séparatisme_islamiste ».

      Soutenu par le gouvernement, un amendement glissé au Sénat dans la loi de programmation sur la recherche avait déjà, en octobre dernier, tenté de soumettre les libertés académiques au « cadre des valeurs de la République ». Finalement rejeté, au vu de sa formulation floue, il révélait déjà combien l’exécutif se montrait soupçonneux à l’égard du monde universitaire.

      La tribune des cent universitaires publiée dans le Monde fin octobre, parmi lesquels Marcel Gauchet, Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff ou Pierre Nora, dénonçant un « déni » face à l’islamisme et déplorant que « Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) » aient infiltré l’université « nourrissant une haine des « Blancs » et de la France » a sans doute fait son effet sur l’exécutif. Lequel n’a pas prêté grand crédit aux multiples contre-tribunes, sur le sujet, dont celle de deux mille chercheurs aussi publiée par le Monde, et pourtant signée par des chercheurs encore en prise, eux, avec la production en sciences sociales.

      Le président, passé de la lecture de Paul Ricœur à celle de Pierre-André Taguieff et sa dénonciation des « bonimenteurs du postcolonial », avait déjà affirmé en juin dernier devant des journalistes que « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux ».

      Aujourd’hui, sous les coups de boutoir d’un pouvoir obsédé par la mise au pas de la communauté universitaire, ce sont surtout les enseignants, les chercheurs et plus largement les libertés académiques qui sont menacés.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/170221/islamo-gauchisme-vidal-provoque-la-consternation-chez-les-chercheurs?ongle

    • Vidal au stade critique - Communiqué de SLU, 17 février 2021

      « Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase : « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre : « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8893

    • Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • Merci @marielle, je mets tout le contenu de la lettre de #Pinar_Selek sur ce fil :

      Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un #cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en #Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’#autonomie de la production scientifique.

      –—

      Madame Vidal,

      Vous vous souvenez de moi, l’enseignante-chercheure exilée que vous aviez accueillie, dans le cadre du Programme PAUSE, à l’Université Côte d’Azur, quand vous étiez sa présidente. Mais nous nous sommes rencontrées la première fois, le 30 septembre 2019, dans le cadre de la conférence de presse du Programme PAUSE ( Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil). En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous souteniez ce programme. Je pense que vous le soutenez encore. Tant mieux : vous soutenez les enseignant.es-chercheur.es qui ont fui la répression politique dans leur pays et qui ont besoin d’un espace de liberté pour continuer à poser des questions et à conduire leurs recherches.

      Depuis vos dernières déclarations sur "l’islamo-gauchisme", je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout.es les scientifiques exilé.es qui sont aujourd’hui accueilli.es par le Programme PAUSE sont entrés dans le même cauchemar, car elles-ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France.

      J’ai envie de vous dire que si vous ne revenez pas publiquement sur vos propos ou si vous ne démissionnez pas, le cancer se diffusera et des scientifiques français.es prendront le chemin d’exil.

      Ne me dites pas qu’en France ce n’est pas possible. Si, Madame Vidal, si. Vous le savez mieux que moi : le pétainisme n’est pas si vieux que ça. Rappelez-vous dans les années 1940, il y avait beaucoup d’universitaires français exilés, refusant de se soumettre au fascisme.

      Vous vous souvenez peut-être, dans la conférence de presse de PAUSE, j’avais commencé mon intervention en disant ceci : « Pour vous épargner un récit victimisant et pour me distancier d’une vision intégrationniste imprégnée de colonialisme, j’avais pensé d’abord rappeler que chaque pays a besoin de passeurs des théories scientifiques. Surtout la France qui a de grandes difficultés de traduction. Elle a besoin de savant.es qui se sont formés dans d’autres pays. De plus, accueillir les scientifiques qui ne sont pas soumis à l’autorité ne peut être qu’une richesse pour ceux et celles qui les accueillent. » Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      Madame Vidal, essayez d’écrire des articles scientifiques, avec votre casquette universitaire, pour remettre en question les notions scientifiques et inscrivez-vous dans le débat collectif des chercheur.es, mais surtout cessez d’intervenir en mettant votre casquette politique !

      Sinon vous allez mettre la machine infernale en marche.

      Et la machine du pouvoir peut aller plus loin que vous ne l’imaginez.

      Pinar Selek

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • "Islamogauchisme" : Le piège de l’#Alt-right se referme sur la Macronie

      Mardi dernier, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a exprimé son souhait de missionner le CNRS pour une « étude scientifique » sur “l’islamo-gauchisme” qui, d’après ses propos de dimanche (14/02/21) sur une chaîne TV privée, « gangrène la société dans son ensemble ». « L’université n’[y étant] pas imperméable », il s’agirait de définir « ce qui relève de la recherche et du militantisme ». La Conférence des Présidents d’Université a immédiatement exprimé sa stupeur devant de tels propos, tandis que le CNRS indiquait dans un communiqué de presse que « “L’islamogauchisme” , slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique ».

      C’est la troisième fois en moins de six mois que l’expression “l’islamo-gauchisme” est employée par un ministre du gouvernement Castex, contribuant à inscrire ce terme comme dénomination légitime d’une catégorie sociale, malgré l’absence de réalité scientifique.

      Au-delà de la menace que fait peser la démarche de la Ministre sur les libertés académiques, qui a suscité de vives polémiques, nous montrons qu’elle s’inscrit dans une tendance d’autant plus inquiétante qu’elle semble relever d’un #aveuglement au niveau de la Présidence et du gouvernement.

      Afin de discerner ce qui relève du #militantisme ou de la #stratégie_politique dans la #popularisation de ce #néologisme, ainsi que l’impact que pourrait avoir sa #légitimation par de hauts responsables de la République, nous présentons ici une étude factuelle sur les contextes de son utilisation dans le paysage politique français sur les 5 dernières années.

      Nous nous appuierons sur le #Politoscope, un instrument du CNRS que nous avons développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris IdF pour l’étude du #militantisme_politique en ligne. Il nous permet d’analyser à ce jour plus de 290 millions de messages à connotation politique entre plus de 11 millions de comptes #Twitter émis depuis 2016.

      Nous renvoyons le lecteur intéressé par l’origine de l’expression “islamo-gauchisme” à l’historique qui en avait été fait en octobre dernier lors des premières utilisations de ce terme, d’abord par le Ministre de l’Intérieur lors d’un échange à l’Assemblée Nationale, puis par le Ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports en réaction à l’assassinat de Samuel Paty.

      Le point important pour notre propos est que nous avons affaire à un néologisme relativement ancien (une quinzaine d’années) qui a jusque-là été peu utilisé. Entre le 1er Août 2017 et le 30 décembre 2020, sur 230M de tweets analysés, le terme « islamogauchisme » ou ses variantes ont été promus dans des tweets originaux et relayés via retweets respectivement par 0,019% et 0,26% du total comptes Twitter analysés, au sein de « seulement » 73.806 messages (0,032% du total). Nous sommes donc sur une #terminologie, et a priori une catégorisation des groupes sociaux, très marginales[1].

      Comme le montrent les recherches en sociologie et psychologie sociale[2], ce type de dénomination émergente indique la volonté de créer une nouvelle catégorie dans l’#imaginaire_collectif, passage obligé pour faire accepter de nouveaux #récits_de_référence et pour façonner de manière durable de nouvelles #représentations, #croyances et #valeurs.

      S’agissant de la dénomination d’un #groupe_social, elle est l’instrument d’une démarcation entre le groupe social qui l’emploie et le groupe social réel ou fantasmé qu’elle est censée désigner. Si le CNRS s’est exprimé au plus haut niveau pour indiquer que l’« islamogauchisme » était plus un #fantasme qu’une réalité scientifique, nous posons ici la question de ce que cette expression révèle sur le ou les groupes sociaux qui l’emploient.

      Voici donc ce qui ressort de l’expression « islamogauchisme »[3] lorsque nous la passons au macroscope de nos méthodes d’analyse.

      Quels ont été les contextes d’usage de l’expression « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      Si l’expression« islamo-gauchisme » est très marginale dans la #twittersphère et dans le #langage_politique ordinaire, elle apparaît dans des contextes très précis en tant qu’instrument de #lutte_idéologique.

      Une première évaluation qualitative de ce fait peut être menée à partir des messages mentionnant cette expression. Nous reproduisons ci-dessous les tweets ayant touché le plus de comptes distincts ces cinq dernières années. Ils sont classés par ordre décroissant de leur impact.

      Il apparaît clairement sur cet échantillon, par ailleurs assez représentatif de l’ensemble, que « islamo-gauchisme » est employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à « islamo-gauchisme » sont celles de #traître, d’#ennemi_de_la_république, d’#immoralité, de #honte, de #corruption ainsi que de #menace, d’#insécurité, de #danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’#islamisme_radical.

      La principale communauté politique visée par ce terme (et qui s’en défend, d’où sa présence dans ce corpus de tweets) est la #France_Insoumise et la personnalité de #Jean-Luc_Mélenchon, mais occasionnellement, ce terme vise la communauté plus large des personnalités et militants de #gauche, comme le montre le tweet le plus relayé de tout notre corpus et adressé à #Benoît_Hamon.

      Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un #danger_imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire. La construction même du terme reflète cette ambition. Dans un pays encore meurtris par les attentats du Bataclan, le préfixe « islamo- » est au mieux négatif voire désigne des personnes dangereuses pour l’ordre public, quant au suffixe « gauchisme », il est une forme péjorative pour désigner en vrac les #idéologies_de_gauche.

      Qui a fait la promotion de la notion « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      En y regardant de plus près, l’usage de l’expression « islamo-gauchisme » est un marqueur de types de comptes Twitter très précis. Voici les comptes qui ont le plus utilisé cette expression ces cinq dernières années, classés par nombre décroissant d’usages de cette expression :

      Table 1. Liste des comptes ayant le plus relayé le terme « islamo-gauchisme » depuis 2016 dans le Politoscope. La mention ‘suspendu’ indique des comptes suspendus par Twitter pour leur comportement violant ses règles d’utilisation. La mention ‘protégé’ indique des comptes qui ont choisi de rendre leurs messages confidentiels. La mention bot indique des comptes ouvertement pilotés par des robots informatiques.

      On remarque tout d’abord qu’il y a une forte majorité de #comptes_suspendus. D’après Twitter, la plupart des comptes suspendus sont des #spammeurs, ou tout simplement des #faux_comptes qui introduisent des risques de sécurité pour Twitter et ses utilisateurs. Un compte peut également être suspendu si son détenteur adopte un comportement abusif, comme envoyer des menaces à d’autres personnes ou se faire passer pour d’autres comptes, ou si Twitter pense qu’il a été piraté.

      Les cas de suspension de comptes sont très rares. L’une des plus importantes purges de comptes Twitter a visé récemment 70.000 comptes ayant incité à la violence dans les jours précédant le saccage du Capitole aux USA, ce qui ne représente que 0,023% de l’ensemble des comptes actifs. Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur l’« islamo-gauchisme » est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants.

      Dans le cas présent, les raisons de la suspension semblent être un comportement verbalement violent et peut-être même plus probablement un comportement de tromperie ou d’astroturfing typique des agissements d’une certaine frange de l’#extrême_droite : une démultiplication démesurée et généralement artificielle de l’activité d’un compte pour faire illusion sur le soutien réel d’une population à une idée. Cette hypothèse est confortée par la présence de deux ‘amplificateurs’ parmi cette short list, c’est à dire des comptes dont le nombre quotidien de tweets (plus de 60 par jour en moyenne) indique qu’ils sont probablement pilotés par des robots ou des salariés.

      La seconde chose que l’on peut remarquer est l’#orientation_politique des quelques comptes présents dans cette liste pour ceux qui sont encore actifs : ils sont tous idéologiquement d’extrême-droite.

      L’analyse de l’ensemble des 83.000 #tweets contenant « islamo-gauchisme » et de leur dynamique permet de préciser ce tableau.

      Les deux communautés politiques historiques qui ont été les plus actives sur ce thème sont le #Rassemblement_National et #Les_Républicains, mais avec des temporalités très différentes. Jusqu’au 1er tour de la présidentielle de 2017, Les Républicains, et principalement les sarkozystes, étaient les plus actifs sur le sujet. Ce point n’est pas une coïncidence puisque, comme nous l’avons démontré[4] la tactique consistant à dénigrer un adversaire en révélant sa soit-disant proximité avec l’islamisme radical avait déjà été utilisée au sein même de LR contre Alain Juppé, une première fois par les sarkozistes pendant la primaire de la droite de 2016 où il était grand favori, puis par les fillionnistes au moment du Peneloppe Gate, alors que la possibilité d’un retour de Juppé était évoquée.

      La tendance s’est inversée très exactement dans l’entre-deux tours et le #RN est alors devenu, et de loin, le courant politique qui a le plus fréquemment fait usage du terme « islamo-gauchisme ». Sur ces quatre dernières années, les militants d’extrême droite ont consacré plus de deux fois plus d’efforts à sa promotion que leurs homologues Républicains (rapporté à leur volume total de tweets).

      Cette inversion s’explique par la reconfiguration des forces politiques à l’issue de la présidentielle. Comme nous l’avons déjà décrit[5], pendant la majeure partie de la campagne présidentielle, Marine Le Pen étant pronostiquée au second tour, les autres candidats se sont affrontés entre-eux pour obtenir la place restante. #Mélenchon était donc l’un des principaux adversaires de Fillon. Mais dès la présidentielle terminée et l’effondrement du PS et de LR qui s’en sont suivis, LFI et le RN sont devenus les principaux partis d’opposition et se sont donc mis à s’affronter pour prendre la place de première force d’opposition. C’est dans ce cadre que le RN a tenté d’imposer sa vision de « islamo-gauchisme » afin de discréditer son principal opposant et servir par la même occasion son agenda politique anti-immigration.

      Le terme « islamo-gauchisme » est donc avant tout une #arme_idéologique utilisée dans un #discours_hostile pour discréditer une communauté politique indépendamment de la réalité qu’il est supposé désigner.

      Une #cartographie de l’ensemble des échanges Twitter avec identification des communautés politiques révèle d’ailleurs très bien cette organisation dichotomique des échanges autour de cette expression. La figure 2 montre deux blocs qui s’affrontent : d’un côté les communautés d’extrême-droite et LR qui utilisent ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI, de l’autre LFI qui se défend. On remarquera par ailleurs que l’extrême droite est elle-même divisée en deux sous groupes : le RN et les courants patriotes/identitaires. Enfin, la figure 3 ci-dessous montre bien l’activité ancienne, persistante et massive de l’extrême-droite pointant l’intention de faire accepter une certaine représentation du monde par ce néologisme.


      Figure 2. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme ». Chaque point est un compte Twitter, sa couleur indique son appartenance à un courant politique. A droite, les communautés d’extrême-droite et LR utilisant ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI (à gauche) qui se défend. La taille des nœuds est fonction du nombre de leurs tweets mentionnant « islamo-gauchisme » mise à part celle des nœuds labellisés avec des comptes actifs dont la taille a été augmentée pour des questions de visualisation. Pour ces nœuds là uniquement, la couleur indique le nombre de tweets mentionnant « islamo-gauchisme », par ordre croissant du blanc au violet. On remarquera la présence marquée de comptes très impliqués dans ce type d’échanges et suspendus depuis par Twitter. Image : CNRS, #David_Chavalarias – CC BY-ND 4.0.


      Figure 3. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme » avec indication de la longévité des comptes. La taille des nœuds est proportionnelle à l’intervalle de temps pendant lequel a été détectée une participation à la polémique « islamo-gauchisme ». Il apparaît clairement qu’il y a une activité ancienne, persistante et massive à l’extrême-droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      Pourquoi l’adoption du #vocabulaire de l’extrême droite est-elle un piège ?

      Si l’on résume les éléments factuels que nous venons de présenter :

      Bien que la science ne reconnaisse pas « islamo-gauchisme » comme une catégorie sociale légitime, plusieurs courants d’extrême-droite en font depuis longtemps la promotion,
      Cette promotion, qui s’inscrit dans des échanges hostiles et dépourvus d’éléments programmatiques, a des objectifs bien précis : 1) discréditer ses opposants de gauche, 2) convaincre l’#opinion_publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : des ennemis intérieurs alliés aux forces obscures de l’islamisme radical. Ce faisant, elle crée une #atmosphère_anxiogène propice à l’adhésion à ses idées.

      Si, comme nous avons pu le mesurer, cet effort soutenu n’a pas eu d’effet notable sur l’écosystème politique jusqu’à récemment, les interventions successives de trois ministres de la République ont changé la donne. La dernière intervention de Frédérique Vidal lui a fourni une exposition inespérée.

      L’existence de groupes « islamo-gauchites » vient d’être défendue officiellement au plus haut niveau puisqu’il serait absurde de demander une enquête sur quelque chose à laquelle on apporte peu de crédit. Cette dénomination est donc légitimée par le gouvernement, avec en prime l’idée que de notre jeunesse serait menacée d’#endoctrinement.

      La réaction épidermique du milieu universitaire à ces interventions n’a fait qu’amplifier l’exposition à cette idée, même si c’était pour la démentir, laissant présager d’un #effet_boomerang. Nous voyons ainsi sur le détail de l’évolution de la popularité de ce terme (Figure 4) qu’il a été propulsé au centre des discussions de l’ensemble des communautés politiques à la suite de l’intervention de la ministre et qu’il a même atteint assez profondément “la mer”.

      « La mer » est le nom que nous avons donné à ce large ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques. Toucher “la mer” avec leurs idées est le graal pour les communautés politiques car c’est un réservoir important de nouvelles recrues. Ainsi, “la mer”, concentrant son attention sur ce concept d’« islamo-gauchisme », est amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême-droite.

      D’après nos mesures, les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême-droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant « islamo-gauchisme » est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020. On peut parler de #performance.


      Figure 4. Détail de l’évolution du nombre cumulé de tweets émis par les principales communautés politiques avec la mention « islamo-gauchisme » ou ses variantes. Le volume de tweets de “la mer” apparaît en vert et peut être lu sur l’axe des ordonnées à droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      La porte ouverte à l’#alt-right

      Pour bien comprendre la faute politique que constitue la légitimation et l’appropriation d’un concept tel que « islamo-gauchisme » par un gouvernement, il faut se placer dans le contexte mondial de la montée de l’alt-right et des étapes qui permettent à cette idéologie de gangrener le pouvoir.

      Contrairement à “« islamo-gauchisme », l’alt-right est un mouvement idéologique bien réel, scientifiquement documenté[6], et revendiqué publiquement au sein d’espaces d’échanges en ligne tels que #4Chan et #8Chan.

      L’alt-right est l’idéologie dont l’ascension a accompagné la prise du pouvoir de Donald Trump. Ses partisans sont nationalistes et suprématistes, racistes et antisémites, complotistes, intolérants et d’une violence parfois teintée de néonazisme[7]. Ils s’organisent de manière décentralisée via les médias numériques et recrutent “parmi les identitaires blancs, éduqués ou non, qui se présentent comme victimes de la culture dominante” (Port-Levet, 2020). Ils utilisent la #désinformation comme principal moyen pour propager leur idéologie “qui se fonde sur la #confusion_idéologique et dont l’un des principaux objectifs est de troubler l’ordre politique pour accélérer le chaos”[8].

      On ne s’étonnera pas que l’alt-right conçoive l’Université comme un repère de gauchistes et que certains de ses partisans en aient fait leur principal champ de bataille[9].

      L’idéologie alt-right a déjà quelques belles victoires à son palmarès, dont les mandatures de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil, pays dont on relèvera qu’il dispose du même mode de scrutin présidentiel que la France.

      Comme nous l’avons documenté[10], ses partisans sont convaincus que #Marine_Le_Pen est de leur côté (cf. Figure 5), ils l’ont d’ailleurs activement soutenu en 2017 en espérant lui donner le coup de pouce décisif qui la mènerait à la victoire. L’un de leurs forums post-premier tour, intitulé “#Final_Push_Edition”, commençait le 25 avril 2017 par la formule “Alright everyone, our golden queen has won the first round and must now face her final opponent Macron Antoinette.”[11]. S’en suivait une série d’échanges et de conseils sur la meilleure manière de manier la désinformation pour réorienter une partie de l’opinion française vers un vote Le Pen ou l’abstention.


      Figure 5. Meme propagé en 2017 par les partisans de l’alt-right montrant Marine Le Pen faisant le symbole « O-KKK » (en référence au Ku Klux Klan) qui signifie “White Power”, signe de ralliement des suprémacistes blancs. Ce signe peut être vu également sur de multiples photos de la prise du Capitole. La grenouille, “Pepe the frog”, est la mascotte du mouvement. Ce photo-montage est un message entre partisans de l’alt-right pour indiquer que Marine Le Pen défend leurs valeurs. Image : 4Chan – Meme Internet – auteur anonyme.

      Depuis, ce courant n’a cessé de se renforcer à travers le monde, bénéficiant de la bouffée d’oxygène apportée par la mandature #Trump. Avec la victoire de Biden, ils n’auront rien de mieux à faire ces prochains mois que de s’occuper à nouveau des élections présidentielles en Europe.

      Pour propager leur idéologie à grande échelle, les activistes de l’alt-right se doivent de conquérir l’#imaginaire_collectif avec leurs représentations du monde. Comme une araignée, ils nécrosent progressivement la #morale_collective et la confiance que les citoyens ont dans leurs institutions démocratiques jusqu’à leur faire perdre tout repère. L’espoir de ces activistes est qu’alors un coup de force coordonné, jouant sur les #émotions_négatives, leur permettra de faire basculer une élection.

      Le chemin de cette nécrose est connu et documenté par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques. Il a été emprunté par les partisans de #Donald_Trump et a mené à l’insurrection du Capitole. En avoir connaissance nous permet de constater que nous l’empruntons déjà et que la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation vient, probablement à son insu, d’y jouer un rôle d’agent de la circulation très efficace.

      Il y a en effet un parallèle quasi parfait entre la stratégie de l’alt-right américaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion d’« islamo-gauchisme ». Citons pour nous en convaincre quelques passages d’une excellente recherche sur ce mouvement aux États Unis. Elle se fonde sur une analyse qualitative du discours alt-right sur le forum “r/The_Donald” au sein de Reddit (McLamore and Uluğ, 2020) :

      […] La théorie des représentations sociales met en évidence la pensée dualiste et dichotomique qui distingue les catégories, c’est-à-dire les “bonnes personnes/mauvaises personnes”, les “amis/ennemis”, les “élites/nonelites”, la “majorité/minorité” (Markova, 2006 ; Staerklé, 2009 ; Staerklé, Clemence, & Spini, 2011) – et l’appartenance à ces #catégories_antagonistes est attribuée en fonction de la concordance ou de la discordance avec des #symboles, #valeurs ou caractéristiques qui sont socialement représentés (Staerklé, Clemence, & Spini, 2011)

      Les résultats indiquent que les billets[12] qui contiennent des représentations sociales ou des éléments narratifs sur r/The_Donald se concentrent largement sur les caractéristiques des libéraux/gauchistes/démocrates, y compris leurs idéologies, leurs motivations et leurs objectifs perçus, et représentent les partisans de Donald Trump et des conservateurs plus généralement par opposition à ces groupes.

      Dans les trois catégories principales les plus courantes, les billets ont pour fonction de rejeter les positions libérales et de délégitimer les opposants politiques au populisme d’extrême droite (par exemple, les libéraux, les gauchistes, les marxistes, les militants des minorités, les militants de l’immigration, les féministes, les militants queer, etc.) […]

      Ces représentations des libéraux interprètent les positions libérales comme peu sincères et/ou invalides, représentant l’opposition au #populisme d’extrême droite comme le produit d’un lavage de cerveau, et représentant les opposants au populisme d’extrême droite comme illégitimes dans leurs croyances. Ce faisant, ces représentations des libéraux fonctionnent non seulement pour rejeter les idées libérales, mais aussi pour positionner les partisans de Donald Trump et les libéraux comme des parties opposées au sein d’un récit. L’émergence de tels récits, qui représentent des groupes en tant que forces opposées ayant des buts et des objectifs incompatibles, tout en délégitimant ou en rejetant simultanément les buts et les objectifs du parti rival, est un élément essentiel de l’infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes (Bar-Tal, 2007 ; Bekerman & Zembylas, 2009 ; Salomon, 2004).

      Comme les représentations sociales fonctionnent comme les éléments constitutifs des récits (Liu & Hilton, 2005 ; Moscovici, 1968/2008), ces représentations des libéraux et du libéralisme contribuent à établir les bases d’une infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes. […]

      La #délégitimisation des musulmans et des immigrants renforce mutuellement la délégitimisation des libéraux sur r/The_Donald. En tant que tels, les libéraux ne sont pas seulement présentés comme une #menace_interne, intragroupe, par leur élitisme et leur censure perçus de la culture américaine traditionnelle, mais aussi comme facilitant ou permettant une #menace_externe, intergroupe, par leur association avec les immigrants et les musulmans, qui sont représentés sur r/The_Donald comme intrinsèquement dangereux. Ces deux processus pourraient faciliter le soutien à l’#escalade_de_la_violence, car des travaux antérieurs en psychologie sociale établissent un lien entre la menace perçue et le soutien à l’escalade du conflit et à la #violence future dans les conflits violents (Hirschberger, Pyszczynski, & Ein-Dor, 2015). Au sein de r/The_Donald, nos résultats qualitatifs suggèrent donc que les libéraux représentent à la fois une menace culturelle par leurs attaques (perçues) contre les valeurs traditionnelles de ces Redditeurs, mais aussi une menace physique tangible par leurs liens avec des groupes extérieurs qui sont représentés comme violents et dangereux. Ces perceptions de la menace, qui se chevauchent mais sont distinctes, suggèrent que, dans ces représentations, les libéraux peuvent représenter des menaces à la fois symboliques et réelles (voir Stephan & Stephan, 2000).

      Pris dans leur ensemble, les billets des principales catégories [de r/The_Donald] représentent les libéraux comme étant à la fois oppresseurs des Blancs américains et des traditions américaines, mais impuissants, s’appuyant sur la #conspiration et le #lavage_de_cerveau pour conserver leur position d’élite. […]

      Ces représentations pourraient, en théorie, évoquer une #mentalité_de_siège typique des victimes dans un conflit où elles perçoivent tout comme étant contre elles (voir Bar-Tal & Antebi, 1992). Avec cette mentalité, les personnes partageant les représentations sociales qui prévalent sur r/The_Donald peuvent se comporter comme si elles étaient assiégés parce qu’ils se perçoivent et se représentent comme tels.

      Dans sa prise de parole sur l’« islamo-gauchisme » à l’assemblée, la Ministre a justifié sa démarche en se disant “extrêmement choquée de voir au Capitole apparaître un drapeau confédéré et [qu’elle pensait] qu’il est essentiel que les sciences humaines et sociales se penchent sur ces questions qui sont encore d’actualité”. Aussitôt dit aussitôt fait, dirions-nous. Les sciences humaines et sociales se sont déjà penchées sur les dérives qui ont mené au Capitole et elles n’ont rien à voir avec l’« islamo-gauchisme ». Au contraire, comme le démontrent les extraits précédents, les événements du Capitole sont directement liés à la légitimation de termes tels que « islamo-gauchisme ».

      En résumé, la première étape pour ancrer l’#idéologie_alt-right et arriver à saboter une démocratie est de concrétiser dans l’imaginaire collectif la représentation d’un #ennemi_de_l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs). La notion d’« islamo-gauchisme » est en cela une #trouvaille_géniale qui véhicule en quelques lettres cette idée maîtresse. En France, l’alt-right n’aurait pu rêver mieux que l’intervention récente de la Ministre : l’« islamo-gauchisme » pourrait être en train de corrompre les têtes pensantes de nos Universités ; propos amplifié par le Ministre de l’Éducation Nationale qui le voit “« comme un #fait_social indubitable »[13]. La polémique nationale que cela a suscité est un service rendu inestimable.

      Le billard du chaos

      Le recours du gouvernement à la rhétorique de « islamo-gauchisme » révèle une perte inquiétante de repères. Après trois reprises par trois ministres différents et importants, la dernière étant assumée deux jours plus tard par une intervention à l’Assemblée Nationale puis une autre au JDD, une #stratégie_gouvernementale affleure qui révèle une certaine nervosité. Et si LREM n’était pas au deuxième tour de la présidentielle en 2022 ?

      Les mouvements sociaux de 2018, les gilets jaunes éborgnés, la pandémie qui n’en finit pas de finir, la crise économique sans précédent qui s’annonce, tout cela fait #désordre et n’a pas permis à Emmanuel Macron de développer pleinement son programme. Il y a de quoi s’inquiéter. Comme en 2017, les partis politiques semblent se résoudre à avoir Marine Le Pen au second tour, jeu dangereux étant donné les failles de notre système de vote[14]. Pour passer les deux tours, LREM devra donc éliminer LFI au premier tour, actuellement son opposant le plus structuré hormis le RN, puis battre le RN au deuxième tour. Accréditer l’existence d’un “islamo-gauchisme”, c’est à la fois affaiblir LFI en emboîtant le pas de l’extrême droite et montrer aux électeurs qui seraient tentés par le RN que, dans le domaine de la lutte contre l’islamisme radical, LREM peut tout à fait faire aussi bien, voire mieux, qu’une Marine Le Pen qualifiée de “molle” par Gérald Darmanin[15].

      Ce billard à trois bandes qui relève du “en même temps” est cependant extrêmement dangereux et a toutes les chances de devenir incontrôlable.

      Il n’y a pas de “en même temps” dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées. Une fois les représentations ad-hoc adoptées, l’électeur préférera toujours l’original à la copie et l’anti-système au système. Le vainqueur de 2022 sera celui qui arrivera à contrôler le cadre dans lequel s’effectueront les raisonnements des électeurs, et si ce cadre contient en son centre le terme “islamo-gauchisme”, il est fort à parier que Macron pourra faire ses valises. Pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer.

      Epilogue

      Pour revenir sur la question de l’indépendance des universitaires et des chercheurs qui a donné à cette polémique une couverture nationale, on remarquera qu’il y a là un exemple assez pur du mode opératoire de l’alt-right, que la Ministre, a priori à son insu, a accompagné. Comme le montre Simon Ridley (2020), l’alt-right n’est plus un activisme marginal, exercé sous couvert de la « liberté d’expression », mais un engagement dans des actions criminelles destinées à créer du #chaos et à renverser la réalité[16]. Un mode opératoire récurrent des partisans de l’alt-right est de créer un #ennemi_imaginaire contre lequel ils se positionnent en rempart, espérant ainsi créer la réaction hostile à leur encontre qui justifiera leurs actions, souvent violentes.

      L’alt-right cible de manière privilégiée la #jeunesse et les universités. L’idée qu’il puisse y avoir au sein de l’université des groupes tels que des “islamo-gauchistes” sert précisément à légitimer leur intervention dans ce milieu. On a donc ici un parfait renversement de valeurs : un groupe qui promeut des méthodes malhonnêtes et violentes essaie de faire croire à l’existence d’un pseudo-groupe pour apparaître comme un rempart salutaire.

      https://politoscope.org/2021/02/le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie

    • #Blanquer voit l’"islamo-gauchisme" comme «un fait social indubitable»


      https://twitter.com/BFMTV/status/1363103524020760578

      Blanquer, je transcris ici ses propos:

      « Ce serait absurde de ne pas vouloir étudier un #fait_social. Il faut bien étudier dans ce cas là... si c’est une #illusion... il faut étudier l’illusion, et regarder si ça n’est une. Pour ma part je le vois comme un fait social indubitable, ça se voit par exemple dans les déclarations de certains politiques politiques. Quand vous avez Monsieur Mélanchon qui participe à une manifestation du CCIF où il y avait clairement des islamistes radicaux, Monsieur Mélanchon quand il fait cela tombe dans l’islamogauchisme sans aucun doute. Je veux bien après que des spécialistes de sciences politiques examinent ça, trouvent d’autres mots pour décrire le phénomène, chacun doit voir cela avec sérénité et objectivité »

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque des libertés académiques. Le déni doit cesser, à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux libertés publiques.
      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat, à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du définancement du budget « Vie étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement.

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances,mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « Avenir lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « Principes républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de Marion Maréchal-Le Pen, dont les idées sont reprises par Emmanuel Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » et continuée avec Jean-Michel Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat, à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.
      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « déni de démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental, pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan, et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « nuit noire » d’octobre : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.
      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un délit pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des franchises académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre, lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La protection fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale, c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence Sarkozy et le vote de la loi dite « Libertés et responsabilités des universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la diversion à la saisie du problème de la pauvreté étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un ordre colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante

      #Christelle_Rabier

    • Note de solidarité à l’intention des chercheuses et chercheurs en poste en France

      Nous, chercheurs et chercheuses en poste en Allemagne, suivons avec inquiétude les derniers développements de la polémique en France autour du prétendu « islamo-gauchisme » dans les universités françaises ainsi que les attaques répétées faites aux recherches intersectionnelles et postcoloniales. Nous y voyons un effort ciblé pour réduire au silence certains champs de recherche qui, par leurs résultats scientifiques, remettent en question des privilèges et inégalités structurellement ancrés.

      Ce débat a des effets dévastateurs sur nos collègues dont on essaie de délégitimer le travail. Nous rejetons résolument les insinuations destinées à semer le doute sur leur intégrité scientifique. Nous voyons dans ces reproches un empiètement inacceptable sur la liberté de recherche et de l’enseignement académique. L’évaluation de la qualité académique d’une approche scientifique n’incombe pas aux ministres ou aux parlementaires, c’est une compétence primordiale de la communauté scientifique. Or, tout comme chercheuses et chercheurs font valoir les fruits de leurs recherches sur la scène publique sous forme d’un transfert des connaissances, leur travail régulier consiste également en l’évaluation des travaux de leurs pairs.

      Nous déplorons que cette polémique ait vu certains membres du gouvernement et de la majorité présidentielle apporter leur soutien à des positions et des stratégies rhétoriques jusqu’ici réservées à l’extrême droite. Nous constatons avec inquiétude ces évolutions, qui ouvrent la voie à une profonde remise en question des principes qui sous-tendent jusqu’à présent l’enseignement supérieur et la recherche.

      Le débat dépasse le seul cadre de la sphère académique française : il a une dimension européenne et mondiale. Il touche également aux valeurs communes de la coopération scientifique franco-allemande et internationale. Afin de pouvoir continuer notre travail au-delà des frontières tant disciplinaires que nationales, il est essentiel que nos collègues en France puissent poursuivre leurs recherches sans aucune intervention politique dans le choix de leurs approches théoriques, méthodologiques et empiriques. Notre échange d’idées ne saurait se faire si nos travaux étaient soumis à une conditionnalité politique.

      C’est pourquoi nous exprimons notre solidarité et notre soutien à nos collègues de toutes les disciplines qui refusent de telles tentatives d’intimidation. Nous lançons un appel solennel à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et à toutes les personnalités de l’échiquier politique qui alimentent cette polémique : nous vous demandons instamment de cesser les attaques et de revenir immédiatement à une situation de respect absolu de la liberté académique en France.

      [Nous suivons de très près les développements actuels de ce débat en France. La collecte des signatures est ouverte jusqu’au 25 février inclus. Si nous arrivons à atteindre un nombre significatif de signatures, nous transmettrons cette note aux médias français et allemands le 26 février.]
      * Solidaritätserklärung mit Forschenden in Frankreich *
      Wir, in Deutschland beschäftigte Forschende, verfolgen mit Sorge die andauernde Debatte in Frankreich um angebliche „islamisch-linke“ Strömungen an den französischen Universitäten und die wiederholten Angriffe auf intersektionale und postkoloniale Forschungsrichtungen. Wir sehen darin einen gezielten Versuch, bestimmte Forschungsfelder zum Verstummen zu bringen, welche auf Basis ihrer wissenschaftlichen Erkenntnisse zahlreiche lange bestehende Privilegien und strukturelle Ungleichheiten offenlegen.

      Diese Debatte hat eine verheerende Wirkung auf unsere Kolleg_innen, deren Arbeit man zu delegitimieren versucht. Wir weisen entschieden die Andeutungen zurück, mit denen die wissenschaftliche Integrität unserer Kolleg_innen in Zweifel gezogen werden soll. Die Bewertung der wissenschaftlichen Qualität eines Forschungsansatzes obliegt nicht den Ministerien oder Abgeordneten ; dies ist zuallererst die ureigene Kompetenz der wissenschaftlichen Community. Wenn Forschende die Ergebnisse ihrer Arbeit als Wissenstransfer in die Öffentlichkeit tragen, so ist auch dies ein integraler Bestandteil ihrer üblichen Tätigkeit.

      Wir missbilligen die Art und Weise, wie sich einige Mitglieder der Regierung und der parlamentarischen Regierungsmehrheit in der Debatte an Konzepte und rhetorische Strategien anlehnen, die bisher vor allem der extremen Rechten vorbehalten waren. Diese Entwicklung beunruhigt uns sehr, denn sie bereitet einer Entwicklung den Weg, welche letztendlich die Grundprinzipien unseres Wissenschafts- und Bildungssystem in Frage stellt.

      Die Debatte geht über das akademische Umfeld Frankreichs hinaus, sie hat eine europäische und weltweite Tragweite. Sie berührt auch die gemeinsamen Werte der deutsch-französischen und internationalen wissenschaftlichen Zusammenarbeit. Um unsere Arbeit über nationale wie fachliche Grenzen hinaus fortsetzen zu können, ist es unabdingbar, dass unsere Kolleg_innen in Frankreich ohne jede Einmischung der Politik in die Wahl ihrer theoretischen, methodischen oder empirischen Zugänge forschen können. Unser Ideenaustausch wäre erheblich gestört, wenn ihre Arbeit künftig einem politischen Vorbehalt unterläge.

      Unsere Solidarität und Unterstützung gilt deshalb allen Kolleg_innen in den Geistes-, Sozial- und Naturwissenschaften, welche derartige Einschüchterungsversuche ablehnen. Wir richten uns daher an die französische Wissenschaftsministerin sowie an alle anderen Personen des politischen Lebens, die sich hieran beteiligen : Wir fordern Sie mit Nachdruck dazu auf, diese Angriffe zu unterlassen und fortan die akademische Freiheit in Frankreich wieder vollumfänglich zu gewährleisten und zu respektieren.

      [Eine Zusammenfassung der Hintergründe zu dieser Thematik auf Deutsch finden Sie hier : https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

      Wir verfolgen weiterhin aufmerksam den Fortgang der Debatte in Frankreich. Die Liste zur Mitunterzeichnung ist offen bis zum 25. Februar. Kommt eine signifikante Anzahl von Unterschriften zustande, übermitteln wir die Erklärung am 26. Februar den französischen und deutschen Medien zur Veröffentlichung.]
      * Appel initié par / Initiiert von *
      Dr. Philipp Krämer, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Naomi Truan, Universität Leipzig
      * Signataires / Unterzeichnende *
      Merci d’indiquer votre nom complet, votre institution, et, si vous souhaitez être tenu·e informé·e, votre adresse email institutionnelle. Si vous avez des changements urgents à proposer, merci de nous les communiquer par e-mail jusqu’au 25 février au plus tard (voir adresses ci-dessus).

      Bitte vollständigen Namen und Institution angeben, sowie Ihre Mailadresse, falls Sie über den Stand der Dinge informiert werden möchten. Bei dringenden Formulierungsvorschlägen bitten wir bis spätestens 25. Februar um eine persönliche Nachricht per E-Mail (s. oben).

      Dipl. Frank.-Wiss. Magdalena von Sicard, Universität zu Köln
      Dr. Vladimir Bogoeski, University of Amsterdam / Centre Marc Bloch
      Dennis Dressel, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Aleksandra Salamurovic, Friedrich-Schiller-Universität Jena
      Ignacio Satti, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Florian Busch, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg
      Dr. Benjamin Krämer, Ludwig-Maximilians-Universität München
      Edgar Baumgärtner, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Oliver Niels Völkel, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Dorothea Horst, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Katharina Jobst, M.A., Paris Sorbonne Université
      Dr. Marie-Therese Mäder, Universität Bremen
      Lisa Brunke, M.A., Martin-Luther Universität Halle-Wittenberg
      Prof. Dr. Theresa Heyd, Universität Greifswald
      Elena Tüting, M.A., Universität Bremen
      Christoph T. Burmeister, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin
      Dr. Marie Leroy, Goethe Universität Frankfurt
      Dr. Silva Ladewig, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Hagen Steinhauer, M.A., Universität Bremen
      Prof. Dr. Jürgen Erfurt, Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Prof. Dr. Britta Schneider, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Andreas Frings, Johannes Gutenberg-Universität Mainz
      Anka Steffen, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Prof. Dr. Sylvie Roelly, Universität Potsdam
      Kira van Bentum, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Baptiste Gault, Max-Planck Institut für Eisenforschung, Düsseldorf
      PD Dr. Benoit Merle, Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg
      Lucie Lamy, M.A., Centre Marc Bloch / Université de Paris
      Annette Hilscher, M.A., Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Dr. Giulio Mattioli, Technische Universität Dortmund
      Yasmin Afshar Fernandes Abdollahyan, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin / Centre Marc Bloch
      Martin Konvička, M.A., Freie Universität Berlin
      Laura Bonn, M.A., Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg
      Dr. habil. Béatrice von Hirschhausen, ULR Géographie-cités / Centre Marc Bloch
      Dr. Eva Schöck-Quinteros, Universität Bremen
      Mariia Mykhalonok, M.A., Europa-Universität Viadrina Frankfurt (Oder)
      Christopher Smith Ochoa, M.A., Universität Duisburg-Essen
      Dr. Zoé Kergomard, Deutsches Historisches Institut Paris
      Dr. habil. Nikola Tietze, WiKu Hamburg / Centre Marc Bloch
      PD Dr. Silke Horstkotte, Universität Leipzig
      Dr. Thomas Stockinger, G. W. Leibniz Bibliothek Hannover / Leibniz-Archiv
      Dr. Felix Hoffmann, TU Chemnitz
      Maximilian Frankowsky, M.A., Universität Leipzig
      Enora Palaric, M.A., Hertie School
      Amelie Harbisch, M.A, Freie Universität Berlin
      Dr. Johara Berriane, Centre Marc Bloch Berlin
      Prof. Dr. Andrea Geier, Universität Trier
      Dr. Andreas Bischof, TU Chemnitz
      Prof. Dr. Sabine Broeck, Universität Bremen
      Cristina Samper, M.A., Hertie School
      Patrick Bormann, M.A., Universität Bonn

      https://academia.hypotheses.org/31322
      #solidarité #solidarité_internationale

    • Frédérique Vidal. Frankreichs Ministerin für Hochschule und Forschung stürzt sich in ideologische Grabenkämpfe.

      „Islamo-Gauchisme“, Islamo-Linke - wer diesen Begriff verwendet, kann sich sicher sein, in Frankreich viel Aufmerksamkeit zu bekommen. Und so geht es nun auch der Ministerin für Hochschule und Forschung, Frédérique Vidal. Vergangene Woche sprach sie zunächst in einem Fernsehinterview davon, dass der „Islamo-Gauchisme“ die „Gesellschaft vergifte“ und damit auch die Universitäten. Vor der Nationalversammlung legte die Ministerin dann nach: Sie forderte eine Untersuchung, um zu klären, inwieweit der „Islamo-Gauchisme“ dazu führe, dass bestimmte Recherchen verhindert würden. Zudem solle untersucht werden, wo an den Universitäten „Meinungen und Aktivismus“ statt Wissenschaft gepflegt würden. Sie nannte auch direkt ein Forschungsfeld, dass ihr besonders untersuchungswürdig erschien - postkoloniale Studien.

      Mit ihrem Vorschlag hat Vidal nun große Teile derjenigen gegen sich aufgebracht, die sie als Hochschulministerin vertritt. 600 Forscher und Professoren, darunter auch der Ökonom Thomas Piketty, veröffentlichten am Freitag einen offenen Brief, in dem sie Vidals Rücktritt fordern. Vidal handele so wie „das Ungarn Orbáns, das Brasilien Bolsonaros oder das Polen Dudas“, also wie eine nationalistische Populistin. Sie greife diejenigen Institute an, in denen zu rassistischer Diskriminierung, zu Gender und zu den Folgen des Kolonialismus geforscht werde. Kritik an Vidal kam dabei nicht nur von Linken. Auch die französische Hochschulrektorenkonferenz sagte, sie sei „verblüfft“ über Vidals Idee. Das nationale Forschungsinstitut CNRS stellte klar, dass „Islamo-Gauchisme“ kein wissenschaftlicher Begriff sei und warnte davor, die Freiheit der Wissenschaft einzuschränken.

      Tatsächlich distanziert sich auch der Schöpfer des Begriffes, der Soziologe Pierre-André Taguieff, von seiner eigenen Wortfindung. Er habe 2002 mit „Islamo-Gauchisme“ eine Allianz zwischen einigen Linksextremen und muslimischen Fundamentalisten beschreiben wollen, durch die ein neuer Antisemitismus entstand. Seitdem hat sich das Wort zum Lieblingskampfbegriff der Rechten entwickelt, die Linken vorwirft, sich nur für die Diskriminierung von Muslimen zu interessieren, nicht jedoch für islamistischen Terror.

      Sonderlich präzise ist der Begriff des „Islamo-Gauchisme“ dabei nicht. Allein schon, weil er keine klare Grenze zwischen Muslimen und Islamisten zieht. In die Rhetorik der Regierung hat er dennoch Einzug gehalten. Vor Vidal verwendeten ihn bereits der Bildungs- und auch der Innenminister. Gerade Innenminister Gérald Darmanin gibt in Emmanuel Macrons Regierung die rechtskonservative Gallionsfigur. Die Angst vorm links-islamistischen Schulterschluss treibt vor allen Dingen konservative und rechte Wähler um. Laut einer aktuellen Ifop-Umfrage halten mehr als 70 Prozent der Le-Pen-Sympathisanten den „Islamo-Gauchisme“ für eine in Frankreich weit verbreitete Denkrichtung.

      Vidal reagiert auf die Kritik an ihren Äußerungen gelassen. In Interviews am Sonntag und Montag betonte sie jeweils zum einen, dass die „aktuelle Polemik“ den Blick auf die wirklichen Probleme, also auf die Not der Studenten in Corona-Zeiten, versperre. Zum anderen hielt sie daran fest, dass eine „Bestandsaufnahme“ zu linkem Aktivismus an den Universitäten nötig sei. Die 56-Jährige sieht sich dabei als Wissenschaftlerin, die „Rationalität zurückbringt“. Bevor Macron sie 2017 zur Wissenschaftsministerin machte, war die Biochemikerin Vidal Präsidentin der Universität von Nizza.

      Auch jenseits ideologischer Kämpfe stecken Frankreichs Universitäten in der Sinnkrise. Das Geburtsland des Impfpioniers Louis Pasteur hat bislang keinen Corona-Impfstoff entwickeln können. Wissenschaftler machen dafür auch die schlechte finanzielle Ausstattung der Labore verantwortlich. Diese Arbeitsbedingungen kennt Vidal gut. Vor ihrer Doktorarbeit forschte sie am Institut Pasteur.

      https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

    • La ministre, la science et l’idéologie

      En demandant au CNRS une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’université, ce sont les sciences sociales que vise Frédérique Vidal, sous prétexte qu’elles seraient gangrénées par des idéologies. Mais faut-il rappeler qu’il y a des sciences sociales parce qu’il y a des idéologies ? Et que, si les sciences sociales ne se réduisent pas à un écho des idéologies, elles n’auraient à vrai dire aucun sens si elle ne se rapportaient pas à elles. En effet, il y a des sciences sociales parce qu’il y a des problèmes sociaux, et que ceux-ci sont traversés par des positionnements idéologiques.

      https://aoc.media/analyse/2021/02/23/la-ministre-la-science-et-lideologie

      #paywall

    • « Islamo-gauchisme, le jeu dangereux de la macronie ». #André_Gunthert, sur Le Média, 23 février 2021

      Ça y est. La Macronie s’en va-t-en-guerre. Elle a décidé de lancer la bataille contre un concept à la fois fumeux et ambigu, l’islamogauchisme. Une bataille qui se mène sur un front particulier : nos universités publiques, qui seraient (et je caricature à peine) des foyers de sédition voués aux idées de Mao Tsé Toung et de l’ayatollah Khomeini. Mais au fait, c’est quoi ce mot, “islamogauchisme” ? D’où provient-il ? Pourquoi Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, prend le risque d’une confrontation avec le monde universitaire en le dégainant, et en annonçant une sorte d’audit idéologique des amphithéâtres ?

      Pour répondre à ces questions, j’ai invité André Gunthert, historien des cultures visuelles, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. André Gunthert a publié il y a peu sur son site imagesociale.fr, un article très instructif dont le titre est “Islamogauchisme : un épouvantail en retard d’une crise”.

      https://www.youtube.com/watch?v=kqakmGVZEFM&feature=emb_logo

      https://academia.hypotheses.org/31324

    • Macron et la bête immonde

      Le #macronisme porte en lui la #guerre. Après la guerre aux Gilets jaunes réprimés dans une violence inouïe, après celle conduite contre nos libertés fondamentales avec la loi « sécurité globale », après la loi « séparatisme » qui légalise la guerre contre les musulmans et les minorités, Macron entend conduire à son terme la guerre contre l’Université et la chimère de l’islamo-gauchisme.

      "Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ?"

      "Pourquoi la guerre ?" Lettre d’Albert Einstein à Sigmund Freud, le 30 juillet 1932

      L’entretien donné par Frédérique Vidal ce 20 février au Journal du Dimanche aura eu au moins deux vertus. En persistant dans sa #stigmatisation des universitaires et en maintenant sa demande d’enquête sur « l’islamo-gauchisme », la ministre aura élevé au carré l’indignation des chercheurs et renforcé leur unité : en trois jours à peine, la tribune du Monde demandant sa démission a recueilli 18 000 signatures (https://www.wesign.it/fr/science/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder) de personnels de l’université et de la recherche. Voir ici (https://universiteouverte.org/2021/02/22/la-ministre-vidal-doit-demissionner-plus-de-13-000-universitaires) le communiqué d’Université Ouverte et là (https://www.snesup.fr/article/frederique-vidal-doit-etre-remplacee-lenseignement-superieur-et-la-recherche-) la demande de démission d’un syndicat, parmi bien d’autres. Il est exceptionnel qu’une pétition dans le secteur de l’enseignement supérieur atteigne autant de signatures – 18 000 signatures correspond à 20 % des enseignants du supérieur. À titre de comparaison le « #Manifeste_des_100 » réactionnaires et laïcistes de la gauche égarée qui soutenaient Blanquer à l’automne dernier, apparait, avec ses 258 signataires, tout aussi inconsistant et marginal que le phénomène incriminé par Vidal, à savoir « l’islamo-gauchisme » à l’université. Dans son entretien au JDD, Vidal, après l’avoir fait descendre très bas, souhaite qu’on « relève le débat ». Elle voulait probablement dire « élever le débat ». Ce sont les universitaires qui souhaitent aujourd’hui que l’on « relève » la ministre de ses fonctions.

      La seconde vertu de l’entretien au JDD est d’asseoir une lecture politique de la séquence qui laisse peu de place à l’hypothèse de la #maladresse d’une ministre fatiguée et très impopulaire, qui ne saurait plus quoi faire pour masquer son #incurie et son #incompétence dans la gestion de la crise sanitaire à l’université. Il apparaît en effet que nous avons affaire à la construction délibérée d’une #séquence_politique dans laquelle Vidal est une pièce maîtresse dans un dispositif étroitement associé à la construction de la loi sur « les séparatismes » et à la loi « sécurité globale » (voir ici la très bonne analyse de Christelle Rabier : https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante). Il convient de raisonner en terme de #cohérence systémique et idéologique, et non selon le registre de la #pulsion ou de l’#improvisation. La séquence commence le 22 octobre avec la sortie de #Blanquer contre les universitaires islamo-gauchistes accusés de « #complicité_intellectuelle avec le #terrorisme » (ici chaque mot compte), accusation à laquelle Vidal répondra très mollement dans L’Opinion le 26 octobre (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). La séquence se poursuit le 1er novembre avec le #Manifeste_des_100, co-produit par le cercle de « #Vigilance_Universités » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) dont la majorité des publications est également accueillie dans le journal libéral et pro-business de L’Opinion. Et nous assistons aujourd’hui au troisième acte avec l’attaque de Vidal contre l’institution qu’elle est censée représenter. Le quatrième acte sera probablement l’appui des réactionnaires/laïcistes à la demande d’enquête de Vidal. Et le cinquième la réalisation de l’enquête en question, même si on ne connaît pas encore l’instance qui trouvera les quelques volontaires pour la conduire.

