• Intermittents : un (vrai) débat va-t-il avoir lieu ?
    http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/25/intermittents-un-vrai-debat-va-t-il-avoir-lieu_4871790_3246.html

    Ouverture des portes jeudi 25 février : les discussions sur l’#assurance-chômage des #intermittents du spectacle ont commencé ce matin, sur un mode inédit. Jusqu’à présent, et comme lors de la dernière négociation, en mars 2014, les syndicats et le patronat examinaient les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’#Unedic en fin de course, c’est-à-dire après les discussions sur le régime général. A la hâte, et sous la pression du Medef, l’enjeu dominant consistait alors à réaliser des économies, et non pas à construire un régime plus équitable. A chaque fois, le scénario était prévisible, avec des claquements de portes, le refus de signer de la CGT, et une CFDT dans le rôle du social-traître qui paraphe l’accord avec le Medef. Les crises sont récurrentes depuis le mouvement de juin 2003 qui avait conduit à l’annulation des festivals, jusqu’aux fortes perturbations du printemps-été 2014, suite à l’accord contesté du 22 mars 2014. (...)

    Finalement, tout le monde attend le « la » du Medef : « Nous allons entrer dans le dur à partir du 8 mars, quand nous aurons le cadrage financier. Si le Medef veut réaliser 200 millions d’économies sur les annexes 8 et 10, soit le quart du total des 800 millions d’euros d’économies annoncées, ce sera la guerre », promet Denis Gravouil, de la CGT-spectacle. « Nous ne sommes pas entrés en négociation pour réaliser des économies, mais pour réduire la précarité », assure de son côté Christophe Pauly, l’un des deux négociateurs de la CFDT-spectacle, avec René Fontanarava. Ce qui fait dire à Mathieu Grégoire, l’un des experts du comité indépendant, que le même scénario recommence : « Le méchant Medef fait peur, la CGT annonce la guerre… Seules les règles du jeu ont changé, et non le rapport de forces », déplore-t-il.
    Mathieu Grégoire s’interroge sur les intentions du premier ministre, qui pilote le dossier :
    « Le 19 juillet 2015, Manuel Valls, à Avignon, déclarait que les intermittents ne doivent pas être la variable d’ajustement. Mais, dans le même temps, alors que le Parlement examinait la loi Rebsamen, le gouvernement a donné un avis très défavorable à un amendement des sénateurs verts et communistes qui visait à préciser le cadrage financier des annexes 8 et 10. Il a été ensuite présenté à l’Assemblée par la députée PS Fanélie Carrey-Conte, sans plus de succès ».
    Cet amendement visait à encadrer l’effort demandé aux intermittents : « Les dépenses liées à l’indemnisation des intermittents doivent suivre la trajectoire des dépenses du régime général. Si des efforts sont demandés à tous, les intermittents devaient y contribuer à même proportion », explique Mathieu Grégoire. Les intermittents ne doivent pas être « sacrifiés », dit-il, mais ils ne doivent pas non plus être exemptés d’efforts – au prétexte qu’il ne faut pas se mettre à dos la culture – alors que les autres chômeurs sont mis à contribution. C’est sur ce chemin de crête que les partenaires sociaux vont avancer. Prochaine réunion, le 4 mars.

    Les 800 millions d’euros d’allocs en moins ne sont pas simplement « annoncées », comme le dit la journaliste, elles sont exigées par le gouvernement :
    http://seenthis.net/messages/456727

  • François Ruffin, un chevalier sans peur et sans remords face à LVMH

    http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/22/francois-ruffin-un-chevalier-sans-peur-et-sans-remords-a-l-assaut-de-lvmh_48

    Bizarre. Lorsqu’on appelle LVMH, qui semble dans le film si prompt à réagir, personne n’a l’air d’avoir vu Merci patron ! Des avant-premières publiques sont pourtant données dans les grandes villes de France. Olivier Labesse, qui est chargé de la communication du groupe chez DGM Conseil, nous demande, vaguement intéressé, de lui raconter ce qu’il y a dans le film. Oh, trois fois rien : un couple, les Klur, dont la maison va être saisie faute de revenus depuis que l’homme a été licencié d’une filiale textile du groupe en 2008, écrit à Bernard Arnault pour le menacer d’alerter la presse sur leur situation s’ils ne reçoivent pas une aide de sa part : 35 000 euros et un emploi. Surprise : cela marche. Un ancien commissaire des renseignements généraux, employé de LVMH, prend contact pour négocier. Le groupe accède à leurs volontés en échange de leur silence. Or tout cela est filmé en caméra cachée.

