Les blogs du Diplo

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  • La « Grande muette » garde ses milliards, par Philippe Leymarie (Les blogs du Diplo, 29 octobre 2024)
    https://blog.mondediplo.net/la-grande-muette-garde-ses-milliards

    Vont-ils rester les grands privilégiés de la chasse aux économies lancée par le gouvernement Barnier ? Pour les militaires, jusqu’à ces derniers jours, pas de coups de rabot, pas d’appels à la solidarité nationale, pas même de féroces débats parlementaires. Devrait continuer de prévaloir la tranquille application « à l’euro près » d’un budget défense annuel certes limité, selon eux, par un souci de « stricte suffisance », mais en augmentation chaque année bien au-delà de l’inflation, au point de dépasser l’an prochain le seuil des 50 milliards d’euros (hors pensions), et les 2 % du PIB pour la défense. Ce que conseille fortement le parrain américain de l’OTAN, si on ne veut pas se faire traiter, par Donald Trump ou un autre, de « passager clandestin » profitant du bouclier de l’Alliance atlantique sans en payer le prix…

  • Ecologie et capitalisme

    Utiles contributions à l’une des questions majeures de la période

    France Culture - Épisode 1/5 : Protection de la nature : un siècle d’urgence
    Lundi 19 août 2024 (première diffusion le mardi 26 septembre 2023) ;

    réécouter sur https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/protection-de-la-nature-1123097

    Série « La science au service de l’environnement ? »

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-la-science-au-service-de-l-environnement
    à écouter tranquillement en cette fin d’été...

    Voir (lire) aussi...

    Protection de la nature et capitalisme : INCOMPATIBLES ! Par Pierre Grillet (livre paru en 2019)

    https://www.atlande.eu/coup-de-gueule-et-engagement/809-protection-de-la-nature-et-capitalisme-incompatibles-a-paraitre-97823503

    On nous vante depuis des décennies les vertus d’une transition écologique indolore pour ne rien changer. Le vivant ne cesse de régresser. Le climat de se détériorer. Quelque chose ne fonctionne pas. L’éco-capitalisme est un leurre. Le monde associatif de la protection de la nature, un marécage. Les enjeux sont ailleurs. Il faut proposer un autre récit. Alors peut-être parviendrons-nous à éviter l’Apocalypse…

    L’impossible capitalisme vert

    Daniel Tanuro qui a publié de nombreux ouvrages très pointus sur le sujet

    https://www.babelio.com/auteur/Daniel-Tanuro/155917

    https://www.editionsladecouverte.fr/l_impossible_capitalisme_vert-9782707173232

    Voir aussi Ecosocialisme sur https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cosocialisme ... pour couvrir largement la question sur le plan théorique

    mais encore : Comment l’écologie a perdu la guerre de l’information par Marc Laimé...

    https://blog.mondediplo.net/comment-l-ecologie-a-perdu-la-guerre-de-l

    En un demi-siècle, la dynamique progressiste qui a mobilisé des générations d’amoureux de la nature, broyée par l’ultra-libéralisme autoritaire, a mué en épouvantail de toutes les régressions réactionnai

  • Crise totale | Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/crise-totale

    Des orthopédistes de l’hôpital Georges Pompidou obligés, faute de moyens, de bricoler des fémurs avec des broches de tibias jusqu’à l’élection de Braun-Pivet par des individus auto-maintenus ministres-députés (sans le secours de Schrödinger) : le même arc d’une crise. Totale.

    On n’imagine pas combien le processus de destruction d’une société peut être rapide sitôt qu’elle est aux mains d’une clique où se mêlent pervers et imbéciles. Logiquement, le processus de destruction qui a d’abord été visible dans la sphère matérielle, avec l’explosion de la pauvreté et la démolition méthodique des services publics, finit par gagner les étages supérieurs, celui des institutions politiques, quand le corps social, exprimant électoralement son refus, produit une donne parlementaire-gouvernementale qui envoie le régime entier en erreur-système.