      Les avantages de la séquence ont été soulignés à mainte reprises : le coup de politique politicienne vise à racoler toujours plus loin sur les terres du RN, à attaquer la gauche et à la diviser davantage – il n’est pas anodin que Vidal s’en soit prise nommément à Mélenchon – et à faire oublier l’état calamiteux dans lequel Vidal a mis l’université et la recherche, les personnels et les étudiant.es. Les conséquences, calamiteuses au plan éthique et politique, sont principalement les suivantes : la création d’une #polémique qui cherche à faire oublier que des étudiant.es se suicident ou meurent de faim ; la #validation, la #banalisation et le renforcement des thèses du RN ; la #légitimation du concept d’islamo-gauchisme auprès de l’opinion publique alors qu’il est une construction de l’extrême droite ; la porte ouverte à l’alt-right, dont l’un des schèmes de la pensée est que l’université serait un ramassis de gauchistes, ainsi que le rappelle justement David Chavalarias dans son étude (https://politoscope.org/2021/02/islamogauchisme-le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie). Tout ceci est entendu, mais nous ne pouvons en rester à cette seule analyse. Car les armes utilisées par les néolibéraux pour faire la guerre aux biens communs, aux services publics, aux libertés fondamentales et à toutes les minorités, ces armes sont celles-là mêmes que les régimes les plus autoritaires utilisent systématiquement. On peut au moins commencer à le montrer.

      *

      Reprenons ! Le passage de la ministre sur CNews, le choix de cette chaine ainsi que l’adéquation des propos de Vidal à sa ligne éditoriale et idéologique qui est celle de l’extrême droite raciste et nationaliste, renforcent la lecture d’une #stratégie_politique élaborée en amont, nécessairement en lien avec le sommet de l’Etat, avec l’accord de #Macron et #Castex. Dès lors, la critique de Macron rapportée par Gabriel Attal doit être comprise comme une nouvelle tartuferie d’un pouvoir qui nous a habitués à toutes les comédies du « #en_même_temps », avec son lot de #mensonges, son #hypocrisie permanente et son #cynisme consommé. On trouvera une preuve évidente de la tartuferie de Macron dans le fait que dès le 2 octobre 2020, soit 20 jours avant la sortie de Blanquer, le président, lors de son discours des Mureaux sur le « #séparatisme_islamiste », a porté la charge contre les #intellectuels qui « sont hors de la République », contre certaines « #traditions_universitaires » et des « théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». Des théories que Vidal, dans un #confusionnisme digne des complotistes les plus dérangés, n’hésitera pas à mettre en rapport avec la prise du Capitole et le drapeau des Confédérés… En d’autres temps, la séquence aurait pu provoquer le rire, tant la farce politique semble énorme, tant la bêtise est confondante. Mais, de la bêtise à la bête, il n’y a souvent qu’un pas. Car, si une analogie pouvait avoir du sens, il me semble que nous assistons à la pièce que #Brecht écrivit en 1941, La résistible Ascension d’Arturo Ui, dont l’épilogue est bien connu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la #bête_immonde ». Je laisse chacune et chacun imaginer ce à quoi pourrait bien correspondre, aujourd’hui, le trust des choux-fleurs. Et retrouver qui fit l’éloge de Pétain en 2018. Sans mémoire et sans éthique, un homme politique porte en lui un #monstre.

      « La bête immonde » est donc à l’œuvre. Elle use de trois moyens, parmi bien d’autres : elle fait exister une chose qui n’a aucune réalité, elle crée des #boucs_émissaires et elle programme de les éradiquer de la société. Les deux premières étapes ont été méthodiquement appliquées. Si nous n’y prenons garde, la troisième pourrait être mise en œuvre rapidement. Elle a peut-être déjà commencé.

      Il en va du « séparatisme » comme de « l’islamo-gauchisme » : l’incrimination de « séparatisme » crée le « séparatisme », l’incrimination d’« islamo-gauchisme » crée « l’islamo-gauchisme » . En effet, il arrive que dans certains états autoritaires les lois fassent exister des choses qui n’existent pas, simplement en les nommant. En #Turquie on accuse des chercheur.e.s de terrorisme pour la conduite d’une enquête sociologique. C’est ce qui est arrivé à Pinar Selek. En France les propos et la communication de Blanquer, Vidal, Darmanin et Macron font exister l’islamo-gauchisme par le simple fait d’utiliser, de propager et de banaliser le concept : le donner en pâture aux médias qui s’en repaissent et à une opinion publique fragilisée en temps de pandémie, suffit à faire exister une chose qui n’a pourtant aucune réalité effective. C’est une #politique_du_performatif : je fais exister la chose en la nommant. La vérité et la force du concept seront proportionnels à sa #viduité, c’est-à-dire à son aptitude à être rempli par de l’impensé, du fantasmatique et de l’idéologie. Vidal elle-même concède dans le JDD que le concept n’a aucun fondement scientifique et correspond à « un #ressenti de nos concitoyens ». Une enquête sur un ressenti : Vidal ou l’art du #vide. Mais une stratégie qui marche à plein.

      Car l’invention du concept est pleine de sens. L’idéologie qui la sous-tend est toute entière dans la relation entre les deux concepts : elle est dans le tiret entre #islamisme et #gauchisme, l’association de la #gauche à l’#islam_politique et, par glissement, de la gauche au #terrorisme_islamiste. Et encore, pour finir, elle produit cette double équation : gauche = islamisme = terrorisme. Le #monstre_idéologique créé par Macron, Vidal and Co est le suivant : les universitaires sont des gauchistes, des islamistes et des terroristes. L’opinion a désormais ses boucs émissaires, désignés, dénoncés et bientôt nommés : les musulmans, les gauchistes et les universitaires. L’association des universitaires aux seconds et premiers construit un #schème_imaginaire de la #radicalisation et du danger. Ce n’est plus seulement de l’#anti-intellectualisme primaire, ce qui devrait en soi faire honte à une ministre le l’enseignement supérieur, mais une véritable #incitation_à_la_haine.

      Il sera donc non seulement légitime, mais urgent – troisième étape - de couper le membre gangréné que les « islamo-gauchistes » constituent au sein de l’université et qui risque de pourrir, tout comme l’islam menace de gangréner la totalité du corps social. Ce schème est au-delà de la droite extrême : il est proprement fasciste. Macron, qui souhaite "décapiter" Al-Qaïda au Sahel, met dans son langage la pratique des terroristes. On a souligné que l’incrimination d’islamo-gauchiste fonctionnait sur le modèle sémantique et historique de l’incrimination de #judéo-bolchévique. L’« islamo-gauchiste » ne devient-il pas le juif de l’université, le juif des années 30 ?

      Une dernière question : quel sens y a-t-il à ce que les musulmans et les universitaires « gauchistes » soient si étroitement associés ? Question sans réponse. Mais question essentielle. Il nous faudra y répondre avant que ce pouvoir sans nom ne passe vraiment à la troisième étape. Nous n’en sommes pas loin, si l’on veut bien considérer tout l’arsenal législatif que Macron et sa majorité mettent au service de la bête immonde, de "la bête qui monte, qui monte", et de la bête qui est déjà là, en eux.

      Un épilogue, en manière d’hommage à celles et ceux qui se sont battus et se battent encore, et se battront demain, sans fin. Les Gilets jaunes ont parfaitement saisi la nature du pouvoir politique auquel ils se confrontaient : la dimension militaire de la répression policière leur a permis de comprendre dans leur chair ce qu’il en était de la #violence pure de ce pouvoir. Ils l’ont exprimé dans une chanson qui a la force des chants populaires et révolutionnaires : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi ». Les universitaires sont en train de comprendre la vraie nature du pouvoir qui les opprime, qui tente de les diviser, et qui les affaiblit un peu plus chaque jour en détruisant leur outil de travail, leurs libertés et leur dignité. Macron devrait y prendre garde : quand on touche à la #dignité et à la #liberté d’une communauté, elle résiste. La #résistance est en route.

      #Pascal_Maillard

      L’expression « Nous sommes la bête qui monte, qui monte… » est de Jean-Marie Le Pen, le 3 mars 1984, à quelques mois des élections européennes.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/230221/macron-et-la-bete-immonde
      #fascisme

    • TEMOS et les libertés académiques
      Texte approuvé par l’assemblée générale des membres de l’UMR réunie le 23 février 2021

      TEMOS UMR CNRS 9016 – 23 février 2021
      Réponse à Mme Vidal, pour la défense des libertés académiques à l’Université

      Les propos de Mme Vidal, ministre de l’ESR, tenus le 14 février 2021 et réitérés le 21 février, mettent en cause « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène » l’université. La ministre entend diligenter une enquête sur cette question, qui serait conduite par le CNRS, chargé de produire un « bilan » des recherches menées dans les universités afin d’établir « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Pour rappel, ces déclarations font suite à des propos similaires de M. Blanquer, ministre de l’EN, le 25 octobre 2020, qui, à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty, dénonçait les « complicités intellectuelles » de certain·es chercheur·es universitaires qu’il désignait comme des « islamo-gauchistes ».
      Des déclarations qui vont à l’encontre de la méthode scientifique

      Il convient tout d’abord d’affirmer que, comme le souligne le CNRS dans un communiqué daté du 17 février 2021, le terme d’islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique », mais relève d’une instrumentalisation politique. Il ne renvoie à aucun groupe précisément identifié qui le revendique, à aucune forme d’action collective en son nom, à aucun corps de doctrine clairement formulé comme tel qui pourraient être observés et analysés par les scientifiques. Aucune enquête sociologique, aucune observation empiriquement fondée ne permet de prétendre qu’il existe à l’Université un tel courant de pensée, à supposer que ce courant puisse être défini précisément. Le terme, mot-valise aux contours volontairement flous, n’a pour fonction que de fédérer ceux qui l’utilisent, en particulier dans les rangs de l’extrême droite. Y sont amalgamées pêle-mêle, les études postcoloniales, intersectionnelles, sur le genre et jusqu’à l’écriture inclusive… Ainsi, les prémices de la pensée de Mme Vidal relèvent tout simplement d’une contre-vérité, notamment mobilisée par des mouvements se donnant pour mission de répertorier et combattre les champs d’études précités.
      Des actes qui remettent en cause les libertés académiques

      Derrière les mots, Mme Vidal entend poser un certain nombre d’actes, dont la conduite d’une enquête sur ce supposé phénomène, présenté comme une menace pour la liberté des chercheur·es. Cette enquête aurait pour objectif d’ausculter les recherches universitaires, principalement en sciences sociales, selon leur accointance présumée avec les mouvements islamistes. Au-delà du caractère ubuesque d’une telle recherche voulue « rationnelle et scientifique » par la ministre bien que portant sur un objet dont elle reconnaît elle-même qu’il « n’a pas de définition scientifique », il apparaît, en première analyse, que ces investigations commanditées par le gouvernement remettent en cause le principe d’indépendance de la science et les libertés académiques, institutionnalisées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC). À cet égard, la CPU a condamné dans un communiqué du 16 février 2021 une « instrumentalisation du CNRS », dont la vocation n’est pas d’enquêter sur l’université, et encore moins « d’éclaircir ce qui relève ‘du militantisme ou de l’opinion’ ». En prétendant, habilement, garantir les libertés académiques, Mme Vidal les bafoue, au mépris de la loi constitutionnelle, et laisse présager des représailles contre une partie de la communauté scientifique (à quoi bon enquêter sur ce fléau, sinon ?).
      Une récupération politique contre un projet émancipateur

      En dehors de l’effet d’aubaine politique attribuable à l’actuel gouvernement qui voit venir de nouvelles échéances électorales, ces attaques s’inscrivent dans une généalogie des ingérences politiques à l’égard de l’Université en général et des sciences sociales en particulier. Ces propos relèvent d’une forme de panique morale, argutie contrefactuelle livrant à la vindicte de l’opinion publique des universitaires diabolisé·es, dans un contexte d’angoisse au sujet de la cohésion nationale. Elle est le fait d’entrepreneurs de morale dont le dessein politique discerne un danger dans le projet émancipateur des sciences sociales. En effet, ces dernières, à travers l’épistémologie « intersectionnelle » notamment, cherchent à agencer les concepts de classe, de genre et de race dans l’étude des fondements des inégalités. Leur ambition politique, en tant que savoirs situés, est de contribuer à la réduction des inégalités et des injustices qui traversent nos sociétés. Là où leurs pourfendeurs les accusent de faire le lit des « séparatismes », les sciences sociales entendent justement réfléchir à la construction des hiérarchies sociales qui justifient les discriminations, conduisant précisément à la mise à l’écart de certain·es citoyen·nes hors de la communauté politique.
      C’est en pratiquant une histoire sociale qui cherche à définir les inégalités que des membres de l’UMR TEMOS se sont trouvé·es confronté·es à des attaques, stigmatisé·es pour leurs recherches et ce qu’ils/elles sont. En novembre 2020, un colloque en ligne sur les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes a été piraté et interrompu par des cyberharceleurs néo-nazis. En février 2021, une enseignante-chercheuse, #Nahema_Hanafi, a été accusée par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » de faire « l’éloge de la cybercriminalité » pour avoir analysé les motivations énoncées par les cyber-escrocs ivoiriens, puis nommément exposée sur des sites d’extrême-droite. Les entraves, intimidations et instrumentalisations de ce type se sont multipliées ces dernières années. Les auteur·es de ces attaques sont justement ceux/celles qui se plaignent d’être soi-disant empêché·es dans leurs recherches par une prétendue mainmise des « islamo-gauchistes » sur l’Université. Mme Vidal, dont la fonction est précisément de protéger la communauté universitaire de ces ingérences extrémistes, prend le parti des agresseurs.

      En cela, il nous apparaît non seulement nécessaire de défendre le principe épistémologique d’indépendance de la science à l’égard des pouvoirs politiques, économiques ou religieux, condition d’une pratique scientifique objective, mais aussi de justifier le rôle politique de la science de participer à l’avènement d’un monde à la fois plus lucide et, de ce fait, plus juste.

      https://temos.cnrs.fr/actualite/temos-et-les-libertes-academiques

    • Islamo-gauchisme : une étude du CNRS pointe un « piège » pour le gouvernement

      Après les déclarations de Frédérique Vidal, une enquête du CNRS montre comment l’exécutif a offert une “exposition inespérée” à un néologisme promu par l’extrême droite.

      Aussi préoccupée par cette question que demandeuse d’une enquête en la matière, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal devrait lire avec attention cette étude produite par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur l’emploi de l’expression “islamo-gauchisme”. Elle y constaterait, éléments objectifs à l’appui, qu’en réclamant un “bilan” sur “l’islamo-gauchisme” à l’université, elle a surtout contribué à populariser un néologisme, surtout utilisé sur Internet comme un “instrument de lutte idéologique” par l’extrême droite.

      Côté méthode, cette étude menée par le Politoscope du CNRS et rendue publique ce dimanche 21 février, a utilisé un outil permettant d’analyser “plus de 290 millions de messages à connotation politique émis depuis 2016 entre plus de 11 millions de comptes Twitter”. Un système permettant de cartographier avec précision les tweets mentionnant cette expression et d’étudier les communautés militantes qui l’utilisent, et de quelle façon.
      Surreprésentation de l’extrême droite

      “Le premier constat que l’on peut faire est que les comptes qui se sont le plus impliqués dans la promotion d’‘islamo-gauchisme’ depuis 2016 sont tous idéologiquement d’extrême droite. Le second constat est qu’il y a une forte majorité de comptes suspendus”, note David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’étude. Autre point soulevé par l’article, le caractère marginal de cette expression qui, entre le 1er août 2017 et le 30 décembre 2020, n’a concerné que 0,26% du total des comptes Twitter analysés.

      Au-delà des débats sur l’origine du terme et sur sa réalité scientifique, l’étude démontre que l’expression “islamo-gauchiste” est essentiellement utilisée pour dénigrer et/ou disqualifier un adversaire. Le néologisme est ainsi “employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à ‘islamo-gauchisme’ sont celles de traître, d’ennemi de la République, d’immoralité, de honte, de corruption ainsi que de menace, d’insécurité, de danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’islamisme radical”, énumère David Chavalarias.

      Un phénomène que l’on peut mettre en parallèle avec d’autres méthodes de disqualification prisées sur Twitter, comme celles d’affubler son adversaire politique d’un patronyme oriental pour souligner sa compromission avec l’islamisme.

      “Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un danger imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire”, poursuit le chercheur, soulignant que la communauté politique la plus ciblée à travers ce terme est la France insoumise ainsi que celle de Benoît Hamon et de ses sympathisants.
      Une “exposition inespérée”

      L’étude souligne également que la multiplication des mentions du terme “islamo-gauchisme” sur le réseau social est fortement liée à une pratique bien connue de ceux qui suivent le militantisme en ligne : l’astroturfing. Une méthode prisée par l’extrême droite consistant à multiplier les comptes bidon dans le but d’accroître la visibilité d’une thématique ou d’une fake news.

      “Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur ‘l’islamo-gauchisme’ est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants”, souligne l’étude.

      Pour résumer, nous avons affaire à un terme qui est massivement utilisé comme un outil de dénigrement, dont la visibilité a été artificiellement augmentée sur Twitter et qui était jusqu’il y a peu un anathème marginal prisé par l’extrême droite. Or, cela n’a pas empêché le néologisme de se retrouver cité à trois reprises en moins de six mois par un ministre du gouvernement Castex.

      Et c’est en s’appropriant ce vocabulaire que le gouvernement est tombé dans un piège, selon l’étude. Car en l’adoptant et en focalisant l’attention sur le danger “islamo-gauchiste” qui guetterait les universités, le gouvernement a offert à ce terme polarisateur une “exposition inespérée”.

      Pour schématiser l’effet des polémiques sur la masse des messages étudiés, les chercheurs utilisent l’image de “la mer”, décrit comme un “ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques”. Résultat : “les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant ‘islamo-gauchisme’ est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020”.

      Cette explosion de la visibilité de ce néologisme s’apparente à un jeu “extrêmement dangereux” pour le chercheur, dans la mesure où cette “mer” de comptes s’intéressant au débat public est dorénavant “amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême droite”. D’autant que la France n’est pas un cas isolé concernant l’entrisme des concepts extrêmes dans le corps social, à l’image du travail de longue haleine abattue par l’alt-right américaine et dont la réalisation la plus emblématique à ce jour s’est concrétisée par l’invasion du Capitole.

      “Il n’y a pas de ‘en même temps’ dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées”, conclut l’étude. Avant de prévenir un gouvernement qui se perçoit comme un rempart contre l’extrême droite : “pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer”.

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/une-etude-du-cnrs-sur-lexpression-islamo-gauchisme-pointe-le-piege-qu

    • Derrière « l’islamo-gauchisme » : les semaines à venir sont celles de tous les dangers

      Don’t feed the troll. Depuis des mois, des collègues bien intentionné·es et un brin condescendant·es soutiennent qu’il ne faut pas faire de publicité aux attaques en « islamo-gauchisme », en « militantisme » et autres « dérives idéologiques » qui fleurissent de toutes parts. « Ne tombez pas dans le piège de députés en mal de notoriété », « ne venez pas perturber avec vos histoires la sérénité de l’examen par le Conseil constitutionnel de la loi de programmation de la recherche », « ne déposez pas de plainte en diffamation », « ne jouez pas à vous faire peur » : il faudrait que, du côté de la rédaction d’Academia, l’on recense tous les bons conseils qu’ont bien voulu prodiguer des collègues, des chef·fes d’établissement et des parlementaires.

      Jusqu’il y a peu, certain·es semblaient même croire que cette stratégie de l’autruche pouvait être tenable. Ils et elles y croient peut-être encore, d’ailleurs, quand on voit à quel point, depuis quelques jours, la ministre Vidal sert de paratonnerre facile à la CPU et au CNRS, alors même que c’est le président de la République, ses principaux ministres, la quasi-intégralité de la droite parlementaire et une bonne partie des député·es de la majorité qui sont désormais convaincu·es que des militant·es grimé·es en scientifiques dévoient le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en « cassant la République en deux ». Nous sommes malheureusement déjà entré·es dans l’étape d’après, désormais, celle dont nous décrivions le processus il y a trois mois à partir de l’expérience de la dissolution du CCIF : ce qui est en jeu ces jours-ci, en effet, ce n’est plus le fait de savoir si des « dérives idéologiques » traversent l’ESR car cela, les principaux titulaires du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif en sont désormais convaincus. La seule chose sur laquelle on hésite encore au sommet de l’État, c’est sur la manière de mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, les conséquences à tirer de cette nouvelle conviction partagée.

      Formaliser la défense de « l’université républicaine »

      Dans les couloirs du parlement et dans certains cabinets ministériels, en effet, d’âpres discussions sont en cours pour trouver les « bons » moyens de sauver « l’#universalisme_républicain » dans les universités. C’est à cet aune qu’il faut comprendre les dernières sorties de la ministre : ce qui est notable dans l’intervention de Frédérique Vidal sur CNews, ce n’est pas tant le fait qu’elle légitime de manière abjecte les attaques en « islamogauchisme » que le fait qu’elle ressente le besoin de défendre publiquement un traitement des « dérives idéologiques » dans l’ESR qui soit interne, c’est-à-dire qui se fasse par les instances de l’ESR elles-mêmes. Dans son passage sur CNews, autrement dit, Vidal ne s’adresse pas aux Français·es, ni à la communauté universitaire ; elle sait mieux que quiconque quelles sont les discussions en cours et cherche à peser sur les parlementaires et sur le gouvernement, pour imposer ce qui lui semble être le meilleur compromis entre la prétendue nécessité de sauver l’université des communautarismes et des militantismes qui l’assailliraient, d’une part, et l’obligation de respecter les libertés académiques, d’autre part.

      C’est pour cette raison que nous sommes déjà « à l’étape d’après » : les débats en cours, au sein des pouvoirs exécutif et législatif, ne sont plus désormais que des débats d’ingénierie juridique et administrative. Des débats de forme, autrement dit, car sur le fond, il existe, d’ores et déjà, un accord général sur le fait qu’il faut agir. Il faut agir, pensent-ils ou pensent-elles, car il faut apporter une réponse à « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique », pour reprendre la formule employée dans un récent communiqué de l’association Qualité de la science française (QSF) qui est particulièrement représentatif de ce qui est devenu, au sein des cercles du pouvoir en France, la représentation très majoritaire des deux plaies qui submergeraient l’ESR, à savoir la censure et, « plus largement », le militantisme.

      Or, si la ministre a jugé utile de défendre publiquement, ces jours-ci, « sa » solution contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR, c’est parce qu’elle sait que les discussions à ce propos sont en train de s’emballer. Le moment est charnière, en effet : nous sommes au tout début de l’examen, par le Sénat, du projet de loi confortant le respect des principes de la République – actuellement en commission, puis, à partir de la fin mars, en hémicycle – et la droite, qui y est majoritaire, est tentée d’introduire dans ce texte des dispositions sur l’ESR, comme elle a tenté de le faire à l’Assemblée. Non pas les dispositions grossières qu’ont pu proposer les député·es LR il y a quelques semaines1, mais des dispositions qui s’attaqueraient à ce qu’ils et elles conçoivent comme étant le fond du problème, à savoir – on ne se lasse pas de la formule de QSF – « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique ».

      Les scenarii possibles

      Ce qui est presque amusant, c’est que pour répondre à une telle « question urgente », tout ce beau monde tâtonne. Juridiquement parlant, en effet, lutter contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR est particulièrement complexe à mettre en forme, du fait de la protection constitutionnelle des libertés académiques. Academia a appris, par exemple, que le cabinet de Marlène Schiappa (en novembre dernier), puis les rapporteurs du projet de loi confortant le respect des principes de la République (ces dernières semaines), avaient sollicité Vigilance Universités à propos des mesures à prendre concernant l’ESR, mais que les membres de ce collectif – aujourd’hui débordé·es sur leur droite par l’Observatoire du décolonialisme – ont été incapables de se mettre d’accord sur la moindre proposition légistique concrète.

      Alors, comment va se mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, la lutte contre les « dérives idéologiques » à l’université ? Il est peu probable que l’on pénalise certaines recherches et mette en prison les enseignant·es et chercheur·ses qui ne se conformeraient pas à ces interdictions. Il n’y a guère que Xavier-Laurent Salvador pour oser le proposer, il y a quelques jours sur Public Sénat, lorsqu’il comparait les études décoloniales avec le négationnisme pénalement réprimé :

      Les libertés académiques, « ce n’est pas un droit opposable à la loi. Lorsque Faurisson se lançait dans un enseignement négationniste, personne ne s’est posé la question de savoir si, oui ou non, cela relevait de sa liberté académique ».

      Non, les choses se passeront d’une manière un peu plus subtile, si l’on peut dire, et le scénario le plus probable qui se dessine désormais est le suivant, en deux pans : l’organisation d’un déni de la scientificité de certaines recherches et de certains enseignements, pour contrer le « militantisme » ; la mise en place d’un délit pénal spécial, pour contrer les « censures ».

      1) S’agissant du premier pan, la solution qui se prépare consiste non pas à pénaliser des recherches et des enseignements, mais à chercher à les exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques. Un précédent papier d’Academia décrivait déjà cette dynamique, qui passe par une négation de scientificité, au travers du renvoi de certaines recherches et de certains enseignements au statut d’« opinions » ou d’« idéologies ». C’est très exactement ce que soutient la tribune d’un collectif de 130 universitaires parue dans Le Monde du 22 février :

      « Il y a bel et bien un problème dans l’enceinte universitaire, mais ce n’est pas tant celui de l’« islamo-gauchisme » que celui, plus généralement, du dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche », qui produirait une « pseudo-science ».

      Sur ce point, on observe qu’un accord assez large est en train de se forger autour de cette option, qui présente le double avantage de préserver une régulation interne au champ académique – en conformité apparente avec les libertés académiques – tout en donnant un outil pour lutter contre la prétendue « expansion des militantismes dans l’université ». C’est cette stratégie que poursuivait Frédérique Vidal lorsqu’elle a annoncé une « enquête » du CNRS ou de l’Alliance Athena. C’est cette même stratégie que défendent les 130 universitaires de la tribune précitée, lorsqu’ils et elles en appellent au Hcéres pour lutter contre « la contamination du savoir par le militantisme ».

      L’idée de recourir au Hcéres est la plus inquiétante, car elle vient vérifier toutes les craintes que l’on pouvait avoir concernant l’usage politique croissant qui risque d’être fait de cette autorité, dont la majorité des membres, rappelons-le, est nommée par le pouvoir exécutif hors de toute proposition émanant des organismes de l’ESR (12 membres sur 23, auxquel·les il faut ajouter les deux représentants parlementaires). Il aura donc suffi de quelques mois après la nomination du conseiller d’Emmanuel Macron à la tête de cette autorité pour que nous arrivions déjà à une croisée de chemins : dès lors que les libertés académiques offrent aux enseignant·es et aux chercheur·ses une protection constitutionnelle – aussi imparfaite soit-elle – contre les immixtions extérieures, le HCERES se trouve structurellement condamné à être le réceptacle de toutes les pressions politiques sur les recherches et les enseignements menés. C’est la raison pour laquelle, rappelons-le aussi, la nomination de Thierry Coulhon représentait – et représente encore – la mère de toutes les batailles, justifiant le dépôt, début janvier, d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, à propos duquel Academia fera prochainement un point d’étape.

      2) Ceci dit, à côté de cette instrumentalisation administrative des critères de la scientificité, il existe encore et toujours une vraie tentation d’investir le terrain pénal. À partir du moment où les titulaires des pouvoirs exécutif et législatif sont persuadés que l’ESR produit de la « censure », à partir du moment où une député de la majorité peut raconter en hémicycle, sans être démentie par quiconque, que « les partisans des thèses indigénistes, sur l’intersectionnalité » (?) « excluent tout autre débat » et que « c’est leur intolérance et une forme de totalitarisme intellectuel qu’il nous faut combattre » (Anne-Christine Lang, 3 février 2021), alors il est inévitable qu’un équivalent de l’amendement Lafon ou de l’amendement Benassaya soit de nouveau mis sur le tapis un de ces prochains jours.

      Car qui peut être pour les entraves aux débats universitaires ? Qui pourrait s’opposer à la pénalisation des entraves à l’exercice des missions de services public de l’enseignement supérieur ? On a déjà répondu plusieurs fois à ces questions sur Academia, encore récemment, si bien qu’on ne reviendra pas ici, une fois encore, sur les dangers immenses qui accompagnent les tentatives de ce type. Rappelons simplement, à titre général, que les deux tentatives ces quatre derniers mois d’introduire un délit nouveau en ce sens sont caractéristiques d’une véritable surenchère sécuritaire en cours, telle qu’on l’a connue dans d’autres domaines, mais qui, appliquée à l’université, se retournera contre les étudiantes et les étudiants en premier lieu, mais aussi contre l’université en général et contre les libertés académiques. C’est bien simple : le débat universitaire n’a en réalité pas besoin d’être protégé par un durcissement de l’arsenal répressif qui prétend faussement venir à son soutien, car les risques qui y sont associés sont bien supérieurs aux dangers auxquels il prétend répondre.

      De ce point de vue, d’ailleurs, il faut être bien aveugle à tout ce qui se joue aujourd’hui sur les terrains juridique et administratif, pour juger qu’il est opportun de comparer les atteintes aux libertés académiques actuellement en préparation, d’une part, avec la polémique qui a accompagné, sur les réseaux sociaux, la parution de l’essai Race et sciences sociales de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, d’autre part. Soutenir, comme le font d’excellent·es collègues dans une tribune publiée hier, que « beaucoup de chercheurs, a fortiori lorsqu’ils sont précaires, ont désormais peur de s’exprimer dans un débat où l’intensité de l’engagement se mesure à la véhémence de la critique et où l’attaque ad hominem tient lieu d’argument », et qualifier cette polémique de « menaces » pour les libertés académiques au même titre que toutes celles qui sont vraiment en cours, c’est alimenter directement le sentiment irrationnel d’insécurité concernant les débats dans l’ESR aujourd’hui. Et le faire dans le contexte législatif actuel, à quelques jours des débats sur le projet de loi confortant le respect des principes républicains, c’est proprement irresponsable : certain·s, au gouvernement et au parlement, n’attendent que cela pour en tirer des conséquences juridiques.

      https://academia.hypotheses.org/31344

    • Démission de Frédérique Vidal : la pression monte !
      https://universiteouverte.org/2021/02/24/demission-de-frederique-vidal-la-pression-monte

      "Nous en sommes là !!

      Libé met en Une la tribune de « Vigilance Université », collectif réactionnaire ami de « l’observatoire du décolonialisme », qui prétend que nous refuserions le « débat scientifique contradictoire » ! 1/10..."
      https://twitter.com/UnivOuverte/status/1364890298694983681

      " L’air de rien, les universalistes ont mis de l’eau dans leur vin, donnant raison à leurs critiques. Plus d’accusations sordides d’islamogauchisme, retour à la dénonciation d’une « cancel culture » fantasmée, qui permet de poser à la défense des libertés académiques …"

    • Une vague de pyromanie

      Une nouvelle polémique vient de naître chez nos voisins français, lancée dimanche sur CNews, la Foxnews hexagonale. L’islamo-gauchisme gangrène-t-il les universités ? Oui, estime la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui entend confier au CNRS (!) une enquête sur la question. Mardi, à l’Assemblée, elle pointait aussi du doigt les études postcoloniales.

      La réponse a été cinglante : les présidents des universités réunis ont appelé la ministre à laisser l’islamo-gauchisme, cette « pseudo-notion », « aux animateurs de CNews » ou « à l’extrême droite qui l’a popularisée », tandis que le CNRS dénonçait « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’ ».

      Tentative de #diversion d’une ministre peu présente sur les difficultés du corps enseignant en temps de pandémie ou celles des étudiant·e·s faisant entendre leur précarité fin janvier à Paris ? Forme de chasse aux sorcières, plutôt, nourrie à la fois par le contexte d’adoption de la loi sur le séparatisme et une présidentielle approchant à grands pas. On sait combien les chercheurs sur l’islam sont observés à la loupe, en particulier quand ils ne sont pas Gilles Kepel mais Olivier Roy ou François Burgat. Combien l’islamo-gauchisme est devenu soupçonnable – de collusion avec l’ennemi, l’islamisme radical – au point qu’un sociologue dénonce un « #néo-maccarthysme ».

      Citoyen·nes, député·es, associations : jusqu’ici, cette production sémantique aléatoire a servi à disqualifier (la gauche de) la gauche préoccupée de discriminations. Avec l’intervention de la ministre, elle étend son territoire à la recherche, qui régulièrement produit des analyses (sur les rapports sociaux de pouvoir, l’égalité des chances, la mémoire historique) contrant les puissantes manœuvres néolibérales destinées à défaire les fondements humanistes de notre démocratie. Et, à l’ère des fake news triomphantes, qui fournit des moyens de #résistance_intellectuelle. La suspicion exprimée par sa propre ministre de tutelle est de taille à ébranler profondément ceux-ci.

      Lors de leur récent face-à-face, Gérald Darmanin qualifiait Marine Le Pen de « molle » face au « péril islamique ». L’enjeu n’est donc pas seulement culturel, il est aussi politique : le « ni de droite ni de gauche » macronien de 2017 a vécu, et c’est la carte identitaire qui sera brandie pour la présidentielle de 2022. Quitte à prendre cinq millions de musulmans en tenailles d’une rhétorique boute-feu.

      https://lecourrier.ch/2021/02/18/une-vague-de-pyromanie

    • If You Thought the Culture War in the US and UK Was Dumb, Check Out France’s

      French politicians are proudly using a new term – originally coined by the far-right – to paint left-wing academics as sympathetic to Islamist terrorists.

      On the 17th of October, the day after French school teacher Samuel Paty was beheaded outside his school, threats from France’s far-right began to rain down on liberal academics across the country.

      Éric Fassin — a professor of sociology at the University of Paris 8 who had written a blog arguing the reaction to terror attacks “must at all costs avoid falling into their trap” of becoming a “conflict of civilisations” — became a lightning rod for their anger.

      “Traitor” wrote one far-right supporter on Twitter; “collaborator” added another. But one individual known in the neo-Nazi scene struck a more chilling tone with an overt death threat: “I’ve put you on my list of assholes to decapitate when it begins”.

      Fassin is among a group of French academics that supposedly embody the concept of “Islamo-gauchisme” (Islamo-leftism), a term suggesting an alliance between extremist Islamists and left-wing academics that had until recently only been used in neo-Nazi circles. The insult is levelled at those whose so-called “woke” theories point out the discrimination suffered by Muslims in France, where deep-set discrimination touches hiring, housing, policing and beyond — paralleling culture wars currently raging in the US and the UK.

      The term has found its way into the lexicon of prominent members of the French government. “Islamo-gauchisme is an ideology which, from time to time, leads to the worst,” Education Minister Jean-Michel Blanquer told French radio station Europe 1. Then Gérarld Darmanin, France’s right-leaning Minister of the Interior, used the term in the National Assembly, referring to “intellectual accomplices” in terrorist acts.

      On Sunday, events took a dramatic turn. Frédérique Vidal, the University Minister, went on TV channel CNews and denounced how Islamo-gauchisme “plagues society as a whole” and pledged to launch an investigation into academic research considered in breach, particularly postcolonial studies.

      “They are in the minority and some do it to carry radical ideas or militant ideas … always looking at everything through the prism of their desire to divide, to fracture,” she said, likening it to an alliance between Mao Zedong and Ayatollah Khomeini.

      The comments have sparked outrage. On Tuesday, France’s Conference of University Presidents called for the debate “to be elevated” and that the government should not talk “nonsense.” On Wednesday, the French National Centre for Scientific Research, who Vidal said should carry out the investigation, criticised the “political exploitation that is... emblematic of a regrettable instrumentalisation of science.” On Thursday, daily newspaper Libération dedicated its front page to the debacle, quipping that Vidal had “lost her faculties”.

      However, for Fassin, and numerous other academics across France, the efforts to target them are cause for serious concern and could pose a very real danger. “This is very worrying,” he told VICE World News. “This is a political attempt to control knowledge. One imagines that it will not succeed, but the effect sought is intimidation. Above all, it helps to justify repression.”

      Frédéric Sawicki, professor of political science at Paris 1 University Panthéon-Sorbonne, said he felt “targeted” by the move. “If you declare yourself hostile to the ban on the wearing of the veil or to the organisation of a mandatory minute of silence in schools after a terrorist attack,” he said. “You are therefore an accomplice and as a consequence, you become an ‘Islamo-left-winger’!”

      “I am outraged,” he added. “The French Republic, except during the period of the Vichy regime, has always protected academic freedom. The Minister should protect this freedom at the foundation of any democracy.”

      Eyebrows have also been raised at the timing of the move by Vidal, with protests in response to the widespread problem of sexual assault on campus and huge numbers of students forced into financial uncertainty during the pandemic – leading to snaking queues for the subsidised university canteens.

      “The minister’s words are just a political diversion to make us forget her catastrophic management of higher education and research,” said Léon Thébault, a student at SciencesPo University Paris. “If Frédérique Vidal put as much energy into fighting these problems as she does into the media show, we wouldn’t have any more students living in precarity. She is out of touch with universities and students.”

      Michel Deneken, president of the University of Strasbourg, said the underlying motives behind Vidal’s announcement are purely political. “The regional and presidential elections are on the horizon,” he said. “The government is using this as a way to capture the support of the right. [Right-wing daily newspaper] Le Figaro writes every day about Islamo-gauchisme every day now.”

      French Muslim campaign groups express little doubt that it is an attempt to flirt with the far-right. “One has the impression that every week they want to find a new reason to talk about Islam,” said Sefen Guez Guez, a lawyer for the Collective Against Islamophobia in France (CCIF).

      But the French government’s crackdown on campuses also extends to legislation to limit research that is deemed unacceptable. The Senate last month adopted a bill setting the research budget for French universities, and while it is yet to pass through the National Assembly, critics say will curtail student protests and put freedom of research at stake by requiring it to “align with the values of the republic.”

      Rim-Sarah Alouane, a French legal academic and PhD candidate in comparative law at the University Toulouse Capitole, said “the vast majority of people working in academia are shocked and terrified for the future of research in this country”. She added that French academia has been “falling apart” due to budget cuts and lack of recruitment.

      For Alouane, it’s the latest in a long line of tightening of civil freedoms, including the controversial separatism law – aimed at tackling the Islamist terrorism that has grown since 2015 but labelled Islamophobic by rights groups – that was passed by the National Assembly, and the Global Security law, which at the end of last year proposed banning the filming of police, despite several high-profile cases of police violence.

      “You need to integrate this kind of announcement into a broader scope which is the hyper securitisation of our society, that is processed by limiting civil liberties on the ground of national security and public order,” she said.

      It comes as part of a wider reckoning in France, with “woke” leftist theories on race, gender and post-colonialism said to be imported from the US and the UK the target of the government’s ire. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ Blanquer said in October.

      Philippe Marlière, professor of French and European Politics at University College London, says that those Anglophone countries are themselves facing battles over freedom of speech, “wokeness” and so-called “cancel culture” at universities.

      “I think that there’s a bit of a deja-vu with what’s happening in the UK,” he said. “But the French situation is far worse. In the UK, the attacks remain quite implicit, but in France the government is trying to taint the personalities and reputations of academics. These are highly dangerous means that is the usual approach of the far right.”

      Marlière, who has himself been the target of far-right attacks – including in a recent article claiming he “has not ceased to work to promote racialist ideology” – warns there could be serious repercussions for this approach.

      “France is in complete denial when it comes to race,” he said. “Islamo-gauchisme is of course an insult. It’s almost a physical aggression because you put people at risk. What is remarkable is that it’s becoming more mainstream.”

      The Ministry of Higher Education, Research and Innovation did not respond to a request for comment. But government spokesman Gabriel Attal said on Wednesday that French President Emmanuel Macron has “an absolute attachment to the independence of teacher-researchers.”

      https://www.vice.com/en/article/jgq9m4/if-you-thought-the-culture-war-in-the-us-and-uk-was-dumb-check-out-frances

    • Aux sources de l’« islamo-gauchisme »

      Le philosophe #Pierre-André_Taguieff revient sur les origines d’un concept qu’il a contribué à forger. Selon lui, les usages polémiques discutables du terme ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’il désigne un véritable problème : la #collusion entre des groupes d’extrême gauche et des #mouvances_islamistes de diverses orientations.

      En France, à entendre les clameurs qui montent de l’arène politico-médiatique, le nouveau grand clivage serait celui qui oppose les « islamo-gauchistes » aux « islamophobes ». Cependant, rares sont ceux qui s’assument soit en tant qu’« islamo-gauchistes », soit en tant qu’« islamophobes », sauf par provocation. L’« islamophobe » ou l’« islamo-gauchiste », c’est toujours l’autre. Ces termes d’usage polémique sont des hétéro-désignations. Mais il serait naïf de reprocher à des termes politiques d’être polémiques. En les employant, on vise à stigmatiser un individu ou un groupe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

      Face aux « islamophobes » se tiendraient donc les « islamo-gauchistes », censés être islamophiles. Mais l’opposition est faussement claire. Il y a en effet de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme, sous toutes ses formes, constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de nos libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ? C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes. Ils sont en vérité « islamismophobes », et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans. Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion. Quant aux « islamismophiles » d’extrême gauche, ils sont de deux types : il y a d’abord ceux qui, sur les réseaux sociaux, applaudissent les attaques jihadistes, ensuite ceux qui, intellectuels ou acteurs politiques, s’efforcent de justifier le comportement des islamistes en arguant que ces derniers ne font que réagir aux discriminations dont sont victimes les musulmans.

      À lire aussiEn finir avec l’« islamo-gauchisme » ?

      Il est de bonne méthode de revenir au moment de la formation de l’expression « islamo-gauchisme » en langue française. Il se trouve que, sur la question, j’ai joué un rôle, ce qui me permet d’intervenir en tant que témoin direct. C’est à partir de mes enquêtes, au début des années 2000 alors que débutait la seconde Intifada, sur des manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment ceux de la LCR (devenue en 2009 le NPA), que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme », forgée par mes soins. Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis ».
      Valeur descriptive

      L’expression « islamo-gauchisme » avait sous ma plume une valeur strictement descriptive, désignant une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle. Elle intervenait dans ce qu’on appelle des « énoncés protocolaires » en logique. J’ai utilisé l’expression dans diverses conférences prononcées en 2002, ainsi que dans des articles portant sur ce que j’ai appelé la « nouvelle judéophobie », fondée sur un antisionisme radical dont l’objectif est l’élimination de l’Etat juif. Pour ne prendre qu’un exemple, dans mon article synthétique intitulé « L’émergence d’une judéophobie planétaire : islamisme, anti-impérialisme, antisionisme », publié dans la revue Outre-Terre, j’évoque la « mouvance islamo-gauchiste » en cours de formation.

      Il faut par ailleurs être d’une insigne mauvaise foi pour laisser entendre, comme le font certains aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que je voulais par là assimiler insidieusement islam et islamisme, alors que tous mes écrits sur la question témoignent du contraire. Je n’allais pas forger, pour éviter de donner prise aux lectures malveillantes, une expression juste mais un peu lourde du type « islamismo-gauchisme », qui n’aurait d’ailleurs pas empêché des gens de mauvaise foi de s’indigner.
      « Judéo-bolchevisme »

      Que, mise à toutes les sauces, l’expression ait eu par la suite la fortune que l’on sait, je n’en suis pas responsable. Mais ses usages polémiques discutables ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’elle désigne un véritable problème, qu’on peut ainsi formuler : comment expliquer et comprendre le dynamisme, depuis une trentaine d’années, des différentes formes prises par l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche se réclamant du marxisme (ou plutôt d’un marxisme) et des mouvances islamistes de diverses orientations (Frères musulmans, salafistes, jihadistes) ? Pourquoi cette imprégnation islamiste des mobilisations « révolutionnaires » ?

      Ecartons pour finir un argument fallacieux, souvent repris sur les réseaux sociaux, qui consiste à rapprocher, pour la disqualifier, l’expression « islamo-gauchisme » de l’expression « judéo-bolchevisme ». Lorsqu’elle s’est diffusée, au début des années 20, dans certains milieux anticommunistes et antisémites, l’expression « judéo-bolchevisme » signifiait que le bolchevisme était un phénomène juif et que les bolcheviks étaient en fait des Juifs (ou des « enjuivés »). Il n’en va pas du tout de même avec l’expression « islamo-gauchisme », qui ne signifie pas que le gauchisme est un phénomène musulman ni que les gauchistes sont en fait des islamistes. L’expression ne fait qu’enregistrer un ensemble de phénomènes observables, qui autorisent à rapprocher gauchistes et islamistes : des alliances stratégiques, des convergences idéologiques, des ennemis communs, des visées révolutionnaires partagées, etc.

      C’est ainsi qu’on observe, d’une part, que des militants marxistes-léninistes passés au terrorisme, tel Carlos, se sont rapprochés des milieux islamistes, jusqu’à se convertir à l’islam en version Al-Qaïda et à prôner un front islamo-révolutionnaire « contre les Juifs et les croisés ». Et que, d’autre part, des islamistes se sont ralliés au drapeau du tiers-mondisme, puis à celui de l’altermondialisme (tel Tariq Ramadan), avant de donner dans le postcolonialisme et le décolonialisme pour accuser les sociétés démocratiques occidentales de « racisme systémique ». C’est ainsi qu’un pseudo-antiracisme importé des campus étatsuniens, représentant une nouvelle forme de racialisme militant désignant « les blancs » comme les seuls racistes, est devenu à la fois un moyen d’intimidation et un puissant instrument de mobilisation, principalement d’une partie de la jeunesse.

      Les querelles de mots ne doivent pas nous empêcher de voir la dure réalité, surtout lorsqu’elle contredit nos attentes ou heurte nos partis pris.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/10/26/aux-sources-de-l-islamo-gauchisme_1803530

    • Une quatrième raison de la nécessaire démission de Frédérique Vidal

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’Université et la France ».

      Aux trois raisons qui d’emblée rendaient nécessaire la démission de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à la suite de ses déclarations sur CNews et dans le Journal du Dimanche et de sa décision de demander au CNRS d’enquêter sur la présence de l’ « islamo-gauchisme » au sein de l’Université, s’en ajoute maintenant une quatrième.

      Comme il fallait s’y attendre de premières listes de dénonciation circulent. Julien Aubert, député LR du Vaucluse, en avait pris l’initiative dès l’automne en stigmatisant nominativement des universitaires.

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’Université et la France ».

      Il ne s’agit de nuls autres que les signataires de la pétition publiée par Le Monde et demandant la démission de la ministre. Tant qu’à faire il eût été plus honnête de parler des 17 000 « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » puisque la pétition a aujourd’hui recueilli ce nombre de signataires – et ceux-ci continuent d’affluer.

      La lecture de cette liste de « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » est en elle-même assez comique. S’y retrouvent pêle-mêle des universitaires dont la plupart n’ont jamais écrit une ligne sur l’islam, la décolonialité, les genres ou je ne sais quelle autre phobie du bloc identitaire dont se réclame désormais sans fard la macronie, mais protestent tout simplement contre l’atteinte ministérielle à la liberté académique. Il y a en elle un côté inventaire à la Prévert désopilant quand on connaît les personnes mises en cause.

      Une fois de plus il se vérifie que les obsédés de l’ « islamo-gauchisme » et autres fadaises identitaristes parlent de choses qu’ils ne connaissent précisément pas ni ne comprennent.

      C’est par exemple ce qui les a amenés à auditionner à l’Assemblée nationale, le 1er mars, Bernard Lugan, enseignant à l’Université nationale du Rwanda de 1972 à 1983, puis à l’Université Lyon-III de 1984 à 2009, négationniste du caractère prémédité du génocide des Tutsi en 1994, polygraphe apprécié de Saint-Cyr et des nostalgiques de l’apartheid pour son insistance sur l’explication ethniciste du politique en Afrique à défaut de l’être par la corporation des historiens africanistes patentés, pour qu’il livre son expertise sur… l’opération Barkhane, en dépit de son ignorance complète du Sahel.

      Alors que l’Université et le CNRS abritent, à défaut d’ « islamo-gauchistes », nombre d’excellents spécialistes de la région, toutes disciplines, toutes générations et, horresco referens, tous genres confondus, dont le député France insoumise Bastien Lachaud s’est fait un malin plaisir de rappeler quelques noms à la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées.

      Nous en sommes là.

      L’#idéologisation du savoir vient bel et bien du gouvernement, à l’initiative du président de la République lui-même, dans le cadre de la stratégie de sa réélection en 2022, comme le soulignent un nombre croissant d’observateurs de la vie politique française. J’avais moi-même parlé de maccarthysme après les déclarations de Jean-Michel Blanquer, dans ma tribune du Monde du 31 octobre.

      Au train où nous allons il faudra bientôt parler de lyssenkisme.

      Quoi qu’il en soit, Frédérique Vidal, déjà désavouée par la Conférence des présidents d’Université, l’alliance Athéna et la direction du CNRS à la suite de ses déclarations délibérées et destinées à complaire à son maître présidentiel, va devoir désormais exercer sa tutelle ubuesque sur des institutions qui vont accorder (on ne peut imaginer qu’elles se dérobent) leur protection fonctionnelle à une partie de leur personnel livrée à la haine en ligne, au harcèlement moral, voire – qu’à Dieu ne plaise – à des agressions physiques commises par quelque tête brûlée, à la suite des déclarations irresponsables qu’elle a elle-même faites et réitérées.

      Choisira-t-elle d’attendre qu’un quelconque groupe Charles Martel casse la gueule de Christelle Rabier, Sophie Wanich, Eric Fassin, Samuel Hayat et autres « islamo-gauchistes » pour qu’elle tire les conséquences de son cynisme électoral ?

      Ce gouvernement commence à sérieusement puer les années trente…

      https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/030321/une-quatrieme-raison-de-la-necessaire-demission-de-frederique-vidal

    • Islamo-gauchisme : « Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française »

      Près de 200 universitaires du monde anglophone, parmi lesquels #Arjun_Appadurai, #Judith_Butler, #Frederick_Cooper et #Ann_Stoler, et plusieurs organisations universitaires dénoncent la « chasse aux sorcières » menée par la ministre Frédérique Vidal.

      –-

      Nous écrivons pour exprimer notre profonde consternation devant la récente requête de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de diligenter une enquête sur les agissements « islamo-gauchistes » dans les universités françaises.

      Nous regrettons qu’après le passage par le gouvernement français d’une loi sur le « séparatisme » ayant déjà accentué la stigmatisation de musulmans en France, ce soit désormais aux universitaires d’être accusés de polariser les débats publics. L’idée que l’on puisse surveiller des enseignants-chercheurs sous prétexte du « dévoiement militant de la recherche » est dans les faits une menace directe de censure qui nous inquiète à plus d’un titre.

      Tout d’abord, l’Etat n’a ni le droit ni la compétence pour censurer les travaux d’universitaires qui s’appuient sur leur expertise pour contribuer à l’avancée du savoir dans nos sociétés. C’est un précédent dangereux qui ne saurait être toléré dans une société démocratique.
      Fanon, Sartre, Bourdieu…

      L’argument selon lequel des universitaires, soi-disant « islamo-gauchistes », risquent de diviser la société est dans les faits un effort visant à diffamer nos collègues. Cette #attaque est de surcroît justifiée au nom de la protection de la République face à l’alliance supposée entre une partie de la gauche et un groupe religieux.

      Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française, et notamment avec un discours attaquant les « judéo-bolcheviques » qui déjà servait à créer l’#amalgame entre engagements politiques et religieux.

      Par ailleurs, les approches actuellement sous le feu de la critique ont été directement inspirées par quelques-unes des plus brillantes figures de la tradition philosophique, littéraire et sociologique française. En tant que chercheurs travaillant aux États-Unis et ailleurs, nous sommes redevables intellectuellement envers la France pour avoir contribué par ses universités à l’émergence de penseurs tels que #Frantz_Fanon, #Albert_Memmi, #Hélène_Cixous, #Aimé_Césaire, #Paulette_Nardal, #Jean-Paul_Sartre, #Pierre_Bourdieu, #Louis_Althusser, #Jacques_Derrida et #Michel_Foucault.

