Le marxisme oublié de Foucault, Stéphane Legrand

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  • Le travail n’est un enjeu économique que pour qui le commande.
    Le travail est un rapport de pouvoir.
    Après 35 ans de modernisation capitaliste par le PS, et face à de nouvelles attaques des droits des chômeurs et du droit du travail, un éclairage :

    On voit apparaître là une forme tout à fait différente de ce que laissait entrevoir la nouvelle théorie pénale, et une forme qui n’est pas du tout d’ordre juridique ou punitif : la forme salariale. Tout comme le salaire rétribue le temps pendant lequel la force de travail a été achetée à quelqu’un, la peine répond à l’infraction, non pas en terme de réparation ou d’ajustement exact, mais en terme de quantité de temps de liberté.
    Le système des punitions fait apparaître comme sanction du crime la forme-prison qui n’est pas dérivable de la théorie et est apparentée à la forme-salaire : tout comme on donne un salaire pour un temps de travail, on prend inversement un temps de liberté pour prix d’une infraction. Le temps étant le seul bien possédé, on l’achète pour le travail ou on le prend pour une infraction. Le salaire sert à rétribuer le temps de travail, le temps de liberté va servir à rétribuer de l’infraction. (...)
    L’amende apparaît comme le substitut de la journée de travail, la prison représentant l’équivalent d’une certaine quantité d’argent. [Ensuite,] on voit apparaître toute une idéologie de la peine comme dette, qui réactive les vieilles notions du droit germaniques que le christianisme et le droit classique avaient rayé. Or, rien dans la théorie n’est plus éloigné de ce principe de la peine comme dette ; tout indique, au contraire, qu’elle est une précaution et une défense sociales. Cette résurgence du paiement de la dette pour effacer le crime dérive en fait de cette interpénétration des formes salaire et prison. [Finalement,] il ya là une curieuse proximité et en même temps une opposition entre travail et prison : la prison est dune certaine façon toute proche de quelque chose comme un salaire, mais c’est en même temps l’inverse d’un salaire. (...)
    ... l’introduction à l’intérieur de la prison des principes généraux qui régissent l’économique et la politique du travail [à l’extérieur] est antinomique de tout ce qui a été jusque là le fonctionnement du système pénal. Ce qu’on voit apparaître, à travers ces deux formes c’est l’introduction du temps dans le système de pouvoir capitaliste et dans le système de la pénalité. Dans le système de la pénalité : pour la première fois dans l’histoire des systèmes pénaux, on ne punit plus par le corps, les biens, mai par le temps à vivre. Le temps qui reste à vivre, c’est cela que la société va s’approprier pour punir l’individu. Le temps s’échange contre le pouvoir. [Et] derrière la forme-salaire, la forme de pouvoir mise en œuvre par la société capitaliste a essentiellement pour objet de s’exercer sur le temps des hommes : l’organisation du temps ouvrier [dans] l’atelier, la distribution et le calcul de ce temps dans le salaire, le contrôle du loisir, de la vie ouvrière, l’épargne, les retraites, etc. Cette manière dont le pouvoir a encadré le temps pour pouvoir le contrôler de bout en bout a rendu possible, historiquement et [en termes de] rapports de pouvoir, l’existence de la forme-salaire. Il a fallu cette prise de pouvoir globale sur le temps. Ainsi ce qui nous permet d’analyser d’un seul tenant le régime punitif des délits et le régime disciplinaire du travail, c’est le rapport du temps de vie au pouvoir politique : cette répression du temps et par le temps, c’est cette espèce de continuité entre l’horloge de l’atelier, le chronomètre de la chaine et le calendrier de la prison.

    La société punitive , Michel Foucault, 1972-1973, pp.72-73.

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    Deux lectures de ce livre :
    http://seenthis.net/messages/448775