    Même Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil (Eure), socialiste fabiusien et secrétaire général de LVMH, a l’air de tomber des nues lorsqu’on le joint au téléphone pour lui parler du réalisateur. « Un article sur François Ruffin ? Qui vous a parlé de moi ? » On trouve étonnant de devoir lui expliquer qu’il est dans le film, faisant les missi dominici de Bernard Arnault, affirmant des choses dont on sait, nous, spectateurs, qu’elles sont fausses, et jouant benoîtement au poker alors qu’on voit tout son jeu. Marc-Antoine Jamet a promis de nous rappeler, mais, malgré nos efforts, il ne répondra plus au téléphone.
    Olivier Labelle le directeur de la communication,lui, donnera la position groupe : pas de réaction. C’est plus prudent.

    Une gauche irréductible

    « C’est toujours bien d’être pris pour un con », s’amuse François Ruffin, que l’on retrouve devant un café noir. Nez allongé, sourire franc, il parle vite. Tous me l’ont dit : il est rapide, cultivé, malin et n’aime rien tant que les croisades. Car derrière les Klur, il y a ce journaliste d’Amiens. C’est lui qui a monté cette « machination » (le mot est de lui) qui ravira les aficionados des films-manifestes de Michael Moore, des impostures radiophoniques de Jean-Yves Lafesse et des sketches de Raphaël Mezrahi pour lesquels il professe une admiration. Et plus largement toute la France qui rêve de voir les grands de ce monde se prendre les pieds dans le tapis.

    François Ruffin est encore en fac de lettres lorsqu’il crée en 1999, dans sa ville, Fakir, autoproclamé depuis (et ce n’est pas un mensonge) « journal fâché avec tout le monde ou presque ». Puis c’est le CFJ, l’école de journalisme de la rue du Louvre à Paris. Quand il en sort, il publie aussitôt un livre pour dénoncer ladite école, fabrique des Petits Soldats du journalisme. Il a lu Serge Halimi. Se situe dans son sillage. Une gauche dénonciatrice qui se veut irréductible. Il écrira occasionnellement dans Le Monde diplomatique et sera un collaborateur régulier, voire très proche, de Daniel Mermet, sur France Inter.

    A Amiens, la mort d’un travailleur sur un chantier d’insertion de la ville est l’occasion pour lui de lancer une campagne contre la mairie de Gilles de Robien. Quatorze ans après, de procès en manifs, l’affaire n’est pas close. « Il les a embarqués dans un combat sans fin. Si la famille d’Hector Loubota n’est toujours pas indemnisée après tout ce temps, affirme le bâtonnier Hubert Delarue, avocat de la partie adverse, c’est hélas pour une grande part sa responsabilité. » Graphomane, François Ruffin écrit comme il respire. Une douzaine de livres à son actif. Et, quand il n’écrit pas, il part en guerre contre les délocalisations qui ont transformé son pays, le Nord, en files de chômeurs. Sûr de lui, imprévisible, d’une ironie mordante... Quelle est donc cette colère qui le tient debout contre vents et marées ? Qui lui permet de résister aux pressions, de ne pas dévier de son cap, quel qu’en soit le prix à
    payer ?

    François Ruffin est né il y a quarante ans à Calais. Côté maternel, on y tient un café charbon à Zutkerque. Côté paternel, une paysannerie pauvre dont le rejeton est poussé vers les études par un instituteur – il fera l’Agro, pour finir cadre chez Bonduelle. François Ruffin en parle dans un long texte publié le 8 juillet 2013 en défense de Daniel Mermet, alors attaqué dans la revue Article 11 par une partie de ses collaborateurs sur sa gestion humaine despotique.

    Avec Mermet, écrit-il, « j’ai retrouvé un peu mon père. Exigeant. Des colères froides à l’occasion. Avec qui l’expression était retenue, jamais pleinement libre. (...) Avec qui, en tout cas, les désaccords étaient compliqués. Et cette espèce d’énergie, de hargne que l’âge n’efface pas. Ni chez l’un ni chez l’autre. Qu’est-ce qui le poussait, mon père, à se lever à 5 heures du matin jusqu’à sa retraite pour partir à l’usine (comme cadre) ? Ou à consacrer ses week-ends à des tableaux Excel pour mesurer le rendement des petits pois ? Qu’est-ce qui pousse Daniel, à 70 ans maintenant, à tenir sa quotidienne, l’esprit préoccupé, constamment, toujours aux aguets d’un sujet ? L’un vient du lumpenprolétariat, l’autre de la lumpenpaysannerie. »

    François Ruffin n’aime guère qu’on psychologise. Pas son truc. Sa vision du monde est au mieux bourdieusienne. Et sa colère, forcément « sociale ». S’en dévier serait se perdre. Et pourtant, le schéma est saisissant. La question de la place, l’image du chef qu’on combat et qu’on admire. De Gilles de Robien, il dit : « Ce fut un grand maire, mais il a fait preuve dans l’affaire qui nous opposait d’une arrogance de classe. » A Bernard Arnault, sa bête noire, il envoie une carte postale chaque fois qu’il part en vacances. A propos du commissaire dans le film, il affirme : « Je l’aime bien », alors qu’il sait pertinemment que le film le grille définitivement.

