• Big data : les banques craignent le casse du siècle

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/17/big-data-les-banques-craignent-le-casse-du-siecle_4884295_3234.html

    Imaginez une start-up spécialisée dans l’agrégation de comptes, comme il en pullule aujourd’hui. Vous lui avez communiqué vos coordonnées bancaires pour pouvoir consulter l’état de vos finances depuis votre mobile. Et, patatras, des hackers attaquent la plate-forme, récupèrent toutes vos informations et vident vos comptes. La faute à qui ? Pas aux banques, clament ces dernières qui ne veulent pas régler la facture.

    Ce message, les établissements bancaires l’ont fait passer lors du Salon professionnel de la monétique et des moyens de paiement, les mercredi 16 et jeudi 17 mars à Paris. « Les cybercriminels s’attaqueront au maillon le plus faible, mais une fois qu’ils auront trouvé une faille, le problème sera systémique », alerte Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). « Les clients veulent une plus grande intégration des services financiers à leur mobilité quotidienne mais ne perçoivent pas la hausse des risques liés à de telles évolutions. Que se passe-t-il si je fais tomber mon smartphone alors que je suis en train de faire une transaction ? », interroge Didier Descombes, associé chez KPMG.

    Les banques sont « naturellement » le réceptacle de toutes nos informations personnelles : identité, âge, salaires,...
    Le temps des lingots est révolu. Les banques, qui investissent des millions d’euros en cybersécurité, sont désormais des « coffres-forts de données » dont elles entendent bien garder la clé face à l’offensive des nouveaux entrants.

    Ces dernières sont « naturellement » le réceptacle de toutes nos informations personnelles : pour ouvrir un compte ou obtenir un crédit, chacun d’entre nous doit prouver son identité, donner son âge, celui de ses enfants, ses antécédents médicaux, ses relevés de salaire, son avis d’imposition, jusqu’à son poids dans certains cas... Les banques ont besoin de ces informations pour calculer le profil de risque de chacun.

    D’autres informations, encore plus courues, figurent dans les ordinateurs de nos banquiers : il s’agit des données récupérées lors des transactions (paiements en carte bleue, virements, prélèvements, chèques). Elles disent où nous allons, quand et comment nous dépensons notre argent. Autant d’éléments qui permettent de deviner ce que nous sommes susceptibles d’acheter demain.

    « Le recours aux services bancaires et financiers donne lieu à la production et à l’utilisation d’une masse de données qui révèlent très précisément les habitudes de vie mais aussi la situation personnelle de chacun », écrivait la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans son rapport annuel 2014.
    « Les seules choses qui nous manquent sont le contenu du caddie et les déplacements à la minute », admet Frédéric Jacob-Peron, directeur commercial et marketing France de la Société générale.

    Une affaire morale

    Longtemps, cette mine d’or de données est restée à l’abri des convoitises, enfouie dans les systèmes d’information des banques. La brèche a été ouverte par la deuxième directive européenne sur les services de paiements (DSP2), adoptée en octobre 2015. Elle permet à des tiers non bancaires d’accéder aux comptes des clients, d’opérer des transactions, et donc de récupérer les données associées. Une porte qu’entendent bien franchir les acteurs de la nouvelle économie numérique, qu’il s’agisse des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), des géants des télécoms ou des start-up de la Fintech. Leur modèle repose sur l’acquisition et l’exploitation de données personnelles. Plus on en sait sur un utilisateur, plus on a de chances de lui vendre un produit qui lui correspond.

    Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la loi n’interdit pas d’utiliser les données bancaires. Du moment que le client en est informé et donne son accord, tout est possible. Par ailleurs, on peut se passer de l’accord du client et vendre les données à un tiers, si elles sont agrégées et anonymisées de manière irréversible.
    « Une donnée anonymisée n’est, par définition, plus corrélée à une personne. Ce n’est donc plus une donnée à caractère personnel, et elle n’est alors pas encadrée par la loi informatique et libertés », explique Stéphane Grégoire, chef du service des affaires économiques de la CNIL.