    Épiphénomène d’une crise en première instance matérielle, la crise politique en cristallise toutes les contradictions en le lieu où elles sont normalement accommodées — et où visiblement elles ne peuvent plus l’être. La crise devient totale en ce moment précis où plus aucune des institutions, plus aucune des médiations, n’est capable de reprendre des tensions économiques et sociales excédant maintenant leur pouvoir d’accommodation : ni la médiation proprement politique, ni la médiation médiatique, ni la médiation syndicale ne sont plus à la hauteur de leur travail de « régulation » du cours de la vie collective. La phénoménale formation d’énergie politique, enragée, est maintenant privée de toute solution de reprise institutionnelle. La nature ayant horreur du vide, cette énergie ne s’évaporera pas : elle se trouvera nécessairement une solution d’expression alternative — mais, là encore logiquement : hors institutions. Dit autrement : trop de forces concourent maintenant à ce que ça explose, si nul ne peut encore dire ni où ni quand ni sous quelle forme ni de quelle manière.

    « Démocratie » de confiscation

    Lieu d’enregistrement des tensions et des contradictions montées de la société entière, la sphère politique-institutionnelle est celle dont la faillite est le plus spectaculaire. Que cette médiation-là ne médie plus rien, n’enregistre plus rien, ne retraite plus rien, nous le savons depuis la séquence 2005-2008 du « non-TCE » converti en « oui-Traité de Lisbonne ». Mais les tensions n’ont plus cessé de croître depuis. Elles ont même été portées à des niveaux sans précédent sous le gouvernement des brutes qui violentent la société avec la même candeur et la même indifférence qu’on arrache deux brins d’herbe — et nous aurons vécu le gouvernement des sourires imbéciles.

    Celui de la psychose et de la perversion sous leurs formes les plus agressives également – et il s’agit d’un peu autre chose que de « triche au Monopoly » ou de « gamins capricieux ». Car au sommet des institutions autocratiques de la Ve République, et autorisé par elles, il y a un type spécial. Qui, emporté par les nécessités de sa complexion psychique, ne répond plus de rien à personne. Ne connait plus aucune norme sociale, ne se soumet plus à aucun « esprit » (celui des lois, ou des institutions), plus à aucune décence — et envisage donc sans le moindre battement de cil de laisser en place pour un temps indéterminé le gouvernement défait deux fois, de faire voter à l’Assemblée ses ministres-députés, et de multiplier les scandales démocratiques jusqu’aux limites du coup d’État.

    De toutes les destructions dont Macron et le macronisme se seront rendus coupables, celles de ces constructions invisibles qui font la doublure des institutions formelles, et en fait la condition de leur bonne opération, comptent peut-être parmi les pires : destruction des principes qui, s’ils sont non-écrits, doivent gouverner les comportements ; destruction de toute moralité politique sans laquelle il n’est plus de légitimité de l’institution politique. Il n’était pas fortuit d’évoquer le scandale du TCE de 2005 : celui du vol de la législative 2024, car il n’y a pas d’autre manière de dire, le confirme quoique en le portant à un niveau où l’on se demande si un seul scrutin pourra désormais y survivre. L’« esprit des lois » ne se voit pas ? Il n’en ira pas exactement de même des effets de sa ruine.

    Médias de fascisation

    Et pendant ce temps, la médiation médiatique avalise tout : toutes les démolitions, tous les passages de cap, toutes les régressions démocratiques : depuis les plus misérables procédés à faire entrer dans les mœurs – « les inévitables QR codes » des JO — jusqu’aux plus formidables outrages — en refusant de nommer la première ministre à laquelle le NFP a gagné titre par son score électoral, Macron ne se livre pas à un coup d’État : il « temporise ». Le « quotidien de référence » en est là. On imagine le reste.

    Le reste, c’est l’égout audiovisuel. Comment continuer de lui appliquer la catégorie de « journalisme », c’est un mystère. Qui peut décemment soutenir que Ruth-« Je suis à votre disposition »-Elkrief est une journaliste ? Que Nathalie-« JLM1PB »-Saint Criq est une journaliste ? Ce sont des tenancières d’officine de propagande. Mélenchon déclare que « Tubiana est la mieux placée pour comprendre qu’on est contre sa candidature », le bandeau BFM titre : « Mélenchon : Tubiana “la mieux placée” ». LCI affiche des camemberts de répartition des sièges, le NFP qui arrive premier récupère une tranche plus petite que le RN arrivé troisième. Un milliardaire catholique monte une machine de guerre ouvertement dédiée à promouvoir des idées d’extrême-droite, France Info titre qu’il veut « faire gagner la droite ». Met la photo de Ruffin quand Mathilde Panot dépose une proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans. On est frappé par l’extraordinaire bassesse de procédés – qui disent à quoi en est réduite une hégémonie pour se maintenir quand elle est devenue odieuse à tous. Il y a quelque chose de plus franc, et pour tout dire de plus droit, dans la télévision nord-coréenne. Dans le monde libre, ne règnent plus que la manipulation éhontée, la diffamation ouverte, le mensonge sans limite de grossièreté — et littéralement, si l’on en vient à Gaza, le délire.