    Combattant infatigable

    Lui-même, en combattant infatigable, n’est-il pas dans la reproduction du modèle paternel ? Dans le même texte cité plus haut, il raconte : « Sur ma porte, les collègues [de Fakir] ont gentiment collé une étiquette “Staline”. Et, à l’accueil des nouveaux, je préviens d’office : “Ici, c’est pas l’autogestion. Chacun fait pas ce qu’il veut : y a un chef, et c’est moi.” »

    « La colère repousse plus qu’elle n’embrasse », admet-il. Pour la conjurer, dans ses enquêtes toujours à charge, il lui applique un antidote : l’humour. Un humour populaire pour y faire adhérer le plus grand nombre. Dans Merci patron !, il multiplie les références à « La Petite Maison dans la prairie » et à Robin des bois, personnage auquel il se compare allègrement. Le titre même du film est une référence à une chanson des Charlots. Et la caméra cachée a sans doute autant pour fonction ici de piéger les coupables que de séduire le spectateur. Un Jean-Luc Mélenchon qui aurait pris des cours chez Patrick Sébastien.

    Nourredine Gaham, lui, des années après, enrage encore. Il habite ce Quartier nord d’Amiens sur lequel François Ruffin a publié un livre en 2006 chez Fayard. Personnalité de la communauté harkie, Nourredine Gaham a monté plusieurs entreprises. Dont une société de sécurité, la First. A l’époque du livre, celle-ci a fermé et il tient un restaurant. Est-ce ce qui lui vaut sous la plume de Ruffin le patronyme de Garbi ? « Comme le couscous ! Ce mec, il dit qu’il a de l’empathie pour les gens, mais ce n’est pas vrai. » Ce n’est pas pour ce sobriquet que Nourredine Gaham a poursuivi François Ruffin pour diffamation, mais parce que le journaliste l’accusait, lui et sa société de gardiennage, d’être à l’origine de coups de poing qu’il faisait mine ensuite de calmer. « Il sait broder, le gars, mais c’est du n’importe quoi. Il dit qu’il s’est infiltré, mais les gens lui ont ouvert leurs portes. Je ne sais pas ce qu’il cherchait. A mon avis, il voulait être une victime, il voulait sa fatwa. Il s’est planté, il a eu un procès, comme tout le monde. » Que Nourredine Gaham a gagné.

    « Leur redonner prise »

    Pas facile d’être Robin des bois. De savoir ce qui est bon pour les autres et d’être remercié pour son action. Entre vœu de sincérité et péché de toute-puissance. Politiquement, François Ruffin se définit comme antimondialiste. Son terrain de combat, c’est le local, et, à ce prisme, il est ferme : « Je suis pour des taxes aux frontières, des barrières douanières, des quotas d’importation. » L’Europe, il a voté contre. L’immigration ? Calais, cette ville dont il vient ? Ce n’est pas son sujet, lui, c’est la défense des travailleurs. « Pour mon livre La Guerre des classes, j’interrogeais un politologue, Patrick Lehingue. Il expliquait : “Quand ça va mal, les gens reviennent à une lecture binaire du monde. Avant, c’était les pauvres contre les riches, les petits contre les gros... C’est devenu : les Français contre les étrangers, le public contre le privé, les jeunes contre les vieux...” Eh bien, moi, je suis pour restaurer comme conflit politique central le capital contre le travail. »

    Quand on lui oppose qu’il n’a pas forcément dans son film magnifié les Klur, la famille dont il se fait à la fois le porte-drapeau et le marionnettiste dans la plus grande tradition léniniste (Je sais ce qui est bon pour vous et je vais vous sortir de là), François Ruffin répond : « J’aurais fait du cinéma documentaire où j’aurais pleuré misère avec les Klur, on aurait trouvé que je les respectais. Mais sitôt qu’on mène une action, cela devient impur. Oui, c’est moi qui leur mets le bâton dans la main. Et alors ? On n’essaye pas d’agir avec les gens ? Moi, ce qui me navre, c’est ce sentiment d’impuissance et de résignation qui nous habite, qui fait que l’on ne peut plus rien faire, soit collectivement, soit individuellement. Les gens ont le sentiment de ne plus avoir prise sur leur existence. Les Klur, j’essaye de leur redonner prise. »

    « Son narcissisme fait sa force, soupire un ancien ami. François a toujours eu un flair incroyable pour trouver des façons différentes de traiter l’information et d’arriver à ses fins. » Propos anonymes. La force polémique de François Ruffin fait peur. L’homme aux caméras cachées et aux diatribes acerbes a la solidité de celui qui n’a peur que d’une chose : le silence. « C’est le mâle dominant, poursuit notre interlocuteur, à l’ego surdimensionné, au combat obsessionnel... Vous verrez, il finira patron. »