    Aujourd’hui, en Europe, la plupart des banques utilisent les données de leurs clients – sans les revendre – dans le but de leur vendre des produits maison. Vous avez consulté une offre d’assurance sur le site Internet de votre banque ? Un conseiller vous rappelle. « Il s’agit d’identifier les sous-groupes de clients sur lesquels une action marketing sera efficace, par exemple les individus dont le contrat a moins d’un an et qui n’ont pas été contactés depuis plus de trois mois », précise Guillaume Bourdon, cofondateur de Quinten, cabinet spécialisé dans le big data.

    « Les clients voient bien que les mails commerciaux qu’ils reçoivent correspondent à leurs attentes, et heureusement », ajoute Frédéric Jacob-Peron, à la Société générale. « La hausse de vos dépenses chez le garagiste, la marque de votre voiture et votre capacité d’épargne permettent d’avoir une idée du moment où vous pouvez avoir envie de changer de voiture et de vous proposer un crédit auto pertinent », renchérit Marguerite Bérard-Andrieu, directrice générale adjointe de BPCE. Ce groupe, associé à la chaire ParisTech, développe également, pour prévenir le surendettement, des modèles prédictifs qui détectent la fragilité financière dix-huit mois à l’avance, en prenant en compte plus de 15 variables.

    Les banques font de la préservation des données de leurs clients une affaire morale. Pas question donc de les vendre à des prestataires extérieurs. « Quand vous préparez votre retraite, l’avenir de vos enfants, c’est normal que cela reste dans l’intimité de la relation de confiance que vous avez nouée avec votre banque, et de vous-même », insiste Mme Barbat-Layani, à la FBF.

    Ce sont les mêmes problématiques que pour les données de santé. « Si vous allez voir un psy chaque semaine, vous ne serez pas content de recevoir une offre de thalasso qui vous dise “en ce moment vous n’allez pas bien” », souligne un banquier qui ajoute plus prosaïquement et ironiquement : « On ne permettra pas à Darty de vous vendre des tringles à rideaux. »

    L’Europe n’est pas prête

    Sans aller jusqu’à dévoiler les données aux commerçants, la banque peut néanmoins démarcher à leur place, en tant qu’intermédiaire. Bank of America propose à ses clients anglo-saxons d’analyser leurs transactions pour leur faire bénéficier d’offres commerciales
    adaptées : par exemple, un bon de réduction pour retourner dans ce restaurant où vous avez dîné le mois dernier.

    Le marché européen ne semble pas (encore) prêt. La Banque hollandaise ING l’a appris à ses dépens (/economie/article/2014/03/11/la-banque-ing-prete-a-tout-devoiler-de-ses-clients_4381105_3234.html) . Voulant partager les données de ses clients avec des entreprises extérieures, notamment des supermarchés, elle a été accusée, par des consommateurs et des députés, de menacer la vie privée.

    « Si le client se braque, l’établissement risque de perdre sa confiance. On n’est pas à l’abri d’un data gate, si la banque va trop loin, joue à l’apprenti sorcier et que ça se sait », prévient Jean-Philippe Poisson, associé chez Elia Consulting.
    Pas sûr que les revenus tirés de la monétisation des données, largement inférieurs à ceux que la banque réalise dans son cœur de métier, valent ce risque.

    Malgré tout, les banques planchent sur le sujet, ne serait-ce que pour être prêtes à répondre à la concurrence. « Si on devait un jour se lancer dans l’exploitation des données de carte bancaire, on ne peut pas mettre ça en petits caractères, déclare M. Jacob-Peron, de la Société générale. Si le client nous en donne l’autorisation, on le fera, dans le respect de ses intérêts et de la réglementation. » Il faudra composer avec le nouveau règlement européen sur les données personnelles, qui met l’accent sur l’information et le consentement des citoyens.
    Usant de la possibilité d’anonymiser les données, des sociétés financières monétisent déjà les informations récoltées auprès de leur clientèle.

    « Nous pouvons dire à une enseigne de la grande distribution : 18 % de nos porteurs de carte qui sortent de chez vous vont ensuite à la boulangerie en face : pourquoi ne mettez-vous pas une boulangerie dans votre magasin ? », témoigne Grégoire de Lestapis, directeur général de la banque espagnole BBVA en France.
    Et d’ajouter : « Je suis surpris que les trois grandes banques françaises, aussi puissantes, aient une stratégie digitale aussi peu développée avec ce retard accumulé dans leur transformation culturelle ».