      La plupart de ces figures n’étaient pas seulement des penseurs, mais aussi des individus impliqués dans des #luttes_politiques prolongées pour rendre nos sociétés meilleures. Ces #intellectuels_engagés sont devenus les piliers des diverses approches qui sont désormais attaquées sous le nom de « #post-colonialisme. »

      Censure

      Qu’un pays qui a tant contribué à faire avancer la #pensée_critique tourne ainsi le dos à son #patrimoine_national n’est pas seulement alarmant, c’est aussi dénué de vision à long terme. Nous ne demandons pas que tout le monde embrasse ces approches et reconnaisse leurs mérites, mais simplement que les universitaires français puissent en débattre et les partager avec leurs étudiants, si tel est leur bon vouloir.

      Enfin, ceux qui gouvernent l’enseignement supérieur feraient mieux de chercher des solutions concrètes au problème de la #discrimination_raciale en France, plutôt que de se lancer dans une chasse aux sorcières contre des chercheurs. Las, plutôt que de soutenir des universitaires afin de faire avancer la lutte commune pour l’égalité, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche les menace de censure.

      Plutôt que de répondre à la souffrance des étudiants dans un contexte de pandémie globale, ou aux problèmes économiques auxquels est confrontée l’éducation publique, Frédérique Vidal et ses collègues désignent des enseignants comme la principale #menace pesant sur les universités françaises.

      De nombreux signataires de la présente tribune ont bénéficié de leurs échanges prolongés avec des universités françaises, que ce soit avec des individus ou au niveau institutionnel. Nous souhaitons que cette collaboration avec nos collègues français se poursuive dans un esprit de débat ouvert et libre. C’est pourquoi nous attirons à nouveau votre attention sur les graves #dangers que ces menaces de censure font peser sur la #liberté_académique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/04/islamo-gauchisme-nous-ne-pouvons-manquer-de-souligner-la-resonance-avec-les-

      –—

      Liste des signataires :
      https://docs.google.com/document/d/1sAvvdgTRQgx-L5XaiX2e8g76Y1hjJkxDeBRudgq3Lrg/edit

    • L’université menacée par « l’islamo-gauchisme » ? Une cabale médiatique bien rodée

      Problème public numéro un à l’université ? Depuis les déclarations de la ministre Frédérique Vidal face à Jean-Pierre Elkabbach autour des « universités en proie à "l’islamo-gauchisme" » (un des thèmes de « l’interview-tribune » de CNews), et ses velléités de commander une enquête sur le prétendu phénomène dans les facultés françaises, le sujet est traité partout dans les grands médias. Enième illustration de la capacité de ces derniers à co-construire un problème public en grossissant et déformant les faits convoqués en plus de balayer les positions du CNRS d’un revers de main, l’épisode nous invite à nous repencher sur une précédente séquence, ayant largement labouré le terrain de la cabale politico-médiatique actuelle : le « Manifeste des 100 » publié dans Le Monde en octobre 2020, et pour ce qui concerne Acrimed, ses dites « preuves à l’appui », composées majoritairement d’articles de presse.

      « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités » (Une du Figaro, 12/02), « alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini » (Jean-Pierre Elkabbach, CNews, 14/02), « peste intersectionnelle qui ronge les facs » (Raphaël Enthoven, Twitter, 16/02), « Nos facs sont-elles gangrénées par l’islamo-gauchisme ? » (« Grandes gueules, RMC, 17/02), « Islamisme à l’université : faut-il confier l’enquête au principal suspect ? » (Le Point, 17/02), « "Islamo-gauchisme" à l’université : comment Frédérique Vidal s’est piégée » (L’Express, 19/02), « Islamo-gauchisme : la ministre persiste » (en Une du JDD, 21/02), « Islamo-gauchisme dans les universités : "Il n’y a pas lieu de faire de polémique", selon Vidal » (en interview chez RTL, 22/02), « Islamo-gauchisme : il faut sauver la soldate Vidal » proclame Franz-Olivier Giesbert qui parle lui de « totalitarisme » (Le Point, 25/02), « Universités : les nouveaux fanatiques » (LCI, 27/02)… Une nouvelle séquence de chasse aux sorcières médiatique, coproduite avec une partie de la classe politique et du gouvernement (ministre de l’Enseignement supérieur en tête), s’est déroulée en ce mois de février 2021 sur les plateaux des chaînes d’info, dans les pages de certains quotidiens nationaux et d’une grande partie de la presse magazine, en passant par les comptes Twitter des éditocrates, gagnant une nouvelle fois l’ensemble du paysage médiatique.

      Si tous les médias ne versent pas dans le même degré d’outrances, et si certains (rares) ont même (enfin) l’idée d’inviter des chercheurs jusqu’alors inaudibles dans l’espace du débat autorisé, le sujet de « l’islamo-gauchisme » – et de sa prétendue omniprésence dans les universités françaises – occupe bel et bien le haut de l’agenda. La mécanique est alimentée par d’innombrables dépêches AFP, occupées à titrer sur la moindre « petite phrase » de responsable politique, par d’intarissables « débats » et par de multiples interviews, conduites par d’infatigables journalistes tribuns… sans compter les tribunes et pseudo « enquêtes », en passant par les instituts de sondage, qui ne résistent pas à entretenir la machine médiatique (savamment sollicités par les médias eux-mêmes) en fabriquant l’opinion qu’ils prétendent sonder [1].

      https://www.acrimed.org/IMG/png/2-32.png?1614622488

      Les émissions de service public n’y coupent pas non plus : « Islamo-gauchisme : entre opportunisme politique et débat scientifique » titre la matinale de France Culture (23/02), « Enquête ouverte sur "l’islamo-gauchisme" à la fac » annonce « C à vous » (France 5, 17/02) dans une discussion avec… Gérald Darmanin ; « Islamo-gauchisme : fantasme ou réelle menace politique ? » demande encore « C ce soir » (France 5, 17/02) ; « Islamo-gauchisme : la polémique » titre à son tour « C l’hebdo » (20/02), « Islamo-gauchisme à l’université : fantasme ou réalité ? » radotent « Les Informés » (France Info, 18/02), « Islamo-gauchisme : Frédérique Vidal s’invite au cœur du débat politique » ose le 20h de France 2 (21/02). Revenant sur les propos de la ministre, France Inter en fait même son « mot de la semaine » (21/02), dont le « décryptage » est confié au fin analyste et expert Renaud Dély, éditorialiste sur France Info et Arte [2]. Et le 26 février, à peine deux minutes avant la fin de l’interview matinale, Nicolas Demorand (France Inter) demande à Gabriel Attal, porte-parole de LREM, s’il « estime que "l’islamo-gauchisme" gangrène l’université […], oui, non ? »

      Pendant ce temps, les problèmes structurels qui frappent de plein fouet l’université (manque de moyens et des postes pérennes, précarité voire détresse économique et morale des étudiants, etc.) sont relégués au second plan dans les grands médias, les angles morts révélés par ce genre d’obsessions éditoriales se multipliant. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) par exemple, menée par le gouvernement actuel et encore combattue par « 114 universités et écoles, 330 labos, 30 collectifs de précaires, 157 revues, 16 sociétés savantes, 47 séminaires, 39 sections CNU et 11 sections CoNRS, 54 évaluateur·trices de l’HCERES… » [3], reste ainsi plus que jamais « d’actualité » dans les faits, quoique négligée et traitée de manière superficielle par une grande partie des médias dominants. Car rien n’y fait : déformant ou hypertrophiant certains "faits" d’actualité encore plus que d’ordinaire, la focale médiatique construit « l’islamo-gauchisme à l’université » et les théories intersectionnelles ou décoloniales comme un problème public de premier plan. Ainsi Le Figaro peut-il se fendre de trois Unes sur le sujet entre le 12 et le 26 février, et Le Point y consacrer pas moins de trois éditoriaux dans son numéro du 25 février, dont celui de BHL qui a tranché du haut de sa superbe : « Un spectre hante les universités et que ce soit celui de l’islamo-gauchisme n’est pas douteux. Que les universités […] ne puissent elles-mêmes s’y dérober et devenir je ne sais quels territoires perdus de la pensée critique me semble également l’évidence. »

      Un terrain médiatique labouré de longue date : le cas du « Manifeste des 100 »

      Il faut dire que ce discours contre l’université française (et les études post-coloniales en particulier) a gagné en amplitude depuis l’assassinat de Samuel Paty. En octobre 2020 s’étaient en effet déjà multipliés les tribunes alarmistes, les éditos survoltés et les Unes tapageuses. Et depuis, les stars de l’info n’ont de cesse d’entretenir le même climat anxiogène à coups de questions désinformées, comme ce 1er février où Léa Salamé interrogeait Gérald Darmanin :

      Si on parle de ce qui se passe dans nos universités françaises, ces idées racialistes, indigénistes, qui viennent des campus américains, cette idéologie... idée différentialiste, aujourd’hui, elle n’a pas gagné selon vous dans les universités françaises ? Vous n’avez pas l’impression qu’elle gagne du terrain chaque jour ?

      Les « polémiques » et « controverses » actuelles ne sauraient donc être abordées sans rappeler combien le terrain médiatique est labouré de longue date par des « entrepreneurs de cause », reçus à colonnes ouvertes et micros branchés.

      Revenons ainsi sur un cas emblématique. Le 31 octobre 2020, une centaine d’universitaires (auxquels se sont ajoutés cent-cinquante-huit nouveaux signataires) publiaient dans Le Monde une tribune en soutien à Jean-Michel Blanquer, lequel dénonçait au micro d’Europe 1 un « islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’université » [4]. Les signataires reprenaient alors à leur compte ces graves accusations. Ils s’alarmaient en outre d’un « militantisme parfois violent » et d’un « déni » des universitaires (en général), et d’une « liberté de parole tend[ant] à [se] restreindre de manière drastique » à l’université. Que pointaient-ils du doigt ? « L’islamisme », et plus diversement « les idéologies indigéniste, racialiste et "décoloniale" (transférées des campus nord-américains) » qui nourriraient une « haine des "blancs" et de la France ». Des « idéologies » dont les signataires s’attachaient à montrer la matérialisation en-dehors de l’université, en pointant notamment « le port du voile […] qui se multiplie ces dernières années ». En conclusion, ils demandaient à la ministre Frédérique Vidal « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes [à l’université], de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République ».

      Des « preuves à l’appui » médiatiques

      L’histoire aurait pu en rester là : une prise de position dans les pages « idées » d’un grand quotidien, comme il y en a des dizaines chaque semaine. Mais les signataires du « Manifeste » sont allés plus loin, en créant un site internet sur lequel ils revendiquent — entre autres — de mobiliser des « preuves » à l’appui de leur propos. Ce qui était « opinion » deviendrait ainsi « faits », comme on peut le lire sur la page d’accueil du site : « […] Tous les éléments rassemblés sur ce site depuis la publication du Manifeste en témoignent : articles de presse, livres, témoignages, mais aussi exemples de connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants. […] Parlons moins mais parlons vrai. Parlons des faits. »

      Or il s’avère que le corpus des « preuves » en question est presque exclusivement constitué d’articles et d’émissions publiés et diffusées majoritairement dans les grands médias : 47 articles, cinq livres, trois émissions de radio et un documentaire [5]. Ce qui ne pouvait manquer d’interpeller un observatoire des médias comme Acrimed [6]. « Parlons des faits. » Dont acte. Nous nous sommes donc attelés à analyser et objectiver le corpus fourni : les articles/émissions cités s’appuient-ils sur des données scientifiques, statistiques et sur un ensemble d’éléments à même d’étayer les accusations contre l’université française dans son ensemble ? Quel statut ont ces articles ? Sont-ce des enquêtes, des reportages ou des tribunes et des commentaires ? Quel est le statut de leurs auteurs ? Comment présentent-ils les travaux en sciences sociales incriminés ? Les relayent-ils seulement ? Etc.

      Le nombre important d’articles laissait penser que les universitaires s’étaient donné la peine de bien faire leur travail ; qu’ils avaient puisé dans un corpus hétérogène (où le commentaire se nourrit de l’enquête et des statistiques) et pluraliste (où les journaux d’opinion côtoient les journaux d’information et d’investigation). Et pourtant…

      Vous avez dit « preuves » ?

      Sauf erreur de notre part, il n’y a tout simplement aucune statistique ou étude empirique approfondie sur l’invasion des théories dites « indigénistes » ou « racialistes », encore moins sur les prétendues « connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants », pas plus que sur la restriction « drastique » de « la liberté de parole » à l’université. Ces questions sont pourtant au centre du propos du « Manifeste ». Vous avez dit « preuves » ?

      Une absence d’autant plus problématique que les différents articles du corpus usent (et abusent) de qualificatifs soulignant la progression, en nombre et en intensité, de ce qui est présenté comme une « menace » ou un « danger ». Entre autres : « montée croissante des pensées racialiste, décolonialiste et indigéniste » qui « inquiète de nombreux étudiants et parlementaires » (Le Figaro, 10 janvier 2021) ; « le politiquement correct et l’affirmation du droit des minorités se sont largement répandus dans les facultés » (L’Opinion, 30 octobre 2019) ; « l’emprise croissante d’un dogme qui […] ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain » (Le Monde, 25 septembre 2019) ; « En quelques années, les théories intersectionnelles se sont imposées dans les amphis des sciences sociales » (Marianne, 12 avril 2019) ; « l’influence grandissante de l’islamo-gauchisme sur la faculté » (Causeur, 20 novembre 2017)…

      Une menace grandissante sans statistique ? Et pour cause [7]…

      Mais cette absence de données chiffrées ne suffit évidemment pas à rejeter en bloc les « preuves à l’appui » du Manifeste. Une autre interrogation peut alors porter sur le nombre d’enquêtes et de reportages dans le corpus. Et force est de constater que le journalisme d’investigation n’y a pas bonne presse…

      Les tribunes ou formats apparentés (communiqués, éditos…) arrivent largement en tête : près de la moitié des articles (21 sur 47), auxquels il faut ajouter les interviews (8). Ils sont suivis des chroniques (ou d’articles non basés sur un reportage) signées de journalistes « maison » (13). En résumé, seuls cinq articles se basent sur une enquête. Et encore reste-t-il à souligner la déontologie pour le moins approximative qui les caractérise, notamment en termes de pratique du contradictoire et de pluralité des sources (voir en annexe 1, une courte analyse de l’une des enquêtes). Ces enquêtes se résument bien souvent à l’interview de quelques enseignants, étudiants et militants (dont on ne sait pas comment ils sont sélectionnés, ni à quel point ils sont représentatifs ou illustratifs de l’objet de l’article) et/ou à la retranscription de propos entendus durant un évènement. Le tout est rarement contextualisé et circonstancié. Quel statut accorder en effet à une invective lancée par un étudiant à un enseignant durant un cours ou un séminaire, ou à des tensions et conflits entre militants lors d’une réunion ? Dans quelle mesure peut-on parler d’une tendance régulière ou croissante à l’université, et si c’est bien le cas, dans quelles proportions ?

      Plus généralement, il est pour le moins significatif qu’aucun article scientifique publié dans une revue à comité de lecture (faisant appel à des pairs et à des relecteurs extérieurs pour évaluer l’article) ne vienne « appuyer » une tribune d’universitaires. Pour gage de sérieux scientifique, peut-être ses auteurs se contentent-ils des cinq livres référencés sur leur site, qui font la part belle à l’essai et qui ne s’éloignent guère de leur espace intellectuel de prédilection. L’un d’eux est ainsi écrit par un des premiers signataires du « Manifeste » (Pierre-André Taguieff, à l’origine du « concept » d’« islamo-gauchisme »), qui occupe également une bonne place dans les articles de presse « à l’appui » : une fois comme auteur, deux fois dans des entretiens donnés au Figaro et une fois avec un extrait de l’un de ses essais. Un deuxième ouvrage « preuve » (constitué, en guise d’enquête, de « témoignages et verbatim […] recueillis lors de colloques, de sessions universitaires ou de rassemblements associatifs ») est rédigé par Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni. Tous deux écrivent pour Causeur. La première apparaît à plusieurs reprises dans les articles de presse du corpus. Et le second est, en plus de ses fonctions universitaires (chargé de cours à l’Essec, doctorant en philosophie à l’ENS), banquier d’investissement et conseiller politique LR… Les autres livres sont : un essai de Pascal Bruckner, que l’on ne présente plus (et qui a préfacé l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni…) ; un essai de Fatiha Boudjahlat, habituée des colonnes de Causeur et Valeurs actuelles ; un ouvrage du sociologue Manuel Boucher, dont une tribune publiée dans Marianne figure également dans le corpus, dans laquelle il s’en prend à Clémentine Autain (députée du groupe La France insoumise) qui serait dans « une logique munichoise servant les intérêts des extrémistes nationalistes ». Sic.

      Vase clos : des médias d’opinion (de droite) massivement mobilisés

      L’impression de vase clos se poursuit lorsque l’on regarde d’un peu plus près les médias mobilisés, ainsi que la circulation entre ses signataires et les intervenants des articles de presse. Sur les 50 auteurs des 47 articles, on dénombre 26 auteurs universitaires [8], parmi lesquels… 22 sont logiquement signataires du « Manifeste des 100 ». Ainsi, on ne s’étonne guère que plus de la moitié des articles (28) comporte au moins une référence à un signataire de la tribune, ou que leur auteur se retrouve dans une autre « preuve à l’appui ».

      Ensuite, il est à noter que près de la moitié des articles (20) proviennent de médias d’opinion, marqués à droite voire à l’extrême droite : Figarovox (5), Le Point (7), L’Opinion (3), Causeur (2), Atlantico (2), Le Figaro (1).

      En deuxième position du corpus figurent une diversité de sources intermédiaires (12 au total), que l’on ne peut soupçonner d’être en opposition à ce peloton de tête. On y trouve d’abord cinq articles de médias dédiés à l’information ou à la discussion « intellectuelle » : le « portail des livres et des idées » Nonfiction livre quatre contributions (en réalité une contribution en quatre parties, du même auteur : un sémanticien… François Rastier), la cinquième venant d’une revue électronique de philosophie « dévolue à la présentation et l’analyse des nouveautés éditoriales publiées en langue française » (Actu Philosophia). Quatre autres articles de cette deuxième catégorie viennent ensuite de médias qui se destinent à la réponse à l’actualité, à l’opinion ou à la demande politique : une plateforme se définissant comme un « organisateur de débats pressants » (Persuasion), une « agence intellectuelle » se disant « d’inspiration réformiste » (Telos), un observatoire du « conspirationnisme » (Conspiracy Watch) et un blog (Mezetulle). Les trois derniers sont signés du journal satirique Charlie Hebdo, par deux fois, et d’une association, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

      Enfin, une troisième et dernière catégorie est composée de médias classés « au centre » ou « à gauche » (15 au total) : Le Monde (5), Marianne (5), Libération (3), Télérama (1) et L’Obs (1).

      À propos de ce panorama, on remarquera que les médias les plus représentés contribuent activement depuis au moins une décennie à construire le « problème » de l’islam et de l’immigration dans le débat public, et à fustiger sans discontinuer les « obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », pour reprendre la formule placardée en Une de Marianne (avril 2019) : trois thématiques dont ces médias font régulièrement leurs choux gras, quand elles ne sont pas érigées en obsessions éditoriales [9]… En témoignait (encore) dernièrement la Une du Point [10] (14 janvier 2021), agitant comme des épouvantails les « déboulonneurs », « indigénistes », la « gauche racialiste » mais également « l’écriture inclusive ».

      Si d’autres médias et acteurs politiques (du côté de la gauche républicaine notamment) se sont appropriés ce sujet, une récente étude statistique de l’Ina [11] corrobore d’ailleurs le rôle joué par cette (petite) poignée d’entrepreneurs médiatiques – chroniqueurs ou titres de presse – dans la légitimation et la promulgation du pseudo « concept » d’« islamo-gauchisme » et partant, dans la banalisation de son usage dans le débat public :

      À compter de cet événement [l’attentat contre Charlie Hebdo], le terme [« islamo-gauchisme »] trouve ses entrepreneurs de cause : un petit nombre de journalistes le convoqueront désormais à l’envi, contribuant à en ritualiser l’usage. Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, surtout, mais aussi Éric Zemmour, Alexandre Devecchio, Étienne Gernelle et Michel Onfray à la fin de l’année 2015, forment ce personnel médiatique rassemblé autour d’un petit nombre de titres — Le Figaro, Le Point, Marianne.

      Autant dire qu’au total, ce corpus est l’incarnation d’une information et d’idées qui circulent en vase clos [12] : forte homogénéité des médias mobilisés qui répond à l’homogénéité toute aussi importante des auteurs des articles. En résumé, les opinions de ces universitaires (notamment les plus médiatiques d’entre eux) ne pouvaient que rencontrer celles des médias qui en assurent déjà la visibilité et la promotion…

      Un corpus qui révèle davantage les biais ordinaires du journalisme dominant que des « preuves » factuelles

      Sans même mentionner la part non négligeable de productions du corpus dans lesquelles on peine à trouver le moindre lien avec la problématique initiale (l’université) [13], il faut enfin souligner combien les différents articles de presse et émissions mis en avant sont avant tout des « preuves à l’appui » des travers ordinaires du journalisme dominant. Un journalisme notamment marqué par l’affranchissement quasi systématique du contradictoire, entre autres règles professionnelles de base : ainsi les termes du débat ne sont-ils quasiment jamais interrogés, les travaux universitaires incriminés rarement cités, et le pluralisme… piétiné (dans le cas des cinq enquêtes figurant dans le corpus).

      Et quand il ne s’agit pas de tribune (un format qui ne permet pas la contradiction), il n’est pas rare que les interviews soient d’une complaisance à l’égard des intervenants (voir deux exemples en annexe 2), n’ayant d’égal que la disqualification violente et arbitraire des chercheurs, étudiants et universitaires taxés contre leur gré [14] d’« indigénistes » ou d’ « identitaires ». Souvent en leur absence, et plus encore en leur présence : car lorsque ces derniers ont la rare occasion de présenter leur point de vue, on peut apprécier les conditions dans lesquelles ils sont reçus…

      Reportons-nous pour cela à l’une des trois émissions de France Culture citées « à l’appui » du Manifeste : « Signes des temps » (25 octobre 2020), consacrée à « la crise dans l’enseignement et crise de la gauche après l’assassinat de Samuel Paty ». Une émission bien connue d’Acrimed puisque nous l’épinglions déjà dans notre article consacré à la traque médiatique des « islamo-gauchistes », comme une illustration exemplaire d’ « interrogatoires journalistico-policiers en règle », durant laquelle Marc Weitzmann [15] est rapidement sorti de son rôle de présentateur pour endosser celui de procureur contre Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef. En effet, si les trois autres intervenants avaient eu droit à des questions ouvertes les invitant à rebondir sur les termes de leurs propres écrits, Mélanie Luce s’est vue sommée de répondre à une série d’accusations. Le tout enrobé de sous-entendus, amalgames et suspicions à son encontre (voir en annexe 3).

      Ainsi la question du pluralisme dans les différentes productions médiatiques « à l’appui » se joue-t-elle autant dans l’absence – ou la disqualification immédiate – de contradicteurs que dans les cadrages à sens unique du débat. L’escroquerie des « preuves à l’appui » est de taille lorsque l’on constate que France Culture (dont trois émissions sont citées dans le corpus, et dans lesquelles on peut aisément repérer des nuances et contre-arguments au propos du « Manifeste »), a pourtant beaucoup produit sur la question. Notamment, une série documentaire de l’émission « LSD » en quatre épisodes (« Les débats de société à l’assaut de l’université », quatre heures au total), n’apparaît pas dans les « preuves à l’appui », alors qu’elle donne à voir ce que la pratique d’un (vrai) pluralisme, incluant donc les chercheurs concernés, apporte à la salubrité du débat public.

      *

      Ainsi les amalgames et les analyses fourre-tout (« islamisme », travaux « décoloniaux/racialistes », port du voile, etc.) cachent-ils donc très mal le caractère hautement politique du « Manifeste », appuyé par et sur une série d’articles loin d’être « factuels » ou « neutres ». Tous répondent en réalité d’un raisonnement circulaire, qui pourrait se résumer comme suit : « Il existe un danger "islamiste" et "racialiste" à l’université. La preuve ? Nous le dénonçons. »

      Le problème n’est pas tant que ce monde d’entre-soi puisse se satisfaire d’une circulation intellectuelle et médiatique en circuit fermé : ils ont évidemment le droit de penser ce qu’ils veulent, et de le dire publiquement ! C’est finalement le pluralisme des idées et des opinions dans les médias dominants qui est en jeu, et son déséquilibre structurel flagrant. De même que l’appauvrissement en continu du débat public. Il est ainsi pour le moins surprenant, de la part d’universitaires et chercheurs censés être au fait des courants de pensée et des discussions et controverses académiques nécessaires à la progression de la connaissance, de les voir rabattre un ensemble de recherches en sciences humaines et sociales à une « haine des "blancs" » ou à des traces suspectes d’« islamo-gauchisme »… Encore plus surprenant d’accuser des adversaires de faire œuvre d’idéologie et non de science, de sacrifier les idéaux de la recherche pure sur l’autel de leur militantisme – une conception en outre épistémologiquement douteuse de la « neutralité » absolue du savant – tout en déroulant d’un autre côté une litanie de jugements éminemment marqués idéologiquement, sans avoir recours au moindre travail scientifique rigoureux — ou en ignorant superbement les travaux existants. Le tout en recevant les soutiens d’Emmanuel Macron, en mobilisant les analyses d’une conseillère régionale du Val-d’Oise, ou encore en étant signataires de l’appel des 80 intellectuels contre le « décolonialisme » aux côtés d’Alain Finkielkraut et… Bernard de la Villardière.

      De tels discours bifaces et autres pétitions de convictions pourraient ainsi faire sourire s’ils ne s’inscrivaient pas dans une offensive politico-médiatique d’ampleur. Et dont les conséquences dépassent en réalité de loin le bavardage hors sol : ainsi des attaques concrètes contre la recherche, son autonomie et les libertés académiques voient-elles le jour, depuis la mission d’information sur les « dérives idéologiques à l’Université » réclamée par deux députés LR, jusqu’à l’enquête souhaitée au plus haut sommet de l’État par la ministre Frédérique Vidal [16]. Une croisade médiatico-politique, décuplée depuis les attentats de 2015, qui montre plus que jamais les dangers d’un fonctionnement médiatique donnant, à travers un ensemble de mécanismes, le primat à « l’opinion » sur l’information et la connaissance scientifique.

      https://www.acrimed.org/L-universite-menacee-par-l-islamo-gauchisme-Une

    • « L’éthique de la recherche, c’est la capacité à distinguer les enjeux, à ne pas glisser de la théorie vers l’idéologie »

      Face au mélange entre science et politique, au refus du #pluralisme, les chercheurs doivent pouvoir échanger de façon argumentée et réfutée, en s’employant à « éviter les #fractures et les #enclaves », explique le géographe Jacques Lévy dans une tribune au « Monde ».

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      Une des effets dommageables de la prise de position de Frédérique Vidal sur l’ « islamo-gauchisme » à l’université a été de permettre à ses détracteurs d’inverser son propos et de porter la charge sur les lanceurs d’alerte. Pourtant, il existe bien des motifs d’#inquiétude sur la relation entre la société et ses chercheurs, et pas seulement en sciences sociales. Pour y voir plus clair, distinguons trois plans : celui des théories, celui du mélange des genres et celui du pluralisme.

      Les théories qui cherchent à expliquer le monde sont nombreuses et tant mieux ! L’une d’elles se fonde sur une vision communautaire du social : elle se représente la société comme une constellation de groupes aux appartenances non choisies et irréversibles. La fameuse « #intersectionnalité » consiste en une #essentialisation des #identités, qu’on peut éventuellement croiser, mais sans les remettre en question. Cette école de pensée tente de sauver le #structuralisme_marxiste, dans lequel la communauté de #classe était centrale, en ajoutant de nouvelles « structures » à un édifice qui se lézarde, pris à contre-pied par l’irruption des #singularités_individuelles. On peut préférer, dans le sillage de Norbert Elias (1897-1990), le paradigme de la « société des individus », qui décrit un monde où les individus acteurs prospèrent de conserve avec une société postcommunautaire. La différence entre ces deux conceptions est patente, mais on ne peut s’en plaindre. Cela, c’est le débat, sain parce que libre et transparent, qui caractérise la démarche scientifique.

      Création de monstres

      Le danger apparaît avec le mélange des genres entre science et #politique. Roger Pielke (The Honest Broker, Cambridge University Press, 2007, non traduit) a montré, à propos des débats sur le climat, que lorsqu’un sujet est marqué à la fois par des controverses scientifiques et des oppositions politiques fortes, les deux dissensus peuvent s’épauler et créer des monstres : le militant choisit l’hypothèse qui l’arrange pour se parer de la #légitimité_scientifique, tandis que le chercheur se mue subrepticement en un politicien sans scrupule. Les chercheurs sont aussi des citoyens et ils ont bien le droit de l’être. Leurs expériences personnelles peuvent être des ressources pour la connaissance.

      Si la conscience que les registres ne doivent pas se fondre les uns dans les autres fait défaut, les savants se muent tout bonnement en #idéologues d’autant plus déplaisants qu’ils s’abritent derrière leur statut. On voit fleurir des #novlangues dignes du 1984 de George Orwell, lorsque, au nom de la science, l’ « antiracisme » couvre un nouveau type de racisme, ou lorsque la « démocratie éco logique » vise une dictature des écologistes intégristes. L’enquête qu’ont menée les chercheurs britannique et américain Helen Pluckrose et James Lindsay (Cynical Theories, Pitchstone Publishing, 2020, non traduit) montre que des revues universitaires prestigieuses acceptent aisément de publier des textes délirants dont on aimerait pouvoir rire mais qui sont animés par une idéologie de la haine intercommunautaire et n’hésitent pas à traiter de « négationniste » toute prise de position divergente.

      Le troisième plan est sans doute le plus grave. Il s’y déroule une attaque frontale contre la démarche scientifique et un refus du pluralisme des idées. De la « #positionalité » (l’autoanalyse par le chercheur de biais liés à sa position sociale) déjà ambiguë, on est passé à la #standpoint_theory, un oxymore qu’on peut traduire par la « théorie-point de vue », qui décrète que l’ « #objectivité_forte » ne peut être atteinte que si le chercheur s’appuie sur sa propre #expérience. Seules les femmes peuvent parler des femmes, seuls les Noirs peuvent parler des Noirs, et c’est ainsi que les women studies ou les black studies désignent, par défaut, à la fois l’objet d’études et l’identité du chercheur. Une épistémologie ubuesque dans laquelle l’histoire des temps reculés devient impossible même si l’on s’intéresse aux dominés et où le travail de terrain et l’observation participante sont bannis. C’est une technique pour discréditer les travaux qui dérangent, rappelant la stalinienne opposition entre « science bourgeoise » et « science prolétarienne .

      Un contrat exigeant signé avec la société

      Cette fois, c’est l’appartenance ou non à une communauté définie par un principe biologique, le sexe ou la race, qui arme les censeurs. La #cancel_culture, cette posture de l’annulation et de l’#annihilation, s’appuie sur la tradition puritaine américaine qui, en dénonçant des blasphèmes, cherche à intimider, parfois à brutaliser les récalcitrants.

      Il y a donc plusieurs dangers, qu’il ne faut pas confondre. C’est justement cela le principal risque : le #glissement, de la théorie vers l’idéologie et de la désinvolture vers la #négation_de_l'autre. L’#éthique de la recherche réside au contraire dans la capacité à distinguer les enjeux différents. Le contrat que les chercheurs signent avec la société en s’engageant à construire autant qu’il est possible, par leur observation et par leur raison, des #vérités_objectives est exigeant. Ceux qui le déchirent minent la confiance de nos concitoyens. Ce contrat est subtil et il ne peut être vérifié que dans la pratique incessante d’échanges argumentés et réfutés, dans le monde de la recherche, mais dans l’ensemble de la société qui, elle aussi, nous écoute, nous lit et nous évalue. Le #tournant_éthique que nous vivons se manifeste à chaque fois qu’on peut imaginer une proportionnalité entre #liberté et #responsabilité. Ce tournant concerne les puissants et les puissances, mais tout autant chaque individu.

      Face à une société états-unienne tristement clivée, l’Europe peut montrer l’exemple en s’employant à éviter les fractures et les enclaves de manière que tous puissent continuer à parler à tous. De ce nécessaire dialogue les sciences du social comme celles du monde biophysique ou les mathématiques ne peuvent s’affranchir.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/02/l-ethique-de-la-recherche-c-est-la-capacite-a-distinguer-les-enjeux-a-ne-pas
      #Jacques_Lévy

    • #Etienne_Balibar : « Le conflit fait partie des lieux du savoir »

      Alors que le gouvernement reproche aux universitaires leur militantisme, le philosophe s’interroge : quel rapport y a-t-il en sciences sociales entre la nécessité de prendre parti et celle du savoir pour le savoir ? L’université doit, plus que par le passé, ouvrir ses portes et ses oreilles à l’extérieur de la société.

      On peut trouver effarant (c’est mon cas) que les ministres de l’Education et de l’Enseignement supérieur, encouragés du sommet, soient allés ramasser dans un caniveau idéologique une épithète aux sinistres résonances pour lancer dans l’Université et au CNRS une campagne d’épuration.

      On peut s’inquiéter (c’est mon cas) de la vitesse avec laquelle s’accomplit le démantèlement de la recherche publique autonome, à travers l’austérité budgétaire et la généralisation des crédits ciblés (et contrôlés) « par objectifs ».

      On peut se désoler (c’est mon cas) de voir les porte-parole de la « qualité de la science française » vouloir interdire à nos étudiants de participer à de grands courants internationaux d’innovation et de pensée critique, censés attenter aux valeurs républicaines, nous enfermant ainsi dans le provincialisme et le chauvinisme.

      On peut – alors même qu’on défend, comme je le fais, la légitimité des études de « race », de « genre », de « classe », de « culture postcoloniale », ainsi que toutes leurs intersections – savoir mettre en garde contre les amalgames sans fondement historique et les interdits de parole sectaires aux marges de l’Université.

      On peut (ce qui est mon cas) regretter de voir des sociologues et historiens, qui avaient contribué par des travaux de référence à la critique des inégalités et des exclusions sociales ou nationales, rallier avec aigreur le camp du #conservatisme et du #corporatisme_intellectuels.

      Mais tout ceci ne fait pas avancer la question épistémologique : Quel rapport y a-t-il, dans le champ desdites sciences humaines et sociales, entre la nécessité de prendre parti, et celle du savoir pour le savoir (le seul qui mérite ce nom, en vérité) ? Voici que se pose à nouveau la question de Max Weber dans ses conférences de 1919 (1) : Quelle est la « vocation » de la science ? En quoi diffère-t-elle de la « vocation » de la politique ? Or la solution qu’il proposait alors : « #neutralité_axiologique », séparation des deux « éthiques » (de la #conviction et de la #responsabilité) s’est avérée impraticable.

      Je vois quatre raisons à cela. Elles dessinent comme une unité de contraires, dans laquelle nous avons à tracer notre route, sans céder sur aucune exigence.

      Non aux institutions de #monologue

      Premièrement, l’Université et ses centres de recherches ne peuvent plus être des institutions de monologue. Elles doivent, plus que par le passé, ouvrir leurs portes et leurs oreilles à l’extérieur de la société, ou mieux de la cité. Nul ne conteste qu’il faille étudier, transmettre des savoirs, s’exercer à l’argumentation rationnelle : tout cela se fait dans des salles de classe et de séminaires. Mais l’objet lui-même, dont on recherche l’intelligibilité, est par définition au-dehors et surtout il est irréductiblement conflictuel, car nous ne vivons pas (et ne vivrons pas de sitôt) dans une cité « harmonieuse ». Pour qu’il y ait chance de l’appréhender et de le comprendre, ce conflit ne doit pas seulement faire l’objet d’une enquête ou d’une analyse à distance. Il doit s’introduire dans les lieux du savoir à travers ses acteurs réels, à moins que les chercheurs eux-mêmes ne partent à l’aventure pour les retrouver (par exemple dans une « jungle » ou dans un « quartier »). Comme aurait pu le dire Foucault, il faut faire sortir (les enseignants, les étudiants, les chercheurs) et laisser entrer (les manifestants avec ou sans gilet, les « militants », c’est-à-dire les citoyens actifs). Il faut leur donner la parole dans les enceintes réservées au discours. On sait que c’est presque impossible, mais des protocoles doivent pouvoir être expérimentés pour cela.

      Avec le lieux entre l’idéologie. C’est une banalité. Le problème est que l’idéologie est toujours déjà dans la place sous une forme plus ou moins « dominante ». Poser que le socle indiscutable du savoir économique est l’anticipation rationnelle des opérateurs de marché, ou que la connaissance sociologique se rejoue indéfiniment entre l’individualisme méthodologique et la solidarité organique, ou que l’objet commun de la psychologie et de la pédagogie est l’adaptation, ou que le sens de la modernité historique est la sécularisation du religieux, ce ne sont pas que des postulats, ce sont des prises de parti qui s’étayent sur des rapports de pouvoir. Naturellement il y en a d’autres, plus ou moins reconnues suivant les époques. Une institution de savoir vivante, capable d’accueillir l’inconnu, devrait se fixer comme objectif (y compris dans les instances nationales d’évaluation) de débusquer systématiquement les paradigmes « incontestés » pour les remettre en discussion. Souvenons-nous de l’épisode désastreux qui a vu l’interdiction d’une section « Economie et société » au Conseil national des universités (CNU), et dont nous payons le prix à l’heure du « quoi qu’il en coûte » …

      Aiguiser la #conflictualité

      Mais le conflit des idéologies scientifiques (comme disait Canguilhem) et des idéologies de savants (comme disait Althusser) n’est peut-être pas le cœur du problème. On pourrait croire, une fois de plus, que la conflictualité n’est que dans l’objet, ou dans les « investissements » du savoir par les intérêts, les engagements de ses porteurs. Mais pas dans le concept, qui est le cœur même du savoir. Rien n’est plus faux. Le savoir parvient au concept non pas en se protégeant de la conflictualité mais en l’aiguisant, en l’intensifiant autour de grandes alternatives « ontologiques », forçant à choisir entre des conceptions incompatibles de la nature des choses ou des êtres. L’histoire de la vérité n’est pas dans la synthèse, même provisoire, mais dans l’ascension polémique, vers les points d’#hérésie de la #théorie. C’est l’évidence en économie, dans les sciences humaines, dans les sciences de l’environnement, et peut-être au-delà – par exemple en biologie dans la théorie de l’évolution.

      Enfin, plus profondément, il y a ceci que le savoir n’est pas sans sujet(s). Ceci n’est pas un défaut de la #connaissance_scientifique, c’est sa condition de possibilité, en tout cas dans toutes les sciences qui ont une dimension anthropologique (et peut-être dans d’autres). Pour connaître il faut « s’avancer » subjectivement dans le champ où on se trouve déjà situé, avec tout le bagage des caractères (comme disait Kant) qui nous font « ce que nous sommes » (par construction historique et sociale, bien évidemment), car il n’y a pas de subjectivité « transcendantale ». Mieux, il faut s’avancer vers le point de trouble dans l’identité où chaque sujet se loge tant bien que mal avec sa « différence », qu’il s’agisse de masculinité et de féminité (ou d’autre « sexe » encore), de blanchité et de noirceur (ou de quelque autre « couleur »), de compétence et d’incompétence intellectuelle, de croyance ou d’incroyance « religieuse », pour en faire un analyseur des effets de société qui nous enferment, nous orientent et nous repoussent. Car si nul (le) ne peut absolument choisir sa place dans la cité, en raison même des rapports de domination qui la traversent, aucune place n’est pourtant assignable une fois pour toutes. Faire ainsi de la différence anthropologique vécue et reconnue et de son incertitude propre l’instrument de dissection du corps politique que nous sommes collectivement, et faire de l’analyse des mécanismes qui la produisent et la reproduisent le moyen d’en relativiser les effets normatifs, ce n’est peut-être pas la voie royale de la science, mais c’en est certainement un passage obligé. On pense ici à ce que Sandra Harding appelle « l’#objectivité_forte », incluant la connaissance de son propre sujet. C’est dire à quel point les positivismes font fausse route.

      Des modèles coûts-bénéfices prévisionnels aux comités d’experts…

      Le chemin qui nous attend est donc très difficile. J’ai fait ma carrière de professeur dans une époque que, rétrospectivement, on pourrait être tenté de qualifier de « bénie ». Les conflits étaient très durs, mais les interdits professionnels de guerre froide n’avaient plus cours. La « valeur de la science » était peu contestée. Mai 68, qui avait voulu secouer l’académisme et faire exploser les frontières, laissait beaucoup de déceptions, mais nourrissait de sa ferveur et de ses fureurs nombre de « programmes », dans lesquels se formèrent les jeunes chercheurs d’aujourd’hui, dont la moitié végète d’un contrat court à un autre. Notre classe dirigeante n’est plus en effet une bourgeoisie au sens historique du terme : elle n’a ni projet d’hégémonie intellectuelle ni point d’honneur artistique. Il ne lui faut (du moins le croit-elle) que des modèles coûts-bénéfices prévisionnels, des programmes d’éducation « cognitifs » et des comités d’experts. C’est pourquoi, pandémie et révolution télématique aidant, elle prépare activement la liquidation des départements de sciences sociales et d’humanités, ou même de sciences théoriques. Qui veut noyer son chien l’accuse alors de la rage (« l’islamo-gauchisme », le « militantisme », « l’idéologie »). De toutes nos forces, comme intellectuels, comme citoyens, nous devons résister à ce démantèlement des outils du savoir et de la culture. Mais pour ce faire, nous devons aussi ouvrir les yeux sur les révolutions dont a besoin l’institution, et les mettre en discussion parmi nous sans pudeurs ni présupposés.

      (1) Max Weber, le Savant et le Politique, nouvelle traduction et introduction par Catherine Colliot-Thélène, éditions La Découverte, Paris 2003.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/etienne-balibar-le-conflit-fait-partie-des-lieux-du-savoir-20210309_YFL47

      Et ici :
      https://seenthis.net/messages/905530

    • Attaques contre des universitaires : le SNESUP-FSU écrit à la ministre F. Vidal

      Publié le : 12/03/2021

      Paris, le 12 mars 2021

      Madame la Ministre,

      Le #SNESUP-FSU, attaché aux libertés académiques indispensables pour faire avancer les débats scientifiques suivant des démarches partagées, comme aux institutions garantissant ces libertés, déplore leur mise en cause dans des interventions médiatiques politiques qui ont abouti à fragiliser l’Université et à attiser les tensions de toutes parts.

      Vous avez exprimé récemment votre attachement sans faille à la protection de l’ensemble des enseignants-chercheurs et des agents du ministère.

      À notre connaissance, vos déclarations ont été très vite suivies de l’attribution de la protection fonctionnelle à des enseignants de l’IEP de Grenoble dont les noms ont été diffusés sur internet accompagnés de propos injurieux ou accusatoires.

      En parallèle un grand nombre d’enseignants du supérieur sont exposés de façon similaire depuis une quinzaine de jours sur un site web qui les accuse d’être « complices de l’Islam radicale » (sic) et de « pourrir l’université et la France ». Certains de nos collègues craignent en conséquence pour leur intégrité. Les organismes et les établissements disposent des éléments sur cette attaque calomnieuse. Un certain nombre ont informé leurs agents concernés de leur soutien et des démarches à suivre pour bénéficier de la protection prévue par l’article 11 de la loi 83-634, notamment pour la prise en charge de frais d’avocat ou pour des mesures spécifiques suite à des menaces. Mais les autres n’ont pas alerté leurs agents. Le retrait de la page diffamant les agents aurait été demandé à son auteur et à son hébergeur mais à ce jour les propos diffamatoires sont toujours visibles.

      Fin novembre un tweet du député Julien Aubert toujours accessible en ligne désignait déjà nommément sept collègues « coupables » d’« islamo-gauchisme ». D’après la question écrite n° 21254 d’un sénateur1 une maitresse de conférences ainsi visée a essuyé un refus d’octroi de la protection fonctionnelle de la part de la présidence de son établissement sur la base d’une consultation de vos services.

      Face à ces discordances, le SNESUP-FSU rappelle que le droit des agents à être défendu par l’administration n’est pas à géométrie variable. La loi prévoit l’obligation de les défendre indépendamment de l’origine des attaques. La circulaire du 2 novembre 2020 sur le renforcement de la protection des agents publics rappelle que la PF est une obligation pour l’employeur public pour ne pas laisser l’agent sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité. Elle indique qu’« en cas de diffamation, de menace ou d’injure véhiculée sur les réseaux sociaux visant nominativement un fonctionnaire ou un agent public, il est demandé à l’employeur d’y répondre de manière systématique », et elle poursuit par des actions concrètes à entreprendre.

      La circulaire enjoint chaque administration à communiquer largement à ses agents sur les dispositions prises – ce qui reste donc à concrétiser – et à mettre en place un dispositif permettant de recenser les attaques, les protections fonctionnelles accordées et refusées, et les mesures de protection mises en œuvre. Par conséquent le SNESUP-FSU souhaiterait avoir connaissance du dispositif mis en place, et du bilan des actions entreprises qui devait être transmis début 2021 au ministère chargé de la FP.

      La circulaire demande aux ministres de garantir la mobilisation à tous les niveaux de l’administration en ajoutant « nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur ». C’est pourquoi le SNESUP-FSU vous demande donc de vous assurer que c’est bien le cas pour les agents du ministère victimes des attaques précitées, qu’un bilan des mesures prises et des éventuels refus de protection soit établi et lui soit communiqué (ou diffusé).

      Nous attirons enfin votre attention sur la situation des étudiants, notamment les doctorants, qui se retrouveraient attaqués ou menacés dans le cadre de leur participation à des travaux de recherche ou de formation sous la responsabilité d’une administration. Il importe qu’ils sachent compter sur le soutien de celle-ci même en l’absence de lien contractuel. À cet effet, nous souhaiterions savoir la nature de la protection sur laquelle ils peuvent compter et les modalités pour en bénéficier.

      Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de notre haute considération.

      Anne ROGER - Christophe VOILLIOT
      Co-secrétaires généraux du SNESUP-FSU

      Philippe AUBRY
      Secrétaire général adjoint du SNESUP-FSU

      https://www.snesup.fr/article/attaques-contre-des-universitaires-le-snesup-fsu-ecrit-la-ministre-f-vidal

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une #diversion et un #ballon_d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de F. Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps de réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque contre les universités. Le #déni doit cesser : à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la #sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org (https://academia.hypotheses.org/newsletters) et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » (https://academia.hypotheses.org/30630) qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux #libertés_publiques.

      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat (https://academia.hypotheses.org/30821), à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du #définancement du budget « #Vie_étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement (https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/psy/consequences-psychopathologiques-du-confinement).

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances, mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald #Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat #Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « #Avenir_lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « #Principes_républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de #Marion_Maréchal-Le Pen (https://academia.hypotheses.org/27305), dont les idées sont reprises par #Emmanuel_Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » (https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430) et continuée avec #Jean-Michel_Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat (https://academia.hypotheses.org/27386), à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires (https://academia.hypotheses.org/27264) est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.

      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche (https://www.lejdd.fr/Politique/exclusif-vidal-persiste-sur-lislamo-gauchisme-je-veux-une-approche-rationnelle) dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « #déni_de_démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde (https://academia.hypotheses.org/26788) qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (https://www.lecese.fr/travaux-publies/contribution-du-cese-au-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-re), pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact (https://academia.hypotheses.org/24589) en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan (https://academia.hypotheses.org/9135), et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « #nuit_noire » d’octobre (https://academia.hypotheses.org/27401) : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré (https://academia.hypotheses.org/29702) par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.

      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un #délit_pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des #franchises_académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre (https://www.parisnanterre.fr/espace-presse/message-de-la-presidence-19-02-2021-1004292.kjsp), lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé. Pour ce qui touche à la formation des enseignantes et des enseignants, les menaces se font toujours plus pressantes : il n’est que de voir, après de longues années à retirer des heures de formation aux universitaires, la nouvelle expérimentation qui fait la « une » du site web du Ministère de l’Education Nationale : l’annonce qu’à titre expérimental, dans vingt-deux académies, on va retirer de l’université les étudiants et les étudiantes destinées à devenir professeur∙es des écoles, pour les former, pendant trois ans, dans des lycées, avec très peu de cours à l’université. En confiant leur formation à des professeur∙es du secondaire, beaucoup moins en phase avec la recherche critique faute de temps à y consacrer et à l’inverse beaucoup plus soumis aux pressions de leur ministère, qui s’exercent par toute une série de relais (rectorats, inspecteurs, conseillers pédagogiques), il s’agit ni plus ni moins de retirer aux universités l’influence qu’elles exercent sur les jeunes citoyennes et citoyens en formant leur esprit critique.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La #protection_fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » (https://academia.hypotheses.org/28160) — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale (https://www.soundofscience.fr/2671), c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices (https://academia.hypotheses.org/29291) ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence #Sarkozy et le vote de la loi dite « #Libertés_et_responsabilités_des_universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC (https://connexion.liberation.fr/autorefresh?referer=https%3a%2f%2fwww.liberation.fr%2fchecknews) et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la #souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la #diversion à la saisie du problème de la #pauvreté_étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un #ordre_colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en humiliant les gens du voyage, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de #résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/christelle-rabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante#at_medium=cu

      #ordre_patriarcal

    • Islamophobie ou islamo-gauchisme : l’indignation à géométrie variable de Frédérique Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur défend promptement les universitaires accusés d’islamophobie quand elle tarde à apporter son soutien aux professeurs désignés comme « islamo-gauchistes ».

      Le gouvernement défend-il plus les enseignants-chercheurs qui vont dans son sens politique ? Depuis plusieurs semaines, des universitaires sont affichés publiquement, tantôt pour islamophobie, tantôt pour islamo-gauchisme. Force est de constater que la réponse du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pas égale face à ces prises à partie ad hominem.

      Quand deux enseignants-chercheurs de l’IEP de Grenoble, Klaus Kinzler et T., sont la cible d’un affichage sur les murs de l’établissement les traitant de « fascistes » et d’« islamophobie » le 4 mars, le communiqué de condamnation de l’acte par Frédérique Vidal ne se fait pas attendre plus de quatre jours. De même, la direction de l’IEP se range derrière ses personnels et saisit le procureur de la République.

      Par contre, quand #Pascal_Praud désigne la directrice du laboratoire Pacte prise dans la polémique de Sciences-Po Grenoble au sujet de Klaus Kinzler, Anne-Laure Amilhat Szary, comme « militante » et livre son nom dans son émission du 9 mars dernier, sa ministre de tutelle ne publie aucun communiqué, malgré la virulente campagne de calomnies qui a suivi par les propos de l’animateur de CNEWS. « Je me sens fortement soutenue par mes tutelles, l’université Grenoble Alpes, le CNRS et l’IEP, déclare la principale intéressée à Libération. Il faut laisser du temps à l’enquête et je le comprends, mais je reçois des menaces de mort depuis ce week-end et je suis préoccupée pour notre pays que l’on puisse jeter en pâture le nom d’une professeure des universités et celui de son laboratoire sans qu’il y ait d’intervention publique immédiate pour les défendre dans les médias. » Les messages sur les réseaux sociaux l’accusent en effet « d’#islamo-fascisme » et d’avoir lancé « une #fatwa » à l’encontre de ses deux collègues de l’IEP Grenoble, ce que les faits contredisent tout à fait.