    Il y a sans doute belle lurette que « les médias », normalement en charge de cette médiation qui s’appelle « le débat public », donc d’y représenter les divers courants d’opinion, ne médiatisent plus rien, sinon les seuls intérêts de la bourgeoisie de pouvoir. Mais l’approfondissement de la crise organique a porté le devenir-officine des médias à un point qu’une dystopie raisonnablement imaginative aurait difficilement envisagé. Il est donc établi qu’aucune vie minimalement démocratique ne peut plus passer par eux.

    Le tableau général de cet avilissement ménage une place de choix au « régulateur » : l’Arcom. Qui ne régule rien, encourage tout. Devenue par excellence l’institution de la honte — et la collaboratrice du processus de fascisation. Maintenir dans sa concession CNews et son réjouissant degré de mépris manifesté aussi bien à ses obligations de « pluralisme » qu’aux commissions amenées à auditionner ses dirigeants ; refuser la seule candidature d’un média de gauche (Le Média) ; préférer y ajouter, en la chaîne Kretinsky-Printemps républicain, un canal ouvertement islamophobe de plus — un point de vue, il est vrai, injustement sous-représenté dans le paysage médiatique actuel —, tout ceci constitue une sorte d’exploit dont il faudra bien faire l’analyse sérieuse, et méthodique : membre par membre du conseil de l’Arcom, à commencer par son président, intérêts et réseaux de socialisation, trajectoires antérieures et allégeances ayant conduit à de tels affaissements individuels, rapports de pouvoir et fonctionnements collectifs vicieux de l’institution elle-même, etc. Or la faillite institutionnelle générale se reconnaît à la faillite de celles des institutions placées en position « d’appel », ou de dernier recours. À l’Arcom, on n’offre ni appel ni recours à rien, on n’enraye aucune glissade au désastre : au contraire ! De l’huile, beaucoup d’huile, sur le toboggan des médias racistes et fascisateurs ! Une vocation — et une responsabilité.

    L’effondrement des institutions de rang supérieur, celles mêmes supposées rattraper les déviations des institutions ordinaires, est le point ultime de la catastrophe institutionnelle — dans le champ des institutions politiques comme dans celui des institutions médiatiques : de même que l’Arcom ne travaille qu’à reconduire le pire, le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’État se déclarent incompétents pour juger des ministres-députés. Mais alors, sans plus aucun appel nulle part, qui reste-t-il pour sauver les citoyens du désarroi — et de la rage ?

    Syndicalisme de gestion

    Normalement, la troisième et dernière médiation : la médiation syndicale, institution d’un genre particulier, assurément partie elle aussi du système institutionnel d’ensemble, mais procédant selon ses voies singulières : la manifestation, la grève. Sur le papier des voies extra-institutionnelles — mais devenues si étroitement codifiées et si vidées de toute combativité réelle que le « extra » n’a plus aucune consistance. Le syndicalisme par nature était une institution « liminaire », une institution de marge, à la bordure du système institutionnel « standard ». Il est devenu une institution du milieu. Sophie Binet et la CGT, dit-on, font des avancées inouïes dans le champ politique – Le Monde y voit « un tournant majeur », s’en effraye un peu. Il est vrai : Binet a articulé autre chose que « Pas une voix pour le RN », elle a dit : « Voter pour le NFP ». On est pétrifié.