    Même offre de services chez MasterCard, qui analyse 6 millions de transactions anonymes par heure. « Les consommateurs attendent des commerçants qu’ils anticipent leurs besoins, ils en ont assez de recevoir des offres qui ne leur correspondent pas », affirme Arnaud Grauzam, directeur MasterCard Advisors Europe de l’Ouest.
    « La banque vit dans un monde propriétaire, critique Hugues Le Bret, fondateur du Compte-Nickel, alors que la philosophie du peuple, c’est le partage d’informations. »

    Au risque de voir sa vie exposée dans tous les fichiers clients du monde... « Certaines générations n’ont pas encore conscience des traces qu’elles laissent, regrette Mme Bérard-Andrieu, de BPCE. Vous avez par exemple des Fintechs qui cherchent à développer des modèles de risques sur les petites entreprises, en regardant à quelle heure du jour ou de la nuit l’entrepreneur est connecté – sous-entendu, a-t-il une vie équilibrée ? – ou qui il a dans son réseau Facebook. » Enthousiasmant ou glaçant.

  • Croissance : le jour où la BCE fera pleuvoir les billets sur les ménages
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/17/croissance-le-jour-ou-la-bce-fera-pleuvoir-les-billets-sur-les-menages_48843

    Et si les banques centrales distribuaient un chèque à tous les citoyens au lieu d’inonder le système financier de liquidités  ? L’idée peut sembler folle. Pourtant, les économistes sont de plus en plus nombreux à la soutenir. Baptisée «  monnaie hélicoptère  », cette technique a même été évoquée par Mario Draghi le 10 mars. «  C’est un concept très intéressant  », a confié le président de la Banque centrale européenne (BCE), lors de sa conférence de presse. Avant de préciser que son institution ne l’avait pas encore étudié. La déclaration n’en a pas moins frappé les esprits. Depuis, le «  buzz  » ne cesse de monter. Et si, un jour, la BCE larguait des liasses de billets sur la zone euro pour relancer la croissance  ?

    Mon dieu, sont-ils en train d’évoquer de faire une relance par la consommation ? ... Mais où sont donc passés les Inquisiteurs ? Tout s’perd, c’est vraiment le début d’la fin...

  • Les profits juteux des banques françaises dans les paradis fiscaux
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/16/les-profits-juteux-des-banques-francaises-dans-les-paradis-fiscaux_4883928_3

    Les banques françaises abusent-elles des paradis fiscaux ? Dans un rapport inédit, fondé sur des données officielles, et publié mercredi 16 mars, trois organisations non gouvernementales (le Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire – CCFD, Oxfam France et le Secours catholique-Caritas France) associées à la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, un réseau anticorruption, livrent ce chiffre choc : à elles cinq, BNP Paribas, la Société générale, BPCE (Banque populaire-Caisse d’épargne), le Crédit agricole et le Crédit mutuel-CIC ont réalisé 5 milliards d’euros de bénéfices dans des pays à basse fiscalité en 2014.

    « Jusqu’ici on avait l’intuition que les paradis fiscaux jouaient un rôle essentiel dans la stratégie de développement à l’international des banques. Grâce à l’exercice de transparence auquel doivent désormais se plier les banques, en voici la preuve documentée », estiment Manon Aubry (Oxfam France) et Lucie Watrinet (CCFD-Terre solidaire), coautrices de l’enquête.

    #paradis_fiscaux #spoliation #banksters

  • Banquiers centraux, tous coupables ?

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/09/banquiers-centraux-tous-coupables_4878966_3234.html

    Elle bénéficie d’une couverture médiatique à faire pâlir de jalousie n’importe quelle star hollywoodienne. Pas une semaine ne s’écoule sans que ses faits et gestes soient analysés par une palanquée d’experts. Jeudi 10 mars, une fois encore, la Banque centrale européenne (BCE) sera au centre de l’attention de la planète finance. A l’issue de la réunion de ses gouverneurs, son président, Mario Draghi, devrait annoncer de nouvelles mesures pour tenter d’enrayer l’inflation faible qui mine l’économie européenne.