      Cet embrasement sur le thème d’un supposé « islamo-gauchisme » au sein des universités françaises a été attisé par la ministre Frédérique Vidal elle-même. En février, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait, sur CNEWS déjà, son intention de commander « une enquête » au CNRS portant sur « l’islamo-gauchisme » dans les facs. Très vite, une pétition de chercheurs et universitaires va « demander avec force la démission de Frédérique Vidal ». Les 600 premiers signataires de cette pétition vont se retrouver affichés sur un site sous le titre « Liste des 600 gauchistes (et quelques autres) complices de l’islam radical qui pourrissent l’université et la France », sans que cela n’émeuve le ministère rue Descartes. Comme dans le cas de l’affaire de l’IEP de Grenoble, ce sont les tutelles qui vont faire le travail, accordant la #protection_fonctionnelle à leurs personnels pour prendre en charge les frais de justice, comme à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Le CNRS a aussi saisi le procureur de la République sur ces faits. Finalement, le 9 mars, lors d’une réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), Frédérique Vidal fera lire un message condamnant « l’attitude de certains sites et organisations politiques, adoptant la même attitude envers des universitaires au prétexte qu’ils ont participé à une pétition. Sur ce dernier point, je soutiens sans réserve le signalement effectué à l’initiative du CNRS ». Un soutien à bas bruit médiatique au nom d’une position de principe réitérée au Sénat le lendemain.


      https://twitter.com/VidalFrederique/status/1369667352497958917

      Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, s’inquiète de cette dérive consistant à attaquer les chercheurs personnellement en raison de leur thème de recherche. « Cela demande une réaction forte du gouvernement. Il faut protéger les libertés académiques sans rentrer dans une forme de choix en fonction de la couleur politique des personnes », plaide-t-il avant de reconnaître que cette indignation sélective a été tant le fait « du gouvernement, de certains parlementaires que, parfois, de certains collègues ».

      https://www.liberation.fr/politique/islamophobie-ou-islamo-gauchisme-lindignation-a-geometrie-variable-de-fre

    • « Le Klu Klux Klan en aurait rêvé ! » Ce que les #paniques_morales sur les universités révèlent de la #propagande d’extrême-droite

      Les universités n’ont jamais eu bonne presse avec les journaux conservateurs. Espaces de contestation et de critique, particulièrement depuis la massification d’après-Seconde Guerre Mondiale et les mouvements sociaux de la fin des années 1960 et des années 1970, ces institutions se sont révélées, pour une part importante d’entre elles, très résistantes aux tentatives d’entrée et d’emprise du militantisme conservateur ou réactionnaire — même si quelques-unes d’entre-elles sont fameuses pour avoir accueilli des groupes et des intellectuels essentiels de la droite radicale. Il y aurait certainement une histoire à faire des paniques morales agitées concernant ces espaces, qui s’y prêtent bien, étant fréquentés par une partie bien définie de la population et relativement coupés du reste des sphères sociales, mais un tel effort dépasserait les ambitions de ce billet pour Academia.

      Une actualité insistante

      Une chose toutefois claire — et que j’ai discutée ailleurs (https://racismes.hypotheses.org/209) — est le fait que l’année 2019 voit en France une résurgence d’un tel cycle de #paniques, dont la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021 semblent être un pic : pas un jour ne passe ou presque sans qu’un article discutant, qui la mise en place d’une cérémonie de remise de diplômes réservée aux personnes LGBT dans une université états-unienne (https://www.lepoint.fr/monde/a-columbia-une-remise-de-diplomes-pour-chaque-minorite-18-03-2021-2418406_24) — où la pratique existe pourtant depuis plusieurs décennies —, qui un conflit mineur au sein d’une salle de classe quant aux conditions acceptables d’utilisation d’une injure raciste (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/30/a-l-universite-d-ottawa-le-mot-qui-ne-doit-jamais-etre-prononce_6057913_4500) — particulièrement en ce qui concerne la lecture de textes employant ces termes — qui d’un débat concernant le programme à enseigner dans un cours (https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/non-l-antiquite-n-etait-pas-raciste-20210311). Les personnes ayant tenté sans succès l’attention des médias sur la situation des universités, notamment concernant les ravages de l’austérité et de la précarité tant sur les usagers que les travailleurs de ces institutions, ressentiront sans doute une pointe de jalousie face à cet intense intérêt pour la question de la composition du syllabus du cours de littérature médiévale de l’université de Leicester (https://www.lepoint.fr/culture/cancelculture-quand-l-universite-de-leicester-decolonise-ses-programmes-24-0), par exemple, au moment même où l’avenir des départements de lettres est remis en cause en France (https://twitter.com/JulienGossa/status/1371816497274888197) car ils constitueraient un « aller simple pour le chômage ».

      Dans ce contexte médiatique survolté, l’association Qualité de la science française (https://www.qsf.fr/2021/03/16/le-climat-dintimidation-a-luniversite-ne-peut-pas-perdurer) s’interroge « sur la place à réserver au sein des universités à des manifestations consacrées à la défense ou à la promotion de certaines #valeurs (telles les « semaines de l’égalité ») ». Car, ajoute-elle, « Les valeurs sont par définition des objets polémiques ».

      C’est précisément ce qui va m’intéresser ici, à savoir la place que tient en particulier le thème de la « #ségrégation » dans le registre de la dénonciation des initiatives pro-diversité ou anti-racistes, spécifiquement dans les universités, tel qu’il se déploie dans ces paniques morales. Une interjection souvent entendue en ce sens se résume ainsi à « Le Klu Klux Klan en a rêvé, les universitaires l’ont fait ! » (https://twitter.com/Eric_Anceau/status/1372085529437745158), reprenant la vieille accusation bien connue de « #racialisme », selon laquelle dans une société largement post-raciste, les seules personnes faisant exister encore le racisme seraient d’une part quelques marginaux racistes en pleine débandade, et de l’autre un groupe bien plus dangereux, que seraient les antiracistes « obsédés de la race ».

      Cette accusation se retrouve sur le temps long dans la littérature conservatrice : dans son fameux Sanglot de l’Homme Blanc, l’essayiste #Pascal_Bruckner nous avertissait déjà de ce qu’il pensait être le risque de la valorisation de la diversité :

      "Perçue alors comme infériorité, la différence est vue désormais comme distance infranchissable. Poussée dans sa logique extrême, cet éloge de l’autarcie aboutit aux politiques discriminatoires de triste renom : qu’est-ce d’autre en effet que l’apartheid sud-africain, sinon le respect de la spécificité pris au pied de la lettre, jusqu’au point où l’autre est si distinct de moi qu’il n’a plus le droit de m’approcher ? On sait qu’à Pretoria la règle du « chacun chez soi et tout le monde sera content » est une religion d’État."

      Le fait que le texte en question ait été écrit une décennie avant l’abolition de l’apartheid permet de saluer toute la finesse de l’analyse. Mais il en ressort la présence durable d’une crainte, réelle ou feinte — et au vu des craintes face au cosmopolitisme ou au multiculturalisme que l’auteur énonce dans son texte par la suite, ce caractère feint est une hypothèse à prendre au sérieux — face au fait que le principal moteur d’une résurgence du racisme soit finalement les antiracistes eux-mêmes. Cela explique les exclamations paniquées devant la moindre initiative visant à transformer en dispositifs de politiques publiques des principes antiracistes : « Le KKK en aurait rêvé ! ».

      Il faut certes reconnaître la profonde méconnaissance de l’histoire des effets politiques du groupe terroriste états-unien, de son agenda, et de l’actualité de son militantisme et de celui d’organisations partageant ses idées qui suinte du discours de Pascal Bruckner. En effet, il sous-entend que le KKK n’existerait plus ou que ses idées ne pourraient être déduites que de débats de plusieurs décennies, quand non seulement l’organisation, en déclin, existe et parle encore, mais de surcroit des organisations partageant ses idées ont pignon sur rue. La plus célèbre — le #Council_of_Conservative_Citizens — organise des meetings publics, où elle invite des politiciens de premier plan, aux campagnes desquels elle participe, et publie des journaux : il est très facile de savoir ce que pense le mouvement ségrégationniste aux États-Unis, puisqu’il n’a pas disparu. Un élément néanmoins marquant, c’est la façon dont les expressions de choc moral et les cris d’orfraie de l’essayiste français se font de façon paradoxale l’écho d’éléments de propagande issus, précisément, de ces milieux radicaux.

      Inverser les valeurs

      On aurait tort d’ignorer, dans le discours de ces nouveaux prophètes réactionnaires, la tradition intellectuelle états-unienne suprémaciste blanche. Comme je viens de le préciser, il est en effet possible de lire et d’entendre des analyses d’intellectuels issus du mouvement suprématiste blanc états-unien, auquel se rattache le KKK, de façon régulière : le mouvement dispose depuis longtemps de ses presses, de ses think tanks, etc. Comme le rappelle le philosophe Jason Stanley dans son ouvrage How Fascism Works, l’extrême-droite états-unienne a depuis plusieurs décennies considéré la lutte contre l’institution universitaire comme une mission de premier plan. Le rôle de l’activiste #David_Horowitz, analysé par Stanley, peut être considéré central dans de telles attaques, notamment via son organisation, #Students_for_Academic_Freedom :

      "Le but de Students for Academic Freedom est de faire la promotion de l’embauche d’enseignants ayant un point de vue conservateur, un effort présenté comme une promotion de la « #diversité_intellectuelle et de la liberté académique dans les universités américaines », d’après la #Young_America_Foundation [autre organisation de droite proche de SAF]. Pendant les dernières décennies, #Horowitz a été une personnalité marginale dans la #droite_radicale états-unienne. Plus récemment, ses tactiques et objectifs, parfois sa #rhétorique, sont entrées dans le #langage_commun, où les attaques envers le « #politiquement_correct » sur les campus sont devenues banales."

      La stratégie de David Horowitz évoquée ici est définie par ce dernier dans une note stratégique qu’il a rédigée pour le Sénateur Républicain Jeff Sessions en 2012 : intitulée « Viser le cœur plutôt que la tête », la note développe une méthode consistant à faire haïr le camp adverse à l’électorat plutôt que de gager sur les atouts du programme que l’on défend. Pour Horowitz, le camp progressiste parvenant à se représenter comme ayant le surplomb moral, il fallait au contraire développer « une #campagne_émotionnelle qui mette nos agresseurs [les Démocrates] sur la défensive ; qui les attaque sur le même plan moral, leur attacher l’#image des méchants ».

      Il n’est dès lors pas étonnant que sur le long terme, les entreprises militantes que cet activiste a développées s’appuient sur une #inversion_des_valeurs. Comme le fait remarquer Jason Stanley, les propositions concrètes portées par les groupes du type de ceux soutenus par Horowitz n’est pas une extension des libertés, mais une réduction de celles-ci : « Les attaques depuis la droite montrent clairement le désir même de la droite de contrôler ce sur quoi on a le droit de travailler. Dans le genre classique de la propagande démagogique, la tactique consiste à attaquer des institutions représentant la #raison et le débat ouvert, au nom de ces mêmes idéaux ». Ce qui explique que les organisations soutenues par Horowitz, qui font toutes appel à la liberté et au débat dans leurs noms, publient également régulièrement des listes d’enseignants jugés déviants à remettre en cause : en 2016, #Turning_Point_USA, un groupe similaire, lançait la plateforme « #Professor_Watchlist » (https://academia.hypotheses.org/2684), qui visait à effectuer une liste de « #professeurs_dangereux ». Horowitz avait lui-même inauguré le modèle en publiant un ouvrage sur « les 101 professeurs les plus dangereux des États-Unis », puis en créant le répertoire « #Discover_the_Networks », suivant le même objectif.

      L’un des éléments les plus structurants du discours de la droite horowitzienne consiste très tôt à mettre en avant la façon dont l’antiracisme sur les campus universitaires reviendrait à réactiver une ligne de couleur par ailleurs effacée, particulièrement dans le cadre des débats sur les politiques d’affirmative action visant à accroître la diversité sur les campus : « Le KKK en rêvait ! », commence-t-on alors à s’émouvoir dans une droite qui, peu de temps avant, continuait dans certaines parties du pays à élire des représentants issus des rangs du même KKK, et qui prendrait bientôt l’habitude de recevoir des soutiens financiers de ses héritiers. Cette image d’une université qui, croyant bien faire, réactiverait des clichés et surtout développerait des pratiques incompréhensibles, devient en tant que telle un élément de propagande de cette même extrême-droite : dans un document d’ »analyse » pour un think tank suprématiste blanc, le « #Geopolitical_Studies_Institute », un auteur expliquait ainsi le mouvement #Black_Lives_Matter comme suit :

      "Nous avons remarqué que des jeunes gens éduqués – avec des diplômes supérieurs à la licence – sont surreprésentés parmi les militants #BLM. Une explication possible – outre le fait que les départements de lettres et de sciences sociales sont de plus en plus des machines à #endoctrinement gauchistes – est qu’il y a une relation positive entre le #neuroticisme [un trait de personnalité associé aux émotions fortes en psychologie] et le succès universitaire, particulièrement combiné à un haut niveau de conscience de soi (contrôle des impulsions et suivi des règles). C’est peut-être parce que l’#anxiété agit comme motivateur de la diligence ou parce que le neuroticisme implique un plus grand désir de connaître la nature du monde de façon certaine, et donc de croire que l’on peut y accéder via les études supérieures."

      Traduit en autre chose que le sabir pseudo-scientifique original, le raisonnement revient à dire qu’à la fois le désir de faire des études et la propension à participer à un mouvement social antiraciste n’est explicable ni par l’état de la société, ni par une position idéologique avec laquelle il est possible d’être en désaccord, mais qui se discute au moins, mais en réalité par une sorte de défaut fondamental de la personnalité des personnes qui s’y prêtent. L’auteur explique un peu plus haut qu’un tel phénomène aurait lieu du fait d’un changement évolutionnaire dans l’espèce humaine lié à l’#industrialisation, qui conduirait à la disparition des processus darwiniens naturels réduisant la prévalence de tels traits dans la population. On retrouve facilement les vieilles marottes eugénistes et spencériennes qui portent la droite radicale dans toute son histoire moderne.

      Une telle lecture psychologisante et médicalisante de « la religion de la justice sociale » est longtemps restée enfermée dans les champs de la pseudo-science raciale, mais trouve à la fin des années Obama une place accueillante sur la chaîne de télévision #Fox_News, où un segment quasi-quotidien, « La folie des campus », animé par le présentateur vedette #Tucker_Carlson, vient documenter quasi-quotidiennement des non-événements censés éclairer les #dérives_universitaires, montées de façon unilatérale autour d’une histoire simpliste dans laquelle les « antiracistes gauchistes extrémistes » sont toujours des « fous » et des « méchants », tandis que leurs « victimes » sont toujours de libres-penseurs modérés souhaitant seulement « discuter d’idées ». C’est à cette même époque que des intellectuels états-uniens proches de ces idées, auto-qualifiés du label peu flatteur mais ironiquement bien trouvé d’#Intellectual_Dark_Web prennent l’habitude de se qualifier de « #libéraux_classiques » (classical liberals), tout en travaillant comme l’illustrait le commentateur politique #Michael_Brooks dans son propre décorticage du mouvement, #Against_the_Web, à mettre à l’agenda des positions violemment réactionnaires et antiscienti (fiques renvoyant aux vieilles marottes de la « science raciale », et plus généralement du rappel à l’ordre :

      "Ils défendent tous l’ordre économiste capitaliste sur le plan domestique, et l’hégémonie impérialiste américaine internationalement. Ils se voient comme les défenseurs d’une construction floue (et franchement incohérente historiquement) qu’ils appellent « l’Occident ». Ils défendent tous ce qu’ils imaginent être « la biologie » contre les féministes, et au moins certains d’entre eux, comme #Sam_Harris – qui fait la promotion de #Charles_Murray, intellectuel odieusement d’extrême-droite et aux préjugés explicites – prennent une position similaire sur le sujet de la race. Plus encore, dans l’ensemble de ces sujets, l’#IDW promeut des perspectives qui naturalisent ou mythologisent des relations de pouvoir historiquement contingentes – entre patrons et travailleurs, hommes et femmes – ce sont des réactionnaires à l’ancienne."

      Pas étonnant dès lors que ces « progressistes classiques » soient rapidement devenus les progressistes préférés de la droite états-unienne, et commencent à devenir des lumières pour une partie de la droite européenne.

      Liaisons dangereuses

      Les représentations des paniques morales de 2021 sont directement tributaires de la littérature des « #progressistes_classistes ». Avec une précision millimétrique, les mêmes affaires sont traduites, diffusées, et discutées dans les mêmes termes, devenant l’un des produits les plus populaires d’exportation des États-Unis vers la France. La multiplication d’ »enquêtes » sur « la #folie_des_campus », accusant la « #génération_offensée » que seraient les jeunes et les « endoctrineurs » que seraient leurs enseignants de « créer de toutes pièces » un antiracisme « racialiste » qui se mettrait à agiter des polémiques « imaginaires », qui est désormais une obsession bien fixée d’une partie de la presse, n’est pas sans faire écho non seulement aux paniques qui agitaient la presse générale états-unienne il y a cinq ans. Les raisons en sont certainement nombreuses, et on ne peut pas entièrement ignorer le fait que, dans la machine du clickbait et de l’info en continu, des affaires qui ne nécessitent pas beaucoup d’enquête — et, disons-le, pas beaucoup de #déontologie non plus, comme l’a bien illustré la récente affaire de Sciences Po Grenoble dans laquelle la parole d’une partie au conflit a été érigée immédiatement en vérité face à laquelle aucune perspective dissonante ne devait être entendue, sont une bonne matière première. Cette même matière sert apparemment désormais des discours pour qui les fondements constitutionnels de la République Française — liberté, égalité, fraternité — poseraient problème, à l’université notamment.

      Enquêter à l’université, aller chercher les conditions de vie et de travail des gens qui y sont, comprendre l’imbroglio administratif qui conduit à la dégradation progressive de cette institution est fastidieux et fait peu vendre, par rapport au fait de multiplier des Unes sensationnalistes suivant une recette bien établie et facile à reproduire. Mais – et c’est particulièrement ironique face à l’accusation de ressembler au discours d’organisations terroristes comme le KKK – cette logique qu’elle provienne de contraintes, de conviction, ou de malveillance, conduit irrémédiablement à se calquer petit à petit sur les analyses et à l’agenda que, de longue date, le mouvement suprématiste blanc états-unien a mises en avant sur ces questions.

      https://academia.hypotheses.org/31676

    • Courrier de la ministre Vidal (22.03.2021) :

      A propos de la « #Liste des #600_gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’université et la France » publiée sur le blog de #Philippe_Boyer :
      https://philippe-boyer.eu/liste-des-600-gauchistes-complices-de-lislam-radicale-qui-pourrissent

      Comme dit Claire Sécail sur twitter :

      « C’est aussi à la vitesse de réaction que l’on reconnait un foutage de gueule. »

      https://twitter.com/clairesecail/status/1374055660531429379

    • Derrière la polémique sur l’« islamo-gauchisme », la ministre Vidal isolée comme jamais

      Imaginée par une poignée de conseillers de Frédérique Vidal, la #polémique sur l’« islamo-gauchisme » a servi de paravent à une ministre isolée comme jamais du monde académique, des réalités étudiantes mais aussi de sa propre administration.

      Ses conseillers lui avaient promis de marquer, enfin, l’agenda politique. De ce point de vue, l’opération est réussie. Absente du débat public depuis le début de la crise sanitaire, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal a provoqué un tollé en déclenchant, en pleine pandémie, un débat sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités.

      L’instant d’une polémique – qui l’a soudainement amenée à défendre le contraire de ce qu’elle prétendait penser à l’automne –, la ministre a même réussi à reléguer au second plan les critiques sur son défaut de gestion de la crise. Oublié aussi son isolement du monde académique, des réalités étudiantes ainsi que de sa propre administration. Fin novembre, son ministère a été marqué par la démission fracassante du directeur général de la recherche et de l’innovation. Mais de cet événement aussi inédit que parlant sur l’état du ministère, il n’a pas été question sur les plateaux de télévision. De l’art de faire #diversion.

      En recommandant à leur patronne d’attaquer bille en tête la communauté universitaire, les quelques conseillers de Frédérique Vidal à la manœuvre n’avaient en revanche pas anticipé l’ampleur des protestations qui s’élèveraient contre elle.

      Les pétitions appelant sur tous les tons à sa démission se multiplient – celle issue d’une tribune publiée le 21 février 2021 dans Le Monde cumulant même, à ce jour, plus de 22 000 signatures individuelles d’universitaires. Consternés, des intellectuels du monde entier volent désormais au secours de leurs collègues français (lire cette tribune de L’Obs). Jamais une ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche n’avait autant fait l’unanimité contre elle. Signe que l’heure est grave, des organisations scientifiques d’habitude discrètes affichent désormais leur désaccord.

      Alors que Frédérique Vidal avait demandé, le mardi 16 février 2021, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « un bilan de l’ensemble des recherches », pour mieux séparer ce qui relèverait de la science et du militantisme, le CNRS a répondu que « l’islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique ». L’organisme de recherche a condamné « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche ».

      Même la conférence des présidents d’université s’est exprimée en des termes peu habituels : « Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Du côté syndical aussi, le front est large. La FSU (Syndicat national des chercheurs scientifiques et Syndicat national de l’enseignement) et Sud (Recherche et Éducation) ont appelé au départ de la ministre. La CGT estime que « la ministre doit retirer ses déclarations et présenter ses excuses aux personnels, annuler ses velléités d’inspection politique de la recherche ». Et l’Unsa d’attaquer : « Cela fait des mois que les universitaires se dépensent sans compter pour assurer la continuité du service public de l’enseignement supérieur. La plupart sont épuisés. Est-ce pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant-chercheur que l’on stigmatise des pans entiers de la recherche ? »

      Avant même la polémique sur « l’islamo-gauchisme », la communauté universitaire s’était émue, cet automne, des attaques faites aux libertés académiques lors de l’examen puis du vote de la Loi de programmation de la recherche (LPR). Les premiers à avoir demandé la démission de Frédérique Vidal ont été les membres de la Commission permanente du conseil national des universités (CP-CNU), une instance aux deux tiers élus et se prononçant sur le recrutement et la carrière des enseignants-chercheurs.

      Déjà le 7 novembre 2020, ils estimaient que Frédérique Vidal devait quitter ses fonctions, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. La CP-CNU y déplorait le fait de ne jamais avoir été entendu lors de la préparation de la LPR. L’ultime affront, celui poussant cette instance à demander pour la première fois de son existence la démission d’un ministre, étant le vote au Sénat, tard dans la nuit du 28 au 29 octobre 2020 et avec le soutien du gouvernement, de deux amendements sulfureux.

      Le premier sanctionne de trois ans de prison l’occupation en réunion d’un bâtiment universitaire. Le second passe outre l’expertise du CNU pour la qualification des professeurs et marque le début de la même expérimentation pour les maîtres de conférences, remettant totalement en cause l’organisme qui délivre ladite qualification, le CNU.

      « En touchant à la question de l’autonomie de la production des savoirs vis-à-vis du pouvoir politique (quel qu’il soit) et aux libertés académiques, ainsi qu’au cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs, ces amendements confirment le mépris dans lequel la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est tenue depuis des mois en France », s’est alors alarmée l’organisation.

      Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU, se souvient de sa stupeur en découvrant la position du gouvernement : « À maintes reprises, le cabinet et la ministre nous avaient promis qu’ils ne toucheraient pas au CNU et au recrutement des enseignants chercheurs, ils ont menti. » Une manière de faire si brutale qu’elle a choqué jusqu’à Cédric Villani, ancien représentant des universitaires chez LREM. 

      Le député de l’Essonne a même voté contre la #LPR. Dans une lettre publiée au lendemain du vote, il dénonce la réforme, sur le fond comme sur la forme. Au sujet de la criminalisation de l’occupation des facs, il écrit : « En tant que député, je trouve inconcevable qu’une telle disposition soit prise sans débat à l’Assemblée ; en tant qu’universitaire, je ne puis voter pour une telle limitation de nos précieuses libertés académiques. »

      Depuis, la colère de la CP-CNU n’est pas redescendue. « La seule fois où j’ai vu Frédérique Vidal depuis 2017, c’était en mars 2020. Nous étions en pleine mobilisation contre la LPR. Elle nous a engueulés parce que des profs exerçaient leur droit de grève. Elle s’est plainte que personne ne la soutienne », se rappelle Sylvie Bauer. Un récit confirmé par Fabrice Planchon, vice-président de la CP-CNU. Un échange tendu puis un appel à démission plus tard, les liens entre le ministère et l’instance ont complètement été rompus.

      La CP-CNU n’est pas la seule instance à avoir gardé un amer souvenir des discussions autour de la LPR. Patrick Lemaire, biologiste et président du collège des sociétés savantes académiques de France, se souvient d’une curieuse « #garden_party » organisée à l’été 2020 dans les jardins du ministère en guise de « concertation ». « C’était un drôle de mélange. Frédérique Vidal était là, debout, usant de l’argument d’autorité pour nous convaincre du bien-fondé de sa loi. Quand on la contredisait, elle pouvait devenir plus constructive mais ne remettait jamais en question son projet. Elle ne voulait rien changer à son texte, mais mieux l’expliquer. »

      Un autre invité se souvient auprès de Mediapart d’un « one-women show d’une heure et demie », du buffet, du beau jardin et de l’impression de s’être rendu à une réunion pour rien : « Nous, on aurait préféré être assis, à une table, pouvoir échanger calmement, échanger des dossiers. Ça ne s’est pas fait mais ça voulait peut-être dire que, pour elle, il n’y avait déjà plus grand-chose à discuter. »

      Pour dénoncer les attaques faites aux libertés académiques et le manque de dialogue social avec le ministère, les syndicats ne s’adressent d’ailleurs plus à Frédérique Vidal mais passent directement par le premier ministre. Même chose pour les décisions pour lutter contre la précarité étudiante, qui sont annoncées depuis l’Élysée.

      Toutes les organisations de l’arc syndical ont écrit, au moins à trois reprises, à Matignon sur l’unique mois de novembre 2020. Le 5 novembre, contre la fermeture des établissements. Le 9 novembre, contre un amendement sénatorial durant l’examen de la LPR, depuis retoqué par la commission paritaire mixte, visant à inscrire dans la loi que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Le 16 novembre, la CGT, la FSU, FO, la CFDT, le SNPTES, Sud et l’Unsa reprenaient la plume pour demander un rendez-vous urgent à Jean Castex après le vote au Sénat des deux amendements, « validés par Frédérique Vidal » sans « consultations préalables », sur l’occupation des facs et la qualification des professeurs.

      La démission fracassante d’un directeur d’administration

      Plus particulièrement, Anne Roger, co-secrétaire générale du SNESUP-FSU, décrit des relations avec la ministre totalement dégradées. « C’est simple, on n’a pas de discussion avec elle. Notre dernier rendez-vous avec le cabinet remonte à quatre mois, il n’y avait ni la ministre, ni le directeur, ni le directeur adjoint de son cabinet. C’était juste pour nous calmer », souffle la représentante syndicale. Selon elle, les rendez-vous sont « des grand-messes qui ne sont pas exactement le lieu du débat. Et à plusieurs reprises, lors de ces réunions, en multilatérales ou au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), elle vient, fait son topo, écoute un peu puis part et laisse son cabinet gérer la fin de la réunion. En fait, l’important pour elle, c’est de dire, pas d’écouter. »

      Cette absence d’écoute est aussi ressentie par le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), qui vient d’ailleurs de remporter une bataille judiciaire contre le ministère. Le tribunal administratif de Paris a ordonné, le 8 mars, en référé, à Frédérique Vidal de convier le syndicat aux réunions de suivi du protocole d’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières des agents du ministère jusqu’en 2027.

      Début 2021, la ministre avait unilatéralement décidé d’écarter des réunions de suivi la FERC-CGT (la fédération à laquelle est affilié le SNTRS-CGT), qui s’était opposé publiquement au protocole d’accord. Or, cette décision « porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale », a estimé le juge des référés.

      Devant le tribunal administratif, le représentant du ministère a soutenu que la FERC-CGT n’avait pas été lésé puisque aucune réunion n’avait jusqu’ici été organisée, ni même programmée, avec les autres organisations syndicales. Ce qui est faux, une première réunion du comité de suivi ayant même été organisée le 5 février, selon nos informations. Interrogé sur ce mensonge, le cabinet de la ministre nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre (voir notre « Boîte noire »).

      Même impression de désinvolture au CHSCT du ministère. Alors qu’elle préside cette instance, Frédérique Vidal ne s’est jamais rendue à aucune des réunions. S’il est habituel que les ministres se fassent excuser, « vu la crise sanitaire, il aurait été logique qu’elle montre un peu d’intérêt… », grince une membre du CHSCT. Un avis de l’instance, en date du 6 novembre 2020, laisse transparaître un agacement général : « Les représentants du personnel du CHSCT MESR attendent que la ministre montre un intérêt à l’instance qu’elle préside, en y faisant acte de présence, ne serait-ce qu’une fois. »

      D’autant plus que le CHSCT semble être baladé, de réunions exceptionnelles en délais incompressibles, dans une urgence permanente. Tous les membres se souviendront de cette réunion du 18 décembre 2020 à 15 heures, dernier jour avant les vacances de Noël. Ils y ont été convoqués à la dernière minute, la veille à 17 heures. « Prendre son service dans cet état de stress et de panique constitue à l’évidence un danger grave et imminent pour tous les personnels, mais également et par voie de conséquence pour les étudiants », relève d’ailleurs l’avis du CHSCT.

      Lors de cette réunion fut discutée la mise en place d’une circulaire permettant le retour progressif des étudiants à l’université à partir du 4 janvier 2021, par groupe de dix. La circulaire, rendue publique le samedi 19 décembre, était censée être applicable dès la rentrée. Impossible, pourtant, pour la plupart des universités, de mettre en place de telles dispositions mal ficelées et diffusées pendant les vacances scolaires. Par ailleurs, la circulaire contrevenait à un décret qui n’a finalement été modifié que le 9 janvier 2021, cinq jours après le début de la soi-disant rentrée. « À chaque fois on râle, mais ça n’a aucun impact, souffle la membre du CHSCT. Même avec la crise, on pourrait mieux anticiper et réfléchir. »

      « Aux États-Unis, ils se sont organisés dès le mois de mai 2020 pour l’année universitaire 2020-2021, avec des cours en ligne, des programmes allégés. Nous aussi, on aurait pu le faire, mais Frédérique Vidal ne nous a pas écoutés », abonde Bruno Vallette.

      Ce mathématicien a bien connu Frédérique Vidal à l’université de Nice, où la ministre a passé l’intégralité de sa carrière : étudiante puis maître de conférences en 1994, professeure des universités en 2002 (elle n’a officiellement jamais encadré de thèse), directrice de l’UFR Sciences en 2009 et, enfin, présidente de l’université à partir de 2012, jusqu’à son entrée au gouvernement en 2017.

      Élu d’opposition (Snesup) au conseil d’administration, Bruno Vallette retient des mandats de Frédérique Vidal, arrivée à la présidence d’une université désorganisée et exsangue financièrement, une gestion « “en bonne mère de famille”, comme elle le disait elle-même, mais de manière autocratique, toute seule, au nom de l’efficacité ». « Elle sait mieux que les autres. Je trouve au ministère sa manière de fonctionner à l’université de Nice », insiste le professeur, désormais à l’université Paris-XIII.

      Son passage à la présidence de l’université de Nice n’a pas laissé un mauvais souvenir qu’à ses opposants. « Je n’avais aucun a priori négatif. Je savais qu’elle avait publié dans des revues prestigieuses et elle a, d’ailleurs, été accueillie de façon tout à fait conviviale », se rappelle Frédéric Torterat, l’un des maîtres de conférences rattachés à une équipe de recherche supprimée brutalement en 2017 sous la présidence de Frédérique Vidal. « On ne s’y attendait pas, j’ai dû partir à l’université de Montpellier, complète-t-il. On était 15 à 16 enseignants chercheurs et deux fois plus de doctorants et on a tous dû changer d’unité, et pour certains changer d’université. Elle ne nous a même pas prévenus, c’est assez irrespectueux. »

      Pour l’ancienne directrice de cette unité de recherche, « ce fut un traumatisme ». Nicole Biagioli, aujourd’hui professeure émérite à l’université de Nice, se rappelle de la manière avec laquelle son travail de plusieurs années a été anéanti : « Mme Vidal a fait voter par le conseil d’administration – sauf les élus FSU – la suppression de mon laboratoire en refusant de le faire évaluer scientifiquement, alors que tout était prêt pour la visite de l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Je n’en ai jamais été avisée par Mme Vidal, c’est sa collègue en charge de la visite pour le HCERES qui m’a appris la suppression du laboratoire. Au niveau réglementaire, elle a le droit de le faire mais la moindre des choses aurait été de nous prévenir… » Un récit confirmé par Chantal Amade-Escot, déléguée scientifique pour les sciences de l’éducation auprès du HCERES de 2015 à 2018 et professeure émérite à l’université de Toulouse…

      Aujourd’hui, Nicole Biagioli estime que « Mme Vidal n’est ni formée ni intéressée par les langues, les lettres et les sciences humaines. Il y a chez elle une certaine forme de mépris pour ces matières ».

      Rue Descartes, où l’ambiance s’est alourdie au fur et à mesure de l’aggravation de la crise sanitaire, l’explosion a finalement eu lieu le 25 novembre 2020. #Bernard_Larrouturou, alors directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI), l’une des deux directions d’administration centrale, démissionne avec fracas.

      Il s’en explique à ses anciens collègues dans un courrier, sans mâcher ses mots. « Cette démission a été pour moi une décision difficile, et même douloureuse… Je ne m’y suis résolu que parce que l’isolement, entretenu par la direction du cabinet, par la ministre, avec laquelle les directeurs généraux n’ont eu aucun échange depuis plus de six mois, et les difficultés aiguës qui persistent depuis un an et demi en matière de relations de travail entre le cabinet et les services ont installé un véritable empêchement, voire une impossibilité, pour la conduite des actions que la DGRI doit porter », dénonce-t-il dans une lettre de trois pages, dont des premiers extraits avaient été dévoilés par Libération et que Mediapart publie ci-dessous en intégralité.

      Dans son courrier, qui est remonté jusqu’à l’Élysée, Bernard #Larrouturou déplore notamment l’isolement de la ministre avec ses équipes. Il y raconte, par exemple, comment « elle a traité avec mépris et humilié des personnes de la DGRI ou lorsqu’elle a exigé arbitrairement la mise à pied de tel cadre de nos équipes… ». Interrogé sur le contenu de cette missive accablante, Frédérique Vidal n’a pas répondu non plus.

      Des relations compliquées avec les parlementaires

      « Le rythme des cabinets a toujours été caractérisé par l’urgence mais, ce qu’il y a de nouveau depuis l’arrivée de Frédérique Vidal, c’est qu’il est de plus en plus fréquent que le cabinet court-circuite les directions et aille directement voir les agents, ça peut créer de grandes tensions », relève Sylvie Aebischer, responsable CGT Educ’action pour l’administration centrale qui compte plus de 3 300 agents.

      À l’hiver 2018, lors d’un CHSCT, des délégués du personnel et le médecin de prévention alertent sur la situation au sein du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante. Un rapport est commandé à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Ses résultats remis le 26 mars 2019, auxquels Mediapart a eu accès, font notamment état « de situations collectives de #souffrance_au_travail ». Les inspecteurs pointent du doigt une surcharge de travail, des conflits éthiques, « des relations au travail compliquées, avec des problèmes liés au soutien jugé parfois insuffisant de la hiérarchie, régulièrement encartée ou empêchée, parfois mis en fragilité par un pilotage peu clair ».

      L’une des douze recommandations de l’inspection était de formaliser les rapports avec le cabinet. Signée en juillet 2019, une charte prévoit depuis l’organisation de réunions régulières entre les directeurs d’administration et le cabinet pour fluidifier les relations. Une tentative qui se soldera par un échec, comme en témoigne la démission de Bernard Larrouturou l’année suivante.

      Au Parlement aussi, les relations avec la ministre sont tout sauf fluides. Au Sénat, une séquence reste gravée dans les mémoires. Le 7 avril 2020, Frédérique Vidal renvoie dans les cordes le sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui lui demande pourquoi les biologistes de Marseille ne sont pas dotés d’un cryo-microscope électronique pour étudier le SARS-CoV-2.

      Ces biologistes n’ont qu’à se déplacer à Nice où se trouverait justement un « magnifique microscope » au sein du « Centre commun de microscopie appliquée (CCMA) », répond avec assurance la ministre. Frédérique Vidal, biochimiste de formation, rappelle qu’elle a fait toute sa carrière à Nice – « je connais donc bien le sujet », glisse-t-elle, avec certitude. Sauf que son explication est fausse : l’équipement niçois ne comporte aucun cry-microscope capable d’aider les biologistes à élucider la structure moléculaire du virus, relève le journaliste spécialisé Sylvestre Huet sur son blog.

      Frédérique Vidal « répond souvent avec beaucoup de désinvolture », regrette le député d’opposition Régis Juanico (Génération·s), membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. « Elle nous répond souvent avec suffisance en se référant à son passé de présidente d’université. Cela lui permet de disqualifier les élus qui ne seraient pas d’accord avec elle », ajoute-t-il. Le parlementaire relève aussi que la ministre « n’a jamais répondu » aux conclusions de son rapport parlementaire, co-rédigé avec Nathalie Sarles (LREM), sur Parcoursup.

      « En audition, on a le sentiment qu’elle ne se sent pas concernée », abonde la députée communiste Marie-George Buffet, membre de la même commission. Lors de l’audition du 10 novembre 2021, dans le cadre du rapport sur l’impact qu’a eu le Covid sur les jeunes et les enfants, l’élue de Seine-Saint-Denis a relevé que, « contrairement à d’autres ministres », Frédérique Vidal « répétait des éléments de langage sans répondre réellement ». « Est-ce qu’elle pensait que cette audition n’avait pas d’importance ? Est-ce que la problématique des étudiants ne l’intéresse pas ? », s’interroge la députée.

      Le député LREM Bruno Studer, qui préside la commission, voit les choses autrement : « Je lance régulièrement des missions d’information qui portent sur la recherche et à chaque fois le cabinet se met à disposition des parlementaires. La ministre vient régulièrement devant la commission », témoigne-t-il. Il précise que Frédérique Vidal « est une ministre technique, pas politique », raison pour laquelle elle n’aurait donc pas « tous les codes ».

      « Les choses se sont tendues ces dernières semaines avec ces histoires d’islamo-gauchisme », reconnaît le député de la majorité, en expliquant avoir lui-même été étonné par l’ouverture de cette séquence. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Ça m’a surpris de sa part et je lui ai dit, je suis plutôt en désaccord. Ce ne sera pas la première fois que je trouve que des ministres ont des expressions maladroites. »

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

      Plusieurs interlocuteurs datent une vraie rupture à partir du remplacement du directeur de cabinet de la ministre, le 4 mai 2020, par un ancien du cabinet de Manuel Valls à Matignon. La nouvelle conseillère presse de Frédérique Vidal est également la fondatrice des « #Jeunes_avec_Valls », micro-mouvement créé en décembre 2016 pour accompagner la candidature de l’ancien premier ministre à la primaire du PS.

      Beaucoup s’interrogent aussi sur la place croissante occupée par le conseiller spécial de la ministre, un certain #Graig_Monetti, qui cumule aussi avec les fonctions de chef de cabinet. Le trentenaire, qui connaît bien Frédérique Vidal depuis ses années étudiantes à l’université de Nice, où il a présidé l’antenne locale du syndicat étudiant de la Fage, a gravi un à un les échelons de son cabinet. En juin, il a aussi été élu adjoint au maire de Nice Christian Estrosi, avec une délégation à la jeunesse. Ce qui n’est pas sans créer une certaine confusion : on peine parfois à discerner au nom de qui (le ministère ou la mairie de Nice) il intervient dans certains dossiers universitaires.

      Selon un fin connaisseur de la rue Descartes, « Frédérique Vidal a écarté les autres et n’écoute plus que lui ». Cela n’a pas empêché l’actuel président de la Fage, Paul Mayaux, de prendre quelques distances avec le ministère.

      Son syndicat a même appelé à la mobilisation intersyndicale du 26 janvier 2021. « Ce n’est pas leur stratégie politique. Si même eux y vont, c’est un signe qu’il y a une absence totale d’écoute de la part du gouvernement », glisse une responsable syndicale étudiante sous le couvert de l’anonymat. Paul Mayaux confirme : « Effectivement, ce qui s’est passé le 26 janvier, ce ne sont pas des choses qui arrivent souvent. Il y a urgence et même si parfois le cabinet examine certaines de nos propositions, on n’a pas été entendus au bon moment sur la crise des étudiants. C’était trop tard et trop faible, même si on ne nie pas que quelques mesures ont été prises dans le bon sens. »

      En dehors des Jeunes avec Macron, logiquement du côté du gouvernement, les autres organisations de jeunesse sont nettement plus critiques. Frédérique Vidal est « méprisante » et « infantilisante » avec les étudiants, notamment dans son expression publique, dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef. Lors d’un énième retour symbolique à l’université, le lundi 11 janvier 2021, à Cergy-Université, la ministre glisse, selon Le Monde : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria. »

      « On ne demande pas juste sa démission, on veut un vrai changement politique », affirme Mélanie Luce dont l’organisation s’est opposée farouchement aux trois grandes réformes de Frédérique Vidal : Parcoursup, qui instaure la sélection à l’entrée de l’université, « Bienvenue en France », qui multiplie les frais d’inscription pour les étudiants étrangers, et la LPR, qui réforme en grande partie l’université et la recherche française.

      La crise du Covid et sa gestion chaotique par le ministère de l’enseignement supérieur puis la polémique autour de l’islamo-gauchisme ont été les attaques de trop. « Nous, notre priorité, c’est comment aider les étudiants à sortir de cette crise. On demande 1,5 milliard d’euros mais ça n’avance jamais. La solution pour sortir un peu la tête de l’eau, c’est d’augmenter les APL et les bourses du Crous, on le répète sans cesse mais on a l’impression de ne pas être entendus », souffle la présidente de l’Unef. En ce qui concerne les bourses, la refonte du système Crous promise par l’exécutif ne vient pas. Et pour les APL, une réforme a bien eu lieu, mais elle désavantage les jeunes travailleurs et les étudiants en apprentissage.

      « Des milliers d’étudiants font la file pour pouvoir manger. On attendait des aides qui soient à la hauteur de la crise, de la précarité et de la détresse psychologique qu’on voit tous les jours. À la place, on a eu une nouvelle polémique sur l’islamo-gauchisme. C’était tout, sauf ce qu’on attendait… », souffle Ulysse Guttmann-Faure, qui préside l’association Co’p1, fondée en octobre 2020 par six étudiants parisiens pour distribuer de la nourriture aux étudiants précaires.

      L’étudiant, dont l’association rassemble désormais 300 bénévoles, note qu’il « a fallu des mobilisations dans la rue et des suicides pour que la ministre nous entende ». « Et encore…, reprend-il, il y a eu de petites avancées, mais c’était trop tard et pas suffisant ». Les files d’attente, le soir, à la banque alimentaire ne désemplissent effectivement pas.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/220321/derriere-la-polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-vidal-isolee-comm

      Citation :

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

    • Communiqué de presse de l’#Action_française suite à leur action contre l’hôtel de région Occitanie (25.03.2021) (https://www.midilibre.fr/2021/03/25/toulouse-deux-membres-daction-francaise-tentent-de-sintroduire-au-sein-du-) :

      –-> où on peut voir, comme l’a identifié Pierre Plottu sur twitter, que « l’Action française a donc diffusé un communiqué pour revendiquer cette action.
      Il s’y appuie notamment sur les propos de votre collègue, Mme la ministre Vidal, sur un prétendu l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités pour la justifier. »


      https://twitter.com/pierre_plottu/status/1375188878630477831

      Repris aussi sur le blog academia :
      https://academia.hypotheses.org/31962

    • « Combien d’attaques contre la science faudra-t-il pour briser le silence ? »

      Des procès en islamo-gauchisme à la disparition annoncée de l’Observatoire de la laïcité, les volontés de faire taire toute pensée critique se multiplient dangereusement, alertent Albert Ogien et Sandra Laugier.

      Il est des #silences qui sont plus accablants que des milliers de discours. Il y eut d’abord celui qui a entouré la publication de la liste rouge des enseignants-chercheurs « islamo-gauchistes », accusés de « gangréner » l’Université en faisant de la politique plutôt que de la science. Il y eut ensuite celui qui a accompagné le rejet de la candidature d’une personnalité scientifique de renom (#Nonna_Mayer) à la présidence de Sciences Po, après qu’elle a été publiquement réprouvée au nom de son engagement en faveur des exclus. Et puis est venu celui qui entoure la disparition annoncée de l’#Observatoire_de_la_laïcité, que la secrétaire d’Etat à la citoyenneté Marlène Schiappa présente comme une simple formalité, le mandat de sa direction arrivant à expiration. Et maintenant la course à l’échalote des sénateurs pour remporter le prix de l’amendement le plus sévère apporté à la loi confortant le respect des principes de la République. Bien sûr, quelques voix se sont élevées pour condamner chacune de ces attaques écœurantes contre le droit et la pensée, mais elles sont elles-mêmes déconsidérées ou ignorées, comme une discordance dans l’indifférence convenue et majoritaire des politiques, des médias et des intellectuels.

      Une étrange confrérie de traqueurs-censeurs

      Ces silences sont autant de reculs et d’abdications face à la #violence qu’exerce cette étrange confrérie de militants qui réunit des personnes venant d’horizons idéologiques différents et partageant une même volonté : disqualifier, rendre inaudibles, voire interdire les voix qui leur déplaisent et contestent leur autorité. Leur principale occupation et obsession consiste à dénicher et détruire la moindre intervention publique ou expression qui signale une compréhension des problèmes politiques et sociaux du présent ; notamment des revendications et souffrances des groupes de population qui subissent des inégalités, des discriminations, des dénis de citoyenneté, au nom d’une ascendance dont la légitimité reste suspecte – « les Noirs et les Arabes » pour parler clair. Et petit à petit, la #traque et l’#opprobre ont gagné d’autres thèmes présentés comme autant de manifestations de #dégénérescence : les études décoloniales, l’écriture inclusive, les études de genre, l’emploi du mot de « racisé », les réunions non-mixtes…

      Discréditer la recherche

      Cette inquisition permanente, inimaginable encore il y a quelques mois, a aujourd’hui une cible prioritaire : ceux et celles qui disposent de titres universitaires et d’une parole publique, et qu’elle accuse de minorer les graves menaces que ferait peser l’islamisme sur la paix civile et les libertés individuelles. Mais la lutte contre le terrorisme doit-elle se mener sur ce front ? En s’en prenant à la production de connaissance, elle s’avilit. Ses agents ne s’embarrassent plus d’aucune considération pour les torts infligés aux personnes ou aux organisations qu’ils livrent en bloc à la vindicte – ou aux injures sur des réseaux sociaux mobilisés à leur profit et dont la force de frappe est incommensurable à celle de la recherche.

      Leur but est que les travaux scientifiques soient discrédités sur un #soupçon, que les enseignements soient marginalisés avant si possible d’être interdits, avec toutes les conséquences de cette mise en cause sur les vies et carrières d’universitaires qui travaillent simplement à maintenir la recherche française au niveau des standards internationaux. C’est que, n’en déplaise à nos censeurs, les questions du #racisme_systémique, des violences faites aux femmes, du #sexisme et de l’#homophobie, mais aussi du désastre climatique et de la souffrance animale (questions qu’on croyait plus consensuelles mais depuis incluses, pour faire bon prix, dans le paquet) sont reconnues dans le monde académique global alors que de vieilles résistances font, en France, qu’elles restent polémiques.

      Une peur viscérale de l’islam

      Ce qui est étrange est que ce front des bien-pensants se construit sur une #peur viscérale de la religion musulmane, à laquelle il prête des propriétés qui en feraient l’ennemi irréductible de la modernité démocratique. Cette peur alimente la crainte fantasmatique de l’organisation d’une cinquième colonne qui occuperait déjà les « territoires perdus de la République », attendant son heure pour frapper et déloger les nationaux. Et chaque meurtre commis au nom de l’Etat islamique (quelle que soit la réalité de cette allégeance) est une occasion de raviver la suspicion. Dès lors, évoquer et analyser les #injustices, les #discriminations, l’#exclusion ou le #harcèlement_policier subis par « l’ennemi de l’intérieur » revient à pactiser ou trahir.

      Pour faire taire ceux et celles qui doutent sincèrement d’une telle menace de l’islam, une solution ne serait-elle pas de documenter, de quantifier et d’exposer publiquement le danger ? Cela ferait normalement tomber les réticences. Mais voilà : aucune information ne filtre qui permettrait de confirmer les craintes des apeurés. La seule indication qui vient périodiquement donner un peu de crédit à cette accusation est celle, livrée sans aucun détail, du nombre d’attentats qui auraient été déjoués par les services de renseignements sur le territoire français. Parfois, la mise en scène de l’arrestation d’un ou une « terroriste » dont, la plupart du temps, on est bien en peine de savoir exactement quel objectif il ou elle poursuivait.

      Nous sommes donc tous censés savoir que nous vivons dans un état d’alerte permanent sans en être vraiment alertés. Un peu comme nous traversons la crise sanitaire sans être jamais associés aux mesures prises par une poignée de « sachants » autoproclamés qui décident seuls de ce qui est bon pour en finir avec le Covid 19, avec le succès qu’on sait. Les avertis qui se sont arrogé le droit d’organiser la riposte se posent de même en surplomb de la République. Les premières victimes de ces sentinelles sont tous ces citoyens qui sont ramenés à une identité musulmane sans qu’on ne leur demande leur avis, sauf quand on les somme de prendre position contre les attentats (eux à la différence des autres, comme si c’était moins évident). On a beau jurer ne pas vouloir faire d’amalgame entre musulman et islamiste radical, le moindre signe d’appartenance à cette communauté est vu comme un péril pour la nation. Ce qui est choquant dans cette volonté d’ostraciser un groupe social est le fait qu’elle méprise totalement les sensibilités individuelles et gomme la diversité des croyances et des opinions qui s’y expriment.

      Extension du domaine de la #suspicion

      Et dans un saut épistémique propre à tous les régimes autoritaires et promoteurs de l’#ignorance, cette suspicion s’étend en deuxième lieu à tous ceux qui, dans les milieux de la recherche et de l’enseignement, s’efforcent de prendre la juste mesure du danger djihadiste et introduisent des distinctions et des clarifications qui en dressent un tableau réaliste. Un tel saut a été effectué par les gouvernements qui au Brésil, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Pologne ou en Turquie ont allié la misogynie, l’homophobie, les discriminations ethniques et le climato-scepticisme de leurs politiques à la suppression des recherches sur les femmes, les sexualités, le racisme ou l’environnement ; par l’ex-président Trump, qui tout en multipliant les mesures discriminatoires et soutenant ouvertement les violences contre les Noirs a voulu faire réécrire les manuels scolaires pour y minorer l’histoire de l’esclavage ; et en France, par la violence inédite d’un gouvernement contre les universitaires qui observent les discriminations qui travaillent la société française.

      Ce saut est révélateur : il s’agit de décourager la #pensée_critique et l’#argumentation_rationnelle, immédiatement traînées dans la boue des réseaux et dans la mêlée des plateaux TV ou radio – où les quelques chercheurs qui se risquent encore à faire entendre des éléments de connaissance se retrouvent mis sur un pied d’égalité avec des idéologues ignorants du domaine. Cette situation honteuse, qui rappelle les mauvaises heures du maccarthysme, s’explique ici par une haine conjuguée des recherches et des objets/sujets de ces recherches. Ce phénomène est connu des spécialistes du genre. Il prend ces derniers temps l’allure ultra glauque d’un #assaut concerté mené par des ministres et des intellectuels alliés, par calcul politique incertain, pour faire taire toutes les voix, des plus vives au plus modérées, qui les rappellent aux exigences minimales de l’égalité. Voilà qui nous oblige à briser ce silence.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210415.OBS42801/combien-d-attaques-contre-la-science-faudra-t-il-pour-briser-le-silence.a

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : « On ne peut pas nous accuser d’être des #militants »

      Face aux attaques contre les sciences humaines et sociales, accusées de diffuser un discours « islamo-gauchiste » à l’université, des universitaires angevines (Maine-et-Loire) sortent du bois et prennent la parole. Retour sur une polémique pas nouvelle, mais qui, depuis quelques mois, rebondit sur la scène politico-médiatique.

      Elles ont décidé de prendre la parole. Parce qu’elles ont des choses à dire et qu’elles en ont gros sur le cœur, surtout après les attaques visant #Nahema_Hanafi, leur collègue, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporain à l’Université d’Angers, après la publication de son ouvrage consacré aux « brouteurs ».

      Elles, ce sont ces universitaires angevines, dont le champ de recherches s’applique aux sciences humaines et sociales, confrontées aux attaques et aux accusations d’ « islamo-gauchisme » à l’université. De quoi parle-t-on ? Quel est le problème ? Décryptage.

      Pourquoi des responsables politiques visent-ils l’université ?

      La polémique concernant l’universitaire angevine Nahema Hanafi n’est pas tombée du ciel. Tout le monde garde en tête les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Dans un entretien sur CNews , le 14 février, elle a demandé une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait l’université.

      Avant de persister, tout en tentant de réduire la portée de son propos, puisqu’elle s’est montrée bien incapable de définir cette notion. Elle a été soutenue par certains de ses collègues. En réalité, elle avait été largement devancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Pas plus précis, mais bien plus vindicatif contre les « ravages » à l’université.

      À chaque fois, ces sorties ont provoqué une levée de boucliers des chercheurs, en particulier du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS.