    Disons que l’apprentissage de « la politique » par Sophie Binet est progressif, très. Pour l’instant, « politique » n’est compris que dans les coordonnées institutionnelles-électorales — c’est vraiment la toute première leçon. Qu’il y ait un autre sens du mot « politique », et que c’est vers ce sens que l’apprentissage doive cheminer, plutôt vite si possible étant donné les conditions actuelles, c’est la leçon d’après. Cependant si lointaine encore. Alors la direction confédérale part en vacances. Un coup d’État est en cours, mais « JO », « vacances ». Sauvent l’honneur, ici la CGT Cheminots, là l’UD CGT-Paris. La direction confédérale, elle, fait des communiqués, appelle Macron à, déclare qu’il faut qu’il — sous l’effet de quelle menace sérieuse, de quel rapport de force réel, on le saura sans doute après les JO, après les vacances.

    Or quand l’heure est à ce point au piétinement de toute démocratie, quand toutes les autres institutions ont fait faillite et qu’il n’existe plus aucune force régulatrice dans le système d’ensemble hormis un mouvement de masse, quand un tel mouvement a d’abord pour initiateur et pour coordinateur l’institution syndicale, et que l’institution syndicale est, elle aussi, à ce point défaillante, le fond du fond est atteint : incompréhension radicale d’une situation et d’une responsabilité historiques, incapacité de s’y porter par enlisement dans les pratiques de rouage institutionnel. L’histoire ouvre des fenêtres : le syndicalisme institutionnel y regarde passer les trains. 2023, 49.3, 90 % (de salariés opposés à la réforme des retraites) : une fenêtre, rien. Stefano Palombarini 2024, à l’adresse manifeste de la CGT : cette fois, si vous ne vous bougez pas sérieusement, vous aurez droit à l’agenda Wauquiez. Et vous l’aurez cherché.

    Le propre des ossifications institutionnelles, c’est de faire perdre jusqu’au sens de ses intérêts vitaux. Il y a peut-être eu « sursaut » dans les urnes, mais visiblement pas dans les directions syndicales — où, pourtant, ce serait le moment d’envisager de faire autre chose. Autre chose que l’unique journée d’action de septembre qui est en train de se profiler — on descend, ça ne sert à rien, on rentre à la maison, c’était bien. Louper les fenêtres ouvertes par l’histoire, c’est n’avoir aucune perception des colossaux surgissements d’énergie politique qui s’y forment, du relatif peu de chose qui suffirait pour la coordonner et la mettre en mouvement — et n’avoir non plus aucune anticipation des effets sensationnels qui pourraient s’ensuivre, pourvu simplement qu’on essaye.

    Or à l’évidence il ne faudra pas compter non plus sur la dernière médiation, syndicale, pour essayer. Dans son genre, pourtant, celle-ci a aussi le statut d’un dernier recours, celui qu’on active pour remettre d’équerre les procédures ordinaires quand elles commencent à dérailler. Mais le syndicalisme institutionnel est devenu une procédure ordinaire parmi les procédures ordinaires, au mépris de ce qui faisait originellement sa force : sa capacité à mettre en mouvement des multitudes, c’est-à-dire à remanifester le fond pré-institutionnel de toute politique institutionnelle.

    Quand il n’y a plus aucune solution de recours nulle part, ni dans les institutions de rang supérieur (Arcom, conseil constitutionnel) ni dans les institutions « liminaires » (syndicats), alors, oui, la crise est totale.

    Irruption

    « Crise totale » ne veut certainement pas dire qu’il ne se passe plus rien. Il se passe que de tout autres processus entrent en jeu. Par construction : des processus de débordement de l’ordre institutionnel — puisque celui-ci est failli. C’est ce qu’avaient parfaitement compris les gilets jaunes dans leur triple refus de « la politique », des médias et des syndicats — et dans leur prise de rue autorisée d’elle-même, faute de personne pour entendre leurs problèmes, encore moins les régler. C’était en 2018, et leur mouvement était prescient. Cinq ans plus tard, le macronisme sombrerait définitivement dans la violence des pouvoirs policiers, sous les vivats des médias ; et le syndicalisme institutionnel, porté par une mobilisation jamais vue, essuierait sa plus cuisante défaite pour n’avoir pas compris à quel personnage et à quelle situation extra-ordinaires, il avait affaire. Les gilets jaunes : la répétition générale.