    Au programme ? Un élargissement probable des rachats de dettes publiques, aujourd’hui de 60 milliards d’euros par mois, prévoient les économistes. Ou encore une nouvelle baisse du taux de dépôt, aujourd’hui de – 0,3 %. « La BCE dispose de nombreuses options. Le problème, c’est que l’efficacité de certaines d’entre elles n’est pas garantie », résume Bruno Colmant, économiste à l’Université catholique de Louvain.

    Longtemps, les banquiers centraux ont été les héros de l’économie mondiale. Mario Draghi ? Le sauveur de l’euro. Ben Bernanke, le prédécesseur de Janet Yellen à la tête de la Réserve fédérale (Fed) ? Le génie qui a épargné une terrible dépression aux Etats-Unis. Mais depuis quelques semaines, le vent a tourné. Les experts doutent de leurs pouvoirs. Certains les accusent d’être des pousse-au-crime responsables des turbulences qui ont secoué les marchés en début d’année. Voire de faire le lit de la prochaine crise. A juste titre ? Les instituts monétaires ont-ils vraiment perdu la raison ?

    ( ...) Longtemps, les banquiers centraux ont été les héros de l’économie mondiale. Mario Draghi ? Le sauveur de l’euro. Ben Bernanke, le prédécesseur de Janet Yellen à la tête de la Réserve fédérale (Fed) ? Le génie qui a épargné une terrible dépression aux Etats-Unis. Mais depuis quelques semaines, le vent a tourné. Les experts doutent de leurs pouvoirs. Certains les accusent d’être des pousse-au-crime responsables des turbulences qui ont secoué les marchés en début d’année. Voire de faire le lit de la prochaine crise. A juste titre ? Les instituts monétaires ont-ils vraiment perdu la raison ? Alors que la croissance mondiale vacille de nouveau, ils sont devenus les boucs émissaires commodes d’un monde affolé. Explications.

    A quoi servent les banques centrales ?

    On parle tellement d’elles qu’on finit presque par l’oublier. En théorie, la principale mission des banques centrales est simple, même si elle varie un peu selon les pays : outre l’impression des billets, contribuer au bien-être économique des ménages en assurant la stabilité des prix, du change et de l’activité. Et ce, en complément des politiques budgétaires et structurelles menées par les Etats.

    Pour y parvenir, elles disposent de plusieurs outils de politique monétaire, dont le principal est la fixation du « prix » de l’argent, par les taux directeurs. Lorsque les banquiers centraux baissent ces derniers, les taux pratiqués par les établissements bancaires – lorsqu’ils se prêtent entre eux, puis lorsqu’ils prêtent aux ménages et aux entreprises – baissent à leur tour. Le crédit devient moins cher, ce qui favorise la consommation, l’investissement et la croissance. A l’inverse, une hausse des taux freine l’endettement et le risque de surchauffe des prix et de l’économie.
    Seulement, voilà : pendant la crise des subprimes, aux Etats-Unis, les banquiers centraux ont élargi leurs prérogatives et inventé de nouveaux instruments, toujours plus audacieux. Mais aux effets incertains...

    Pourquoi leur a-t-on confié l’économie mondiale en 2008 ?

    Les instituts monétaires ont appris leurs leçons. « Lorsque la crise de 2008 a frappé, ils se sont rappelés qu’après le krach boursier de 1929, les erreurs de politique monétaire ont plongé les Etats- Unis et l’Europe dans une dépression violente », rappelle Laurent Clavel, économiste chez AXA IM. Grand spécialiste de cette période, Ben Bernanke, à la tête de la Fed entre 2006 et 2014, a été le premier à agir pour éviter le scénario noir de 1929, suivi par la BCE, la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque du Japon (BoJ).

    Tout en baissant au maximum leurs taux directeurs, les banquiers centraux ont multiplié les mesures pour fournir aux banques les liquidités dont elles avaient besoin pour continuer de fonctionner.
    « Grâce à cela, ils ont évité la paralysie totale du système bancaire, qui aurait asphyxié l’économie réelle », rappelle Patrick Artus, chez Natixis, coauteur de La Folie des banques centrales (Fayard, 168 pages, 15 euros).