      Cette attaque contre l’université est une antienne régulièrement reprise à droite comme à gauche, avec des relais forts comme le Printemps républicain dont le cofondateur, #Gilles_Clavreul, dénonce la pensée décoloniale. Idéologiquement proche de ce courant, qui défend une conception très restrictive de la laïcité, l’ancien Premier ministre socialiste #Manuel_Valls avait ouvert les hostilités au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris.

      Dans une première déclaration au Sénat, deux semaines après, il avait lancé : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. » Quelques semaines plus tard, en janvier 2016, il avait poussé plus loin cette réflexion, lors d’un hommage aux victimes. « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

      À l’origine de la récente polémique visant Nahema Hanafi et ses travaux, l’Observatoire du décolonialisme, fondé par des enseignants linguistes, historiens et médiévistes, creuse ce même sillon.

      Pourquoi la polémique touche- t-elle l’#Université_d’Angers ?

      Parce qu’un membre de cet Observatoire, #Hubert_Heckmann, maître de conférences en littérature du Moyen Âge à Rouen (Seine-Maritime) a publié, le 2 février, une tribune, sur le site internet de l’hebdomadaire Le Point , fustigeant le travail de Nahema Hanafi.

      Maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine au sein de l’institution angevine, cette dernière est l’autrice d’un livre, L’arnaque à la nigériane, spams, rapports postcoloniaux et banditisme social , consacré aux « brouteurs », ces cyberescrocs spécialisés dans l’escroquerie à l’avance de frais.

      Pour Hubert Heckmann, l’universitaire angevine fait, dans son ouvrage, « en connaissance de cause, l’éloge d’un système criminel ». Des mots, comme un procès d’intention, qui ont trouvé un écho dans les milieux d’extrême droite.

      « L’article issu des travaux de l’Observatoire du décolonialisme et des théories identitaires », comme il est présenté, devient alors le terreau d’une haine sans filtre contre Nahema Hanafi. Une #haine déversée sur les réseaux sociaux et la section commentaires du site.

      La maîtresse de conférences encaisse, mais elle a décidé de porter plainte. Le parquet d’Angers a ouvert une enquête préliminaire. « Ces attaques ont suscité chez moi une vive émotion », exprime-t-elle.

      Bien sûr, il y a les insultes racistes, mais Nahema Hanafi s’alarme aussi de « voir attaqués, par des membres de l’université, des champs d’études et des méthodologies – celles des sciences sociales – pourtant essentiels à la compréhension de nos sociétés ».

      Qu’est-ce qu’on reproche aux sciences humaines et sociales ?

      Car, au fond, la question est là. Au-delà du « cas » Nahema Hanafi, tout un pan des recherches universitaires actuelles est actuellement remis en cause, autant par le monde politique que par le monde universitaire.

      Un opprobre grossi, déformé, récupéré, amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux, et qui contribue, aujourd’hui, à un sentiment d’insécurité des enseignantes et enseignants investis dans ces recherches.

      « La période est tellement difficile pour nous que l’on se doit de faire attention aux paroles qui vont être portées publiquement, relève Marie Sonnette, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université d’Angers, qui travaille, notamment, sur les rapports de pouvoirs et de genre. Le moindre mot de travers peut nous porter préjudice. On se demande comment on va pouvoir continuer à faire notre métier. » Elle a d’ailleurs été contrainte de suspendre un temps son compte Twitter après des attaques groupées.

      Un métier qui, pour rappel, consiste à explorer et enseigner des disciplines liées à la réalité humaine, dans toute sa pluralité. Un métier qui, justement, en raison de cette pluralité, amène à investir des champs nouveaux, à l’aune de travaux, d’ici et d’ailleurs. Comme les études de genres, développées aux États-Unis.

      « Les sciences humaines et sociales aident à mieux comprendre le monde, plaide Chadia Arab, géographe à l’Université d’Angers et chargée de recherches au CNRS, qui travaille, notamment, sur les migrations et le genre. Elles servent aussi à expliquer les dysfonctionnements de ce monde, les inégalités produites par ce monde. Et je pense que c’est cela qui fait peur aux politiques. » Pas seulement les politiques…

      Ces recherches sont-elles le porte-voix d’un #militantisme ?

      Chadia Arab réfute ne serait-ce que l’idée. « Nous sommes tout le temps évalués, tout le temps éprouvés par la rigueur scientifique, il faut en tenir compte. On ne peut pas nous accuser d’être des militants en sciences sociales ni, pour aller vite, d’être des islamo-gauchistes. »

      Pour Katell Brestic, docteure en études germanophones à l’Université d’Angers, qui mène, notamment, des études postcoloniales et transnationales, c’est clair : « La valeur de nos recherches est scientifique, au même titre que celles d’un biologiste ou d’un généticien. Simplement, on ne travaille pas sur l’ADN avec des pipettes dans un laboratoire, mais sur d’autres formes de matériaux, qu’on analyse après, avec des grilles scientifiques précises. »

      Aujourd’hui, confrontées à un débat qui n’a plus rien d’apaisé, les universitaires angevines que nous avons interrogées sont inquiètes. Pour leurs champs de recherches, pour la liberté académique, pour l’avenir. Pour elles.

      « D’éminents confrères du monde entier ont récemment signé une tribune pour nous soutenir, souligne Marie Sonnette. Ils concluent en disant qu’ils seront prêts à accueillir les chercheurs qui ne pourront plus mener leurs recherches en France. Et ça, ça nous fait extrêmement peur. »

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/islamo-gauchisme-a-l-universite-on-ne-peut-pas-nous-accuser-d-etre-des-

    • Ecole de #Marion_Maréchal: anatomie d’un fiasco

      Lancé il y a trois ans, l’#Issep, qui se voulait le « Sciences-Po » de la droite de la droite, vivote. Loin de la communication à outrance, l’école recrute surtout parmi le microcosme des proches de l’ancienne députée frontiste.

      « Avez-vous déjà entendu parler de la “blanchité hégémonique” (les Blancs responsables de tous les malheurs du monde), du “racisme systémique” (l’État et la société française seraient intrinsèquement racistes) ou encore de la séparation du monde entre “dominants (blancs) et racisés” ? Sûrement trouvez-vous ces concepts délirants et dangereux. Eh bien sachez qu’aujourd’hui ces “thèses” sont très répandues voire enseignées dans de nombreuses écoles et universités du supérieur. »

      Dans un courrier de quatre pages envoyé le 16 avril à un fichier de 10 000 personnes, Marion Maréchal, qui entend bien profiter des polémiques sur « l’islamo-gauchisme » censé « gangrener » l’université, fait un vibrant appel aux dons pour son école de sciences politiques, l’Issep (Institut de sciences sociales, économiques et politiques), créée il y a trois ans à Lyon.

      « L’Issep est l’un des seuls remparts contre le terrorisme intellectuel qui sévit en France […] Si votre vœu le plus cher pour vos enfants ou petits-enfants est qu’ils fassent de belles études, il faut agir maintenant. Aussi modeste soit-il, votre geste peut changer l’avenir de notre cher pays », affirme l’ancienne députée FN.

      Elle décrit des facs où règnent des « commissaires du peuple d’un nouveau genre qui n’hésitent pas à utiliser la violence ou la menace » contre les mal-pensants. Pour achever de vaincre les dernières réticences, Marion Maréchal rappelle les déductions fiscales propres à ce type de dons.

      Initiés par le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, puis réactivés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal, les débats autour de « l’islamo-gauchisme », les études de genre ou décoloniales à l’université semblent une formidable opportunité pour l’entreprise de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.

      Ces controverses, aussi artificielles soient-elles, offrent une soudaine légitimité au discours de l’extrême droite, qui n’a pendant longtemps pas dépassé ce cercle militant.

      « L’Issep étant né d’un constat négatif porté sur l’enseignement supérieur et en particulier les filières en sciences sociales – i.e. la baisse du niveau moyen des formations avec notamment l’abandon progressif des humanités et le militantisme associé, voire le sectarisme idéologique, qui sévissent trop souvent dans les établissements privés ou universitaires – les dérives et les violences du courant islamo-gauchiste ne font que conforter notre diagnostic et légitiment un peu plus notre existence, ce qui incite de nombreux Français à soutenir notre projet », assure d’ailleurs auprès de Mediapart Jacques de Guillebon, coprésident du conseil scientifique de l’Issep, également directeur de la rédaction du magazine L’Incorrect.

      https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2021/05/09/capture-d-e-cran-2021-05-09-a-11-33-13.png?width=1698&height=946&wi

      Depuis son inauguration en juin 2018, l’Issep, qui se voulait une « vitrine » pour la « bataille culturelle » de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, aurait pu profiter d’un climat politique a priori favorable. Et pourtant, l’établissement, censé démontrer que l’ancienne députée du Vaucluse pouvait être une cheffe d’entreprise loin de la vie politique, vivote péniblement.

      Malgré un lancement sous une forêt de micros et de caméras, les débuts de « l’institut » ont été des plus laborieux. L’Issep n’a d’abord reçu l’agrément ministériel l’autorisant à s’afficher en tant qu’établissement privé du supérieur qu’en janvier 2019, plusieurs mois après son ouverture. En cause, un dossier administratif longtemps incomplet, l’école étant incapable de fournir au rectorat les informations administratives de base, comme l’avait raconté à l’époque une enquête de l’émission de télévision « Quotidien ».

      Dans la déclaration d’ouverture de l’Issep, transmise au rectorat de Lyon, Marion Maréchal promettait ainsi plus de 400 heures d’enseignement et une équipe d’une vingtaine de professeurs. Fin septembre, son dossier ne contenait plus que 90 heures de cours et apportait des informations lacunaires sur à peine six professeurs, comme l’avait révélé le magazine Challenges.

      Le « diplôme » de l’Issep n’a surtout aujourd’hui aucune valeur dans l’enseignement supérieur et n’offre aucune équivalence. Le tour de passe-passe, avancé lors de la création de l’école, consistant à nouer un partenariat avec une université européenne pour obtenir une équivalence de diplôme n’a pas marché.

      « Au-delà de la reconnaissance du diplôme, il est important d’avoir des partenaires de qualité afin de crédibiliser la pédagogie de notre école, répond l’Issep. Aujourd’hui, nous avons une antenne de l’Issep à Madrid, et des partenariats avec l’université de Saint-Pétersbourg en Russie et l’université du Saint-Esprit à Kaslik au Liban. » Ce qui signifie qu’aucune université européenne n’a souhaité associer son nom avec ce qui ressemble fort à une coquille vide.

      Celui qui a œuvré au partenariat entre l’Issep et l’université de Saint-Petersbourg, l’historien #Oleg_Sokolov, spécialiste de Napoléon, est aujourd’hui en prison depuis novembre 2019 après avoir tué et démembré son épouse de 24 ans, également son ancienne étudiante.

      Une affaire pour le moins embarrassante pour l’image de l’Issep, même si l’école n’y est évidemment pour rien. Le choix de s’adjoindre, cette année, les services du professeur de droit #Jean-Luc_Coronel_de_Boissezon, aujourd’hui renvoyé devant le tribunal correctionnel pour son implication, en mars 2018, dans une opération de l’extrême droite pour déloger des grévistes de la faculté de droit de Montpellier, pose par ailleurs question.

      Proches des identitaires, lui et son épouse, #Patricia_Margand, sont accusés d’avoir « activement participé à la mise en place » du commando, selon la juge d’instruction chargée du dossier, comme l’ont révélé Mediacités et Mediapart.

      « Nous avons fait le choix de lui confier un cours, parce que nous considérons cette histoire de l’université de Montpellier comme particulièrement injuste et politiquement orientée. C’est un professeur reconnu, qui a mené durant 30 ans une carrière irréprochable, et a toujours été apprécié par ses étudiants. Il a été la victime de bloqueurs d’extrême gauche outranciers et violents, laissés libres de leurs actions par un préfet qui n’a pas voulu prendre ses responsabilités », répond à ce propos Jacques de Guillebon.

      Le principal échec de l’école, qui n’a formé en trois ans que 230 étudiants, la majorité en formation continue (c’est-à-dire en suivant des cours quelques week-ends par an), est ailleurs. Il tient dans l’incapacité de recruter au-delà d’un tout petit cercle militant ou amical, comme a pu l’établir Mediapart. À chaque rentrée, Marion Maréchal est d’ailleurs obligée de battre le rappel pour trouver de nouvelles recrues.

      Un microcosme consanguin

      À cet égard, le pari de convaincre la bourgeoisie lyonnaise conservatrice d’inscrire ses enfants à l’Issep est un échec cuisant. « Nos étudiants ont des profils très variés, et la majorité n’a jamais eu d’engagement politique. Ils viennent de toute la France et de filières très diverses, allant de l’écogestion au droit, en passant par l’histoire ou des écoles d’ingénieur », affirme Jacques de Guillebon.

      Sauf que l’Issep, qui se targuait de concurrencer les instituts de sciences politiques, ne « forme » en réalité que des militants identitaires ou des proches de Marion Maréchal.

      Une certaine idée du « pluralisme » maintes fois mis en avant par la directrice de l’école, Marion Maréchal, qui n’a cessé de mettre en scène son retrait de la vie politique et sa distance avec le RN présidé par sa tante.

      L’examen de la liste que Mediapart s’est procurée des 35 étudiants inscrits en formation continue cette année – il existe deux promotions – est à ce titre édifiant.

      Un premier groupe d’élèves est constitué d’élus ou de membres du #RN de la région lyonnaise : #Enzo_Dubois est le référent #Génération_nation, la branche jeune du RN à Voiron ; #Antonia_Dufour est une ancienne conseillère départementale RN du canton de Monteux ; #Mathilde_Robert, qui milite au parti depuis ses 15 ans, était aussi candidate du RN aux municipales 2020 à Vienne (Isère) au côté d’#Adrien_Rubagotti, qui fait d’ailleurs, lui aussi, partie de la même promotion Issep.

      https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2021/05/09/capture-d-e-cran-2021-05-09-a-11-19-36.png?width=2162&height=1188&w

      Le deuxième cercle est celui des militants de Génération identitaire (#GI), mouvement dissous en mars par le ministère de l’intérieur pour plusieurs motifs, dont la provocation à la « discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison » de leur origine, mais aussi pour présenter dans sa forme et son organisation « le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».

      Sous son nom civil, #Anne-Thaïs_du_Tertre, on trouve la très médiatique #Thaïs_d’Escufon, porte-parole du groupuscule dissous et qui a fait parler d’elle pour avoir participé au happening identitaire – les militants de GI avaient déroulé en haut d’un immeuble une banderole contre « le racisme anti-Blanc » – en marge de la manifestation contre les violences policières place de la République, en juin 2020.

      Le président de GI, #Clément_Gandelin, dit « #Galant », fait aussi partie des « étudiants » de l’école de Marion Maréchal. Condamné en première instance à six mois de prison ferme, 2 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques pour une durée de cinq ans, dans l’affaire de l’opération anti-migrants à la frontière franco-italienne, en 2018, avant d’être relaxé par la cour d’appel de Grenoble, « Galant » avait déjà été condamné pour des faits de violence en marge d’une rencontre sportive.

      #Corentin_Merdy est lui aussi un militant bien connu de GI à Toulouse. Il a participé à l’action du groupe place de la République et a été interpellé au côté de Thaïs d’Escufon – une photo les immortalise ensemble dans le fourgon de police.

      Le troisième groupe est constitué de militants identitaires et de catholiques traditionalistes. On peut y classer #Alexis_Forget, qui tient la librairie identitaire #Les_Deux_Cités, à Nancy, et écrit régulièrement dans L’Incorrect, le journal de Jacques de Guillebon.

      La chroniqueuse à Sud Radio #Stella_Kamnga, qui se présente comme « citoyenne contre la désinformation » (et qu’on peut voir ici débattre à Sud Radio avec sa camarade de promotion Thaïs d’Escufon), fait elle aussi partie des étudiants de l’Issep cette année. L’engagement politique de certains, plus anonymes, se comprend assez rapidement en consultant leurs pages personnelles sur différents réseaux sociaux.

      Le dernier groupe, à l’intersection des groupes précédents, est constitué de « fille de », de « femme de » ou, pour un cas, de « mari de ». Il est intéressant en ce qu’il révèle l’étroitesse de la galaxie Marion Maréchal, en décalage total avec l’incroyable attention que lui accordent les médias depuis plusieurs années.

      La militante RN #Mathilde_Robert, précédemment citée, est ainsi non seulement l’épouse du conseiller régional RN #Thibaut_Monnier, grand ami de Marion Maréchal et cofondateur de l’Issep, mais elle est aussi la fille de #Sophie_Robert, candidate RN à la mairie de Saint-Étienne et vieille connaissance de la famille Le Pen. Cette dernière soutient tellement l’école que trois autres de ses filles sont dans la même formation. Une formation continue, qui leur permet de suivre de « vraies » études par ailleurs ou d’exercer un métier.

      #Anne-Sophie_Legauffre est, quant à elle, la compagne du conseiller régional #Antoine_Mellies, lui aussi proche parmi les proches de Marion Maréchal et qui a assuré lors du lancement de l’école les relations avec la presse.

      Autre étudiant en formation continue, #Benoît_Marion, imprimeur lyonnais de 43 ans, n’est autre que le mari d’#Agnès_Marion, candidate RN à la mairie de Lyon et qui gravite depuis des années dans la sphère des catholiques traditionalistes lyonnais proches de #Bruno_Gollnisch.

      Trois ans après sa création, l’Issep, qui affirme dans le courrier envoyé le 16 avril vouloir « former la jeunesse de notre pays, préparer l’élite de demain pour relever la France », forme donc surtout le microcosme consanguin des amis de Marion Maréchal. Une certaine idée de la relève.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/100521/ecole-de-marion-marechal-anatomie-d-un-fiasco#at_medium=custom7&at_campaig

  • La valeur d’une vie

    Bientôt les pauvres n’auront plus le droit de parler, les vieux de vivre et les jeunes de chanter. Une alliance inédite entre la science, la rationalité économique et le néolibéralisme autoritaire prépare des monstres que nous ne soupçonnons pas. Cette alliance nous accommode au pire, dont le renoncement aux valeurs et principes qui fondent le vivre ensemble et notre humanité.

    La gestion politique de la #crise_sanitaire est une machine à discriminer. Elle élève au carré les #inégalités sociales et économiques, de classe et de genre, et aujourd’hui les inégalités devant le #droit_à_la_santé et à la vie. Ces inégalités étaient insupportables avant la pandémie. Elles sont aujourd’hui la cause d’un effondrement social, économique et tout simplement moral. Si des études sérieuses (voir celle de l’INSEE ici) montrent que le virus « creuse les inégalités », ce sont avant tout les politiques néolibérales qui causent en priorité la mort des personnes âgées et des plus pauvres, l’exposition et la fragilisation des ouvriers, quand les classes sociales les plus favorisées traversent la pandémie avec infiniment moins de risque.

    Les choix politiques du gouvernement en matière de gestion de la crise sont passés successivement du mensonge d’Etat aux errements criminels, des errements à la bureaucratisation inefficace, de la bureaucratisation à la rationalisation impuissante, et désormais de la rationalisation au contrôle des corps. Cette dernière étape nous fait entrer dans la plus vertigineuse des dystopies. Des hommes politiques et des médecins ont pu concevoir d’interdire la parole dans les transports en commun. Alors que l’impératif sanitaire de la distance (physique et sociale) crée des pathologies de masse, il faudrait encore que les pauvres et le jeunes s’imposent le silence dans les transports en commun. Pourquoi donc l’Etat n’a-t-il pas pris depuis mars 2020 les dispositions qui auraient permis à chaque personne qui prend un bus, un tram ou un métro de bénéficier gratuitement d’un masque FFP2 ? Au lieu de cela on interdit aux plus défavorisés et aux jeunes de porter leur masque artisanal, sans prévoir une campagne et des moyens de protection pour quelques millions de personnes. Le problème n’est pas que l’Etat néolibéral de Macron et Castex serait maladroit, commettrait des erreurs à répétition, improviserait et jonglerait dans les difficultés de gestion d’une crise effroyable – même si ce peut être le cas -, le problème est qu’ils assomment systématiquement les pauvres, les jeunes et les vieux. Ce qui est effroyable, ce n’est pas le virus en lui-même, c’est le capitalisme qui le gère et en développe les conséquences. Parmi celles-ci, il en est une qui doit nous alarmer. La remise en cause du droit à la vie.

    Depuis le début de cette pandémie chaque jour qui passe accroît notre tolérance à l’insupportable. L’insupportable m’a été donné à entendre dans la bouche d’un Chef de service de l’Hôpital Bichat qui s’exprimait au journal de 13h de France-Inter ce dimanche 24 janvier 2021. On peut l’entendre ici, à 12mn et 40 secondes. Les propos de ce médecin ont créé en moi un choc. Un choc d’une grande violence. Ce choc a été provoqué par la rencontre entre la mémoire, l’historicité et la culture d’un côté, et de l’autre une parole médicale, autorisée et publique appelant à choisir la mort de nos aîné.es - et associant ce choix à un « courage » politique. Voici la transcription exacte des propos tenus par ce médecin, qui évoque des alternatives à un reconfinement général :

    « Soit faire des confinements sur des populations extrêmement à risque, soit admettre que ce qu’on vit après 80 ans c’est du bonus.

    Est-ce qu’aujourd’hui est-ce qu’on peut encore s’autoriser ces bonus ?

    Je pense qu’il faut prioriser les jeunes générations, les forces actives de la société, les PME.
    Je pense qu’il faut qu’on fasse des choix qui sont difficiles. » Il parle d’une « vision globale du courage. »

    Il convient de bien comprendre la portée de ces propos. Une portée incalculable et qui échappe certainement, du moins en partie, à celui qui les tient.

    Tout d’abord le médecin use d’un lexique de gestionnaire et fait entrer la question de la valeur d’une vie dans une rationalité comptable : le « bonus », les « forces actives », « s’autoriser » et « les PME ». C’est ici le point de vue d’un gestionnaire du vivant, à savoir très exactement ce qu’ont produit vingt années de massacre managérial et de rationalisation comptable dans les hôpitaux publics.

    Ensuite le médecin, qui est un très bon communiquant – comme tout excellent gestionnaire –, prend soin de surfer sur l’opposition au confinement, le soutien à la jeunesse et à l’économie pour nous arracher un consentement (« admettre ») au moyen d’une question rhétorique (« est-ce qu’on peut encore s’autoriser »), mais jamais au moyen d’un raisonnement ou une démonstration. Car il faudrait demander à ce Chef de service comment il explique que la fin du bonus des plus de 80 ans aiderait en quoi que ce soit à sauver la jeunesse. Quel est son raisonnement ? Pourquoi prioriser les jeunes générations devrait-il conduire à sacrifier nos aîné.es ? Le souci de tous n’exige-t-il pas de travailler au bien de la jeunesse comme à celui des aîné.es ? L’imposition d’un choix, soumis à un impératif totalement subjectif et irrationnel (« il faut », « il faut ») ne serait-il pas ici un moyen de résoudre la situation proprement tragique des personnels hospitaliers et des médecins en première ligne : diminuer la charge sur les hôpitaux par un consentement à laisser mourir les aîné.es dans les Ehpad ou à leur domicile, ce qui s’est produit massivement lors deux premiers confinements ? Le discours est ici celui d’un accommodement avec le pire. La banalisation de la transgression de tous les codes de déontologie et des éthiques médicales est en route. J’invite qui n’aurait pas en mémoire le Serment d’Hippocrate à le relire où à en prendre connaissance : https://www.conseil-national.medecin.fr/medecin/devoirs-droits/serment-dhippocrate . Vous pourrez aisément lister les principes sur lesquels le médecins’assoit. Et les articles du Code de déontologiequ’il appelle à transgresser.

    Enfin il faut vraiment être attentif à ceci que le médecin ne parle pas ici de la question très sensible du choix que font collectivement des équipes médicales confrontées à l’impossibilité de prendre en charge tous les patients. Choix codifié par des règles précises. Il nous parle de tout autre chose : d’un choix à faire pour la société, un choix politique et social, « difficile » et « courageux », une « vision globale ». On se dit alors que cet homme est prêt à entrer en politique ou bien au CA de SANOFI. Car, le médecin, comme bien de ses collègues arpentant les radios et les plateaux de télévision, sort non seulement de la morale, de l’éthique médicale, de la déontologie, mais il sort aussi tout simplement de sa profession (ce qui est une faute), pour s’instituer en manager du politique. C’est ce à quoi on assiste massivement depuis bientôt un an : la fabrique de l’opinion et l’administration politique de la crise sanitaire par les nouveaux managers de la science et une classe très particulière de médecins-experts qui ne font pas honneur à une profession, laquelle est, avec tous les soignants, dans les plus grandes difficultés et qui paye un tribut considérable à cette pandémie.

    Ce déportement de la parole médicale vers le politique, au nom d’une expertise et de l’autorité scientifique, concerne directement la communauté de recherche et d’enseignement.. Allons-nous laisser les nouveaux managers de la science, au demeurant rigoureusement incultes, avilir toutes les règles de l’éthique médicale et de l’intégrité scientifique en les laissant proférer à longueur de journée, énormités, mensonges, contre-vérités, sophismes, paradoxes et dans le cas qui nous occupe une monstruosité absolue, laquelle parvient à rencontrer du crédit chez un nombre significatif de collègues et de citoyens, dont la raison aura certainement été mise à mal par les temps très durs que nous traversons ?

    Bien sûr ce médecin n’est pas le tout de l’Hôpital. Il ne le représente pas. Il n’est pas la vie vivante des soignants qui se battent pour sauver autrui, quel qu’il soit, sans aucune discrimination. Il n’est pas l’infirmière qui se prend le Covid parce qu’elle n’a pas de FFP2. Qui est donc ce médecin, qui est cet homme pour appeler à supprimer les « Èves octogénaires » de Baudelaire ? À en finir avec le bonus, la chance et le bonheur d’être vivant à 80 ans ? Et pourquoi pas 75 ? ou 85 ? ou 90 ? J’aimerais inviter ce médecin, non pas à lire « Les petites vieilles » de Baudelaire, mais simplement à ouvrir une histoire de l’art ou de la littérature (ou même de la science), et à rechercher les œuvres qui ont été créées par des artistes qui avaient plus de 80 ans. Je pourrais l’inviter à considérer les « bonus » de Pierre Soulages ou Bernard Noël. Et ce « bonus » incroyable du sourire de sa propre grand-mère.

    La question qu’il nous revient de nous poser aujourd’hui est double : accepte-t-on de laisser passer, une fois, deux fois, trois fois, le discours de ce médecin jusqu’à la banalisation du Mal, jusqu’à se complaire dans le plus abject des cynismes, au risque de sortir de l’humanité ? Et plus fondamentalement : quelle est la valeur d’une vie ? Quelle valeur accordons-nous à une vie humaine ? Spinoza exposait cette conception de la vie humaine dans son Traité politique : « … une vie humaine, qui n’est pas définie par la seule circulation du sang, et d’autres choses qui sont communes à tous les animaux, mais surtout par la raison, la vraie vertu et la vie de l’Esprit »*.

    Pascal Maillard

    *La traduction est de Henri Meschonnic dans Langage, histoire une même théorie, Verdier, 2012, p.78, chapitre 5. "L’humanité, c’est de penser libre". Ce chapitre est la reprise d’une communication faite au colloque Qu’est-ce que l’humanité organisé à Toulouse les 8-17 mars 2004.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/260121/la-valeur-d-une-vie
    #droit_à_la_vie #coronavirus #covid-19 #pandémie #néolibéralisme #néo-libéralisme #contrôle_des_corps #discriminations #capitalisme #vieux #jeunes #choix #médecine #politique #éthique

  • Sommes-nous encore une communauté ?

    « Il y a des étudiants fragiles qui se suicident », disait la ministre #Frédérique_Vidal le 2 janvier, une ministre et un gouvernement qui ne soutiennent ni les étudiants, ni l’université, ni la recherche. Et qui mettent des milliers de vies en danger. Publication d’un message aux collègues et étudiant.e.s de l’Université de Strasbourg, qui devient ici une lettre ouverte.

    Chères toutes, chers tous,

    Je tente de rompre un silence numérique intersidéral, tout en sachant que les regards se portent outre-atlantique …

    Cette journée du mercredi 6 janvier a été calamiteuse pour l’Université de Strasbourg. Elle a montré une fois de plus les graves conséquences des carences en moyens financiers, techniques et en personnels dans l’#enseignement_supérieur et la recherche, y compris dans les grandes universités dites de recherche intensive, qui communiquent sur leur excellent équipement et qui sont dans les faits sous-financées – tout comme les plus grands hôpitaux - et sont devenues des usines à fabriquer de la #souffrance et de la #précarité. Il faudra bien sûr identifier les causes précises de la panne informatique géante subie par toute la communauté universitaire de Strasbourg, alors que se tenaient de très nombreux examens à distance : voir ici 8https://www.dna.fr/education/2021/01/06/incident-reseau-durant-un-examen-partiel-etudiants-stresses-et-en-colere) ou là (https://www.francebleu.fr/infos/insolite/universite-de-strasbourg-une-panne-informatique-perturbe-les-examens-de-m).

    Nous avons été informés uniquement par facebook et twitter - je n’ai volontairement pas de comptes de cette nature et n’en aurai jamais, il me semble : je pratique très mal la pensée courte - et par sms. 50 000 sms, promet-on. Mais je n’ai rien reçu sur mon 06, bien que je sois secrétaire adjoint du CHSCT de cette université et que la bonne information des représentants des personnels du CHSCT dans une telle situation soit une obligation, la sécurité des personnels et des étudiants n’étant plus assurée : plus de téléphonie IP, plus de mail, plus aucun site internet actif pendant des heures et des heures. Et ce n’est peut-être pas totalement terminé à l’heure où je publie ce billet (15h).

    Il ne s’agit pas ici d’incriminer les agents de tel ou tel service, mais de faire le constat qu’une université ne peut pas fonctionner en étant sous-dotée et sous-administrée. Une fois de plus, la question qu’il convient de se poser n’est pas tant de savoir si l’université est calibrée pour le virage numérique qu’on veut lui faire prendre à tous les niveaux et à la vitesse grand V en profitant de la crise sanitaire (au profit des #GAFAM et de la #Fondation SFR_que soutient Frédérique Vidal pour booster l’accès aux data des étudiants), que de déterminer si des #examens à distance, des cours hybrides, l’indigestion de data ou de capsules vidéo ne dénaturent pas fondamentalement l’#enseignement et la relation pédagogique et ne sont pas vecteurs de multiples #inégalités, #difficultés et #souffrances, aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants et les personnels.

    Ce sont donc des milliers d’étudiants (entre 2000 et 4000, davantage ?), déjà très inquiets, qui ont vu hier et encore aujourd’hui leur #stress exploser par l’impossibilité de passer des examens préparés, programmés de longue date et pour lesquels ils ont tenté de travailler depuis de longs mois, seuls ou accompagnés au gré des protocoles sanitaires variables, fluctuants et improvisés qu’un ministère incompétent ou sadique prend soin d’envoyer systématiquement à un moment qui en rendra l’application difficile, sinon impossible. Le stress des étudiant.e.s sera en conséquence encore plus élevé dans les jours et semaines qui viennent, pour la poursuite de leurs examens et pour la reprise des cours ce 18 janvier. De mon côté et par simple chance j’ai pu garantir hier après-midi la bonne tenue d’un examen de master à distance : je disposais de toutes les adresses mail personnelles des étudiants et j’ai pu envoyer le sujet et réceptionner les travaux dans les délais et dans les conditions qui avaient été fixées. Tout s’est bien passé. Mais qu’en sera-t-il pour les milliers d’autres étudiants auxquels on promet que l’incident « ne leur sera pas préjudiciable » ? Le #préjudice est là, et il est lourd.

    Mes questions sont aujourd’hui les suivantes : que fait-on en tant que personnels, enseignants, doctorants et étudiant.e.s (encore un peu) mobilisé.e.s contre la LPR, la loi sécurité globale, les réformes en cours, le fichage de nos opinions politiques, appartenances syndicales ou données de santé ? Que fait-on contre la folie du tout #numérique et contre les conséquences de la gestion calamiteuse de la pandémie ? Que fait-on en priorité pour les étudiants, les précaires et les collègues en grande difficulté et en souffrance ? Que fait-on pour éviter des tentatives de suicide d’étudiants qui se produisent en ce moment même dans plusieurs villes universitaires ? Et les tentatives de suicide de collègues ?

    Je n’ai pas de réponse. Je lance une bouteille à la mer, comme on dit. Et je ne suis pas même certain d’être encore en mesure d’agir collectivement avec vous dans les jours qui viennent tant j’ai la tête sous l’eau, comme beaucoup d’entre vous … Peut-être qu’il faudrait décider de s’arrêter complément. Arrêter la machine folle. Dire STOP : on s’arrête, on prend le temps de penser collectivement et de trouver des solutions. On commence à refonder. On se revoit physiquement et on revoit les étudiants à l’air libre, le plus vite possible, avant l’enfer du 3ème confinement.

    Nous sommes une #intelligence_collective. « Nous sommes l’Université », avons-nous écrit et dit, très souvent, pendant nos luttes, pour sauver ce qui reste de l’Université. Je me borne aujourd’hui à ces questions : Sommes-nous encore l’Université ? Sommes-nous encore une intelligence collective ? Que reste-t-il de notre #humanité dans un système qui broie l’humanité ? Sommes-nous encore une #communauté ?

    En 2012, j’ai écrit un texte dont je me souviens. Il avait pour titre « La communauté fragmentée ». Je crois que je pensais à Jean-Luc Nancy en écrivant ce texte, à la fois de circonstance et de réflexion. A 8 années de distance on voit la permanence des problèmes et leur vertigineuse accélération. Nous sommes aujourd’hui une communauté fragmentée dans une humanité fragmentée. Comment faire tenir ensemble ces fragments ? Comment rassembler les morceaux épars ? Comment réparer le vase ? Comment réinventer du commun ? Comment faire ou refaire communauté ?

    Je pose des questions. Je n’ai pas de réponse. Alors je transmets quelques informations. Je n’imaginais pas le faire avant une diffusion officielle aux composantes, mais vu les problèmes informatiques en cours, je prends sur moi de vous informer des avis adoptés à l’unanimité par le CHSCT qui s’est tenu ce 5 janvier. Ce n’est pas grand-chose, mais un avis de CHSCT a quand même une certaine force de contrainte pour la présidence. Il va falloir qu’ils suivent, en particulier sur le doublement des postes de médecins et de psychologues. Sinon on ne va pas les lâcher et on ira jusqu’au CHSCT ministériel.

    Je termine par l’ajout de notes et commentaires sur les propos de #Vidal sur France Culture le 2 janvier (https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

    ). Je voulais en faire un billet Mediapart mais j’ai été tellement écœuré que je n’ai pas eu la force. Il y est question des suicides d’étudiants. Il y a des phrases de Vidal qui sont indécentes. Elle a dit ceci : « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels … On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

    Sur le réseau CHSCT national que j’évoquais à l’instant, il y a des alertes très sérieuses. Des CHSCT d’université sont saisis pour des TS d’étudiants. L’administrateur provisoire de l’Université de Strasbourg a bien confirmé ce 5 janvier que la promesse de Vidal de doubler les postes de psychologues dans les universités n’était actuellement suivi d’aucun moyen, d’aucun financement, d’aucun effet. Annonces mensongères et par conséquent criminelles ! Si c’est effectivement le cas et comme il y a des tentatives de suicides, il nous faudra tenir la ministre pour directement responsable. Et il faut le lui faire savoir tout de suite, à notre ministre "multi-factorielle" et grande pourvoyeuse de data, à défaut de postes et de moyens effectifs.

    Je vais transformer ce message en billet Mediapart. Car il faut bien comprendre ceci : nous n’avons plus le choix si on veut sauver des vies, il faut communiquer à l’extérieur, à toute la société. Ils n’ont peur que d’une seule chose : la communication. Ce dont ils vivent, qui est la moitié de leur infâme politique et dont ils croient tenir leur pouvoir : la #communication comme technique du #mensonge permanent. Pour commencer à ébranler leur système, il nous faut systématiquement retourner leur petite communication mensongère vulgairement encapsulée dans les media « mainstream" par un travail collectif et rigoureux d’établissement des faits, par une éthique de la #résistance et par une politique des sciences qui repose sur des savoirs et des enseignements critiques. Et j’y inclus bien sûr les savoirs citoyens.

    Notre liberté est dans nos démonstrations, dans nos mots et dans les rues, dans nos cris et sur les places s’il le faut, dans nos cours et nos recherches qui sont inséparables, dans nos créations individuelles et collectives, dans l’art et dans les sciences, dans nos corps et nos voix. Ils nous font la guerre avec des mensonges, des lois iniques, l’imposture du « en même temps » qui n’est que le masque d’un nouveau fascisme. Nous devons leur répondre par une guerre sans fin pour la #vérité et l’#intégrité, par la résistance de celles et ceux qui réinventent du commun. Au « en même temps », nous devons opposer ceci : "Nous n’avons plus le temps !". Ce sont des vies qu’il faut sauver. Le temps est sorti de ses gonds.

    Bon courage pour tout !

    Pascal

    PS : Avec son accord je publie ci-dessous la belle réponse que ma collègue Elsa Rambaud a faite à mon message sur la liste de mobilisation de l’Université de Strasbourg. Je l’en remercie. Je précise que la présente lettre ouverte a été légèrement amendée et complétée par rapport au message original. Conformément à celui-ci, j’y adjoins trois documents : la transcription commentée de l’entretien de Frédérique Vidal sur France Culture, les avis du CHSCT de l’Université de Strasbourg du 5 janvier 2021 et le courriel à tous les personnels de l’université de Valérie Robert, Directrice générale des services, et François Gauer, vice-président numérique. Nous y apprenons que c’est "le coeur" du système Osiris qui a été « affecté ». Il y a d’autres cœurs dont il faudra prendre soin … Nous avons besoin d’Isis... Soyons Isis, devenons Isis !

    –—

    Cher Pascal, cher-e-s toutes et tous,

    Merci de ce message.

    Pour ne pas s’habituer à l’inacceptable.

    Oui, tout ça est une horreur et, oui, le #distanciel dénature la #relation_pédagogique, en profondeur, et appauvrit le contenu même de ce qui est transmis. Nos fragilités institutionnelles soutiennent ce mouvement destructeur.

    Et pour avoir suivi les formations pédagogiques "innovantes" de l’IDIP l’an passé, je doute que la solution soit à rechercher de ce côté, sinon comme contre-modèle.

    Je n’ai pas plus de remèdes, seulement la conviction qu’il faut inventer vraiment autre chose : des cours dehors si on ne peut plus les faire dedans, de l’artisanat si la technique est contre nous, du voyage postal si nos yeux sont fatigués, du rigoureux qui déborde de la capsule, du ludique parce que l’ennui n’est pas un gage de sérieux et qu’on s’emmerde. Et que, non, tout ça n’est pas plus délirant que le réel actuel.

    Voilà, ça ne sert pas à grand-chose - mon mail- sinon quand même à ne pas laisser se perdre le tien dans ce silence numérique et peut-être à ne pas s’acomoder trop vite de ce qui nous arrive, beaucoup trop vite.

    Belle année à tous, résistante.

    Elsa

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/070121/sommes-nous-encore-une-communaute
    #étudiants #université #France #confinement #covid-19 #crise_sanitaire #santé_mentale #suicide #fragmentation

    • Vidal sur France Culture le 2 janvier :

      https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

      En podcast :

      http://rf.proxycast.org/d7f6a967-f502-4daf-adc4-2913774d1cf3/13955-02.01.2021-ITEMA_22529709-2021C29637S0002.mp3

      Titre d’un billet ironique à faire : « La ministre multi-factorielle et téléchargeable »

      Transcription et premiers commentaires.

      Reprise des enseignements en présence « de manière très progressive ».

      Dès le 4 janvier « Recenser les étudiants et les faire revenir par groupe de 10 et par convocation. » Comment, quand ?

      « Les enseignants sont à même d’identifier ceux qui sont en difficulté. » Comment ?

      « Le fait qu’on ait recruté 20 000 tuteurs supplémentaires en cette rentrée permet d’avoir des contacts avec les étudiants de première année, voir quels sont leur besoin pour décider ensuite comment on les fait revenir … simplement pour renouer un contact avec les équipes pédagogiques. » Mensonge. Ils ne sont pas encore recrutés. En 16:30 Vidal ose prétendre que ces emplois ont été créé dans les établissement au mois de décembre. Non, c’est faux.

      « 10 % des étudiants auraient pu bénéficier de TP. » Et 0,5% en SHS, Lettres, Art, Langues ?

      La seconde étape concernera tous les étudiants qu’on « essaiera de faire revenir une semaine sur deux pour les TD » à partir du 20 janvier.

      Concernant les étudiants : « souffrance psychologique très forte, … avec parfois une augmentation de 30 % des consultations »

      « Nous avons doublé les capacités de psychologues employés par les établissements ». Ah bon ?

      « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels ». « On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

      « on recrute 1600 étudiants référents dans les présidences universitaires » (à 10 :30) « pour palier au problème de petits jobs ».

      « On a doublé le fond d’aide d’urgence. »

      « Nous avons-nous-même au niveau national passé des conventions avec la Fondation SFR … pour pouvoir donner aux étudiants la capacité de télécharger des data … », dit la ministre virtuelle. SFR permet certainement de télécharger une bouteille de lait numérique directement dans le frigo des étudiants. « Donner la capacité à télécharger des data » : Vidal le redira.

      L’angoisse de la ministre : « La priorité est de garantir la qualité des diplômes. Il ne faut pas qu’il y ait un doute qui s’installe sur la qualité des diplômés. »

      La solution est le contrôle continu, « le suivi semaine après semaine des étudiants » : « Ces contrôles continus qui donnent évidemment beaucoup de travail aux étudiants et les forcent à rester concentrés si je puis dire, l’objectif est là aussi. » Cette contrainte de rester concentré en permanence seul devant la lumière bleue de son écran, ne serait-elle pas en relation avec la souffrance psychologique reconnue par la ministre et avec le fait que « des étudiants fragiles se suicident » ?

    • Question posée par nombre d’étudiants non dépourvus d’expériences de lutte : puisque les tribunes et autres prises de position, les manifs rituelles et les « contre cours » ne suffisent pas, les profs et les chercheurs finiront-ils par faire grève ?

      Dit autrement, la « résistance » doit-elle et peut-elle être platonique ?

      Et si le suicide le plus massif et le plus terrible était dans l’évitement de ces questions ?

    • @colporteur : tes questions, évidemment, interrogent, m’interrogent, et interrogent tout le corps enseignant de la fac...
      « Les profs finiront-ils (et elles) pour faire grève ? »

      Réponse : Je ne pense pas.
      Les enseignant·es ont été massivement mobilisé·es l’année passée (il y a exactement un an). De ce que m’ont dit mes collègues ici à Grenoble : jamais ielles ont vu une telle mobilisation par le passé. Grèves, rétention des notes, et plein d’autres actions symboliques, médiatiques et concrètes. Les luttes portaient contre la #LPPR (aujourd’hui #LPR —> entérinée le matin du 26 décembre au Journal officiel !!!), contre les retraites, contres les violences policières, etc. etc.
      Cela n’a servi strictement à rien au niveau des « résultats » (rien, même pas les miettes).
      Les profs sont aussi très fatigué·es. J’ai plein de collègues qui vont mal, très mal.
      Les luttes de l’année passée ont été très dures, et il y a eu de très fortes tensions.
      On n’a pas la possibilité de se voir, de se croiser dans les couloirs, de manger ensemble. On est tou·tes chez nous en train de comprendre comment éviter que les étudiant·es lâchent.

      Je me pose tous les jours la question : quoi faire ? Comment faire ?

      L’université semble effriter sous nos pieds. En mille morceaux. Avec elle, les étudiant·es et les enseignant·es.

      Venant de Suisse, les grèves étudiantes, je ne connais pas. J’ai suivi le mouvement l’année passée, j’ai été même identifiée comme une des « meneuses du bal ». Je l’ai payé cher. Arrêt de travail en septembre. Mes collègues m’ont obligée à aller voir un médecin et m’ont personnellement accompagnée pour que je m’arrête pour de bon. Beaucoup de raisons à cela, mais c’était notamment dû à de fortes tensions avec, on va dire comme cela, « l’administration universitaire »... et les choses ont décidément empiré depuis les grèves.

      Personnellement, je continue à être mobilisée. Mais je ne crois pas à la confrontation directe et aux grèves.

      Le problème est de savoir : et alors, quelle stratégie ?

      Je ne sais pas. J’y pense. Mes collègues y pensent. Mais il y a un rouleau compresseur sur nos épaules. Difficile de trouver l’énergie, le temps et la sérénité pour penser à des alternatives.

      J’ai peut-être tort. Mais j’en suis là, aujourd’hui : détourner, passer dessous, passer derrière, éviter quand même de se faire écraser par le rouleau compresseur.
      Stratégie d’autodéfense féministe, j’ai un peu l’impression.

      Les discussions avec mes collègues et amiEs de Turquie et du Brésil me poussent à croire qu’il faut changer de stratégie. Et un mot d’ordre : « si on n’arrivera pas à changer le monde, au moins prenons soins de nous » (c’était le mot de la fin de la rencontre que j’avais organisée à Grenoble avec des chercheur·es de Turquie et du Brésil :
      https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/universitaires-en-danger-journee-de-reflexion-et-de-solidarites-avec-

    • #Lettre d’un #étudiant : #exaspération, #résignation et #colère

      Bonjour,
      Je viens vers vous concernant un sujet et un contexte qui semblent progressivement se dessiner…
      Il s’agit du second semestre, et le passage en force (par « force » je veux dire : avec abstraction de tout débat avec les principaux acteur·ices concerné·es, post-contestations en 2019) de la loi LPR qui, il me semble, soulève une opposition d’ensemble de la part des syndicats enseignants universitaires (étant salarié, je suis sur la liste de diffusion de l’université).
      Aussi je viens vers vous concernant le deuxième semestre, qui risque de faire comme le premier : on commence en présentiel, puis on est reconfiné un mois et demi après. Bien entendu, je ne suis pas devin, mais la politique de ce gouvernement est assez facile à lire, je crois.
      Quelle opposition est possible, concrètement ? Car, loin d’aller dans des débats philosophiques, la solution d’urgence du numérique est certainement excusable, sauf lorsque cela tend à s’inscrire dans les mœurs et qu’elle ne questionne pas « l’après », mais qu’elle le conditionne. Or, je ne suis pas sûr qu’il soit sain d’envisager la transmission de savoirs d’une manière aussi arbitraire et insensée dans la durée, et qu’en l’absence de projet politique, cela semble devenir une réponse normée aux différentes crises prévues.
      J’ai la chance d’avoir un jardin, une maison, de l’espace, de pouvoir m’indigner de ceci car j’ai moins de contraintes, et de l’énergie mentale préservée de par un « capital culturel ». Ce n’est pas le cas d’autres, qui sont bloqué·es dans un 9 m2 depuis deux mois.
      Je ne veux pas me prononcer en le nom des autres étudiant·es, mais je peux affirmer que l’exaspération du distanciel et la validation de cette loi (ainsi que les autres, soyons francs) sont en train de soulever un dégoût assez fort. C’est très usant, d’être le dernier maillon d’une chaîne qui se dégrade, sous prétexte que « le distanciel fait l’affaire en attendant » alors même que rien n’est fait en profondeur pour améliorer le système de santé public, ni aucun, sinon l’inverse (l’on parle encore de réduction de lits en 2021 dans l’hôpital public). Je suis pour la solidarité nationale, mais celle-ci n’envisage aucune réciprocité. Et nous les « jeunes » sommes les bizus assumés du monde qui est en train de s’organiser.
      Et cela commence à peser sérieusement sur les promotions.

      (…)
      Je suis convaincu que personne n’apprécie la présente situation, comme j’ai l’impression qu’il n’y aura pas 36 000 occasions d’empêcher les dégradations générales du service public. Et je crains que, par l’acceptation de ce qui se passe, l’on avorte les seules options qu’il reste.
      Je suis désolé de ce message, d’exaspération, de résignation, de colère.

      J’ai choisi l’université française pour les valeurs qu’elle portait, pour la qualité de son enseignement, la force des valeurs qu’elle diffusait, la symbolique qu’elle portait sur la scène internationale et sa distance avec les branches professionnelles. Et j’ai l’impression que tout ce qui se passe nous condamne un peu plus, alors que la loi sécurité globale élève un peu plus la contestation, et que le gouvernement multiplie ses erreurs, en s’attaquant à trop de dossiers épineux en même temps. N’y a t’il pas un enjeu de convergence pour rendre efficace l’opposition et la proposition ?
      L’université n’est pas un bastion politique mais elle a de tout temps constitué un contre-pouvoir intellectuel se légitimant lors de dérives non-démocratiques, ou anti-sociales. Lorsqu’une autorité n’a que des positions dogmatiques, se soustrait de tout débat essentiel, d’acceptation de la différence (ce qui fait société !), n’est-il pas légitime de s’y opposer ?
      Nous, on se prend le climat, l’austérité qui arrive, la fragilisation de la sécu, des tafta, des lois sur le séparatisme, des policier·es décomplexé·es (minorité) qui tirent sur des innocents et sont couverts par des institutions qui ne jouent pas leur rôle arbitraire, on se fait insulter d’islamo-gauchistes sur les chaînes publiques parce qu’on porte certaines valeurs humanistes. J’avais à cœur de faire de la recherche car la science est ce qui nourrit l’évolution et garantit la transmission de la société, la rendant durable, je ne le souhaite plus. À quoi ça sert d’apprendre des notions de durabilité alors qu’on s’efforce de rendre la société la moins durable possible en pratique ?
      Que peut-on faire concrètement ? Ne nous laissez pas tomber, s’il vous plaît. Nous sommes et serons avec vous.
      Vous, enseignant·es, que vous le vouliez ou non êtes nos « modèles ». Les gens se calquent toujours sur leurs élites, sur leurs pairs.
      Vous êtes concerné·es aussi : les institutions vont commencer à faire la chasse aux sorcières dans les corpus universitaires si les dérives autoritaires se banalisent.

      L’orientation du débat public et la « fachisation » d’idéaux de société va inéluctablement faire en sorte que les enseignant·es soient en ligne de mire pour les valeurs qu’iels diffusent. C’est déjà en cours à la télé, des député·es banalisent ce discours.
      N’est-il pas du devoir des intellectuel·les d’élever le niveau du débat en portant des propositions ?
      Je ne suis pas syndiqué, pas engagé dans un parti, et je me sens libre de vous écrire ceci ; et je l’assumerai.
      Ce que je souhaite, c’est que l’on trouve un discours commun, motivant, pour que l’action puisse naître, collectivement et intelligemment : étudiant·es, et enseignant·es.
      Avec tout mon respect, fraternellement, et en considérant la difficile situation que vous-même vivez.

      Un étudiant en M1
      2 décembre 2020

      https://academia.hypotheses.org/29240

    • Des #vacataires au bord de la rupture se mettent en #grève

      Depuis le 23 novembre 2020, les vacataires en sociologie de l’#université_de_Bourgogne sont en #grève_illimitée. Ils et elles dénoncent les conditions de précarité dans lesquelles ils et elles travaillent, et demandent qu’un dialogue autour de ces problématiques soit enfin instaurer.

      Suite à leur communiqué, les enseignant·e·s–chercheur·e·s du département de sociologie ont décidé de leur apporter tout leur soutien.

      –---

      Communiqué des vacataires en sociologie à l’université de Bourgogne au bord de la rupture

      Nous, docteur·es et doctorant·es, vacataires et contractuel.le.s au département de sociologie, prenons aujourd’hui la parole pour dire notre colère face aux dysfonctionnements structurels au sein de l’université de Bourgogne, qui nous mettent, nous et nos collègues titulaires, dans des situations ubuesques. Nous tirons la sonnette d’alarme !

      L’université de Bourgogne, comme tant d’autres universités en France, recourt aux vacataires et aux contractuel·les pour réaliser des missions pourtant pérennes. Ainsi, en termes d’enseignement, nous vacataires, assurons en moyenne 20 % des enseignements des formations de l’université de Bourgogne. Et au département de sociologie cette proportion grimpe à près de 30%.

      Le statut de vacataire est, à l’origine, pensé pour que des spécialistes, qui ne seraient pas enseignant·es-chercheur·ses à l’université, puissent venir effectuer quelques heures de cours dans leur domaine de spécialité. Cependant aujourd’hui ce statut est utilisé pour pallier le manque de postes, puisque sans nous, la continuité des formations ne peut être assurée : en comptant les vacations ainsi que les heures complémentaires imposées aux enseignants titularisés, ce sont en effet 46% des cours qui dépassent le cadre normal des services des enseignant-chercheurs. Nous sommes donc des rouages essentiel du fonctionnement de l’université.