    La « première » aura lieu. Elle aura lieu parce que la formation d’énergie colérique ne cesse plus de grossir, alimentée par le déni majuscule, le déni de l’ultime breloque légitimatrice dans la « démocratie » de capture : le déni des urnes. Comme dans la chimie des recombinaisons moléculaires, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme : cette énergie politique en train de devenir phénoménale ne se dissipera pas gentiment et, puisque ses solutions institutionnelles d’expression ont disparu, elle va s’en trouver d’autres — se transformer. Où, quand, et sous quelle forme, personne ne peut le dire. D’une certaine manière c’est tant mieux : cette indétermination laisse la possibilité d’une intervention, c’est-à-dire d’une mise en forme. Pour que le flot en furie parte au moins dans une direction politiquement avantageuse.

    Intervention de qui ? On ne sait pas non plus. Mais on sait d’où devrait être donnée la direction. Du travail, de la production, et des bastions de combativité qui y sont encore. Donc à l’initiative d’un syndicalisme de base et non de confédération, politique et non de gestion, qui ne se sent pas tenu par les bonnes manières institutionnelles et leurs censures, ne s’arrêtera pas avec de la verroterie, un Grand débat ou une convention citoyenne, posera les questions qui réémergent quand la crise est totale, les questions fondamentales, interdites par le cours ordinaire, celles du contrôle ouvrier et de la souveraineté des producteurs.

    De ce point de départ-là, le débordement trouvera d’emblée ses bonnes coordonnées — celles mêmes que le mouvement des retraites, par nature, avait installées : celles qui renversent toutes les aliénations électorales, toutes les défigurations médiatiques de la vie collective, et garantissent que quand le pays se lève, c’est pour partir à gauche.

    Post-scriptum – Olympisme, macronisme et cérémonies

    Deng Xiaoping, dit-on, avait livré un jour la méthode infaillible — chinoise — pour neutraliser un intellectuel contestataire devenu trop gênant pour le régime : « nous le consacrons ».

    La méthode vaut pour les personnages, elle vaut pour les événements aussi bien. Tout ce que l’État saisit à fin de célébration ou de commémoration, il l’éviscère et n’en rend qu’une enveloppe vide et desséchée — littéralement anéantie : ramenée au néant, le néant de la célébration, précisément. De l’histoire qui s’est faite à l’histoire « célébrée », il y a cet écart dont nous sommes très familiers entre, par exemple, le 14 juillet réel et les 14 juillet fêtés — devenus à peu près sans aucun rapport avec leur princeps.

    Que la grosse amibe du pouvoir avale et dissolve, nous en avons donc l’habitude. Un peu moins que des historiens prêtent la main à l’annulation « cérémonielle » de l’histoire. Que Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, s’inscrive dans la filiation glorieuse de Jean-Paul Goude, admettons qu’on ne l’avait pas vu venir. Boucheron n’ayant jamais été un intellectuel très gênant, il n’avait sans doute pas à être lui-même neutralisé. De là à anticiper qu’il deviendrait un intellectuel neutralisateur, à plus forte raison de sa matière même, il y avait un pas qu’on avait en fait tort de ne pas franchir. Encore que : la neutralisation ne lui était pas inconnue si elle était neutralisation savante (1) : muséification du Decameron de Boccace, et guignolisation de Machiavel dont Macron était fait une sorte de continuateur.

    Abondance de crédits et promesse d’audience planétaire aidant, il était temps de franchir quelques crans : « Entre ici Louise Michel avec ton ridicule cortège ». Car voilà ce qui a été fait à Louise Michel, et avec elle aux pétroleuses, aux communards, en leur temps agonis, animalisés, déshumanisés mais par la crapule versaillaise, et par-là anoblis pour toujours : sur la scène du macronisme, ils ont été « célébrés » — et par-là dégradés à nouveau. Tout anachronisme mis à part, nul ne peut douter que Louise Michel aurait été passionnément gilet jaune, et de tout son être au milieu de cette plèbe qui inspira à Patrick Boucheron une épouvante toute versaillaise. La voilà la différence entre l’histoire réelle et l’histoire « célébrée », où les historiens célébrants poussent des cris d’horreur au spectacle du dixième, du centième de ce qu’accomplit l’histoire réelle qu’ils célèbrent. La Commune met le feu aux Tuileries, à l’Hôtel de Ville, au Palais de justice, renverse la colonne Vendôme, on ne parle même pas des barricades — CNews et BFM tiennent deux heures sur une poubelle qui brûle, le soir même Karim Rissouli demande gravement à ses invités si la violence est une folie à condamner ou bien à condamner, Patrick Boucheron en fait partie sauf s’il doit se lever tôt le lendemain pour aller le dire sur France Inter ; plus tard, donc, il nous proposera une merveilleuse évocation scénique de Louise-en-fait-on-ne-sait-plus-qui, chair de poisson, curriculum effacé, une figurine en carton.

