Proche-Orient (Le Monde diplomatique, juillet 2000)

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  • De l’idéologie aujourd’hui, par François Brune (@mdiplo, août 1996)
    https://www.monde-diplomatique.fr/1996/08/BRUNE/5688

    La #publicité, par exemple, est bien une réalité contemporaine. On la déclare phénomène de société et, sous prétexte qu’il s’agit d’un fait établi, on ne cesse de la justifier comme valeur. « Comment peut-on critiquer la publicité ? » , s’offusquent les « réalistes ». Et l’idéologie publicitaire peut, sans frein, diffuser son opium.

    On peut en dire autant de la #consommation. Il s’agit bien d’une réalité de chaque jour ; mais en faire le critère majeur de santé économique et la solution au problème de l’emploi, sans remettre en cause la notion même de « société de consommation », c’est virer en pleine #idéologie : l’idéologie même de ce #capitalisme qui produit, à l’échelon international, le #chômage des uns et la surexploitation des autres, au nom du sacro-saint marché.

    Des milliers de phrases suspectes, dans les #médias ou ailleurs, légitiment chaque jour des réalités sociales ou économiques jugées indiscutables parce qu’appartenant à l’époque… (…)

    Il faut des bouleversements sociaux pour que soudain le pseudo-réalisme du discours ambiant se brise et laisse entrevoir la formidable idéologie qui le sous-tend. Mais de telles illuminations, trop brèves, n’empêchent pas le conditionnement politico-médiatique de reconquérir le champ de conscience des citoyens. La force de ce système, en effet, c’est que les divers « complexes idéologiques » qui le constituent ne cessent d’interférer, de s’étayer les uns les autres. Quand l’un faiblit, l’autre prend la relève : doutera-t-on de la société de consommation que l’on continuera de croire à l’infaillibilité du progrès technique ; on devient méfiant à l’égard des médias, mais on conserve la représentation globale de la « modernité » qu’ils nous donnent ; on déplore la #mondialisation, mais on s’ébahit devant cette formidable « communication » qui va unifier la planète… La multiplicité des mythes quotidiens, qui se jouent de notre objectivité en se reconstituant sans cesse, produit un effet de brouillage qui décourage l’analyse critique. Où est le #réel ? Doit-on se fier aux opinions majoritaires fluctuantes des #sondages successifs ?

    Ce brouillage idéologique est aggravé par les incohérences notoires qui se produisent entre l’ordre du discours qu’on nous impose et l’expérience des choses qui, souvent, le contredit. (…)

    On oblige le bon citoyen à pratiquer la double pensée, en s’efforçant de croire tout et le contraire de tout. Une scission s’opère entre les données de l’expérience quotidienne et l’imprégnation de l’idéologie ambiante. Aux fractures sociales s’ajoute la fracture mentale qui divise le for intérieur de chacun de ses membres. Quand les citoyens ne savent plus où donner de la tête, à qui cela profite-t-il, sinon aux pouvoirs ? L’idéologie aujourd’hui, qui part du réel pour nier le réel, conduit ainsi à une forme de schizophrénie collective.