      Doctorant·es (bien souvent non financé·es, notamment en Sciences Humaines et Sociales) et docteur·es sans postes, nous sommes payé·es deux fois dans l’année, nous commençons nos cours bien souvent plusieurs semaines (à plusieurs mois !) avant que nos contrats de travail soient effectivement signés. Nous sommes par ailleurs rémunéré·es à l’heure de cours effectuée, ce qui, lorsqu’on prend en compte le temps de préparation des enseignements et le temps de corrections des copies, donne une rémunération en dessous du SMIC horaire1.

      Au delà de nos situations personnelles, bien souvent complexes, nous constatons tous les jours les difficultés de nos collègues titulaires, qui tentent de « faire tourner » l’université avec des ressources toujours plus limitées, et en faisant face aux injonctions contradictoires de l’administration, la surcharge de travail qu’induit le nombre croissant d’étudiant·es et les tâches ingrates à laquelle oblige l’indigne sélection mise en place par Parcoursup ! Sans compter, aujourd’hui, les charges administratives qui s’alourdissent tout particulièrement avec la situation sanitaire actuelle. Nous sommes contraint·es d’adapter les modalités d’enseignement, sans matériel et sans moyens supplémentaires, et dans des situations d’incertitudes absolues sur l’évolution de la situation. Nous sommes toutes et tous au maximum de nos services et heures complémentaires et supplémentaires, à tel point que, quand l’un·e ou l’autre doit s’absenter pour quelques raisons que ce soit, nos équipes sont au bord de l’effondrement ! Et nous ne disons rien ici du sens perdu de notre travail : ce sentiment de participer à un vrai service public de l’enseignement supérieur gratuit et ouvert à toutes et tous, systématiquement saboté par les réformes en cours du lycée et de l’ESR !

      C’est pour ces raisons, et face au manque de réponse de la part de l’administration, que nous avons pris la difficile décision d’entamer un mouvement de grève illimité à partir du lundi 23 novembre 2020 à 8 h. Ce mouvement prendra fin lorsqu’un dialogue nous sera proposé.

      Nos revendications sont les suivantes :

      Mensualisation des rémunérations des vacataires ;
      Souplesse vis-à-vis des « revenus extérieurs » insuffisants des vacataires, particulièrement en cette période de crise sanitaire ;
      Exonération des frais d’inscription pour les doctorant.e.s vacataires ;
      Titularisation des contractuelles et contractuels exerçant des fonctions pérennes à l’université ;
      Plus de moyens humains dans les composantes de l’université de Bourgogne.

      Nous avons bien conscience des conséquences difficiles que cette décision va provoquer, autant pour nos étudiant.e.s, que pour le fonctionnement du département de sociologie. Nous ne l’avons pas pris à la légère : elle ne s’est imposée qu’à la suite d’abondantes discussions et de mûres réflexions. Nous en sommes arrivé.es à la conclusion suivante : la défense de nos conditions de travail, c’est aussi la défense de la qualité des formations de l’université de Bourgogne.

      Pour ceux qui se sentiraient désireux de nous soutenir, et qui le peuvent, nous avons mis en place une caisse de grève afin d’éponger en partie la perte financière que recouvre notre engagement pour la fin d’année 2020.

      https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/caisse-de-greve-pour-les-vacataires-sociologie-dijon

      Nous ne lâcherons rien et poursuivrons, si besoin est, cette grève en 2021.
      Lettre de soutien des enseignant·es–chercheur·ses du département de sociologie à l’université de Bourgogne

      https://academia.hypotheses.org/29225
      #précarité #précaires

    • Un étudiant de Master, un doyen de droit : à quand les retrouvailles ?

      Academia republie ici, avec l’accord de leurs auteurs, deux courriels adressés l’un sur une liste de diffusion de l’Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et l’autre par le doyen de la faculté de droit. Les deux disent la même chose : le souhait de se retrouver, de le faire dans des bonnes conditions sanitaires, mais de se retrouver. Aujourd’hui, seul le gouvernement — et peut-être bientôt le Conseil d’État qui devrait rendre la décision concernant le référé-liberté déposé par Paul Cassia — et audiencé le 3 décembre 2020 ((Le message que Paul Cassia a adressé à la communauté de Paris-1 à la sortie de l’audience avec un seul juge du Conseil d’État vendredi, n’était pas encourageant.)) — les en empêchent.

      –—

      Courriel de Dominik, étudiant en Master de Science Politique à l’Université de Paris-1

       » (…) Je me permets de vous transmettre le point de vue qui est le mien, celui d’un étudiant lambda, mais qui passe beaucoup de temps à échanger avec les autres. Je vous conjure d’y prêter attention, parce que ces quelques lignes ne sont pas souvent écrites, mais elles passent leur temps à être prononcées entre étudiantes et étudiants.

      Je crois qu’il est temps, en effet, de se préoccuper de la situation, et de s’en occuper à l’échelle de l’université plutôt que chacun dans son coin. Cette situation, désolé de répéter ce qui a été dit précédemment, est alarmante au plus haut point. J’entends parler autour de moi de lassitude, de colère, de fatigue, voire de problèmes de santé graves, de dépressions et de décrochages. Ce ne sont pas des cas isolés, comme cela peut arriver en novembre, mais bien une tendance de fond qui s’accroît de jour en jour. J’ai reçu des appels d’étudiantes et d’étudiants qui pleuraient de fatigue, d’autres d’incompréhensions. L’un m’écrivait la semaine dernière qu’il s’était fait remettre sous antidépresseurs, tandis que plusieurs témoignent, en privé comme sur les groupes de discussion, de leur situation de “décrochage permanent”.

      Ce décrochage permanent, je suis en train de l’expérimenter, consiste à avoir en permanence un train de retard que l’on ne peut rattraper qu’en prenant un autre train de retard. Le travail est en flux tendu, de 9 heures à 21 heures pour les plus efficaces, de 9h à minuit, voire au-delà pour les plus occupés, ceux qui font au système l’affront de vouloir continuer à suivre un second cursus (linguistique, dans mon cas), voire pire, de continuer à s’engager dans la vie associative qui rend notre Alma Mater si singulière. Parce que nous l’oublions, mais la vitalité associative est elle aussi en grand danger.

      Pour revenir au décrochage permanent, qui est à la louche le lot de la moitié des étudiantes et étudiants de ma licence, et sûrement celui de milliers d’autres à travers l’Université, c’est une situation qui n’est tenable ni sur le plan physique, ni sur le plan psychique, ni sur le plan moral, c’est à dire de la mission que l’Université se donne.

      Sur le plan physique, nous sommes victimes de migraines, de fatigue oculaire (une étudiante me confiait il y a trois jours avoir les yeux qui brûlent sous ses lentilles), de maux de dos et de poignet. Certains sont à la limite de l’atrophie musculaire, assis toute la journée, avec pour seul trajet quotidien l’aller-retour entre leur lit et leur bureau, et éventuellement une randonnée dans leur cuisine. Je n’arrive pas non plus à estimer la part des étudiantes et étudiants qui ne s’alimente plus correctement, mangeant devant son écran ou sautant des repas.

      Sur le plan psychique, la solitude et la routine s’installent. Solitude de ne plus voir ni ses amis ni même quiconque à ce qui est censé être l’âge de toutes les expériences sociales, lassitude des décors (le même bureau, la même chambre, le même magasin), routine du travail (dissertation le lundi, commentaire le mardi, fiche de lecture le mercredi, etc. en boucle) et des cours (“prenez vos fascicules à la page 63, on va faire la fiche d’arrêt de la décision n°xxx”).

      Sur le plan moral, parce que notre Université est en train d’échouer. La Sorbonne plus que toute autre devrait savoir en quoi elle est un lieu de débat d’idées, d’élévation intellectuelle, d’émancipation et d’épanouissement. Sans vie associative, sans conférences, sans rencontres, sans soirées endiablées à danser jusqu’à 6 heures avant l’amphi de Finances publiques (désolé), sans les interventions interminables des trotskystes dans nos amphis, les expos dans la galerie Soufflot, les appariteurs tatillons en Sorbonne et les cafés en terrasse où on se tape dessus, entre deux potins, pour savoir s’il vaut mieux se rattacher à Bourdieu ou à Putnam, à Duguit ou à Hauriou, sans tout ce qui fait d’une Université une Université et de la Sorbonne la Sorbonne, nous sommes en train d’échouer collectivement.

      Sous prétexte de vouloir s’adapter à la situation sanitaire, nous avons créé un problème sanitaire interne à notre établissement, et nous l’avons recouvert d’une crise du sens de ce que nous sommes en tant qu’étudiantes et étudiants, et de ce que Paris I est en tant qu’Université.

      Ce problème majeur ne pourra être traité qu’à l’échelle de toute l’Université. Parce que nombre de nos étudiants dépendent de plusieurs composantes, et qu’il serait dérisoire de croire qu’alléger les cours d’une composante suffira à sauver de la noyade celles et ceux qui seront toujours submergés par les cours de la composante voisine. Parce qu’il semble que nous ayons décidé de tenir des examens normaux en présentiel en janvier, alors même que nombre d’entre nous sont confinés loin de Paris, alors même que la situation sanitaire demeure préoccupante, alors même qu’il serait risible de considérer qu’un seul étudiant de cette Université ait pu acquérir correctement les savoirs et savoir-faires qu’on peut exiger de lui en temps normal.

      Je ne dis pas qu’il faut tenir des examens en distanciel, ni qu’il faut les tenir en présentiel, pour être honnête je n’en ai pas la moindre idée. Je sais en revanche que faire comme si tout était normal alors que rien ne l’est serait un affront fait aux étudiants.

      J’ajoute, enfin, pour conclure ce trop long mot, que je ne parle pas ici des mauvais élèves. Lorsque je parle de la souffrance et de la pénibilité, c’est autant celle des meilleurs que des médiocres. Quand quelqu’un qui a eu 18,5 au bac s’effondre en larmes au bout du fil, ce n’est plus un problème personnel. Quand des étudiantes et étudiants qui ont été sélectionnés sur ParcourSup à raison d’une place pour cent, qui ont été pour beaucoup toute leur vie les modèles les plus parfaits de notre système scolaire, qui sont pour nombre d’entre eux d’anciens préparationnaires à la rue d’Ulm, quand ceux-là vous disent qu’ils souffrent et qu’ils n’en peuvent plus, c’est que le système est profondément cassé.

      Désolé, je n’ai pas de solutions. On en a trouvé quelques-unes dans notre UFR, elles sont listées dans le mail de M. Valluy, mais je persiste à croire que ce n’est pas assez. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut arrêter de faire comme si tout allait bien, parce que la situation est dramatique.

      Je sais, par ailleurs, que ce constat et cette souffrance sont partagés par nombre d’enseignants, je ne peux que leur témoigner mon indéfectible soutien. Je remercie également Messieurs Boncourt et Le Pape d’alerter sur cette situation, et ne peux que souscrire à leur propos.

      Prenez soin de notre société, Prenez soin de vous (…) »

      Dominik

      –—

      Mesdames, Messieurs, chers étudiants,
      Comment vous dire ? Pas d’information ici, pas de renseignement. Je voulais vous parler, au nom de tous.
      La Faculté est froide, déserte. Pas de mouvement, pas de bruit, pas vos voix, pas vos rires, pas l’animation aux pauses. Il n’y a même plus un rayon de soleil dans la cour.
      Nous continuons à enseigner devant des écrans, avec des petites mains qui se lèvent sur teams et une parole à distance. Quelque fois nous vous voyons dans une petite vignette, un par un.
      Quelle tristesse qu’une heure de cours devant un amphithéâtre vide, dont on ne sent plus les réactions, à parler devant une caméra qui finit par vous donner le sentiment d’être, vous aussi, une machine.
      Quel manque d’âme dans ce monde internet, ce merveilleux monde du numérique dont même les plus fervents défenseurs perçoivent aujourd’hui qu’il ne remplacera jamais la chaleur d’une salle remplie de votre vie.

      Vous nous manquez, plus que vous ne l’imaginez. Vous nous manquez à tous, même si nous ne savons pas toujours ni vous le dire, ni vous le montrer.
      Et au manque s’ajoute aujourd’hui une forme de colère, contre le traitement qui vous est fait. Votre retour en février seulement ? Inadmissible. La rentrée en janvier est devenue notre combat collectif.
      Partout les Présidents d’Université expriment leur désaccord et seront reçus par le Premier Ministre. Les doyens de Faculté sont montés au créneau devant le Ministre de l’enseignement supérieur. On ne garantit pas d’être entendus mais on a expliqué que l’avenir ne s’emprisonne pas et que vous êtes l’avenir. Il semble que cela fasse sérieusement réfléchir.
      Si d’aventure nous obtenions gains de cause, et pouvions rentrer en janvier, je proposerai de décaler la rentrée en cas de besoin pour qu’on puisse reprendre avec vous.
      Et vous ?
      Ne croyez pas que nous ignorions que beaucoup d’entre vous se sentent isolés, délaissés, abandonnés même, et que, parfois, même les plus forts doutent. Nous percevons, malgré votre dignité en cours, que la situation est déplaisante, anxiogène, désespérante. Et nous pensons à celles et ceux qui ont été ou sont malades, ou qui voient leurs proches souffrir.
      Nous le sentons bien et souffrons de nous sentir impuissants à vous aider davantage.
      Je veux simplement vous dire que vous devez encore tenir le coup. C’est l’affaire de quelques semaines. C’est difficile mais vous allez y arriver. Vous y arriverez pour vous, pour vos proches, pour nous.

      Pour vous parce que, quelle que soit l’issue de ce semestre, vous aurez la fierté d’avoir résisté à cet orage. Vous aurez été capables de surmonter des conditions difficiles, et serez marqués, par ceux qui vous emploieront demain, du sceau de l’abnégation et courage. Ce sera, de toute façon, votre victoire.
      Pour vos proches parce qu’ils ont besoin, eux aussi, de savoir que vous ne cédez pas, que vous continuez à tout donner, que si vous avez parfois envie d’en pleurer, vous aurez la force d’en sourire.
      Pour nous enfin car il n’y aurait rien de pire pour nous que de ne pas vous avoir donné assez envie pour aller de l’avant. Nous ne sommes pas parfaits, loin de là, mais faisons honnêtement ce que nous pouvons et espérons, de toutes nos forces, vous avoir transmis un peu de notre goût pour nos disciplines, et vous avoir convaincus que vous progresserez aussi bien par l’adversité que par votre réussite de demain.
      Comment vous dire ? j’avais juste envie de vous dire que nous croyons en vous et que nous vous attendons. Bon courage !

      Amicalement
      Fabrice GARTNER
      Doyen de la Faculté de droit, sciences économiques et gestion de Nancy
      Professeur de droit public à l’Université de Lorraine
      Directeur du Master 2 droit des contrats publics
      Avocat spécialiste en droit public au barreau d’Epinal

      https://academia.hypotheses.org/29334

    • « Un #dégoût profond pour cette République moribonde » , écrit un étudiant de sciences sociales

      Le message a circulé. Beaucoup.
      Sur les listes de diffusion, sur les plateformes de messagerie. Le voici publié sur un site : Bas les masques. Il n’est pas inutile de le relire. Et de continuer à se demander que faire. De son côté, Academia continue : proposer des analyses, proposer des actions.

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      Bonjour,

      Je suis enseignant de sciences sociales en lycée en Bretagne et j’ai reçu le cri d’alarme d’un de mes ancien-ne-s élèves de première qui a participé à la manifestation parisienne contre la loi dite de sécurité globale le samedi 5 décembre dernier. Il a aujourd’hui 21 ans et il est étudiant.

      Je me sens démuni pour répondre seul à ce cri d’alarme alors je le relaie en espérant qu’il sera diffusé et qu’il suscitera quelque chose. Une réaction collective à imaginer. Mais laquelle ?

      Merci d’avance pour la diffusion et pour vos éventuelles réponses.

      « Bonjour Monsieur,

      Ce mail n’appelle pas nécessairement de réponse de votre part, je cherchais simplement à écrire mon désarroi. Ne sachant plus à qui faire part du profond mal-être qui m’habite c’est vous qui m’êtes venu à l’esprit. Même si cela remonte à longtemps, l’année que j’ai passée en cours avec vous a eu une influence déterminante sur les valeurs et les idéaux qui sont aujourd’hui miens et que je tente de défendre à tout prix, c’est pour cela que j’ai l’intime conviction que vous serez parmi les plus à même de comprendre ce que j’essaye d’exprimer.

      Ces dernières semaines ont eu raison du peu d’espoir qu’il me restait. Comment pourrait-il en être autrement ? Cette année était celle de mes 21 ans, c’est également celle qui a vu disparaître mon envie de me battre pour un monde meilleur. Chaque semaine je manifeste inlassablement avec mes amis et mes proches sans observer le moindre changement, je ne sais plus pourquoi je descends dans la rue, il est désormais devenu clair que rien ne changera. Je ne peux parler de mon mal-être à mes amis, je sais qu’il habite nombre d’entre eux également. Nos études n’ont désormais plus aucun sens, nous avons perdu de vue le sens de ce que nous apprenons et la raison pour laquelle nous l’apprenons car il nous est désormais impossible de nous projeter sans voir le triste futur qui nous attend. Chaque semaine une nouvelle décision du gouvernement vient assombrir le tableau de cette année. Les étudiants sont réduits au silence, privés de leurs traditionnels moyens d’expression. Bientôt un blocage d’université nous conduira à une amende de plusieurs milliers d’euros et à une peine de prison ferme. Bientôt les travaux universitaires seront soumis à des commissions d’enquêtes par un gouvernement qui se targue d’être le grand défenseur de la liberté d’expression. Qu’en est-il de ceux qui refuseront de rentrer dans le rang ?

      Je crois avoir ma réponse.

      Samedi soir, le 5 décembre, j’étais présent Place de la République à Paris. J’ai vu les forces de l’ordre lancer à l’aveugle par-dessus leurs barricades anti-émeutes des salves de grenades GM2L sur une foule de manifestants en colère, habités par une rage d’en découdre avec ce gouvernement et ses représentants. J’ai vu le jeune homme devant moi se pencher pour ramasser ce qui ressemblait à s’y méprendre aux restes d’une grenade lacrymogène mais qui était en réalité une grenade GM2L tombée quelques secondes plus tôt et n’ayant pas encore explosée. Je me suis vu lui crier de la lâcher lorsque celle-ci explosa dans sa main. Tout s’est passé très vite, je l’ai empoigné par le dos ou par le sac et je l’ai guidé à l’extérieur de la zone d’affrontements. Je l’ai assis au pied de la statue au centre de la place et j’ai alors vu ce à quoi ressemblait une main en charpie, privée de ses cinq doigts, sorte de bouillie sanguinolente. Je le rappelle, j’ai 21 ans et je suis étudiant en sciences sociales, personne ne m’a appris à traiter des blessures de guerre. J’ai crié, crié et appelé les street medics à l’aide. Un homme qui avait suivi la scène a rapidement accouru, il m’a crié de faire un garrot sur le bras droit de la victime. Un garrot… Comment pourrais-je avoir la moindre idée de comment placer un garrot sur une victime qui a perdu sa main moins d’une minute plus tôt ? Après quelques instants qui m’ont paru interminables, les street medics sont arrivés et ont pris les choses en main. Jamais je n’avais fait face à un tel sentiment d’impuissance. J’étais venu manifester, exprimer mon mécontentement contre les réformes de ce gouvernement qui refuse de baisser les yeux sur ses sujets qui souffrent, sur sa jeunesse qui se noie et sur toute cette frange de la population qui suffoque dans la précarité. Je sais pertinemment que mes protestations n’y changeront rien, mais manifester le samedi me permet de garder à l’esprit que je ne suis pas seul, que le mal-être qui m’habite est général. Pourtant, ce samedi plutôt que de rentrer chez moi heureux d’avoir revu des amis et d’avoir rencontré des gens qui gardent espoir,je suis rentré chez moi dépité, impuissant et révolté. Dites-moi Monsieur, comment un étudiant de 21 ans qui vient simplement exprimer sa colère la plus légitime peut-il se retrouver à tenter d’installer un garrot sur le bras d’un inconnu qui vient littéralement de se faire arracher la main sous ses propres yeux, à seulement deux ou trois mètres de lui. Comment en suis-je arrivé là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

      Je n’ai plus peur de le dire. Aujourd’hui j’ai un dégoût profond pour cette République moribonde. Les individus au pouvoir ont perverti ses valeurs et l’ont transformée en appareil répressif à la solde du libéralisme. J’ai développé malgré moi une haine profonde pour son bras armé qui défend pour envers et contre tous ces hommes et ces femmes politiques qui n’ont que faire de ce qu’il se passe en bas de leurs châteaux. J’ai toujours défendu des valeurs humanistes et pacifistes, qui m’ont été inculquées par mes parents et desquelles j’ai jusqu’ici toujours été très fier. C’est donc les larmes aux yeux que j’écris ceci mais dites-moi Monsieur, comment aujourd’hui après ce que j’ai vu pourrais-je rester pacifique ? Comment ces individus masqués, sans matricules pourtant obligatoires peuvent-ils nous mutiler en toute impunité et rentrer chez eux auprès de leur famille comme si tout était normal ? Dans quel monde vivons-nous ? Dans un monde où une association de policiers peut ouvertement appeler au meurtre des manifestants sur les réseaux sociaux, dans un monde où les parlementaires et le gouvernement souhaitent renforcer les pouvoirs de cette police administrative qui frappe mutile et tue.Croyez-moi Monsieur, lorsque je vous dis qu’il est bien difficile de rester pacifique dans un tel monde…

      Aujourd’hui être français est devenu un fardeau, je suis l’un de ces individus que l’Etat qualifie de « séparatiste », pourtant je ne suis pas musulman, ni même chrétien d’ailleurs. Je suis blanc, issu de la classe moyenne, un privilégié en somme… Mais quelle est donc alors cette religion qui a fait naître en moi une telle défiance vis-à-vis de l’Etat et de la République ? Que ces gens là-haut se posent les bonnes questions, ma haine pour eux n’est pas due à un quelconque endoctrinement, je n’appartiens à l’heure actuelle à aucune organisation, à aucun culte « sécessioniste ». Pourtant je suis las d’être français, las de me battre pour un pays qui ne veut pas changer. Le gouvernement et les individus au pouvoir sont ceux qui me poussent vers le séparatisme. Plutôt que de mettre sur pied des lois visant à réprimer le séparatisme chez les enfants et les étudiants qu’ils s’interrogent sur les raisons qui se cachent derrière cette défiance. La France n’est plus ce qu’elle était, et je refuse d’être associé à ce qu’elle représente aujourd’hui. Aujourd’hui et malgré moi je suis breton avant d’être français. Je ne demanderais à personne de comprendre mon raisonnement, seulement aujourd’hui j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose, une lueur, qui aussi infime soit-elle me permette de croire que tout n’est pas perdu. Ainsi c’est à regret que je dis cela mais cette lueur je ne la retrouve plus en France, nous allons au-devant de troubles encore plus grands, le pays est divisé et l’antagonisme grandit de jour en jour. Si rien n’est fait les jeunes qui comme moi chercheront une sortie, un espoir alternatif en lequel croire, quand bien même celui-ci serait utopique, seront bien plus nombreux que ne l’imaginent nos dirigeants. Et ce ne sont pas leurs lois contre le séparatisme qui pourront y changer quelque chose. Pour certains cela sera la religion, pour d’autre comme moi, le régionalisme. Comment pourrait-il en être autrement quand 90% des médias ne s’intéressent qu’aux policiers armés jusqu’aux dents qui ont été malmenés par les manifestants ? Nous sommes plus de 40 heures après les événements de samedi soir et pourtant je n’ai vu nulle part mentionné le fait qu’un manifestant avait perdu sa main, qu’un journaliste avait été blessé à la jambe par des éclats de grenades supposées sans-danger. Seul ce qui reste de la presse indépendante tente encore aujourd’hui de faire la lumière sur les événements terribles qui continuent de se produire chaque semaine. Soyons reconnaissants qu’ils continuent de le faire malgré les tentatives d’intimidation qu’ils subissent en marge de chaque manifestation.

      Je tenais à vous le dire Monsieur, la jeunesse perd pied. Dans mon entourage sur Paris, les seuls de mes amis qui ne partagent pas mon mal-être sont ceux qui ont décidé de fermer les yeux et de demeurer apolitiques. Comment les blâmer ? Tout semble plus simple de leur point de vue. Nous sommes cloitrés chez nous pendant que la planète se meurt dans l’indifférence généralisée, nous sommes rendus responsables de la propagation du virus alors même que nous sacrifions nos jeunes années pour le bien de ceux qui ont conduit la France dans cette impasse. Les jeunes n’ont plus l’envie d’apprendre et les enseignants plus l’envie d’enseigner à des écrans noirs. Nous sacrifions nos samedis pour aller protester contre ce que nous considérons comme étant une profonde injustice, ce à quoi l’on nous répond par des tirs de grenades, de gaz lacrymogènes ou de LBD suivant les humeurs des forces de l’ordre. Nous sommes l’avenir de ce pays pourtant l’on refuse de nous écouter, pire, nous sommes muselés. Beaucoup de chose ont été promises, nous ne sommes pas dupes.

      Ne gaspillez pas votre temps à me répondre. Il s’agissait surtout pour moi d’écrire mes peines. Je ne vous en fait part que parce que je sais que cette lettre ne constituera pas une surprise pour vous. Vous êtes au premier rang, vous savez à quel point l’abime dans laquelle sombre la jeunesse est profonde. Je vous demanderai également de ne pas vous inquiéter. Aussi sombre cette lettre soit-elle j’ai toujours la tête bien fixée sur les épaules et j’attache trop d’importance à l’éducation que m’ont offert mes parents pour aller faire quelque chose de regrettable, cette lettre n’est donc en aucun cas un appel au secours. J’éprouvais seulement le besoin d’être entendu par quelqu’un qui je le sais, me comprendra.

      Matéo »

      https://academia.hypotheses.org/29546

    • Les étudiants oubliés : de la #méconnaissance aux #risques

      Ce qui suit n’est qu’un billet d’humeur qui n’engage évidemment ni la Faculté, ni ses étudiants dont je n’entends pas ici être le représentant. Et je ne parle que de ceux que je crois connaître, dans les disciplines de la Faculté qui est la mienne. On ne me lira pas jusqu’au bout mais cela soulage un peu.

      Le président de la République a vécu à « l’isolement » au pavillon de la Lanterne à Versailles. Ce n’était pas le #confinement d’un étudiant dans sa chambre universitaire, mais il aura peut-être touché du doigt la vie « sans contact ». On espère qu’elle cessera bientôt pour nos étudiants, les oubliés de la République…

      #Oubliés des élus (j’excepte mon député qui se reconnaîtra), y compris locaux, qui, après avoir milité pour la réouverture des petits commerces, n’ont plus que le 3e confinement comme solution, sans y mettre, et c’est le reproche que je leur fais, les nuances qu’appelle une situation estudiantine qui devient dramatique.

      Oubliés depuis le premier confinement. Alors qu’écoliers, collégiens et lycéens rentraient, ils n’ont jamais eu le droit de revenir dans leur Faculté. Le « #distanciel » était prôné par notre Ministère. On neutralisera finalement les dernières épreuves du baccalauréat, acquis sur tapis vert. Pourtant, aux étudiants, et à nous, on refusera la #neutralisation des #examens d’un semestre terminé dans le chaos. Ils devront composer et nous tenterons d’évaluer, mal.

      Tout le monde rentre en septembre… Pour les étudiants, le ministère entonne désormais l’hymne à « l’#enseignement_hybride »… On coupe les promotions en deux. On diffuse les cours en direct à ceux qui ne peuvent s’asseoir sur les strapontins désormais scotchés… Les étudiants prennent l’habitude du jour sur deux. Les débuts technologiques sont âpres, nos jeunes ont une patience d’ange, mais on sera prêts à la Toussaint.

      Oubliés au second confinement. Le Ministre de l’éducation a obtenu qu’on ne reconfine plus ses élèves, à raison du risque de #décrochage. Lui a compris. L’enseignement supérieur n’obtient rien et reprend sa comptine du « distanciel ». Les bambins de maternelle pourront contaminer la famille le soir après une journée à s’esbaudir sans masque, mais les étudiants n’ont plus le droit de venir, même masqués, même un sur deux, alors que c’est la norme dans les lycées.

      Oubliés à l’annonce de l’allègement, quand ils, apprennent qu’ils ne rentreront qu’en février, quinze jours après les restaurants… Pas d’explication, pas de compassion. Rien. Le Premier ministre, décontenancé lors d’une conférence de presse où un journaliste, un original pour le coup, demandera … « et les étudiants ? », répondra : « Oui, nous avons conscience de la situation des étudiants ».

      Des collègues croyant encore aux vertus d’un #référé_liberté agiront devant le Conseil d’Etat, en vain. Merci à eux d’avoir fait la démarche, sous la conduite de Paul Cassia. Elle traduit une demande forte, mais sonne comme un prêche dans le désert.

      Oubliés alors que le ministère a connaissance depuis décembre des chiffres qui montrent une situation psychologique dégradée, des premières tentatives de suicide. Il a répondu… ! Nos dernières circulaires nous autorisent à faire revenir les étudiants dès janvier pour… des groupes de soutien ne dépassant pas 10 étudiants… Ce n’est pas de nounous dont les étudiants ont besoin, c’est de leurs enseignants. Et les profs n’ont pas besoin d’assistants sociaux, ils veulent voir leurs étudiants.

      On pourrait refaire des travaux dirigés en demi salles… à une date à fixer plus tard. Le vase déborde ! Quand va-t-on sérieusement résoudre cet #oubli qui ne peut résulter que de la méconnaissance et annonce des conséquences graves.

      La méconnaissance

      Fort d’une naïveté qu’on veut préserver pour survivre, on va croire que l’oubli est le fruit non du mépris, mais d’une méprise.

      Les étudiants sont d’abord victimes de leur nombre. Le Premier Ministre parlera d’eux comme d’un « #flux », constitué sans doute d’écervelés convaincus d’être immortels et incapables de discipline. Les éloigner, c’est évidemment écarter la masse, mais l’argument cède devant les étudiants (les nôtres par exemple), qui ont prouvé leur capacité à passer leurs examens « en présentiel » dans un respect impressionnant des consignes. Il cède aussi devant la foule de voyageurs du métro ou les files d’attente des grands magasins. Brassage de population ? Il y en a des pires.

      Ils sont ensuite victime d’un cliché tenace. Dans un amphi, il ne se passe rien. L’enseignant débite son cours et s’en va. Le cours ayant tout d’un journal télévisé, on peut le… téléviser. Tous les enseignants, mais se souvient-on qu’ils existent, savaient et on redécouvert que tout dans un amphi est fait d’échanges avec la salle : des #regards, des #sourires, des sourcils qui froncent, un brouhaha de doute, un rire complice. Le prof sent son public, redit quand il égare, accélère quand il ennuie, ralentit quand il épuise.

      Le ministère croit le contraire, et le Conseil d’Etat, dont l’audace majeure aura été de critiquer la jauge dans les églises, a cédé au cliché pour les amphis en jugeant que le distanciel « permet l’accès à l’enseignement supérieur dans les conditions sanitaires » actuelles (ord. n°447015 du 10 décembre). Nous voilà sauvés. Le prêtre serait-il plus présent que le professeur ? La haute juridiction, pour les théâtres, admettant que leurs #mesures_sanitaires sont suffisantes, nous avons d’ailleurs les mêmes, concèdera que leur fermeture compromet les libertés mais doit être maintenue dans un « contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population », autant dire tant que le gouvernement jugera que ça circule beaucoup (ord. n°447698 du 23 décembre). Si on résume, « 30 à la messe c’est trop peu », « pour les études la télé c’est suffisant » et « on rouvrira les théâtres quand ca ira mieux ».

      Au ministère, on imagine peut-être que les étudiants se plaisent au distanciel. Après tout, autre #cliché d’anciennes époques, ne sont-ils pas ces comateux en permanente grasse matinée préférant se vautrer devant un écran en jogging plutôt que subir la corvée d’un cours ? Cette armée de geeks gavés à la tablette depuis la poussette ne goûtent-ils pas la parenté entre un prof en visio et un jeu vidéo ? Ils n’en peuvent plus de la distance, de ces journées d’écran… seuls, au téléphone ou via des réseaux sociaux souvent pollués par des prophètes de malheur ayant toujours un complot à dénoncer et une rancoeur à vomir.

      Enfin, les étudiants, adeptes chaque soir de chouilles contaminantes, doivent rester éloignés autant que resteront fermés les bars dont ils sont les piliers. Ignore-t-on que la moitié de nos étudiants sont boursiers, qu’ils dépenseront leurs derniers euros à acheter un livre ou simplement des pâtes plutôt qu’à s’enfiler whisky sur vodka… ? Ignore-t-on les fêtes thématiques, les soirées littéraires, les conférences qu’ils organisent ? Quand on les côtoie, ne serait-ce qu’un peu, on mesure que leur #convivialité n’est pas celles de soudards.

      Ils survivraient sans les bars et peuvent rentrer avant qu’on les rouvre.

      Ceux qui les oublient par facilité ne les connaissent donc pas. Et c’est risqué.

      Le risque

      Le risque est pédagogique. On sait que ça décroche, partout. Les titulaires du bac sans l’avoir passé n’ont plus de repères. Leur échec est une catastrophe annoncée. Les étudiants plus aguerris ne sont pas en meilleur forme. L’#apprentissage est plus difficile, la compréhension est ralentie par l’absence d’échange. Et, alors que deux semestres consécutifs ont déjà été compromis, le premier dans l’urgence, le second par facilité, faut-il en ajouter un troisième par #lâcheté ? La moitié d’une licence gachée parce qu’on ne veut pas prendre le risque de faire confiance aux jeunes ? Les pédagogues voient venir le mur et proposent qu’on l’évite au lieu d’y foncer en klaxonnant.

      Le risque est économique. On ne confine pas les élèves en maternelle car il faut que les parents travaillent. Les étudiants ne produisent rien et peuvent se garder seuls. C’est pratique ! Mais le pari est à court terme car la génération qui paiera la dette, c’est eux. Faut-il décourager des vocations et compromettre l’insertion professionnelle de ceux qui devront avoir la force herculéenne de relever l’économie qu’on est en train de leur plomber ? Plus que jamais la #formation doit être une priorité et le soutien aux jeunes un impératif.

      Il est sanitaire. A-t-on eu des #clusters dans notre fac ? Non. Et pourtant on a fonctionné 7 semaines, avec bien moins de contaminations que dans les écoles, restées pourtant ouvertes. On sait les efforts et le sacrifice des soignants. Nul ne met en doute ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient. Les étudiants ont eu, eux aussi, des malades et des morts. Ils savent ce qu’est la douleur. Les enseignants aussi. Mais la vie est là, encore, et il faut la préserver aussi.

      Et attention qu’à force de leur interdire les lieux dont les universités ont fait de véritables sanctuaires, on les incite aux réunions privées, à dix dans un studio juste pour retrouver un peu de partage. On sait pourtant que c’est dans la sphère privée que réside le problème. Le retour dans les #amphis, c’est la réduction du #risque_privé, et non l’amplification du #risque_public.

      Il est humain. Un étudiant n’est pas un être solitaire. Il étudie pour être utile aux autres. Il appartient toujours à une #promo, qu’en aucun cas les réseaux sociaux ne peuvent remplacer. Il voulait une #vie_étudiante faite des découvertes et des angoisses d’un début de vie d’adulte avec d’autres jeunes adultes. Ce n’est pas ce qu’on lui fait vivre, pas du tout. L’isolement le pousse au doute, sur la fac, sur les profs, sur les institutions en général, et, pire que tout, sur lui-même. La #sécurité_sanitaire conduit, chez certains, à la victoire du « à quoi bon ». Si quelques uns s’accommodent de la situation, la vérité est que beaucoup souffrent, ce qu’ils n’iront pas avouer en réunion publique quand on leur demande s’ils vont bien. Beaucoup se sentent globalement délaissés, oubliés, voire méprisés. Va-t-on continuer à leur répondre « plus tard », « un peu de patience », sans savoir jusque quand du reste, et attendre qu’on en retrouve morts ?

      Il est aussi politique. Certains étudiants ont la sensation de payer pour d’autres ; ceux qui ont affaibli l’hôpital, ceux qui n’ont pas renouvelé les masques, ceux qui ont cru à une grippette, et on en passe. Il est temps d’éviter de les culpabiliser, même indirectement.

      Pour retrouver une #confiance passablement écornée, les gouvernants doivent apprendre à faire confiance à leur peuple, au lieu de s’en défier. Les étudiants sont jeunes mais, à condition de croire que c’est une qualité, on peut parier qu’ils ne décevront personne s’ils peuvent faire leurs propres choix. N’est-ce pas à cela qu’on est censé les préparer ?

      Si la préservation des populations fragiles est un devoir que nul ne conteste, au jeu de la #fragilité, les étudiants ont la leur ; leur inexpérience et le besoin d’être guidés.

      Dans l’histoire de l’Homme, les aînés ont toujours veillé à protéger la jeune génération. Les parents d’étudiants le font dans chaque famille mais à l’échelle du pays c’est la tendance inverse. Une génération de gouvernants ignore les #jeunes pour sauver les ainés. Doit-on, pour éviter que des vies finissent trop tôt, accepter que d’autres commencent si mal ? C’est un choc de civilisation que de mettre en balance à ce point l’avenir sanitaire des uns et l’avenir professionnel des autres.

      Alors ?

      Peut-on alors revenir à l’équilibre et au bon sens ? Que ceux qui ont besoin d’être là puissent venir, et que ceux qui préfèrent la distance puissent la garder ! Que les enseignants qui veulent des gens devant eux les retrouvent et que ceux qui craindraient pour eux ou leurs proches parlent de chez eux. Peut-on enfin laisser les gens gérer la crise, en fonction des #impératifs_pédagogiques de chaque discipline, des moyens de chaque établissement, dans le respect des normes ? Les gens de terrain, étudiants, enseignants, administratifs, techniciens, ont prouvé qu’ils savent faire.

      Quand le silence vaudra l’implicite réponse « tout dépendra de la situation sanitaire », on aura compris qu’on fait passer le commerce avant le savoir, comme il passe avant la culture, et qu’on a préféré tout de suite des tiroirs caisses bien pleins plutôt que des têtes bien faites demain.

      https://academia.hypotheses.org/29817

    • Covid-19 : des universités en souffrance

      En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants comme les étudiants. Ces difficultés sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités.

      Les années passées sur les bancs de l’université laissent en général des souvenirs émus, ceux de la découverte de l’indépendance et d’une immense liberté. La connaissance ouvre des horizons, tandis que se construisent de nouvelles relations sociales et amicales, dont certaines se prolongeront tout au long de la vie.

      Mais que va retenir la génération d’étudiants qui tente de poursuivre ses études malgré la pandémie de Covid-19 ? Isolés dans des logements exigus ou obligés de retourner chez leurs parents, livrés à eux-mêmes en raison des contraintes sanitaires, les jeunes traversent une épreuve dont ils ne voient pas l’issue. Faute de perspectives, l’épuisement prend le dessus, l’angoisse de l’échec est omniprésente, la déprime menace.

      Des solutions mêlant enseignement présentiel et à distance ont certes permis d’éviter les décrochages en masse, mais elles n’ont pas empêché l’altération de la relation pédagogique. Vissés derrière leur écran pendant parfois plusieurs heures, les étudiants pâtissent de l’absence d’échanges directs avec les professeurs, dont certains ont du mal à adapter leurs cours aux nouvelles contraintes. Faute de pouvoir transmettre leur savoir dans de bonnes conditions, certains enseignants passent du temps à faire du soutien psychologique.

      Ces difficultés sont communes à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, partout dans le monde. Mais en France, elles sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités et une ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui brille par sa discrétion.
      Deux vitesses dans l’enseignement supérieur

      Les universités anglo-saxonnes ont adopté des politiques plus radicales, mais qui ont le mérite de la clarté. Bon nombre d’entre elles ont décidé dès l’été que le semestre d’automne, voire toute l’année, serait entièrement en ligne. En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants, les empêchent de se projeter, tandis que les étudiants peinent à s’adapter sur le plan matériel, certains se retrouvant contraints de payer le loyer d’un appartement devenu inutile, alors que tous les cours sont à distance.

      La situation est d’autant plus difficile à vivre que l’enseignement supérieur avance à deux vitesses. Hormis pendant le premier confinement, les élèves des classes préparatoires et des BTS, formations assurées dans des lycées, ont toujours suivi leurs cours en présentiel. En revanche, pour l’université, c’est la double peine. Non seulement les étudiants, généralement moins favorisés sur le plan social que ceux des classes préparatoires aux grandes écoles, sont moins encadrés, mais ils sont contraints de suivre les cours en ligne. Cette rupture d’égalité ne semble émouvoir ni la ministre ni le premier ministre, qui n’a pas eu un mot pour l’enseignement supérieur lors de sa conférence de presse, jeudi 7 janvier.

      Là encore, la pandémie agit comme un révélateur de faiblesses préexistantes. Les difficultés structurelles des universités ne sont que plus visibles. Ainsi, les établissements ne parviennent pas à assumer l’autonomie qui leur a été octroyée. Obligés d’accueillir chaque année davantage d’étudiants, soumis à des décisions centralisées, ils manquent de moyens, humains et financiers, pour s’adapter. Les dysfonctionnements techniques lors des partiels, reflet d’une organisation indigente ou sous-dimensionnée, en ont encore témoigné cette semaine.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/09/covid-19-des-universites-en-souffrance_6065728_3232.html

    • Hebdo #96 : « Frédérique Vidal devrait remettre sa démission » – Entretien avec #Pascal_Maillard

      Face au danger grave et imminent qui menace les étudiants, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg et blogueur de longue date du Club Mediapart, considère que « l’impréparation du ministère de l’enseignement et de la recherche est criminelle ». Il appelle tous ses collègues à donner leurs cours de travaux dirigés (TD) en présentiel, même si pour cela il faut « boycotter les rectorats » !

      C’est comme si l’on sortait d’une longue sidération avec un masque grimaçant au visage. D’un cauchemar qui nous avait enfoncé dans une nuit de plus en plus noire, de plus en plus froide, sans issue. Et puis d’un coup, les étudiants craquent et on se dit : mais bon sang, c’est vrai, c’est inhumain ce qu’on leur fait vivre ! Nous abandonnons notre jeunesse, notre avenir, en leur apprenant à vivre comme des zombies.

      Depuis le début de la crise sanitaire, ils sont désocialisés, sans perspective autre que d’être collés à des écrans. Une vie numérique, les yeux éclatés, le corps en vrac et le cœur en suspens. Le mois de décembre avait pourtant redonné un peu d’espoir, Emmanuel Macron parlait de rouvrir les universités, de ne plus les sacrifier. Et puis, pschitt ! plus rien. Les fêtes sont passées et le discours du 7 janvier du premier ministre n’a même pas évoqué la question de l’enseignement supérieur. Un mépris intégral !

      Dans le Club, mais aussi fort heureusement dans de nombreux médias, la réalité catastrophique des étudiants a pris la une : ils vont mal, se suicident, pètent les plombs et décrochent en masse. De notre côté, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté de lettres de l’université de Strasbourg, et blogueur infatigable depuis plus de 10 ans chez nous, a sonné la sirène d’alarme avec un premier billet, Sommes-nous encore une communauté ?, suivi quelques jours plus tard de Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », qui reprend une série de propositions formulées par le collectif RogueESR.

      Pour toucher de plus près ce qui se passe dans les universités, aux rouages souvent incompréhensibles vu de l’extérieur, mais aussi pour imaginer comment reprendre la main sur cette situation (car des solutions, il y en a !), nous lui avons passé hier soir un long coup de fil. Stimulant !

      Club Mediapart : Dans votre dernier billet, Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », vous publiez une série de propositions formulées par le collectif RogueESR pour améliorer la sécurité en vue d’une reprise des cours. Certaines exigeraient surtout du courage (réaménagement des locaux, organisation intelligente des travaux dirigés en présentiel, etc.), mais d’autres demandent des investissements matériels et financiers substantiels. Quels sont, d’après vous, les leviers possibles pour que ces propositions soient prises en compte par les instances dirigeantes ?

      Pascal Maillard : Les leviers sont multiples. Ces dernières semaines, il s’est passé quelque chose de très important : il y a eu une prise de conscience générale que l’État a abandonné l’université, les étudiants, ses personnels, alors que, dans le même temps, il subventionne l’économie à coups de milliards. Aujourd’hui, même les présidents d’université se manifestent pour dire qu’il faut en urgence faire revenir les étudiants parce que la situation est dramatique ! Je crois qu’il faut un mouvement collectif, un mouvement de masse de l’ensemble des étudiants et de la communauté universitaire pour dire : « Maintenant, ça suffit ! » L’État a aussi abandonné la culture, et c’est scandaleux car on ne peut pas vivre sans culture, mais au moins il l’a subventionnée. En revanche, pour l’université, aucune aide. On n’a rien vu, sinon !

      Club Mediapart : Avez-vous avez fait une évaluation de ces investissements et renforts humains ?

      PM : C’est vraiment très peu de moyens. Quelques dizaines de millions permettraient de financer des capteurs de CO2 (un capteur coûte 50 euros) et des filtres Hepa pour avoir une filtration sécurisée (une centaine d’euros). On peut installer également, c’est ce que préconise le collectif RogueESR (collectif informel composé d’une cinquantaine de collègues enseignants-chercheurs très actifs), des hottes aspirantes au-dessus des tables dans les lieux de restauration. Ces investissements seraient plus importants, mais ne dépasseraient pas 200/300 euros par unité. Le problème, c’est que l’État ne prend pas la décision de financer ces investissements qui permettraient de rouvrir les universités de façon plus sécurisée. Par ailleurs, il faut rappeler que certains amphithéâtres peuvent accueillir au-delà de la jauge de 50 % car ils sont très bien ventilés. Il est urgent aujourd’hui de calculer le taux de CO2, on sait le faire, on a les moyens de le faire. Ce que le collectif RoqueESR dit dans son texte et avec lequel je suis complètement d’accord, c’est que comme l’État ne veut rien faire, il faut que l’on prenne en charge ces décisions nous-mêmes.

      Club Mediapart : Dans ce billet, vous mettez le gouvernement et la bureaucratie universitaire sur le même plan. N’y a-t-il pas quand même des différences et des marges de manœuvre du côté des présidents d’université ?

      PM : Non, je crois que la grande majorité des présidents ont fait preuve de suivisme par rapport à la ligne définie par le gouvernement et Frédérique Vidal, à savoir le développement et l’exploitation maximum des ressources numériques. On n’a pas eu de filtre Hepa, mais on a eu des moyens importants pour l’informatique, les cours à distance, le développement de Moodle et des outils de visioconférence. Là, il y a eu des investissements lourds, y compris de la part du ministère, qui a lancé des appels à projets sur l’enseignement et les formations numériques. Frédérique Vidal pousse depuis de nombreuses années au tout numérique, ce n’est pas nouveau.

      Club Mediapart : Peut-on quand même attendre quelque chose de la réunion prévue ce vendredi entre les présidents d’université et Frédérique Vidal ?

      PM : Je crois que ce sont les impératifs sanitaires qui vont l’emporter. Frédérique Vidal, qui a fait preuve non seulement d’indifférence à l’égard des étudiants mais aussi d’une grande incompétence et d’un manque de fermeté pour défendre l’université, n’est plus crédible.

      Club Mediapart : Dans le fil de commentaires du dernier billet de Paul Cassia, qui montre bien comment les articles et les circulaires ministérielles ont « coincé » les directions d’université, vous proposez la réécriture de l’article 34 du décret du 10 janvier pour assouplir l’autorisation de retour en présentiel dans les universités. Cette modification ne risque-t-elle pas de reporter la responsabilité vers les présidents d’université au profit du gouvernement, qui pourrait se dédouaner encore plus de tout ce qui va se passer ?

      PM : Depuis le début, la stratégie du gouvernement est la même que celle des présidents d’université : la délégation au niveau inférieur. La ministre fait rédiger par sa bureaucratie des circulaires qui sont vagues, très pauvres, qui n’ont même pas de valeur réglementaire et qui disent en gros : c’est aux présidents de prendre leurs responsabilités. Mais que font les présidents, pour un grand nombre d’entre eux ? Afin de ne pas trop engager leur responsabilité juridique, que ce soit pour les personnels ou les étudiants, ils laissent les composantes se débrouiller. Mais les composantes ne reçoivent pas de moyens pour sécuriser les salles et pour proposer des heures complémentaires, des créations de postes, etc. Les seuls moyens qui sont arrivés dans les établissements sont destinés à des étudiants pour qu’ils aident d’autres étudiants en faisant du tutorat par groupe de 10. À l’université de Strasbourg, ça s’appelle REPARE, je crois (raccrochement des étudiants par des étudiants). Ce sont des étudiants de L3 et de masters qui sont invités à faire du tutorat pour soutenir des étudiants de L1/L2. Cela permet à des étudiants qui sont désormais malheureusement sans emploi, sans revenu, d’avoir un emploi pendant un certain temps. Ça, c’est l’aspect positif. Mais ces étudiants, il faut 1/ les recruter, 2/ il est très important de les former et de les accompagner.

      Club Mediapart : la démission de Frédérique Vidal fait-elle débat parmi les enseignants et les chercheurs ?

      PM : Frédérique Vidal nous a abandonnés, elle a aussi laissé Blanquer, qui a l’oreille de Macron, lancer sa guerre contre les « islamo-gauchistes », et puis elle a profité de la crise sanitaire pour détruire un peu plus l’université. C’est elle qui a fait passer la LPR en situation d’urgence sanitaire, alors même qu’elle avait dit pendant le premier confinement qu’il était hors de question en période d’urgence sanitaire de faire passer des réformes. La version la plus radicale en plus ! La perspective est vraiment de détruire le Conseil national des universités.

      J’ai appris hier avec une grande tristesse que Michèle Casanova, une grande archéologue, spécialiste de l’Iran, est décédée le 22 décembre. Elle s’est battue pendant un mois et demi contre le Covid. Elle était professeure des universités à Lyon, elle venait d’être nommée à Paris-Sorbonne Université. Des collègues sont morts, pas que des retraités, mais aussi des actifs.

      La ministre n’a rien dit pour les morts dans l’université et la recherche. Pas un mot. Ils sont en dessous de tout. Ils n’ont plus le minimum d’humanité que l’on attend de responsables politiques. Ils ont perdu l’intelligence et la décence, ils ont perdu la compétence et ils ne sont plus que des technocrates, des stratèges qui ne pensent qu’à leur survie politique. Ce sont des communicants, sans éthique. La politique sans l’éthique, c’est ça le macronisme.

      Aujourd’hui, les universitaires ont à l’esprit deux choses. D’une part la mise en pièces du statut des enseignants-chercheurs avec la LPR qui conduit à la destruction du Conseil national des universités : nous avons appris cette semaine que la fin de la qualification pour devenir professeur des universités étaient effective pour les maîtres de conférences titulaires, là immédiatement, sans décret d’application. Des centaines de collègues ont envoyé leur demande de qualification au CNU. Ce pouvoir bafoue tous nos droits, il bafoue le droit en permanence. D’autre part, bien sûr, les conditions calamiteuses et l’impréparation de cette rentrée. Aujourd’hui, on ne sait pas si l’on va pouvoir rentrer la semaine prochaine. On ne sait rien ! Rien n’a été préparé et je pense que c’est volontaire. Cette impréparation est politique, elle est volontaire et criminelle. Je pèse mes mots et j’assume. C’est criminel aujourd’hui de ne pas préparer une rentrée quand des milliers d’étudiants et d’enseignants sont dans la plus grande souffrance qui soit !

      Club Mediapart : Avec en plus des inégalités entre étudiants absolument incompréhensibles…

      PM : Absolument ! Les BTS et les classes préparatoires sont restés ouverts et fonctionnent à plein. Aujourd’hui, les enseignants qui préparent aux grandes écoles, que ce soit dans les domaines scientifiques ou littéraires ou les préparations aux écoles de commerce, ont la possibilité de faire toutes leurs colles jusqu’à 20 heures, avec des dérogations… devant 40/50 étudiants. Ce que l’on ne dit pas aujourd’hui, c’est que les étudiants de classe préparatoire eux aussi vont mal. Ils sont épuisés, ils n’en peuvent plus. 40 heures de cours masqués par semaine. Comment ça se vit ? Mal. Il y a pour l’instant assez peu de clusters de contamination dans les classes prépas. Les conditions sanitaires dans ces salles, souvent exiguës et anciennes, sont pourtant bien plus mauvaises que dans les grandes salles et les amphis des universités. Ces classes, qui bénéficient de moyens plus importants – un étudiant de classe prépa coûte à l’État entre 15 000 et 17 000 euros, tandis qu’un étudiant coûte entre 5 000 et 7 000 euros –, ont le droit à l’intégralité de leurs cours, tandis que les étudiants, eux, sont assignés à résidence. Il est clair que ce traitement vient élever au carré l’inégalité fondatrice du système de l’enseignement supérieur français entre classes prépas (dont les élèves appartiennent, le plus souvent, à des classes sociales plus favorisées) et universités.