    Dans la foulée, ils ont innové pour relancer l’activité et les prix – car l’inflation faible est synonyme de croissance faible. Dès 2008, la Fed s’est ainsi mise à racheter des titres de dettes publiques (c’est le quantitative easing, ou QE), en créant massivement de la monnaie, dans l’espoir que ces liquidités contribuent au redémarrage du crédit. La BoE, la BoJ puis, en 2014, la BCE, l’ont imitée.

    Et les gouvernements, pendant ce temps-là ? « Après avoir fait de la relance, ils ont lâché l’affaire et ont laissé les banques centrales toutes seules aux manettes », assène Charles Wyplosz, économiste au Graduate Institute de Genève. « Désormais, ils attendent tout d’elles, comme si s’occuper de la croissance n’était plus de leur ressort », ajoute sa consœur Urszula Szczerbowicz, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales.
    Certes augmenter la dépense publique pour relancer l’économie est aujourd’hui délicat, tant la dette des Etats est élevée : 245 % du produit intérieur brut (PIB) au Japon, 105 % aux Etats-Unis, 91,6 %, en moyenne, en zone euro. Mais les banques centrales ne peuvent pas, à elles seules, faire des miracles. Leur principal crime est d’avoir trop longtemps laissé croire le contraire pour rassurer les marchés, devenus accros à leurs liquidités...

    Pourquoi échouent-elles à relancer inflation et croissance ?

    Parce que le QE, la monnaie créée par les banques centrales, est passé de 6 % du PIB mondial à la fin des années 1990, à 30 % aujourd’hui. Mais ces liquidités ne sont pas parvenues jusqu’à l’économie réelle. Faiblesse de la demande, spéculation, frilosité... Elles ne parviennent pas à sortir du système financier.
    Pour tenter de les débloquer, la BCE et la BoJ ont donc passé leur taux de dépôt en territoire négatif – ce qui revient à taxer les banques pour les liquidités qu’elles laissent dormir à court terme dans les coffres des instituts monétaires. De quoi, en théorie, les inciter à plutôt prêter ces sommes aux entreprises.

    Las, malgré ces mesures massives, l’inflation reste atone en zone euro (− 0,2 % en février) et dans la plupart des pays industrialisés, où la croissance est décevante. La raison ? Les outils monétaires sont inefficaces contre certains des maux qui minent l’économie mondiale, comme la course aux bas prix entre les pays, l’anémie de la demande, l’affaiblissement de la productivité ou le vieillissement de la population. « Essayer de relancer le crédit alors que ménages, entreprises et Etats sont en phase de désendettement dans la plupart des pays est inefficace », ajoute Isabelle Job-Bazille, chez Crédit agricole SA.

    En somme, les politiques monétaires permettent surtout de gagner du temps. Elles ont administré un puissant antidouleur à l’économie en attendant que le véritable remède soit disponible. Celui qui permettra de relancer vraiment la croissance – et ce, par la hausse de la productivité et l’innovation.

    Se sont-elles lancées dans la guerre des monnaies ?

    Parmi les ruses testées par les banques centrales ces derniers mois, il y a la manipulation plus ou moins officieuse de leur devise. En se lançant dans le QE, début 2015, la BCE ne cherchait pas seulement à relancer le crédit. En augmentant la quantité d’euros en circulation, elle cherchait aussi à faire baisser le cours de la monnaie unique. De quoi donner un petit coup de pouce aux exportateurs européens. Mais aussi, faire grimper le prix des produits importés, et relancer un peu l’inflation. Ce qui a fonctionné un temps : entre mi-2014 et mi-2015, l’euro a perdu près de 10 % face aux autres devises.

    De même, l’un des objectifs du taux de dépôt négatif est d’encourager les capitaux à se placer dans un autre Etat, où les taux sont plus attractifs. Ce mouvement de départ est de nature à faire baisser la monnaie (les investisseurs en revendent pour aller ailleurs). Voilà pourquoi, la BCE, la BoJ, mais aussi la Banque nationale de Suisse, la Banque du Danemark ou la Banque de Suède s’y sont converties. « C’est une forme de guerre des monnaies », résume M. Artus.