      Club Mediapart : Est-ce que l’on peut s’attendre à une mobilisation importante le 26 janvier ?

      PM : Le 26 janvier sera une date importante. L’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche appelle à une journée nationale de grève et de mobilisation le 26, avec un mot d’ordre clair : un retour des étudiants à l’université dans des conditions sanitaires renforcées. Mais, à mon sens, il faut accompagner cette demande de retour aux cours en présence de moyens financiers, techniques et humains conséquents. L’intersyndicale demande 8 000 postes pour 2021. On en a besoin en urgence. Il y a donc une urgence à accueillir en vis-à-vis les étudiants de L1 et L2, mais ensuite progressivement, une fois que l’on aura vérifié les systèmes de ventilation, installé des filtres Hepa, etc., il faudra accueillir le plus rapidement possible les étudiants de tous les niveaux. J’insiste sur le fait que les étudiants de Licence 3, de master et même les doctorants ne vont pas bien. Il n’y a pas que les primo-entrants qui vont mal, même si ce sont les plus fragiles. Je suis en train de corriger des copies de master et je m’en rends bien compte. Je fais le même constat pour les productions littéraires des étudiants que j’ai pu lire depuis huit mois dans le cadre d’ateliers de création littéraire. En lisant les textes de ces étudiants de L1, souvent bouleversants et très engagés, je mesure à quel point le confinement va laisser des traces durables sur elles et sur eux.

      Club Mediapart : Ce sont les thèmes traités qui vous préoccupent…

      PM : Il y a beaucoup, beaucoup de solitude, de souffrance, d’appels à l’aide et aussi l’expression forte d’une révolte contre ce que le monde des adultes est en train de faire à la jeunesse aujourd’hui. Il y a une immense incompréhension et une très grande souffrance. La question aujourd’hui, c’est comment redonner du sens, comment sortir de la peur, enrayer la psychose. Il faut que l’on se batte pour retrouver les étudiants. Les incompétents qui nous dirigent aujourd’hui sont des criminels. Et je dis aujourd’hui avec force qu’il faut démettre ces incompétents ! Frédérique Vidal devrait remettre sa démission. Elle n’est plus crédible, elle n’a aucun poids. Et si le gouvernement ne donne pas à l’université les moyens de s’équiper comme il convient pour protéger ses personnels et ses étudiants, ils porteront une responsabilité morale et politique très très lourde. Ils ont déjà une responsabilité considérable dans la gestion d’ensemble de la crise sanitaire ; ils vont avoir une responsabilité historique à l’endroit de toute une génération. Et cette génération-là ne l’oubliera pas !

      Club Mediapart : En attendant, que faire ?

      PM : Comment devenir un sujet libre, émancipé quand on est un étudiant ou un enseignant assigné à résidence et soumis à l’enfer numérique ? C’est ça la question centrale, de mon point de vue. Je ne pense pas que l’on puisse être un sujet libre et émancipé sans relation sociale, sans se voir, se rencontrer, sans faire des cours avec des corps et des voix vivantes. Un cours, c’est une incarnation, une voix, un corps donc, ce n’est pas le renvoi spéculaire de son image face à une caméra et devant des noms. Je refuse de faire cours à des étudiants anonymes. Aujourd’hui, j’ai donné rendez-vous à quelques étudiants de l’atelier de création poétique de l’université de Strasbourg. On se verra physiquement dans une grande salle, en respectant toutes les règles sanitaires. J’apporterai des masques FFP2 pour chacune et chacun des étudiants.

      Club Mediapart : Vous avez le droit ?

      PM : Je prends sur moi, j’assume. Je considère que la séance de demain est une séance de soutien. Puisque l’on a droit à faire du soutien pédagogique…

      Club Mediapart : Pourquoi n’y a-t-il pas plus de profs qui se l’autorisent ? Le texte est flou, mais il peut être intéressant justement parce qu’il est flou…

      PM : Ce qu’il est possible de faire aujourd’hui légalement, ce sont des cours de tutorat, du soutien, par des étudiants pour des étudiants. Il est aussi possible de faire des travaux pratiques, mais ces TP, il y a en surtout en sciences de la nature et beaucoup moins en sciences humaines. On a des difficultés graves en sciences sociales et sciences humaines, lettres, langue, philo, parce que l’on a zéro TP. Pour ma part, je compte demander que mes cours de L1 et mes travaux dirigés soient considérés comme des TP ! Mais, pour cela, il faut réussir à obtenir des autorisations.

      Des autorisations d’ouverture de TP, il faut le savoir, qui sont soumises aux rectorats. Les universités sont obligées de faire remonter aux rectorats des demandes d’ouverture de cours ! L’université est autonome et aujourd’hui cette autonomie est bafouée en permanence par l’État. Donc, non seulement l’État nous abandonne, l’État nous tue, mais en plus l’État nous flique, c’est-à-dire restreint nos libertés d’enseignement, de recherche, et restreint aussi nos libertés pédagogiques. Or, notre liberté pédagogique est garantie par notre indépendance, et cette indépendance a encore une valeur constitutionnelle. Tout comme notre liberté d’expression.

      Un collègue qui enseigne en IUT la communication appelle à la désobéissance civile. Le texte de RogueESR n’appelle pas explicitement à la désobéissance civile mais il dit très clairement : c’est à nous de faire, c’est à nous d’agir, avec les étudiantes et les étudiants ! Nous allons agir, on ne peut pas, si on est responsables, écrire : « Agissons » et ne pas agir ! Je dis à tous les collègues : mettons-nous ensemble pour transformer les TD en TP, qui sont autorisés, ou bien boycottons les rectorats et faisons nos TD ! Et proposons aux étudiants qui le souhaitent de venir suivre les cours en présence et aux autres qui ne le peuvent, de les suivre à distance. Avec d’autres, je vais essayer de convaincre les collègues de Strasbourg de faire du présentiel. On aura du mal, mais je pense qu’il est aujourd’hui légitime et parfaitement justifié de refuser les interdictions ministérielles parce qu’il y a des centaines et des milliers d’étudiants en danger. On a un devoir de désobéissance civile quand l’État prend des décisions qui conduisent à ce que l’on appelle, dans les CHSCT, un danger grave et imminent.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/lhebdo-du-club/article/140121/hebdo-96-frederique-vidal-devrait-remettre-sa-demission-entretien-av

    • À propos du #brassage. #Lettre à la ministre de l’enseignement supérieur

      On pouvait s’y attendre mais c’est enfin annoncé, les universités ne réouvriront pas pour le début du second semestre. Des centaines de milliers d’étudiants vont devoir continuer à s’instruire cloitrés dans leurs 9m2, les yeux vissés à quelques petites fenêtres Zoom. Alors que des centaines de témoignages d’élèves désespérés inondent les réseaux sociaux, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, a justifié ces mesures d’isolement par le « brassage » qu’impliquerait la vie étudiante avec ses pauses cafés et les « #bonbons partagés avec les copains ». Un étudiant lyonnais nous a confié cette lettre de réponse à la ministre dans laquelle il insiste sur le #stress, le #vide et l’#errance qui règnent dans les campus et auxquels le gouvernement semble ne rien vouloir comprendre.

      Madame la ministre,

      Aujourd’hui, je ne m’adresse pas à vous pour vous plaindre et vous dire que je comprends votre situation. Je ne m’adresse pas à vous pour vous excuser de votre manifeste #incompétence, pire, de votre monstrueuse #indifférence à l’égard de vos administré·e·s, nous, étudiant·e·s. Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe, et vous auto congratuler à l’assemblée n’y changera rien.

      Je suis en Master 2 de philosophie, à Lyon 3. Deux étudiant·e·s de ma ville ont tenté de mettre fin à leurs jours, dans la même semaine, et tout ce que vous avez trouvé à dire, c’est : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria »

      Je pourrais argumenter contre vous que ce que nous voulons, c’est un espace pour travailler qui ne soit pas le même que notre espace de sommeil, de cuisine ou de repos ; ce que nous voulons, c’est pouvoir entendre et voir nos professeurs en vrai, nous débarrasser de l’écran comme interface qui nous fatigue, nous brûle les yeux et le cerveau ; ce que nous voulons, c’est avoir la certitude que ça ira mieux et qu’on va pouvoir se sortir de cette situation. Et tant d’autres choses. Mais je ne vais pas argumenter là-dessus, beaucoup l’ont déjà fait et bien mieux que je ne pourrais le faire.

      Je vais vous expliquer pourquoi aujourd’hui, il vaut mieux prendre le risque du brassage, comme vous dites, que celui, bien d’avantage réel, de la mort d’un·e étudiant·e. Nous sommes tous et toutes dans des états d’#anxiété et de stress qui dépassent largement ce qu’un être humain est capable d’endurer sur le long terme : cela fait bientôt un an que ça dure, et je vous assure que pas un·e seul·e de mes camarades n’aura la force de finir l’année si ça continue comme ça.

      Parce qu’on est seul·e·s. Dans nos appartements, dans nos chambres, nos petits 10m2, on est absolument seul·e·s. Pas d’échappatoire, pas d’air, pas de distractions, ou trop de distractions, pas d’aide à part un numéro de téléphone, pas de contacts. Des fantômes. Isolé·e·s. Oublié·e·s. Abandonné·e·s. Désespéré·e·s.

      Pour vous c’est un problème, un danger, l’étudiant·e qui prend un café à la pause ? Pour beaucoup d’entre nous c’était ce qui nous faisait tenir le coup. C’était tous ces petits moments entre, les trajets d’une salle à l’autre, les pauses café, les pauses clopes. Ces moments de discussion autour des cours auxquels on vient d’assister, ces explications sur ce que l’on n’a pas compris, les conseils et le soutien des camarades et des professeurs quand on n’y arrive pas. Toutes ces petites respirations, ces petites bulles d’air, c’était tout ça qui nous permettait de tenir le reste de la journée.

      C’était aussi le sandwich entre amis, le repas à la cafétéria ou au CROUS, pas cher, qu’on était assuré·e·s d’avoir, tandis que là, seul·e·s, manger devient trop cher, ou bien ça parait moins important. Ces moments où l’on discute, on se reprend, on s’aide, on se passe les cours, on se rassure, on se motive quand on est fatigué·e·s, on se prévoit des sessions de révision. On se parle, on dédramatise, et on peut repartir l’esprit un peu plus tranquille. Nous avons toujours eu besoin de ces moments de complicité, d’amitié et de partage, nous qui ne sommes aujourd’hui réduit·e·s qu’à des existences virtuelles depuis le mois de mars dernier. Ça fait partie des études, de ne pas étudier. D’avoir une #vie_sociale, de se croiser, de se rencontrer, de boire des cafés et manger ensemble. Supprimer cette dimension, c’est nous condamner à une existence d’#errance_solitaire entre notre bureau et notre lit, étudiant·e·s mort·e·s-vivant·e·s, sans but et sans avenir.

      Le brassage c’est tous ces moments entre, ces moments de #vie, ces #rencontres et ces #croisements, ces regards, ces dialogues, ces rires ou ces soupirs, qui donnaient du relief à nos quotidiens. Les moments entre, c’est ce qui nous permettait aussi de compartimenter, de mettre nos études dans une case et un espace désigné pour, de faire en sorte qu’elles ne débordent pas trop dans nos vies. Ce sont ces délimitations spatiales et temporelles qui maintenaient notre bonne santé mentale, notre #intérêt et notre #motivation : aujourd’hui on a le sentiment de se noyer dans nos propres vies, nos têtes balayées par des vagues de stress incessantes. Tout est pareil, tout se ressemble, tout stagne, et on a l’impression d’être bloqué·e·s dans un trou noir.

      Tout se mélange et on se noie. C’est ce qu’on ressent, tous les jours. Une sensation de noyade. Et on sait qu’autour de nous, plus personne n’a la tête hors de l’eau. Élèves comme professeurs. On crie dans un bocal depuis des mois, et personne n’écoute, personne n’entend. Au fur et à mesure, les mesures tombent, l’administration ne suit pas, nous non plus, on n’est jamais tenu·e·s au courant, on continue quand même, parce qu’on ne veut pas louper notre année. Dans un sombre couloir sans fin, on essaye tant bien que mal d’avancer mais il n’y a ni lumière, ni sortie à l’horizon. Et à la fin, on est incapables de travailler parce que trop épuisé·e·s, mais incapables aussi d’arrêter, parce que l’on se sent trop coupables de ne rien faire.

      Aujourd’hui, je m’adresse à vous au lieu de composer le dernier devoir qu’on m’a demandé pour ce semestre. Je préfère écrire ce texte plutôt que de faire comme si de rien n’était. Je ne peux plus faire semblant. J’ai envie de vomir, de brûler votre ministère, de brûler ma fac moi aussi, de hurler. Pourquoi je rendrais ce devoir ? Dans quel but ? Pour aller où ? En face de moi il y a un #brouillard qui ne fait que s’épaissir. Je dois aussi trouver un stage. Qui me prendra ? Qu’est-ce que je vais faire ? Encore du télétravail ? Encore rester tous les jours chez moi, dans le même espace, à travailler pour valider un diplôme ? Et quel diplôme ? Puis-je encore vraiment dire que je fais des études ? Tout ça ne fait plus aucun sens. C’est tout simplement absurde. On se noie dans cet océan d’#absurdité dont vous repoussez les limites jour après jour.

      Nous interdire d’étudier à la fac en demi-groupe mais nous obliger à venir tous passer un examen en présentiel en plein confinement ? Absurde. Autoriser l’ouverture des lycées, des centres commerciaux, mais priver les étudiants de leurs espaces de vie sous prétexte que le jeune n’est pas capable de respecter les mesures barrières ? Absurde. Faire l’autruche, se réveiller seulement au moment où l’on menace de se tuer, et nous fournir (encore) des numéros de téléphone en guise d’aide ? Absurde. Vous ne pouvez pas continuer de vous foutre de notre gueule comme ça. C’est tout bonnement scandaleux, et vous devriez avoir honte.

      Vous nous avez accusés, nous les #jeunes, d’être irresponsables : cela fait des mois qu’on est enfermé·e·s seul·e·s chez nous, et la situation ne s’est pas améliorée. Et nous n’en pouvons plus. Nous n’avons plus rien à quoi nous raccrocher. Je vois bien que vous, ça a l’air de vous enchanter que la population soit aujourd’hui réduite à sa seule dimension de force productive : travail, étude, rien d’autre. Pas de cinéma, pas de musées, pas de voyage, pas de temps libre, pas de manifs, pas de balades, pas de sport, pas de fêtes. Boulot, dodo. Le brassage ça vous fait moins peur dans des bureaux et sur les quais du métro hein ? Et je ne vous parle même pas de mes ami·e·s qui doivent, en prime, travailler pour se nourrir, qui vivent dans des appartements vétustes, qui n’ont pas d’ordinateur, qui n’ont pas de connexion internet, qui sont précaires, qui sont malades, qui sont à risque. Je ne vous parle même pas de Parcoursup, de la loi sur la recherche, de la tentative d’immolation d’un camarade étudiant l’année dernière. Je ne vous parle pas de cette mascarade que vous appelez « gestion de la crise sanitaire », de ces hôpitaux qui crèvent à petit feu, de ces gens qui dorment dehors, de ces gens qui meurent tous les jours parce que vous avez prêté allégeance à l’économie, à la rentabilité et à la croissance. Je ne vous parle pas non plus du monde dans lequel vous nous avez condamné·e·s à vivre, auquel vous nous reprochez de ne pas être adapté·e·s, ce monde qui se meure sous vos yeux, ce monde que vous exploitez, ce monde que vous épuisez pour vos profits.

      Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe. Je m’adresse à vous pleine de colère, de haine, de tristesse, de fatigue. Le pire, c’est que je m’adresse à vous tout en sachant que vous n’écouterez pas. Mais c’est pas grave. Les étudiant·e·s ont l’habitude.

      Rouvrez les facs. Trouvez des solutions plus concrètes que des numéros verts. Démerdez-vous, c’est votre boulot.

      PS : Et le « bonbon qui traine sur une table » ? Le seul commentaire que j’aurais sur cette phrase, c’est le constat amer de votre totale #ignorance de nos vies et du gouffre qui nous sépare. Votre #mépris est indécent.

      https://lundi.am/A-propos-du-brassage

    • Le distanciel tue

      « Le distanciel tue ! », avait écrit hier une étudiante sur sa pancarte, place de la République à Strasbourg. Macron et Vidal ont répondu ce jour aux étudiant.es, par une entreprise de communication à Saclay qui nous dit ceci : Macron est définitivement le président des 20% et Vidal la ministre du temps perdu.

      Gros malaise à l’Université Paris-Saclay, où le président Macron et la ministre Frédérique Vidal participent à une table ronde avec des étudiant.es, bien sûr un peu trié.es sur le volet. Pendant ce temps bâtiments universitaires et routes sont bouclés, les manifestants éloignés et encerclés. Voir ci-dessous le communiqué CGT, FSU, SUD éducation, SUD Recherche de l’Université Paris-Saclay. Les libertés sont une fois de plus confisquées et dans le cas présent les otages d’une entreprise de com’ qui vire au fiasco, pour ne pas dire à la farce. Attention : vous allez rire et pleurer. Peut-être un rire nerveux et des pleurs de colère. La politique de Macron appartient à un très mauvais théâtre de l’absurde, qui vire à la tragédie. Ou une tragédie qui vire à l’absurde. Nous ne savons plus, mais nous y sommes.

      Il est 13h15. Je tente de déjeuner entre deux visioconférences et quelques coups de fil urgents au sujet de collègues universitaires qui ne vont pas bien. On m’alerte par sms : Macron et Vidal à la télé ! J’alume le téléviseur, l’ordinateur sur les genoux, le portable à la main. La condition ordinaire du citoyen télétravailleur. La ministre parle aux étudiant.es. On l’attendait à l’Université de Strasbourg ce matin avec son ami Blanquer, pour les Cordées de la réussite, mais le déplacement en province du ministre de l’Education nationale a été annulé. Une lettre ouverte sur la question a circulé. La ministre est donc à Saclay. Que dit-elle ? Je prends des notes entre deux fourchettes de carottes râpées :

      « Le moment où le décret sort, il faut que ce soit au moins la veille du jour où les choses sont mises en place. » Là, je manque de m’étouffer, mais dans un réflexe salutaire je parviens à appuyer sur la touche « Enregistrement ». L’aveu est terrible, magnifique. Du Vidal dans le texte. Je pense à Jarry. Je pense à Ionesco. Je pense surtout aux dizaines de milliers de personnels des universités qui, à dix reprises depuis le début de cette gestion calamiteuse et criminelle de cette crise, se sont retrouvés vraiment dans cette situation : devoir appliquer du jour au lendemain le décret ou la circulaire de la ministre. Samedi et dimanche derniers, des centaines de collègues à l’université de Strasbourg et des milliers partout en France ont travaillé comme des brutes pour « préparer » la rentrée du 18. Le décret date du 15 et a été publié le 16 ! Des centaines de milliers d’étudiants paniquaient sans information. Criminel !

      Mais la ministre continue :

      « Tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après ». Nous aussi, mais on ne sait pas comment faire.

      « Sur le calendrier, c’est difficile .. » Effectivement.

      « Moi, j’ai des débuts d’année - des débuts de second semestre, pardon - qui s’échelonnent quelque part … ». Quelque part … La ministre fait-elle encore ses cours à l’Université de Nice ?

      Là, Macron sent que ça dérape vraiment et coupe Frédérique Vidal. Il a raison. Tant qu’il y est, il ferait bien de lui demander sa démission. Il rendra service à l’université, à la recherche, à la jeunesse, au pays. Et il sauvera peut-être des vies. Après avoir accompli cette action salutaire, il nous rendra aussi service en tentant d’être président à plus de 20%. « 20% en présentiel, dit-il, mais jamais plus de 20%, l’équivalent d’un jour par semaine ». Le président est un peu déconnecté des réalités de la gestion d’une faculté au pays du distanciel, de l’Absurdistan et du démerdentiel. Pour bien comprendre les choses en étant "pratico-pratique" comme dit Macron, voilà de quoi il retourne : les enseignants et les scolarités (personnels administratifs dévoués et épuisés qui n’en peuvent plus et qu’on prend pour des chèvres) doivent organiser et gérer les TD de 1ère année à la fois en présence et à distance pour un même groupe, les CM à distance, et articuler le tout dans un emploi du temps hebdomadaire qui n’oblige pas les étudiants à entrer chez eux pour suivre un TD ou un CM à distance après avoir suivi un TP ou un TD en présence. Et désormais il faudrait entrer dans la moulinette les 20% en présence pour tous les niveaux : L1, L2, L3, M1, M2. Une pure folie. Mais pas de problème, Macron a la solution : « C’est à vos profs de gérer », dit-il aux étudiants. Le président en disant ceci pourrait bien devoir gérer quelques tentatives de suicide supplémentaires. Pour les étudiant.es cette folie se traduit par une résignation au "distanciel" et toutes ses conséquences pathologiques, ou un quotidien complètement ingérable dans l’éclatement entre la distance et l’absence. Dites à un individu qu’il doit être présent dans la distance et distant dans la présence, faites-lui vivre cela pendant des mois, et vous êtes assuré qu’il deviendra fou. L’Etat fabrique non seulement de la souffrance individuelle et collective, mais aussi de la folie, une folie de masse.

      La suite confirmera que Macron et Vidal ont le même problème avec le temps, un gros problème avec le temps. L’avenir est au passé. Le président dira ceci : « Evidemment il y aura des protocoles sanitaires très stricts » pour le second semestre. Le second semestre a débuté dans la majorité des universités. Mais, pas de problème : « Evidemment ce que je dis, c’est pour dans 15 jours à trois semaines ». Les 20 % et tout le tralala. Dans 15 jours on recommence tout et on se met au travail tout de suite pour préparer la 11ème révolution vidalienne ? Le président n’a pas compris que Vidal a fait de l’Université une planète désorbitée ...

      Nous sommes de plus en plus nombreux à penser et dire ceci : « Ils sont fous, on arrête tout, tout de suite ! On sauve des vies, on désobéit ! ». Dans certaines universités, il y des mots d’ordre ou des demandes de banalisation des cours pour la semaine prochaine. Lors de l’AG d’hier à l’Université de Strasbourg, étudiant.es et personnels ont voté cette demande. Il faut tout banaliser avant que l’insupportable ne devienne banal ! Il nous faut nous rapprocher, limiter le "distanciel". Il n’y a aucun ciel dans les capsules et les pixels. Nous avons besoin de présence et pour cela il faut des moyens pour améliorer la sécurité sanitaire des universités.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/210121/le-distanciel-tue

    • –-> Comment la ministre elle-même découvre l’annonce du président de la République d’un retour à l’Université de tous les étudiants 1 jour /5 (et qui annule la circulaire qui faisait rentrer les L1) lors de sa visite Potemkine à Paris-Saclay...
      Le 21 janvier donc, quand le semestre a déjà commencé...


      https://twitter.com/rogueESR/status/1353014523784015872

      Vidal dit, texto, je transcris les mots qu’elle prononce dans la vidéo :

      « Là j’ai bien entendu la visite du président, donc si l’idée c’est qu’on puisse faire revenir l’ensemble des étudiants sur l’ensemble des niveaux avec des jauges à 20% ou 1/5 de temps, ou... les universités ça, par contre... je vais le leur... dire et nous allons travailler ensemble à faire en sorte que ce soit possible, parce qu’effectivement c’était l’étape d’après, mais je pense que tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après parce que c’était quelque chose que je crois c’était vraiment demandé »

      –---

      Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      Au Journal officiel du 23/1/2021, un #décret modifiant le décret COVID, qui entre en vigueur immédiatement, sans mention des universités, ni modification de l’article 34 34 du décret du 29 oct. 2020 au JO. La circulaire du 22 janvier 2021 de la juriste Anne-Sophie Barthez, DGSIP, ci-dessous est donc illégale.


      https://academia.hypotheses.org/30306

      –---

      On se croirait au cirque... ou dans un avion sans pilote.

    • Kévin Boiveau continue ainsi sur son thread :

      je cite encore @VidalFrederique :
      – « Les étudiants sont porteurs et symptomatiques et font forcément des écarts sur les gestes barrières »
      – « Des étudiants sont assis entre les cours sans masques »
      – « Des étudiants trop nombreux dans certains lieux »
      Mais c’est pas le pire
      – « Les photos et vidéos sur les réseaux sociaux ne sont pas la réalité du terrain » "les étudiants vont bien globalement"

      Mme la Ministre @VidalFrederique, avec votre discours, vous mettez la communauté universitaire à dos ! Écoutez les messages et les actes de détresse !

      https://twitter.com/Kevin_BOIVEAU/status/1354483952363466759

      C’est à partir de la minute 1:07:00 :
      http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10236533_60118ba7066e6.commission-des-affaires-cult

      –-> où Vidal reprend encore cette idée qu’un #campus n’est pas un #lycée, qu’il y a « #brassage » (elle l’a redit !!!) dans les universités, contrairement aux lycées.
      Qu’elle a été sur place et a vu que les étudiant·es font la fête car ielles se retrouvent...
      et autres idioties qu’il vaudrait la peine de transcrire, mais... voilà, ni le temps ni la force en ce moment !

    • Ne pas tirer sur l’ambulance, vraiment ? Débat « #Malaise_étudiant » au Sénat, 10 février 2021

      #Monique_de_Marco, sénatrice de Gironde, groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture, a demandé la tenue d’un #débat dans le cadre des #questions_au_gouvernement. Le thème — « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » — a inspiré les oratrices et orateurs inscrit·es après l’intervention initiale de la sénatrice qui rappelle les données de la fondation Abbé Pierre : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’#aide_alimentaire ; la moitié des étudiant·es déclarent des difficultés à payer leurs #repas et leur #loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de #santé_mentale, comme de l’#anxiété ou de la #dépression. Face à cela, les mesures sont insuffisantes, inégalitaires — puisque les #classes_préparatoires sont restées normalement ouvertes — et les #services_universitaires complètement débordés. À quand une réponse structurelle au problème de la #pauvreté_étudiante, comme une #allocation_autonomie_étudiante ?

      Parmi les interventions, souvent prises, pointant les béances de la politique gouvernementale, citons un extrait du discours de #Pierre_Ouzoulias qui parle de #définancement assumé par le gouvernement des budgets « #Vie_étudiante » depuis le début du quinquennat, en dépit des alertes.

      "Je n’oublie pas qu’en novembre 2019, par la loi de finances rectificative, votre Gouvernement avait supprimé 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, ce sont 100 millions d’euros de crédits votés par le Parlement qui n’ont finalement pas été affectés à la vie étudiante par votre Gouvernement.

      L’an passé, à l’occasion de la discussion des quatre lois de finances rectificatives, j’ai proposé des amendements pour apporter aux universités et au Centre national des œuvres universitaires et scolaires des moyens d’urgence pour leur permettre d’aider rapidement les étudiants. Par la voie de Monsieur #Darmanin, alors ministre du l’Action et des Comptes publics, le Gouvernement m’avait expliqué qu’il n’y avait pas besoin de #crédits_budgétaires supplémentaires. La politique du « Quoi qu’il en coûte » a ignoré les campus et la #détresse_estudiantine.

      Cet automne nous avons discuté d’une loi de programmation de la recherche que le Gouvernement nous a présenté comme le plus grand effort budgétaire depuis la Libération. L’Université n’a bénéficié, dans ce cadre, d’aucune #aide_budgétaire supplémentaire, comme si les étudiants d’aujourd’hui ne seraient pas les chercheurs de demain.

      J’entends aujourd’hui les déclarations compassionnelles du Gouvernement qui s’alarme du mal vivre des étudiants. Mais, la #pandémie n’en est pas l’unique cause. Dans les universités, comme à l’hôpital, la crise sanitaire est la révélatrice d’une situation de #sous-investissement_chronique qui a fragilisé tout le #service_public de l’#enseignement_supérieur."

      La messe est dite. Sans appel pour dénoncer le mépris dans lequel le gouvernement tient « les emmurés de vingt ans » (Max Brisson), les sénateurs et sénatrices n’ont pas évoqué l’embroglio de circulaires-décrets inapplicables : iels ont pourtant souligné la nécessité d’un cadre réglementaire clair et stable et une plus grande #décentralisation des décisions.

      Public Sénat a choisi deux extraits représentatifs du discours, désormais sans queue ni tête, sans perspective, et vide de sens, de la Ministre. En voici un :


      https://twitter.com/publicsenat/status/1359585785159315457

      Que faut-il en comprendre ? La meilleure explication tient dans les mots de l’universitaire Pierre-Yves Modicom : il s’agit ni plus ni moins de « nier l’évidence sanitaire pour ne pas avoir à assumer les investissements matériels et les recrutements que la reconnaissance des faits impliquerait. L’incohérence, c’est la marque du déni obstiné de la réalité ».

      Le doyen Gabriel Galvez-Behar résumait ainsi le point de vue des agents du supérieur :

      "Nous ne pouvons plus minimiser les séquelles de la crise, nous contenter d’un illusoire retour à la normale, ni nous satisfaire d’expédients. Tout cela réclame ce qui a tant manqué jusqu’à présent : de l’anticipation, de la cohérence et des moyens à la hauteur de l’enjeu."

      Madame Vidal — alors que l’ensemble des usagers et des agents de l’ESR s’enfoncent chaque jour davantage, dans une détresse et un découragement graves — pas plus que son équipe n’ont pris la mesure du problème ni esquissé un début de solution, bien au contraire. Les réponses qu’elle a apportée devant la représentation nationale en attestent et attestent également de la toxicité de son ministère pour l’ensemble des agents publics et des usagers de l’ESR.

      Si vous ne souhaitez pas tirer sur une ambulance, allez-vous laisser un cadavre piloter l’université ? C’est la question que nous pouvons légitimement nous poser ce soir.

      https://academia.hypotheses.org/30821

  • Faire face, avec les musulmans

    L’#obscurantisme et le #fanatisme_religieux nous mettent une fois de plus devant l’insupportable. Le soutien aux proches de l’enseignant, à la communauté éducative, à la liberté d’expression et à la laïcité ne doit pas nous conduire à une stigmatisation des musulmans. Projet de lettre à de futurs enseignants.

    Que dirai-je lundi matin, à 8h, quand je retrouverai les étudiantes et les étudiants du master "Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation" (MEEF) qui préparent le Capes de Lettres ? Que dire face à l’innommable d’un enseignant décapité ? Comment faire face à cela ? Comment porter en soi cette représentation quand on se destine au métier d’enseignant ?

    Je crois que je leur dirai d’abord que je pense à deux personnes. Bien sûr au collègue professeur d’histoire qui a perdu la vie pour avoir enseigné et fait vivre l’une de nos libertés fondamentales. Mais je leur dirai aussi que j’ai une pensée pour Ariane, une jeune étudiante du master Métiers du livre et de l’édition, qui a perdu la vie au Bataclan le 13 novembre 2015. Ne pas oublier Ariane et les 90 du Bataclan. Ne jamais oublier que l’obscurantisme s’en prend d’abord à l’#enseignement et à la #culture, au #livre et au #savoir.

    Je crois que je leur dirai ensuite qu’il y a probablement parmi eux des croyants, et peut-être des musulmans. Je rappellerai alors que nous vivons dans une République qui garantit à chacune et chacun la #liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire, et que cette liberté implique une #égalité entre les #religions, et que par conséquent il ne saurait être question que l’une d’elle soit mise au ban de la République parce la #folie et la #barbarie de quelques sectateurs qui prétendent la défendre seraient représentatives de cette #religion. Nous devons faire face #avec_les_musulmans, pas #contre_les_musulmans.

    Je crois que j’ajouterai aussi – usant de « l’entière #liberté_d’expression » et de « l’#indépendance » à #valeur_constitutionnelle dont jouissent encore pour quelque temps les enseignants du supérieur – que toutes les #instrumentalisations - en cours et à venir - de l’acte barbare de ce 16 octobre qui ont pour objet ou pour effet de stigmatiser l’ensemble des musulmans, constituent des actes politiques irresponsables, lesquels doivent être dénoncés avec fermeté. Et que, par là même, celles et ceux qui se réclament de la République et de la Loi de 1905 pour promouvoir le concept de « #séparatisme », ne font qu’augmenter le péril qui guette notre société : une #guerre_des_religions, que quelques politiciens, tout aussi fous que les plus fous des fanatiques religieux, font tout pour aviver.

    Je crois que je leur dirai enfin que le métier d’enseignant est le plus beau qui soit, qu’il est certainement plus difficile de l’exercer aujourd’hui qu’hier, mais que c’est aussi pour cela que sa valeur n’en est que plus grande. Que cette valeur est étroitement liée à une #liberté_pédagogique qu’il faut défendre plus que jamais – y compris contre les limitations que l’État entend lui faire subir -, mais que cette liberté ne dispense pas l’enseignant d’une réflexion individuelle et collective sur les effets de nos discours et de nos pratiques, au sein et en dehors de l’École. Qu’enseigner la liberté d’expression et la #laïcité est à l’image du métier d’enseignant lui-même : beau et difficile. Et que toute #pédagogie authentique est vivante, qu’elle bouge, qu’elle n’est pas figée, qu’elle doit tenir compte de la diversité des élèves, et de leur culture. Et que tout ceci implique une formation des enseignants qui soit solide, renouvelée, permanente.

    #Pascal_Maillard

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/171020/faire-face-avec-les-musulmans
    #enseignement #éducation #Samuel_Paty #Conflans

  • Recherche : la majorité adopte une loi rejetée par le monde universitaire

    Les députés ont adopté jeudi la loi de programmation de la recherche voulue par le gouvernement. Le monde universitaire, qui doit organiser une rentrée en pleine pandémie, est très hostile à un projet qui ne répond en rien aux besoins pressants.

    « Scandaleux, difficile, déprimant. » Voilà comment Marie Sonnette, sociologue à l’université d’Angers et membre active du collectif « Facs et labos en lutte », a vécu le vote par les députés de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dite LPPR.

    Présenté en juillet devant le conseil des ministres après plusieurs reports, le texte a en effet été adopté jeudi à l’Assemblée nationale en première lecture. Depuis son annonce jusqu’au début de l’actuelle navette parlementaire, il a suscité de vives oppositions, dont l’expression a notamment été favorisée par la mobilisation plus vaste contre la réforme des retraites.

    Cette dernière semaine, un avis quasi unanime et « au vitriol » du Conseil économique, social et environnemental (Cese) a conforté l’hostilité au texte d’une large majorité de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont avaient déjà témoigné les prises de position de centaines de directeurs de laboratoires, ou les grèves ayant affecté des dizaines d’universités ainsi que de nombreuses revues académiques. Par contraste, il ne s’est récemment trouvé que cinq professeurs au Collège de France – une des institutions les plus privilégiées – pour défendre explicitement la loi dans une tribune au Monde.

    Pour la maîtresse de conférences contactée par Mediapart, le spectacle est logiquement pénible de voir le même projet adopté « par 68 personnes dans une salle [les députés qui siégeaient – ndlr], en prétendant que la recherche sera géniale sur les dix prochaines années, alors qu’on sait que les financements restent sous-dimensionnés et la précarité toujours aussi massive. Ce dont on a besoin, on le crie depuis longtemps et rien dans la loi n’apporte de réponse. »

    Du côté de la majorité, on reconnaît d’ailleurs la portée limitée du texte. « On ne va pas faire la révolution, mais nous allons quand même lever des blocages », concédait Danièle Hérin, députée LREM et rapporteuse générale du texte cette semaine à l’Assemblée. Une posture sobre en comparaison de l’emphase de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui a évoqué dans l’hémicycle des « moyens massifs », censés rattraper une « décennie perdue ».

    À première vue, les chiffres peuvent effectivement impressionner. Il s’agit d’engager 25 milliards d’euros de crédits supplémentaires au cours des dix prochaines années. Une perspective cependant très incertaine, ce que n’a pas manqué de relever le Conseil d’État dans son examen préalable. « Avec un tel horizon, la portée de la programmation des crédits budgétaires ne peut être que limitée, spécialement en fin de période », écrit le Conseil, avant de souligner le risque d’insincérité d’un tel engagement.

    « Pourquoi 10 ans ?, renchérit la députée communiste Elsa Faucillon. On ne voit pas la couleur de l’investissement à court terme. Les députés de la majorité entretiennent ce leurre entre engagements pérennes et engagements lointains. » Car pour 2021, seuls 400 millions d’euros supplémentaires sont prévus, et 800 millions en 2022, soit 5 % de l’enveloppe globale.

    « J’étais favorable à mettre davantage d’argent dès la première année, répond Danièle Hérin, mais comme le plan de relance va permettre d’investir 2 milliards par an supplémentaires, et que des sources de financement régionales et européennes vont arriver, je pense que cela reste raisonnable. » Mais là encore, l’addition est brouillonne puisque les six milliards sur trois ans du plan de relance ne sont pas uniquement dédiés à la recherche mais aussi à l’innovation, en sachant qu’au sein même de la recherche, le privé est concerné autant que le public.

    « On pilote à vue », s’inquiètent également les parlementaires socialistes, qui regrettent l’absence de « trajectoire budgétaire » dans celui adopté jeudi. L’objectif officiel d’investir 1 % du PIB dans la recherche publique ne serait selon eux pas tenu, en raison de simulations budgétaires trop faibles et calculés hors inflation. « On veut construire une belle maison, mais on prend le risque de se retrouver avec un appartement un peu minable à la fin », résume la présidente du groupe des députés PS, Valérie Rabault.

    La majorité n’en démord pas et vante les augmentations salariales concrètes à venir, pour des professions notoirement sous-payées au regard de leur niveau de diplôme. « Plus aucun chercheur ne pourra démarrer sa carrière à moins de deux fois le Smic, contre 1,4 fois le Smic aujourd’hui, soutient la députée LREM Valérie Gomez-Bassac, également rapporteuse du texte. Nous allons aussi verser des primes, entre 1000 et 1300 euros par an pour les titulaires en poste. Les doctorants verront leur allocation de recherche augmenter de 30 % d’ici 2023. Et nous financerons 20 % de thèses en plus. »

    Des salaires légèrement améliorés, par la voie de primes majoritairement, contre un statut encore un peu plus détricoté ? La méthode n’est pas nouvelle, elle guide la transformation de la fonction publique depuis plusieurs décennies, créant des formes nouvelles d’emploi public à tour de bras. « Ces dispositifs sont facultatifs, précise Danièle Hérin. Chacun des établissements sera libre de choisir les outils qui lui conviennent pour remplir ses objectifs. » Libre, mais dans un cadre budgétaire qui restera contraint...

    De nouvelles voies sont donc au programme pour retenir les talents en France, selon le gouvernement. D’une part les « chaires juniors », sur lesquelles pourront postuler les jeunes chercheurs, sur le modèle des « tenure track » du système anglo-américain. Soit un contrat de six ans maximum, parallèle au processus d’intégration comme maître de conférences, et qui pourra, sans obligation, déboucher sur une titularisation comme professeur d’université. « Une procédure de titularisation dérogatoire au droit de la fonction publique », a estimé le CESE, qui risque de mettre encore plus les chercheurs en concurrence.

    D’autre part, les CDI de mission, qui permettront de recruter un chercheur sur la durée d’un projet de recherche. L’exemple souvent brandi par la majorité est celui des études spatiales, où une équipe pourrait recruter quelqu’un sur les vingt années que pourrait durer la mission… si celle-ci est bien financée. Joli tour de passe-passe rhétorique, ce CDI pouvant s’arrêter à tout moment, a glosé l’opposition. « Vous pouvez continuer à nous expliquer qu’il est sécurisant et qu’il n’est pas précaire, a remarqué la députée France insoumise Muriel Ressiguier lors de l’examen de ce point en commission. Ça ne change pas le sens de ce qu’il est réellement : un contrat précaire dont personne ne veut. »

    Sans bouleverser totalement les équilibres, la loi entérine surtout le principe d’une recherche « par projet », où il faut constamment se saisir de son bâton de pèlerin afin de trouver des ressources financières, auprès de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de l’Europe, des régions, ou des contributeurs privés. « Nous augmentons aussi la part du soutien de base aux structures de 10 % », plaident les défenseurs du texte au Parlement, sans démentir le fait que l’ANR ne devienne le principal opérateur de financement de la recherche.
    La difficile résistance au rouleau compresseur managérial

    Cette « logique de mise en concurrence des formations et des chercheurs », explique à Mediapart la sociologue Séverine Chauvel, s’inscrit dans « la grande course aux classements » internationaux qui sert de guide à la politique de recherche française. « Il y a de l’argent annoncé dans le LPPR mais on ne souhaite pas qu’il soit injecté de cette façon, et en négligeant autant la question d’enseignement. Le vrai problème, poursuit la maîtresse de conférences à l’Université Paris-Est-Créteil, c’est que nous sommes déjà sous-dotés alors qu’on anticipe une ascension démographique des étudiants. Ce qui manque, ce sont des postes et des financements pérennes. »

    Or, ces dernières années, les crédits pérennes sont déjà passés de 65 à 61 % des sommes totales allouées. « Dans ce texte, on peut tout à faire imaginer que ce ratio s’inverse, prévient la socialiste Valérie Rabault. C’est très grave quand on veut faire de la recherche de long terme. » À cet égard, le PS a d’ailleurs beaucoup à se faire pardonner.

    Pendant sa campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait en effet relayé les nombreuses critiques contre une gestion managériale de la recherche, débouchant sur une mise en concurrence généralisée au détriment de la stabilité et des libertés académiques. Loin de contrecarrer la tendance, son quinquennat a pourtant été marqué par une forte continuité avec les années Sarkozy déjà mal vécues par les enseignants-chercheurs.

    Physicien et professeur à l’université Paris-Diderot, Bruno Andreotti confirme que le PS a accumulé un « passif énorme » avec ce mandat présidentiel. Dans les années précédentes, rappelle-t-il, la recherche par projets avait pu paraître séduisante à certains proches du milieu socialiste, et être légitimée dans le contexte d’une réaction contre le mandarinat universitaire, cherchant à émanciper les jeunes chercheurs de titulaires au pouvoir excessif. Depuis, la logique managériale (et la précarisation l’accompagnant) s’est étendue à l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    À l’occasion du vote de la loi LPPR, le groupe socialiste animé par Valérie Rabault s’est donc efforcé d’accomplir un travail de fond, consistant non seulement à porter la critique contre la LPPR mais aussi à formuler « 25 propositions pour la recherche, les chercheurs et les universités », dessinant un contre-projet de loi alternatif à celui de la Macronie. Une démarche facilitée par la présence d’Isabelle This Saint-Jean au secrétariat national des études du PS : elle-même universitaire, elle est une ancienne présidente du collectif « Sauvons la recherche » et fut très mobilisée en 2009 contre la politique de la droite en la matière.

    Les collectifs en lutte contre la LPPR ont par ailleurs vu leurs combats relayés par les députés de la France insoumise et du parti communiste, dénonciateurs d’une loi « mortifère ». La discussion du texte a aussi été l’occasion pour eux de formuler des contre-propositions, Muriel Ressiguier ayant par exemple déposé des amendements en faveur d’« un plan d’investissement dans l’enseignement supérieur », du « recrutement de nouveaux enseignants-chercheurs » et d’« une politique de reconnaissance renforcée du doctorat ».

    Les équilibres à l’Assemblée ne laissaient cependant aucun doute sur l’issue du vote et les marges de négociation du texte. « Il n’y avait aucun moyen de passer quoi que ce soit et on le savait, d’où le faible travail de lobbying des universitaires », constate Bruno Andreotti, qui souligne la différence avec les années Hollande, lorsque les élus écologistes, notamment Isabelle Attard, constituaient des relais possible pour corriger la politique socialiste.

    De façon plus générale, souligne-t-il à Mediapart, les parlementaires ayant une véritable connaissance technique du système et du dossier se compteraient sur les doigts d’une seule main. « Le spectacle de la discussion à l’Assemblée était en dessous de tout, notamment lorsque des rapporteurs lisent des notes préparées par le cabinet de la ministre, dont on s’aperçoit qu’ils ne comprennent rien. »

    La critique d’une ignorance de leur métier revient d’ailleurs souvent dans la bouche des universitaires interrogés par Mediapart. Séverine Chauvel estime ainsi que la LPPR a été l’occasion, de la part de la majorité au pouvoir, de « mensonges » mais aussi de « propos attestant une méconnaissance totale de l’enseignement supérieur ». La pilule passe d’autant plus mal dans le contexte chaotique à l’université, en pleine rentrée marquée par la pandémie (lire notre article sur « la grande débrouille »).

    « On bosse comme des fous pour faire fonctionner nos universités dans des conditions catastrophiques, confirme Marie Sonnette. Et dans cette rentrée que nous avons l’impression de vivre un peu comme sur le Titanic, tout continue comme si de rien n’était, sans consultation des enseignants-chercheurs, hormis des responsables d’instance. » Concentrée sur la recherche plutôt que sur les conditions de travail et d’apprentissage des étudiants, la LPPR apparaît ainsi en décalage profond avec le vécu des premiers concernés, sans dessiner le moins du monde un horizon qui les rassure.

    Outre le découragement de celles et ceux qui auraient pu envisager une carrière dans le milieu (lire ce témoignage), les titulaires en viennent à parler entre eux de « démission », chose impensable il y a quelques années à peine, tant les postes d’enseignement et de recherche sont convoités et exigent de sacrifices avant d’être obtenus. Avant qu’une éventuelle vague d’« exit » se matérialise, les mobilisations devraient se poursuivre, en particulier si un répit s’annonce après les errements de la rentrée. Les réflexions sur les modalités d’action se poursuivent et des résistances sont à attendre, veut croire Séverine Chauvel. En dépit des échecs essuyés, Marie Sonnette relève que sans mobilisation, la LPPR aurait été « encore plus violente » et la réforme des retraites serait déjà passée.

    Il reste que l’enseignement supérieur et la recherche sont des secteurs tellement fragmentés et divisés par ses multiples tutelles et formes de contrats, que le rouleau compresseur managérial peut y faire son œuvre avec d’autant plus de facilité.

    « La mobilisation de 2009 avait été la plus importante depuis Mai-68, et elle n’a débouché sur rien, cela a laissé des traces », ajoute Bruno Andreotti, qui estime par ailleurs qu’« on ne se défend ni plus, ni mieux, ni moins mal que les réseaux ferrés, les journalistes du service public, les hôpitaux, qui se font démolir leurs métiers comme nous. Sans innovation politique, il ne peut pas se passer grand-chose. »

    En attendant les futures échéances politiques nationales, la loi de programmation de la recherche doit être discutée à la fin du mois prochain au Sénat.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/260920/recherche-la-majorite-adopte-une-loi-rejetee-par-le-monde-universitaire?on

    #LPPR #recherche #France #université #facs #assemblée_nationale #première_lecture #vote #loi_de_programmation_pluriannuelle_de_la_recherche #adoption #hostilité #financement #budget #salaire #primes #fonction_publique #ESR #enseignement_supérieur #chaires_juniors #tenure_track #titularisation_dérogatoire ##titularisation #concurrence #CDI_de_mission #contrat_précaire #précarisation #recherche_par_projet #ANR #résistance #classements #classements_internationaux #postes #financements_pérennes #libertés_académiques #liberté_académique #logique_managériale #ignorance #mensonges #méconnaissance #conditions_de_travail #découragement #démission

    Ajouté à la métaliste :
    https://seenthis.net/messages/820330

    • L’Assemblée en marche derrière Vidal : préparons la riposte !

      Aujourd’hui 24 septembre 2020, 48 député·es ont voté en faveur de la « loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 » (LPPR) après trois séances mêlant l’incompétence, le cynisme et la suffisance. Cette loi, dont l’examen se fait en procédure accélérée conformément au souhait du gouvernement, a donc été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Prochaine étape : le Sénat vers la mi-octobre.

      Au fil des prises de parole et des amendements, adoptés ou rejetés par des député·es LREM réduit·es au rôle de pousse-bouton, nous avons vu se clarifier encore l’objectif de destruction de l’université et de la recherche publiques, de casse de notre service public.

      Pour connaître le détail de ces « discussions », vous pouvez notamment vous replonger dans les fils Twitter du Groupe Jean-Pierre Vernant – le 1er jour, le 2ème jour et le 3ème jour – ou lire les publications d’Academia à ce sujet.

      Dans l’ensemble, le texte a peu changé lors de l’examen et les rares modifications ont été pour le pire. Ainsi, un amendement adopté facilite la marchandisation du titre de docteur, au détriment des chercheur·ses qui conduisent réellement des recherches doctorales – il a finalement été neutralisé in extremis. Dans le même temps a été rejeté un amendement qui visait à graver dans le marbre les libertés académiques, afin d’offrir des garanties minimales pour la liberté de recherche des chercheur·ses précaires.
      L’article 13, intégré à la section IV intitulée « renforcer les interactions de la recherche avec l’économie et de la société », permet non seulement de privatiser les fruits de la recherche publique, mais il autorise même les chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses à devenir associé·es ou dirigeant·es d’une société valorisant les travaux… d’un·e collègue.
      Bref : c’est bien un projet de loi de précarisation et de privatisation de la recherche.

      Ce projet de LPPR (nous ne voyons aucune raison de changer la dénomination de ce projet de loi dont le contenu ne fait qu’empirer) s’inscrit également dans la lignée xénophobe de « Bienvenue en France ». L’article 7 met ainsi en place des dérogations au droit du travail pour les chercheur·ses étrangèr·es accueilli·es dans le cadre d’un séjour de recherche, que les universités peuvent désormais faire travailler sans leur fournir de contrat de travail, ni payer leurs cotisations sociales. Le projet de loi en fait donc officiellement des travailleur·ses de seconde classe. Dans le même esprit l’amendement 609, adopté, prévoit que des « formules de financement à la carte, telles que des coupons, pourront être définies pour soutenir le développement des missions d’expertise de doctorants auprès de petites et moyennes entreprise ». Par chance, c’est un amendement au rapport annexé, sans grande valeur légale, mais son adoption, conformément aux désirs de la Ministre, est éloquente.

      Pour en savoir plus sur les amendements adoptés, voici une très bonne analyse d’Academia.

      En ce jeudi 24 septembre, nous avons donc des raisons d’être inquièt·es et en colère. Le cœur de ce projet demeure extrêmement dangereux : il promet d’accroître les inégalités dans l’enseignement supérieur, d’aggraver la précarité, de renforcer les inégalités de genre et les autres dominations structurelles, de mettre l’existence même de notre service public en péril et de détruire les conditions dont nous avons besoin pour produire de la science. Tous ces éléments sont notamment documentés dans cette note des économistes atterré·es.

      Toutefois, il nous faut être lucides. Nos combats ont déjà porté des fruits : la LPPR n’est pas aujourd’hui ce qu’elle aurait été sans notre mobilisation. Bien des éléments que nous dénoncions (comme les modulations de service pour les enseignant·es-chercheur·ses) ont été sortis du projet de loi. Les mobilisations des précaires ont imposé l’inscription de la mensualisation des vacataires dans la loi. Certes, ce n’est pas assez : nous voulons la fin des vacations, des créations massives de postes et des moyens pérennes.
      Retenons tout de même cet enseignement : l’organisation collective et la lutte paient !

      Or, les collectifs se reforment partout et les avis très défavorables à la LPPR arrivent de toutes parts. Mardi 22 septembre, le Conseil économique social et environnemental (CESE) a adopté à l’unanimité (de la CGT au Medef !) un avis très défavorable au projet de loi, dont les préconisations principales se rapprochent des nôtres : des postes et des financements pérennes. Le même jour, plus de 800 directions de laboratoires, réunies au sein de l’Assemblée des directions de laboratoires, publiaient une tribune dans Le Monde, défendant un « l’ouverture de postes permanents et une meilleure dotation des laboratoires en moyens stables ».

      Où que nous soyons, quel que soit notre statut ou notre fonction : nous ne sommes pas seul·es !

      Cette rentrée 2020 se déroule dans des conditions catastrophiques, mettant cruellement en lumière la précarité et la pauvreté des étudiant·es, mais aussi le manque de moyens et de titulaires – enseignant·es-chercheur·ses comme BIATSS – dans les universités. Nos collègues, camarades et ami·es sont de plus en plus nombreux·ses à n’en plus pouvoir, à être submergé·es par l’écœurement, à quitter l’ESR.

      Mais lundi 21, malgré ce contexte, nous étions plusieurs centaines devant l’Assemblée !

      Ce vote de l’Assemblée est pour nous tou·tes le signal de la remobilisation. Dans les facs et les labos, des réunions et des assemblées générales s’organisent. Pour les nourrir, vous pouvez retrouver ici une sélection d’informations, d’analyses et d’outils militants autour de la LPPR et des autres attaques que subissent l’université et la recherche.

      Nous allons continuer d’interpeler les parlementaires, de dénoncer les conditions indécentes dans lesquelles nous devons accueillir les étudiant·es, de refuser la généralisation de la compétition de tou·tes contre tou·tes et la précarisation de la majorité au profit de quelques privilégié·es tou·tes puissant·es. Nous nous le devons à nous-mêmes, nous le devons à nos collègues et camarades les plus précaires. Nous le devons à l’ensemble de la société.

      Nous nous organisons, nous renforçons nos liens, nos solidarités. Nous construisons patiemment, minutieusement, le rapport de force qui, seul, pour sauver notre service public.

      Pour organiser la suite de la mobilisation, une rencontre nationale dématérialisée pour l’université et la recherche publiques aura lieu le 1er octobre 2020, de 18h à 20h, ici sur Discord. Ouverte à tou·tes, elle nous permettra de construire la prochaine grande mobilisation, au moment du passage de la loi au Sénat (mi-octobre).

      https://universiteouverte.org/2020/09/24/une-bataille-perdue-a-lassemblee-preparons-les-victoires-contre-l

    • LPpR : 48 voix pour, toute la communauté universitaire contre - 23 septembre 2020

      Il aura suffi de deux jours et demi à une poignée de députés pour voter cette loi.
      Que la communauté universitaire rejette en masse (sauf quelques carrièristes), ainsi que le CESE, le HCE, même le CÉ…

      Mais nous les voyons.

      les Valérie Gomez-Bassac, Pierre-Alain Raphan (qui confond doctorant et jeune chercheur), Danièle Hérin (qui ose « Une nouvelle voie de recrutement s’ouvre pour garder et dénicher des talents » les tocards déjà en poste ont apprécié) … qui votent CONTRE un amendement pourtant bien innocent :

      Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de la recherche française. La liberté d’expression doit être garantie, en toutes circonstances, au bénéfice des enseignants chercheurs. Rejeté

      Et dès le lendemain, à la surprise générale :

      Thierry Coulhon doit être proposé par le président de la République pour la présidence du Hcéres le 15/10/2020, selon plusieurs sources proches du dossier contactées par @NewsTankHER, le 23/09


      Allégorie d’un poste à moustaches

      Et nous ??

      Pour contrer la LPPR, il faudrait que nous, universitaires, arrêtions d’en jouer le jeu. On ne candidate plus aux AAP délétères, on laisse l’ANR mourir à petit feu, on ne recrute plus de vacataires, on compte toutes nos heures pour faire les 1608 réglementaires et pas une de plus.
      On ne recrute plus de post-docs. On ne se réjouit plus d’avoir des sous pour financer un précaire 6 mois. On ne candidate pas à des financements doctoraux en faisant rentrer à la hache le projet dans une thématique et un vocabulaire start-up nation.
      On arrête de trouver qu’un jeune docteur qui n’a pas fait X années à l’étranger, n’a pas enseigné 432 heures, n’a pas écrit 4 articles dans des revues à comité de lecture, n’est pas compétent pour être MCF.
      Spoiler : on ne le fera jamais. Et cela m’interroge depuis longtemps. Les lois qui détruisent l’université depuis 15 ans, nous avons protesté contre, puis nous les avons sagement mises en œuvre.
      Nous pointons tous nos efforts pour faire tourner la boutique dans des conditions délétères, mais fort peu le fait que nous faisons aussi cela même que nous dénonçons.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8791
      #LPR

    • L’#université_résiliente : lettre ouverte à Frédérique Vidal

      À l’occasion d’une visite de Frédérique Vidal en Alsace, des personnels « résilients » de l’Université de Strasbourg adressent à la ministre une lettre ouverte dans laquelle ils l’alertent sur des conditions de travail déplorables. « La vraie résilience dans nos facultés et laboratoires, c’est le #démerdentiel permanent », écrivent-ils.

      Madame la Ministre,

      Vous visitez ce 1er octobre les universités alsaciennes, sous le signe de la « résilience », la résilience de notre territoire à la crise sanitaire, la capacité de résistance de notre recherche et de notre économie, à travers un appel à projet qui a pour intitulé ce nouveau mot de la lingua néolibérale : « #Résilience ».

      « Résilience, résilience… », le mot est à la mode, dans toutes les bouches, sous toutes les plumes. Un mot magique, suffisamment souple et désémantisé pour laisser entrevoir un espoir de renaissance et masquer toute la souffrance que les choix politiques de votre gouvernement ont provoquée. Un mot à nous endormir debout, seulement destiné à rendre une politique acceptable et un avenir désirable. Mais cet avenir est celui de l’enfer néolibéral, fait de précarité, de concurrence et de souffrance au travail. Madame la ministre, il en va de votre « résilience » comme de votre « excellence » et de vos « gouvernances », dont vos amis et vous-même avez la bouche pleine : un vernis posé par le libéralisme sur la réalité quotidienne que vivent les personnels de l’université et de la recherche.

      Alors, quelques-uns de ces personnels aimeraient vous dire très concrètement, en ce jour de célébration de l’Universelle Résilience dans les salons feutrés du Cardo et du Nouveau Patio, avec quelques invités triés sur le volet, en quoi consiste la résilience ordinaire de milliers d’agents de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      La vraie résilience, c’est d’avoir suppléé aux carences de l’État en organisant pendant le confinement des collectes d’argent pour acheter des ordinateurs aux plus démunis et mis en place des livraisons de repas à des étudiants qui mouraient de faim.

      La vraie résilience, c’est d’avoir dû improviser un protocole sanitaire les premiers jours de la rentrée universitaire parce que votre ministère n’a pas été capable de travailler cet été à une circulaire destinée à protéger la santé des personnels et des étudiants.

      La vraie résilience, c’est de devoir désinfecter un bureau ou des tables avec un kleenex parce qu’il n’y a plus de papier.

      La vraie résilience, c’est de se protéger avec des masques achetés sur nos propres deniers et de les offrir à des étudiants qui n’ont pas les moyens de laver l’unique masque tissu qu’ils possèdent.

      La vraie résilience, c’est de refuser de faire cours dans un amphi bondé ou dans une salle sans fenêtre et de partir seul à la recherche d’une solution qui limite la prise de risque pour nous-mêmes et nos étudiants.

      La vraie résilience pour les composantes et laboratoires, c’est de devoir s’équiper en matériel sanitaire sur leurs propres crédits de fonctionnement et devoir s’organiser seuls parce que les services centraux n’ont plus les moyens d’organiser quoi que ce soit et que les budgets sont à sec.

      La vraie résilience dans nos facultés et laboratoires, c’est le démerdentiel permanent.

      La vraie résilience, c’est aussi, pour tous les chercheurs, de trouver la force de chercher encore un peu, après des journées entières consacrées à accomplir des tâches bureaucratiques aliénantes et inutiles ou à répondre à des appels à projets pour avoir des crédits.

      La vraie résilience, c’est d’emmener tous les soirs du travail chez soi, et pour certains d’accepter de travailler 70 ou 80 heures par semaine pour pallier le manque de postes et de personnels, afin que le système ne s’effondre pas totalement.

      La vraie résilience, c’est d’utiliser au quotidien, dans certains laboratoires, des sorbonnes* non conformes et de mettre ainsi en danger la santé et la vie des doctorants et des personnels.

      La vraie résilience, pour les représentants des personnels, c’est de devoir consacrer de plus en plus de temps à accompagner des personnels en souffrance, souvent victimes de pression au travail, de burn out ou de harcèlement, personnels à peine ou mal soutenus par une institution, qui est devenue elle-même une machine à briser les collectifs de travail et à briser des vies professionnelles et personnelles.

      La vraie résilience, pour les milliers de personnels précaires sans lesquels l’université et la recherche ne pourraient pas fonctionner, c’est d’accepter de travailler pour la moitié du salaire qu’ils devraient avoir, dans des conditions déplorables, et de continuer à se battre pour renouveler ou trouver un contrat qui aura les apparences de la décence.

      Face à l’insupportable que vous cautionnez et alimentez, Madame la ministre, les personnels et étudiants des universités auront bientôt complètement oublié ce que veut dire votre mot de « résilience ». Ils n’utilisent déjà plus votre langage et se souviennent de ce que signifie le mot « résistance » et les actions auxquelles ce mot renvoie.

      Madame la ministre, vous avez abandonné l’université. Comme Valérie Pécresse et Geneviève Fioraso avant vous, vous avez trahi l’idée même d’Université. Vous la destinez aux intérêts du privé et avec votre LPR vous nous promettez un enfer de précarité, dont nous ne voulons pas.

      Vous comprendrez qu’en ce jour nous ayons quelque difficulté à vous souhaiter la bienvenue. Nous vous prions néanmoins de bien vouloir accepter nos salutations les plus résilientes.

      Quelques personnels résistants de l’université de Strasbourg

      *Une sorbonne est une enceinte ventilée et enveloppante qui aspire les polluants et les rejette à l’extérieur. Elles équipent principalement les laboratoires de chimie. Un nombre considérable de sorbonnes ne sont pas aux normes dans les universités et les organismes de recherche. Les crédits ne sont pas suffisants pour les remplacer.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/011020/l-universite-resiliente-lettre-ouverte-frederique-vidal

      #lettre_ouverte

    • LPPr : menaces sur une science indépendante et plurielle

      L’#innovation est « avant tout un mécanisme économique et non scientifique. Comme pour tout investissement, sa raison d’être demeure la #rentabilité et la conquête d’un #marché solvable ». Ces propos, tenus par Henri Guillaume et Emmanuel Macron en 2007 (1), guident de toute évidence l’inquiétant projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR).

      https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2020/10/HL191-Actualit%C3%A9-5.-LPPR-menaces-sur-une-science-ind%C3%A9pendante-e

    • #Sondage sur le projet de LPR

      La Conférence de présidents de sections et CID du Comité national (CPCN) réunie le 11 septembre 2020 a décidé de sonder la communauté scientifique sur certains éléments jugés centraux contenus dans le projet de loi de programmation de la recherche. Ce projet de loi est en cours d’examen par le Parlement. La CPCN constate qu’en l’état le projet de loi ne répond pas aux attendus qu’elle avait formulés le 17 janvier 2020, attendus qui s’appuyaient sur un diagnostic et des propositions adoptées le 4 juillet 2019 en session extraordinaire par le Comité national. La CPCN s’interroge sur les actions à entreprendre si la loi est adoptée sans tenir compte des attentes de la communauté scientifique. Le questionnaire vise à sonder l’opinion de la communauté. Pour en savoir plus sur la loi, nous avons listé ici un certain nombre de contributions et de points de vue.

      mercredi 16/09/20 - 16:08 - 0 réponses - lancement du sondage
      mercredi 07/10/20 - 23:59 - 10 321 réponses (parmi 31 134 connexions au questionnaire) - clôture du sondage

      D’après le rapport « L’état de l’Emploi scientifique en France », l’effectif total de R&D du secteur des administration était de 177 199 en 2015. On en déduit que près de 17% des collègues a été informé de ce sondage et y a prêté attention (plus de 30 000 connexions). Parmi ceux-ci, plus d’un tiers à rempli le formulaire (plus de 10 000 réponses).
      Répartition par statuts

      Une question concernait le statut des répondants. Le graphique qui suit permet de constater une diversité de situations. Les enseignants-chercheurs et les chercheurs forment l’effectif le plus important sans que ce soit une surprise étant donné que le questionnaire a été rédigé (et donc pensé) par les présidents du Comité national qui sont sur ces statuts. Pour autant les nombres de doctorants, personnels contractuels, IT et BIATTSS ne sont pas négligeables et montrent que l’intérêt pour une loi de programmation est largement diffusé au sein de la communauté

      Répartition par disciplines

      Une des questions du sondage porte sur le champ disciplinaire dans lequel travaille le répondant. Ce champ disciplinaire est mesuré par le numéro de section du Comité national. Les sections numérotées de 1 à 41 couvrent la totalité des disciplines scientifiques. La répartition des réponses est donnée dans le graphique qui suit. L’enseignement à tirer de ce graphique est que la totalité des disciplines a été sondée. Certaines ont des effectifs (EPST+Universités) plus nombreux que d’autres, ce qui explique pour partie les différences dans le nombre de réponses.

      Taux de réponse des chercheurs CNRS

      2 615 réponses sont faites par des chercheurs du CNRS ce qui représente près de 25% de l’effectif total. Ce taux de réponse est variable d’une section à l’autre comme indiqué sur le graphique suivant. Les couleurs correspondent à la répartition des sections par instituts du CNRS. Tous les grands domaines scientifiques ont participé à plus de 15% des effectifs.

      Attentes de programmation

      Les sondés étaient invités à indiquer quatre priorités de financement. Ils ont classé ces quatre priorités en commençant par (1) la plus importante.

      Sans équivoque, les sujets qui ressortent sont le financement de base des laboratoires, l’emploi de titulaires et les rémunérations de tous les personnels. Un autre sujet d’importance concerne le financement de toutes les thèses et l’augmentation de leur nombre.

      Remarque d’importance : alors même que le nombre d’IT et de BIATSS qui ont répondu au sondage est faible au regard de celui des chercheurs et enseignant-chercheurs, la demande d’augmentation de l’emploi IT et BIATSS exprimée par les sondés est à un haut niveau. 6 608 réponses mettent l’augmentation de l’emploi IT et BIATSS parmi les 4 priorités. La communauté est bien consciente que ces emplois ont fortement baissé ces dernières années et que cela pose des problèmes majeurs dans les laboratoires et les universités.

      On remarque par ailleurs un très faible taux de réponse en faveur de primes individualisées.

      ANR

      On constate sur le tableau précédent que l’augmentation du budget de l’ANR n’est pas une priorité forte. Ce résultat se retrouve dans les réponses indiquées sur le graphique qui suit (réponses à la question "L’augmentation envisagée du budget de l’ANR est"). Dans quasiment tous les cas, les répondants complètent leur appréciation sur l’augmentation du budget de l’ANR prévue dans la LPR en insistant sur l’importance de « mettre la priorité sur les financements de base » ou de ne pas opérer cette augmentation « au détriment des soutiens de base des laboratoires ». L’augmentation du budget de l’ANR est majoritairement (52%) jugée être un aspect négatif du projet de loi. Il manque clairement, aux yeux des répondants, une mesure forte en faveur de l’augmentation des crédits de base des laboratoires.

      Nature des emplois

      L’attente en termes de programmation est dans une très large mesure en faveur de l’augmentation d’emplois de titulaires (tableau précédent). Cela se retrouve dans le graphique qui suit (réponses à la question "Dans le projet de loi, la programmation de l’emploi de titulaires est"). 74% des réponses indiquent que la loi ne répond pas aux attentes sur le sujet. 39% des réponses jugent la programmation insatisfaisante et/ou trop incertaine. 35% la jugent très insatisfaisante.

      Ce résultat est corroboré par les réponses relatives à l’article 3 sur les « agents en voie de titularisation » DR ou PR calqués sur les recrutements appelés « Tenure Tracks » dans le système anglo-saxon. 77% des réponses est critique quant à cette mesure. 34% estime que c’est "Une mauvaise initiative si elle diminue les recrutements en Chargés de recherche et Maitres de conférences. 43% estime que c’est "Une très mauvaise initiative".

      Le même constat se retrouve dans l’opinion au sujet des CDI de mission. Ils recueillent 71% d’opinions négatives, dont pour moitié si c’est au détriment des emplois de titulaires.

      Ampleur de l’effort budgétaire

      Pour finir cette première analyse des résultats nous donnons l’appréciation sur l’effort budgétaire du projet de loi de programmation. Plus de la moitié (54%) des réponses indiquent que la programmation financière est « trop faible » ou « vraiment insiffisante ».

      Conclusion provisoire

      L’analyse du sondage n’est pas terminée. Il est anticipé de tirer des conclusions définitives. Cependant, cette première analyse confirme que pour la communauté scientifique la programmation projetée n’est pas à la hauteur des enjeux. L’augmentation budgétaire prévue n’est pas suffisante et il manque :

      une programmation de la hausse des dotations de bases aux laboratoires (qui rappelons-le ne sont pas des dotations automatiques mais attribuées dans un dialogue avec les établissements de tutelle des laboratoires après évaluation par les pairs),
      une programmation de la hausse de l’emploi de titulaires, dont un fort besoin d’emplois d’ingénieurs et techniciens.

      La réponse du gouvernement, qui sur ce dernier point répond par l’embauche d’agents contractuels et autres contrats précaires (hausse estimée à 15 000 dans l’annexe de la loi, soit 10% de hausse), n’est pas en phase avec les attentes de la communauté. Le Comité national s’est impliqué depuis février 2019 dans l’élaboration collective d’un diagnostic et de propositions pour la recherche. Les principales propositions qu’il a formulées sont à nouveau confirmées par ce sondage.

      https://www.c3n-cn.fr/sondageLPR

    • Note technique sur la programmation budgétaire

      Le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR) –initialement loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) –sera examiné fin octobre au Sénat. Le gouvernement annonce un effort « exceptionnel », « sans précédent », de 25 milliards d’euros, en faveur de la recherche. Le projet de loi LPR s’accompagne d’un protocole d’accord « rémunérations et carrières 2021-2030 » décrit par la ministre F. Vidal comme rien moins que « le plus grand plan de revalorisations et de promotions des carrières scientifiques depuis des décennies ».Dans cette note technique, nous exposons la réalité de la programmation budgétaire de ce projet de loi, en examinant successivement : (1) le budget total programmé pour la recherche (programmes 150, 172 et 193 couverts par la LPR), (2) la part prévue pour l’Université (programme 150), (3) l’articulation au niveau budgétaire entre la LPR et la loi de réforme des retraites —telle qu’elle était prévue avant sa suspension temporaire, dans le contexte de sa reprise annoncée.

      http://rogueesr.fr/wp-content/uploads/2020/10/Note_programmation_budgetaire.pdf
      #budget

    • Info du budget LPR :

      Le projet de loi de finances 2021 apporte une preuve supplémentaire de l’insincérité budgétaire de la loi de programmation de la recherche. Du point de vue du ministère, les “crédits de la mission Enseignement Supérieur et Recherche du Projet de Loi de Finance ( #PLF2021) mentionnent une augmentation de 600 millions € sur les crédits du ministère et de 400 millions € pour la première marche de la #LoiRecherche.” Cependant, chacun peut vérifier dans le projet de loi de finance 2021 [] que les crédits de paiement de cette mission décroissent de 28,664 milliards € à 28,488 milliards €, soit -0,6%.

      Le rapport Rapin de la commission des finances du Sénat [*], déplore le jeu de bonneteau budgétaire du ministère, lié à la dette contractée par la France auprès de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette dette prise en compte, l’évolution budgétaire est évaluée à +104 millions € (+0,36%). Une fois l’inflation soustraite (estimée par l’INSEE à 0,7% en 2020), le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche baisse donc de 100 millions €, environ.

      En conséquence, ni le glissement vieillesse technicité (0,45% en moyenne), ni le plan de revalorisations et de promotions des carrières scientifiques dont s’enorgueillit le MESRI ne sont financés.

      [] page 211

      http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3360_projet-loi.pdf

      [*] page 30 et 31

      http://www.senat.fr/rap/a20-032/a20-0321.pdf

      Reçu via la mailing-list Rogueesr du 26.10.2020

    • Malgré le vote de la loi recherche, ses opposants ne désarment pas

      L’Assemblée a adopté la loi recherche mardi, mais n’a pas éteint la contestation. Depuis la ministre se retrouve face à un front syndical uni, des présidents d’universités étant sommés d’expliquer leur soutien à ce texte.

      Pas de répit pour Frédérique Vidal. Le vote de sa loi de programmation pour la recherche à l’Assemblée hier n’a pas éteint les revendications des chercheurs, bien au contraire.

      Mercredi matin, les organisations syndicales, toutes les organisations syndicales, ont boycotté la réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles « dénoncent la méthode employée par le gouvernement pour faire passer en force le texte de la loi de programmation de la recherche » et elles « demandent l’ouverture de négociations pour une autre loi de programmation et un plan pour l’emploi scientifique titulaire construits avec l’ensemble des acteurs et actrices de l’ESR ». Bref, la ministre est appelée à revoir sa copie.

      Les seuls soutiens de Frédérique Vidal dans l’élaboration de cette loi, les présidents des plus grosses universités sont aussi dans le viseur. La communauté leur demande de se positionner individuellement et publiquement sur le texte de loi. Ainsi, Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, a-t-il reçu un courrier de la part du Doyen de sa faculté de Droit, s’enquerant de son avis sur ce texte et sur la méthode suivie pour son élaboration. « Cette information influencera, à n’en point douter, le choix de nombreux membres de notre communauté universitaire dans la perspective prochaine des élections des conseils centraux », menace la lettre.

      L’Université de Strasbourg est membre de l’Udice, l’association des dix « grandes universités de recherche pluridisciplinaires françaises », qui a défendu la LPR et notamment l’article décrié ouvrant un nouveau mode de recrutement des enseignants-chercheurs dans le but « de recruter les meilleurs candidats aux postes d’enseignants-chercheurs ».

      Tout au long des débats autour de cette LPR le gouvernement et ses maigres soutiens ont joué cette musique. Le but de cette loi serait de permettre de recruter des stars, jettant ainsi le discrédit sur les personnes recrutées actuellement.

      Libération a discuté avec un chercheur français, répondant aux critères d’excellence du gouvernement. Sylvain Deville est lauréat en 2011 de la très réputée bourse du conseil européen de la recherche qui lui a octroyé 1,5 million d’euros sur 5 ans pour ses recherches sur les matériaux. Aujourd’hui directeur de recherche au CNRS, il est pourtant opposé à cette loi.

      « Depuis l’épuisement de mon financement ERC, je fais comme tout le monde, je dépose des demandes de financement partout. En quatre ans, je n’ai pu obtenir que deux bourses de thèses qui touchent à leur fin. Cette loi met l’accent sur les appels à projet comme mode de distribution des moyens. Il n’y a pas d’engagement sur les budgets pérennes ni sur l’emploi. Nous sommes les seuls fonctionnaires à qui on ne donne pas les moyens d’exercer leur métier une fois recruté, déplore-t-il. Pour ce chercheur « Les signaux envoyés par la loi sont très négatifs, nous le paierons à long terme. Il est de plus en plus difficile de convaincre les jeunes de se lancer dans une carrière scientifique. Ce que nous demandons, ce sont des financements pérennes et un horizon pas trop bouché pour ceux qui viennent après nous ».

      Un appel intersyndical est lancé pour le 24 novembre pour que la LPR ne soit pas appliquée.

      https://www.liberation.fr/sciences/2020/11/18/malgre-le-vote-de-la-loi-recherche-ses-opposants-ne-desarment-pas_1805944

  • #Népotisme et #conflits_d’intérêts au sommet de la recherche

    Le roi Macron aime à placer ses proches. Voulant imposer par tous les moyens son conseiller personnel à la tête du #HCERES, il prend aussi le risque de malmener l’indépendance et l’intégrité de la #recherche française, au moment où elle en a le plus besoin.

    Il y a assez peu de doute que #Thierry_Coulhon sera nommé ce 28 juillet à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (HCERES). Mais ce sera, une fois de plus, au prix de l’indépendance de cet organisme, qui a justement le statut d’« autorité administrative indépendante ». Car le prix à payer sera très élevé, aussi bien pour le conseiller #Coulhon que pour l’Elysée, et plus encore pour toute la recherche. Qu’on en juge :

    1. Après qu’un appel à candidature a été lancé courant décembre 2019 pour assurer la succession de Michel Cosnard à la présidence du HCERES - son mandat s’était achevé fin octobre -, des échanges et des « auditions » informelles se déroulent : plusieurs candidats sont entendus par la ministre mais aussi par le conseiller enseignement supérieur et recherche du président, à savoir Thierry Coulhon. Or Thierry Coulhon est également candidat à cette fonction. Un conseiller assurément très particulier, doué de cette aptitude au dédoublement qu’exige la politique dite d’excellence : il aura été l’auteur de sa propre audition. Pour protester contre cette candidature politique qui rend manifeste une situation de conflit d’intérêts et pour se réapproprier le contrôle des valeurs et du sens des métiers de la recherche, le collectif RogueESR lance le 20 janvier une candidature collective à la présidence du HCERES, qui sera rejetée par le ministère malgré les 5400 signatures de soutien.

    2. Le conflit d’intérêts est si évident et les protestations si vives que la ministre Frédérique Vidal en est réduite à saisir début mars le Collège de déontologie de son ministère, lequel rend son avis le 29 mai. On peut le lire ICI. Dans un langage poli et avec de multiples pincettes, nos savants déontologues reconnaissent ceci : « une apparence de conflits d’intérêts peut naître de la candidature, à une nouvelle étape de la procédure, d’une personnalité qui avait, à un stade antérieur, reçu, dans le cadre de ses attributions, les candidats alors déclarés. » Et ils ajoutent : « L’éventuelle nomination à la tête d’une autorité administrative indépendante d’une personne qui exerçait immédiatement auparavant des responsabilités auprès des autorités du pouvoir exécutif est également de nature à susciter des hésitations ». C’est peu dire ...

    3. Contrainte par les recommandations du Collège de déontologie, la ministre lance un nouvel appel à candidatures. Parmi les 160 candidatures déposées, dont une majorité suscitée à nouveau par le collectif RogueESR qui a invité les collègues à procéder cette fois à des candidatures individuelles, la haute administration du Ministère parvient à sélectionner en moins d’une semaine quatre candidats qui seront auditionnés mardi 28 juillet. Thierry Coulhon, dont on aurait pu imaginer qu’une fois le masque tombé il serait sagement resté confiné en son palais, a présenté à nouveau sa candidature. Il fait partie des quatre sélectionnés, lesquels doivent être départagés par une commission de quatre membres, dont deux sont possiblement en situation de conflit d’intérêts. Je joins à ce billet un communiqué de RogueESR qui résume bien la situation à la veille du grand oral.

    Macron aime privatiser le pouvoir autant que les services publics. Les situations de conflits d’intérêts se multiplient dans l’ESR depuis le lancement de la "Loi liberté et responsabilité des universités" en 2007, dont Thierry Coulhon, il convient de s’en souvenir, avait piloté la mise en application, au cabinet de Valérie Pécresse. Treize ans après, minés par des potentats locaux et parfois de véritables petites mafias, les universités et les organismes de recherche du service public sont devenus un terrain de chasse privilégié pour les cabinets de consultance en tous genres et pour les petites et grandes entreprises du secteur privé. Avec Macron, le sommet de l’Etat est, de ce point de vue, une véritable école du vice. Mais l’école a aussi ses ratés. Depuis bientôt un an, Macron patine à imposer son conseiller personnel à l’ESR à la tête du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

    Les 17-18 septembre 2019, le HCERES organisait un colloque sur le thème « Bilan et perspectives de l’évaluation de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation : 2015-2025 ». Cedric Villani devait ouvrir le colloque. Empêché pour cause d’élections municipales, il fut remplacé, au pied levé, par Thierry Coulhon. Convenant que sa prise de parole était contraire à son état de conseiller politique du président qui l’oblige à la mutité, il concéda « le plaisir d’une très légère transgression » (26 :30 dans la vidéo ci-dessous). Plaisir qui se prolongea par un authentique discours de candidat, alors même que Michel Cosnard n’avait pas encore achevé son mandat. Il est vrai qu’en Macronie, où l’impunité rivalise avec l’indécence, le conflit d’intérêts n’est rien de plus qu’une « très légère transgression ». Et le népotisme un pur divertissement.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/270720/nepotisme-et-conflits-d-interets-au-sommet-de-la-recherche
    #université #facs #France

    • HCERES: le principe d’#indépendance bafoué

      Chères et chers collègues,

      La présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (HCERES) est vacante depuis le 30 octobre 2019. Un premier appel à candidatures avait été annulé sur avis du collège de déontologie de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, du fait de l’opacité du processus et des critères d’évaluation et de sélection des candidatures et du fait des conflits d’intérêts notoires de l’un des candidats, Thierry Coulhon, conseiller auprès du président de la République.

      Lors du second appel, le ministère a reçu 160 candidatures en plus de celle de Camille Noûs, soutenue par RogueESR. Il est surprenant que tant de candidatures aient pu être examinées en si peu de temps, sans rapporteurs scientifiquement compétents pour lire les travaux et évaluer leur qualité. Il est très surprenant que Thierry Coulhon se présente à nouveau à cette fonction, malgré l’avis du collège de déontologie de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il est encore plus surprenant que la commission d’audition soit présidée par Claire Landais, secrétaire générale du gouvernement. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur français (HCERES) est une Autorité administrative indépendante, c’est-à-dire une institution qui agit au nom de l’État et dispose d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement. L’idéal régulateur de la recherche et de l’Université est fondé sur l’autonomie du monde savant vis-à-vis de tous les pouvoirs — politique, religieux et économique. Les libertés académiques sont ainsi garanties par le préambule de la constitution. Conformément à ce principe, le HCERES est supposé définir « les mesures propres à garantir la qualité, la transparence et la publicité des procédures d’évaluation ». Aussi, un organisme comme le HCERES ne peut se concevoir comme un instrument de pilotage politique. Sous la direction de Jacques Toubon, le Défenseur des droits a montré ce que devait être la liberté de fonctionnement d’une Autorité administrative indépendante. Il devrait en être de même pour la présidence du HCERES, qui aurait dû être choisie par une instance scientifique indépendante, composée de membres extérieurs. Au contraire, le comité d’audition (Jean-François Bach, Christine Clerici, Suzanne Fortier et Alain Schuhl) comporte deux membres dont les institutions seront évaluées par le HCERES et qui sont donc en conflit d’intérêt notoire.

      Quatre candidats seront auditionnés le 28 juillet : Jean-Luc Autran, Véronique Chanut, Thierry Coulhon et Catherine Dargemont. Jean-Luc Autran a été signataire de la tribune parue le 20 janvier 2020 dans le journal Le Monde, qui rappelait les conditions minimales de l’autonomie de la recherche. Il aura la lourde tâche de défendre les principes fondateurs de la recherche et de l’Université, mis à mal depuis bientôt deux décennies.

      L’audition par la représentation nationale de la personne choisie, qui précède sa prise de fonction, devrait avoir lieu à l’automne. Nous faisons un appel aux collègues juristes pour fournir une aide dans la rédaction d’une question prioritaire de constitutionnalité et attaquer le décret de nomination devant le Conseil d’Etat pour irrégularité de procédure, au cas où la personne nommée ne soit pas conforme au principe d’indépendance du HCERES et, surtout, de la science et de l’Université.

      Le collectif RogueESR

      PS : Le projet de loi de programmation de la recherche modifie le fonctionnement du HCERES en son article 10. Il ne s’attaque pas au principe d’indépendance dont on redoute qu’il soit bafoué. Il réaffirme en revanche le fait que l’évaluation par le HCERES, avec possiblement un retour des « notes », conditionnera fortement la répartition moyens entre les institutions.

      Message reçu via la mailing-list Rogueesr, le 24.07.2020

      #présidence #présidence_HCERES

    • L’évaluateur évalué… 5. La candidature-alibi ?

      Au cours du mois de juillet, nous avons appris que quelques candidats à la présidence de l’HCERES avaient été auditionnés. « Appris » est certainement un grand mot : lu à l’occasion d’un tweet de #Jean-Luc_Autran, professeur à Aix-Marseille Université, , qui nous apprenait qu’il y avait défendu un programme.

      https://twitter.com/JeanLucAutran/status/1286207735894364160?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      Autran était-il le seul candidat auditionné ? Nul ne le sait. Enfin, rien d’officiel n’est apparu sur le site du MESRI.

      https://www.aefinfo.fr/acces-depeche/632264

      Interrogé par Newstank1 et par Academia, Jean-Luc Autran a accepté de présenter les différents points du programme présenté devant un comité dont on ne connaît à cette heure la composition2.

      Jean-Luc Autran indique avoir déposé sa candidature à la présidence de l’Hcéres à l’occasion de l’initative #NousSommesCandidat.

      « Cette candidature, qui n’était pas prévue dans mon parcours d’enseignant-chercheur, est motivée par la situation et l’évolution de l’ESR que je juge très préoccupante sous bien des aspects, dont le sujet majeur de l’évaluation ».

      L’évaluation tient une place centrale dans l’ESR, mais, pour ce collègue qui observe l’évolution préoccupante de l’ESR depuis 20 ans, elle pose problème :

      elle est devenue très bureacratique, chronophage – ce qui ne laisse pas d’inquiété
      elle est désormais pilotée par une technocratie composée de « professionnels de l’évaluation », déconnectés des réalités du terrain, obéissant à ses propres règles, à ses propres indicateurs, sans que, en retour, les chercheurs de terrain puissent avoir leur mot à dire.

      Pour Jean-Luc Autran,

      « la contestation est une première étape, comme un cri d’alarme fort et parfois désespéré mais, à mon sens, elle ne peut s’éterniser car elle porte un grave préjudice à toute la communauté dont le niveau d’exaspération est de plus en plus élevé ».

      Sa candidature est ainsi un moyen, peut-être moins radical que ce qui pourrait être, de proposer un autre projet pour l’enseignement supérieur et la recherche par rapport à ceux qui existent3 . L’évaluation doit être un moye, non une fin, pour conduire l’ensemble des collègues et des collectifs à progresser, non une sanction qui a pour effet principal de démobiliser.

      « Si je sollicite aujourd’hui la direction du Hcéres, c’est pour un mandat de mission extrêmement clair : garantir l’autonomie du processus d’évaluation du monde universitaire et de la recherche, et dans ce cadre, opérer un véritable choc de simplification et un choc de confiance en redonnant tout son sens à l’évaluation, pour que celle-ci soit une « évaluation de progrès », de nouveau partagée et acceptée par toute la communauté et à tous les niveaux.
      Car l’Hcéres doit avant tout garantir l’autonomie et l’indépendance du monde universitaire et de la recherche sur les sujets essentiels de l’évaluation et de l’intégrité scientifique ».

      Pour ce faire, Jean-Luc Autran entend procéder, à la tête d’une équipe de direction entièrement renouvelée, à une analyse en profondeur des procédures d’évaluation en cours et définira une nouvelle méthodologie dans le respect des textes, plus proche des acteurs et actrices de la recherche, en vue d’établir un « dialogue constructif, enrichissant, positif, entre évalués et évaluateurs, c’est-à-dire entre pairs ».

      Ainsi, pour résumer le changement d’approche de l’évaluation, je proposerai que le nouveau slogan du Hcéres ne soit plus « évaluation et qualité » mais « évaluer pour progresser ».

      Jean-Luc Autran se dit très attentif à deux choses :

      - la collégialité des décisions et l’harmonie de travail entre les équipes et au sein de la directions, toujours à l’écoute des personnels, comme il a pu le faire ces dernières années dans mon laboratoire.
      – aux moyens accrus à l’Office français de l’intégrité scientifique pour qu’il remplisse pleinement sa mission essentielle englobant les problématiques d’intégrité, d’éthique et de déontologie.
      – l’ajustement permanent des procédures, condition indispensable de réappropriation par la communauté de son système d’évaluation.
      – nouer un dialogue avec les partenaires européens.

      Par ailleurs, le candidat se préoccupera de :

      – l’utilisation du crédit impôt recherche dont il faut expertiser les résultats,
      - le bien-être étudiant et la lutte contre la précarité étudiante dont il faut faire un critère politique dans le suivi des établissements ;
      – ou encore les politiques de développement durable des établissements.

      Pour conclure, Jean-Luc Autran a listé une série de propositions dans un programme de travail qu’Academia reprend ici.

      13 propositions de Jean-Luc Autran pout la présidence du Hcéres

      – Expertiser les résultats du Crédit d’Impôt Recherche ;
      - Utiliser les prérogatives du Hcéres pour mener à bien un audit des besoins matériels et humains ainsi qu’un bilan social de l’ESR à tous les niveaux ;
      - Faire du bien-être étudiant et de la lutte contre la précarité étudiante un critère politique dans le suivi des établissements ;
      - Proposer la suppression de la commission des titres d’ingénieurs et évaluer la qualité des formations privées délivrant ce titre ;
      - Évaluer systématiquement les présidences et vice-présidence des établissements du supérieur ;
      – Mettre en place une évaluation permanente des membres des strates administratives par les personnels, destinés à les faire progresser dans l’exercice de leurs fonctions, sur la base des meilleures pratiques ;
      - Mettre en place une procédure d’institution des normes d’évaluation, discipline par discipline, par la communauté académique elle-même ;
      – Limiter le nombre de pièces prises en compte dans les dossiers de candidature et de carrière (articles, livres, etc) pour en finir avec la course au chiffre ;
      – Interdire dans les évaluations de valoriser les pratiques académiques qui supposent des voyages en avion ou des déplacements coûteux ;
      - Refondre totalement les procédures, calendriers et organisations des comités de visite en simplifiant à l’extrême le formalisme en vigueur, la durée et le travail en amont demandé aux structures évaluées.
      – Limiter drastiquement la longueur des documents à fournir pour les évaluations des unités de de recherche, des formations, des écoles doctorales et des établissements ;
      - Interdire l’utilisation du tableur Excel, des diagramme SWOT et des diagrammes de Gantt dans toutes les procédures d’évaluation ;
      - Limiter la longueur des rapports d’évaluation à une page recto-verso pour les unités de recherche, les écoles doctorales, les formations et à cinq pages pour les établissements.

      ’audition de Jean-Luc Autran est-elle un alibi à la consécration du calife ? Sans doute : le candidat ne semble guère se faire d’illusions sur le caractère vicié de la procédure MESRI. Sa candidature, en revanche, s’avère très sérieuse et une alternative intéressante à la suppression pure et simple de l’HCERES. L’absence d’ambition carriériste, politique ou vénale4. du candidat, son inscription dans la démarche collective #NousSommesCandidatE, la rend même dangereusement crédible. Il propose même un programme véritable neuf, venant compléter — on devine en coordination — le rôle du Conseil national des universités et du Comité national de la Recherche scientifique.

      Espérons que la représentation nationale fera valoir l’intérêt qu’il y a à nommer une personnalité universitaire toujours active, soucieuse du progrès scientifique, connaissant parfaitement la gabegie, en temps et en argent, du système actuel.

      https://academia.hypotheses.org/25327

    • La nomination à la présidence du HCERES entachée d’une #faute_déontologique et d’une atteinte au principe de #séparation_des_pouvoirs

      Lettre ouverte du 11 octobre 2020

      La crise sanitaire a mis en évidence l’existence d’une crise de la recherche scientifique, dans son fonctionnement institutionnel comme dans son rapport à la société. En effet la pandémie n’a pas seulement pris en défaut les instances de pilotage qui avaient renoncé ces dernières années à accorder des financements décisifs à la recherche sur les coronavirus. Les controverses relatives aux mesures sanitaires ont aussi confirmé que l’acceptation démocratique de mesures fondées sur des diagnostics scientifiques était conditionnée à la confiance de la population envers une recherche indépendante et intègre, aux antipodes des bureaucraties cooptées et toujours soupçonnées de conflits d’intérêts.

      L’un des enjeux de cette crise touche au pilotage de la politique scientifique en France. Depuis quinze ans, ces politiques font abstraction d’une évidence simple : une science au service de la démocratie et des citoyens requiert disputatio, collégialité, autonomie et temps long. A contrario, le pilotage stratégique de la science par l’évaluation quantitative et par une mise en compétition réglée de tous contre tous porte atteinte à la confiance que les citoyens peuvent placer dans une science soucieuse de l’avenir de nos sociétés. C’est pourtant l’optique qui guide toutes les réformes de ces dernières années et qui anime l’actuel projet de loi de programmation de la recherche (LPR). Au cœur de cette évolution qui concourt à faire dévier la science de sa logique d’intérêt général, on trouve une instance : le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), l’autorité administrative indépendante en charge de l’évaluation de l’ensemble des structures de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      Le 2 octobre dernier, les services de l’Élysée ont officialisé par un communiqué de presse le choix d’Emmanuel Macron de proposer la nomination d’un de ses conseillers à l’Élysée, M. Thierry Coulhon[1], à la tête de cette autorité censée être « à l’abri de toute pression […] des autorités gouvernementales » comme le précise, le plus sérieusement du monde, le HCERES sur son site internet. Cette décision vient clore un processus de nomination long et litigieux, engagé fin 2019, après que le mandat du président précédent, M. Michel Cosnard, eut pris fin.

      L’appel à candidatures avait suscité une mobilisation massive de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche française, soucieuse de contribuer activement à la définition des normes de probation de son travail, garantes de son intégrité, de façon responsable et en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. Une candidature collective avait ainsi été déposée à l’initiative du collectif RogueESR en janvier 2020, rassemblant 1378 volontaires mobilisés sous la bannière #NousSommesCandidat. Le sens de cette candidature collective à la présidence du HCERES était très clair : garantir l’autonomie et l’indépendance absolue du processus d’évaluation par les pairs du monde universitaire et de la recherche.

      Si elle était avalisée par les commissions compétentes de l’Assemblée Nationale et du Sénat, la nomination de Thierry Coulhon serait de nature à aggraver la crise de confiance que traverse actuellement le monde scientifique, et ce au pire moment. Car cette proposition de nomination est entachée de deux problèmes graves, sur le plan de la déontologie professionnelle et sur celui de l’éthique de la vie politique.
      Une faute déontologique

      En tant que conseiller du Président de la République, M. Coulhon intervient dans les arbitrages sur les politiques publiques et les nominations en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Il exerce de facto une autorité réelle sur les administrations et établissements publics qui se trouvent dans son champ de compétences et sur ses dirigeants. Or, à plusieurs reprises au long du processus de désignation du président du HCERES, M. Coulhon s’est placé en position de juge et partie. Le collège de déontologie du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ne s’y est d’ailleurs pas trompé ; dans son avis du 29 mai 2020, il écrivait dans la langue feutrée qui le caractérise : « L’éventuelle nomination à la tête d’une autorité administrative indépendante d’une personne qui exerçait immédiatement auparavant des responsabilités auprès des autorités du pouvoir exécutif est également de nature à susciter des hésitations. »

      M. Coulhon s’est de nouveau porté candidat lors du second appel à candidature publié en juin dernier. Le conseiller du Président, qui n’a pas jugé opportun de quitter ses fonctions dans l’intervalle, a été auditionné le 28 juillet 2020 comme trois autres candidats servant de faire-valoir, par une commission d’examen présidée par la Secrétaire générale du Gouvernement et composée de quatre personnalités ès-qualités, dont une présidente d’université et un directeur général d’organisme de recherche. Ces derniers sont soumis à l’autorité directe de l’HCERES en matière d’évaluation, ainsi qu’à l’autorité indirecte du conseiller élyséen dans leurs mandats respectifs. Les conflits d’intérêt sont tellement flagrants qu’on a du mal à croire qu’une telle composition de la commission d’examen ait pu paraître judicieuse à qui que ce soit.

      Des auditions publiques auraient pourtant permis de lever le voile sur la teneur des échanges et d’apprécier l’équité de traitement des différents candidats.
      Une atteinte au principe de séparation des pouvoirs

      Si le candidat ne semble pas troublé par sa position de conseiller à l’Élysée, ce conflit d’intérêt manifeste est cependant en totale contradiction avec l’ambition d’une « République exemplaire », que défendit lors de la campagne de 2017 l’autorité de nomination, à savoir le Président de la République. En matière d’exemplarité républicaine, cette nomination d’un conseiller élyséen à la tête d’une autorité « indépendante » est d’une tout autre teneur que celle, par exemple, de Jacques Toubon au poste de Défenseur des droits par François Hollande. Les propos du collège de déontologie furent véritablement inspirés et prémonitoires : tout ceci est bien « de nature à susciter des hésitations. »

      Précisons pour finir que cette alerte ne vise en rien la personne de M. Coulhon, mais cette volonté tenace de passer outre le principe d’indépendance de l’instance en charge des normes de la science en France. Si l’indépendance n’est pas une condition suffisante pour garantir l’exercice d’une science autonome et désintéressée, telle que la société la souhaite, elle en est cependant une condition nécessaire. Cette nomination à la tête d’une autorité indépendante constituerait un redoutable précédent et assurément une grave infraction au principe de séparation des pouvoirs. Toute notre société pourrait bientôt en payer le prix. C’est pourquoi nous appelons les députés et sénateurs membres des commissions compétentes à rejeter la nomination de M. Coulhon à la présidence du HCERES.

      https://rogueesr.fr/presidence_hceres

    • Hcéres : recours en annulation au #Conseil_d'État contre la nomination de T. Coulhon et du collège

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1346501887546290177

      Le texte de l’article sur Newstank :

      Onze enseignants-chercheurs titulaires déposent au Conseil d’État une requête en annulation de deux décrets concernant le Hcéres pour « excès de pouvoir », le 04/01/2021.

      Les décrets visés sont :
      • le décret du 30/10/2020 « par lequel le président de la République nomme son propre conseiller, Thierry Coulhon, à la présidence du collège du Hcéres » ;
      • et le décret du même jour « par lequel le Premier ministre désigne les trente membres du collège du Hcéres », indiquent les onze requérants.

      Selon eux, « le mémoire déposé auprès du Conseil d’État établit le caractère manifestement illégal de ces deux décrets et déploie, pour le démontrer, une argumentation juridique en sept points ».

      « Au-delà de la démonstration proprement technique développée dans la requête déposée auprès du Conseil d’État, cette démarche — pour le moins inhabituelle de la part d’universitaires — entend dénoncer le caractère inacceptable de la procédure suivie par le gouvernement pour procéder à ces nominations, et en particulier à la nomination de M. Coulhon : de bout en bout suspecte de conflits d’intérêts, coupable d’entorses graves à la déontologie, cette procédure est en contradiction avec tous les standards internationaux requis par des nominations à une agence de cette importance », affirment-ils.

      Sollicité le 05/01 par News Tank pour une éventuelle réaction à cette requête en annulation, Thierry Coulhon, président du Hcéres, n’a pas souhaité réagir.

      Les onze requérants Les onze enseignants-chercheurs requérants se disent issus « tant des sciences exactes et expérimentales que des lettres, arts, sciences humaines et sociales, ou du droit » et avoir « répondu à l’un ou l’autre des appels à candidatures lancés par la ministre de l’Esri “en vue de pourvoir la fonction de membre du collège du Hcéres appelé à exercer la fonction de président” ».

      Sollicité par News Tank le 05/01/2020 pour connaître la liste des onze requérants, Antoine Chambert-Loir, professeur des universités en mathématiques à l’Université de Paris qui les représente et fait partie des 11 E-C, ne la fournit pas, car « une partie d’entre eux craint d’éventuelles pressions », indique-t-il.

      « Combat contre une vision dépassée de l’évaluation » Selon les requérants, de façon plus générale, cette requête « participe au combat contre une vision dépassée de l’évaluation, qui contredit les intérêts mêmes de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Le terrain contentieux s’impose

      Par ailleurs, elle « témoigne, enfin, du gouffre qui sépare aujourd’hui les managers de l’enseignement supérieur et de la recherche et celles et ceux qui font vivre ce service public au quotidien. Faute de tout dialogue, le terrain contentieux s’impose désormais comme l’une des rares voies à disposition pour faire valoir des arguments auxquels le gouvernement reste sourd.

      Il est complémentaire des autres actions actuellement en cours, en particulier le refus de toute participation aux procédures d’expertise demandées par le Hcéres ».

      #recours #excès_de_pouvoir #Conseil_d'Etat

  • « #Je_peux_pas_respirer », un #poème de #Niyi_Osundare

    Niyi Osundare, auteur nigérian, est l’un des poètes les plus reconnus d’Afrique. Je publie son poème « I Can’t Breathe » dans une traduction de Christiane Fioupou. Niyi Osundare a enseigné de nombreuses années au département d’anglais de l’université de la Nouvelle Orléans (UNO).

    Ce poème de Niyi Osundare, "I Can’t Breathe", traduit par Christiane Fioupou avec l’accord de l’auteur, a été publié le 8 juin 2020 sur le site basé au Nigeria, Premium Times : https://opinion.premiumtimesng.com/2020/06/08/i-cant-breathe-by-niyi-osundare

    –---

    JE PEUX PAS RESPIRER

    (Variations épisodiques sur les ondoiements d’un cri primal)

    I

    Je peux pas respirer

    Je peux pas respirer

    Je peux pas res

    Je peux pas

    Je peux pas

    Je. …….

    2020 : Black Lives Matter, La Vie Des Noirs Compte

    1965 : JE SUIS UN HOMME

    Il y a d’innombrables façons

    De lyncher sans corde

    Les victimes ont été moins nombreuses que ce que nous avions prévu :

    10 Personnes

    &

    1000 Nègres

    Pour chaque Noir à l’université

    Il y en a cent de plus en prison

    Tant de siècles plus tard,

    L’Amérique a toujours « un problème noir »

    Ma peau est mon péché,

    Chante le bluesman sur ses cordes plaintives,

    Ma vie même est une « condition sous-jacente »

    Pour d’innombrables afflictions

    Et le Sage des médias répond :

    Le racisme est le péché originel de l’Amérique

    La violence, son inaliénable compagnon

    Il y a un crime fréquent en ville :

    Respirer Quoique Noir (RQN)

    M. George Floyd a commis deux crimes cardinaux :

    Il était noir

    Il était costaud

    Black Lives Matter, La vie des Noirs compte

    Black Life Martyrs, Les Noirs comptent leurs martyrs

    Et Louis Armstrong, le trompettiste souriant, questionne :

    Qu’ai-je fait de curieux pour être si noir et bleu ?

    II

    Les Noirs comptent leurs martyrs,

    Leurs voix montent de leurs tombes prématurées :

    Amadu Diallo, Eric Garner, Michael Brown, Tamir Rice, Walter Scott, Freddie Gray, Botham Jean, Breanna Taylor, Philando Castille, Trayvon Martin, Ahmaud Arbery, George Floyd…..

    N’y aurait-il pas un Panthéon

    Pour les trophées de chasse des policiers ?

    Etre et ne pas être

    Se vautrer dans l’indigence dans un océan d’opulence

    Crier et ne pas être entendu

    Se lever et ne pas être vu

    Semer et ne jamais récolter

    Vivre toute sa vie au-dessous de la loi

    Etre arrêté et fouillé arrêté et fouillé arrêté et fouillé arrêté et….

    Etre sommé d’innombrables fois

    De pardonner et puis d’oublier

    Oui Monsieueu, Oui Madaaame….

    Mettez-les à l’aise avec votre sourire de Nègre,

    Votre basse basse révérence et votre haute déférence

    Cette façade de calme est ce qui vous rachète

    Un « homme noir en colère » est pour ainsi dire mort

    Allo Police, Police, Police, Police

    Mon nom est Sue,

    J’appelle de ma voiture dans City Park

    Un grand Noir costaud traîne dans le coin

    Son ombre noire énorme menace ma vue

    Vite envoyez un flic, je crains pour ma vie

    Bloquer-étouffer, bloquer-étouffer,

    Clé d’étranglement et fracasse et balance

    400 ans de genou-sur-le-cou

    Notre Police connaît son serment :

    Servir

    &

    Protéger

    Le commissaire a posé un genou à terre

    Le shérif à son tour a fait pareil

    Est-ce ici génuflexion sincère

    Devant la trahison de Kaepernick

    Ou condescendance s’achetant une conciliation temporaire ?

    Et l’empereur grogne

    Depuis son bunker du Château Blanc

    Promettant « chiens méchants et armes inquiétantes »

    Dépêchant ses fusils pour « dominer la rue »

    Sa nation malheureuse désormais son « espace de combat »

    La vie des Noirs compte

    Les Noirs comptent leurs martyrs

    Et Louis Armstrong, le trompettiste souriant, questionne :

    Qu’ai-je fait de curieux pour être si noir et bleu ?

    Je peux pas respirer

    Je peux pas respirer

    Je peux pas res….

    Je. …...

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/170620/je-peux-pas-respirer-un-poeme-de-niyi-osundare
    #I_can't_breath #poésie

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