    Car, voilà : dans le système actuel des taux de change flottants, une devise ne peut descendre que si une autre s’apprécie... « Or, aujourd’hui, personne ne veut d’une monnaie forte », explique Anton Brender, économiste en chef chez Candriam. Y compris les Etats-Unis qui, en 2015, ont laissé le dollar monter sans trop protester, car leur économie allait mieux. Mais leurs entreprises commencent à en souffrir.
    Ce qui pourrait convaincre la Fed – qui a entamé une lente remontée de ses taux directeurs en décembre 2015 – de marquer une pause lors de sa réunion des 15 et 16 mars. Autant dire que la guerre des monnaies ne fait que commencer. D’autant que la Chine a, elle aussi, entamé une politique de lente dépréciation du yuan.

    Préparent-elles la prochaine crise ?

    On l’a vu, les remèdes monétaires ne peuvent pas tout. Pour palier l’anémie de la demande – et, donc, celle de la productivité, de l’innovation et de l’investissement –, c’est aussi aux Etats d’agir, jugent les économistes. Ceux qui disposent de marges de manœuvre budgétaires, comme l’Allemagne, pourraient investir dans les infrastructures.

    La Banque européenne d’investissement (BEI) pourrait également profiter des taux zéro pour lever de l’argent et investir dans des grands projets européens (transition énergétique, par exemple), qui permettraient de gonfler la croissance future. « La BCE pourrait, d’ailleurs, aider, en rachetant des obligations de la BEI », suggère Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à Paris-I-Panthéon- Sorbonne.

    Problème : si aucun de ces projets ne voit le jour, les armes monétaires comme le QE pourraient finir par se muer en terrible poison. De fait, les liquidités massivement injectées depuis 2008 augmentent la volatilité des marchés financiers – on l’a vu en début d’année. Chaque fois qu’elles se déplacent d’une Bourse à l’autre à la recherche de meilleurs rendements, ces liquidités déclenchent des mini-krachs. Ces mouvements destructeurs sont aggravés par le fait que, en partie à cause des nouvelles réglementations financières, les banques ne jouent plus le rôle stabilisateur qu’elles tenaient autrefois sur certains marchés, par exemple de devises, où elles détenaient d’importants stocks d’actifs.

    Surtout, les mesures des banques centrales risquent, à terme, de favoriser la formation de bulles. Les taux bas poussent en effet les investisseurs vers les actifs les plus rentables, comme l’immobilier, les actions de la nouvelle économie ou encore, des obligations d’entreprises. Mais certains en achètent plus que de raison.

    En outre, ce phénomène a tendance à renforcer les inégalités – surtout aux Etats-Unis –, en favorisant les ménages dont le patrimoine est investi en Bourse ou dans l’immobilier. Et il soulève une angoissante question : l’explosion de ces bulles menace-t-elle la croissance mondiale, comme celle des subprimes en 2008 ? Pas forcément. Mais une chose est sûre : si cela se produisait, les banques centrales se retrouveraient cette fois sans munitions...

  • Pas de réels progrès depuis vingt ans pour les femmes dans le monde du travail
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/07/pas-de-reels-progres-depuis-20-ans-pour-les-femmes-dans-le-monde-du-travail_

    Entre 1995 et 2015, « le taux mondial de participation des femmes à la population active est passé de 52,4 % à 49,6 % », constate l’OIT. En 2015, 1,3 milliard de femmes étaient présentes dans le monde du travail contre 2 milliards d’hommes, soit respectivement 46 % des femmes en âge de travailler (plus de 15 ans) et 72 % des hommes.

    Si, en matière d’accès à la santé et à l’éducation la situation des femmes s’est améliorée, s’agissant de l’économie et du social « de grandes lacunes restent à combler dans la mise en œuvre du Programme de développement durable pour 2030 adopté par les Nations Unies en 2015 ».

    Leur présence de plus en plus importante à l’école – la parité entre garçons et filles a été atteinte dans les secteurs de l’éducation primaire et secondaire dans 123 pays – « ne se traduit par aucun progrès dans le monde du travail, résume Laura Addati, co-auteure du rapport. Un véritable gâchis du talent et des compétences des femmes ».

    #femmes #discrimination #travail