    Pendant ce temps un tableau des trois glorieuses affiche sa fière proclamation, « Liberté », et des militants d’Extinction Rébellion sont arrêtés au matin parce qu’ils s’apprêtaient à coller des stickers. Marie-Antoinette porte sa tête, c’est follement audacieux, mais il y a cinq ans il y avait de la comparution immédiate pour des guillotines en carton. En fond sonore, ça chante que ça ira et les aristocrates à la lanterne, mais la tête à Dussopt sur un ballon de foot ou la liquette arrachée du DRH d’Air France, c’était le commencement de la barbarie.

    Patrick Boucheron désapprouve la violence, surtout celle des gueux, celle qui enflamma le VIIIe arrondissement — car après tout il n’a pas d’objection de principe contre l’éborgnement policier —, tout ça, il le dit chez Karim Rissouli ou à France Inter, ces lieux où en fait on ne dit jamais rien d’autre que l’horreur de toute rébellion conséquente. Comment tout ça s’arrange dans sa tête avec les Louise Michel, Marie-Antoinette et la Lanterne réelles, c’est une énigme — en fait non : c’est une tête de bourgeois macronien. Si seulement il parvenait à être chinois, au moins on y discernerait l’intelligence subtile de la rouerie. On n’y trouve que le paradoxe de l’historiographie trahie par les intérêts mondains de l’historien.

    On veut bien entendre qu’une cérémonie de JO n’est pas exactement l’occasion pour revenir au tragique de l’histoire, mais alors quelle idée d’y retourner si c’est pour en faire un livre d’images ? Il suffisait de parler d’autre chose — et même, pour peu qu’on réfléchisse deux secondes à ce que ça peut, voire doit être un intellectuel, s’abstenir d’aller se commettre dans un machin pareil. Il faut croire que le pli bourgeois de la dépolitisation et de la déréalisation est suffisamment marqué pour conduire même un historien à se faire sans ciller le défigurateur de ses propres objets historiques. Il est vrai que c’est tout une philosophie et de la politique et de l’histoire qui, le lendemain même, est venue apporter ses confirmations en indiquant de quoi tout ceci était finalement l’objet : de « mieux vivre ensemble ». Le professorat au Collège de France rejoignant la pensée RTL .

    • Aussi étrange que cela paraisse, il n’arrive même plus à me faire rire. j’y vois dans cette prose tragico-dithyrambique un pénible aveu d’impuissance, alors que tout devient possible, surtout le pire ... Peut-être parce que lui aussi pressent qu’il va compter parmi les victimes des « processus de débordements institutionnels » ?

    • A celui qui référence la plupart du temps le fameux média de fascisation l’Immonde , le « quotidien de référence » :)))), un peu de respect s’il vous plaît pour Frédéric et les lecteur.ices qui l’apprécient. Vous avez le droit de ne pas aimer l’intellectuel et son language différencié mais le vôtre au demeurant provocateur n’est pas toujours top non plus. ( qu’il retourne faire de la muscu dans la cave de son pav’)

      Et pendant ce temps, la médiation médiatique avalise tout : toutes les démolitions, tous les passages de cap, toutes les régressions démocratiques : depuis les plus misérables procédés à faire entrer dans les mœurs – « les inévitables QR codes » des JO — jusqu’aux plus formidables outrages — en refusant de nommer la première ministre à laquelle le NFP a gagné titre par son score électoral, Macron ne se livre pas à un coup d’État : il « temporise ». Le « quotidien de référence » en est là.

    • personnalité consensuelle à gauche comme à droite, mais dont la désignation au poste de premier ministre donnerait une impression de cohabitation ."

      Une fausse cohabitation alors qu’il a perdu les législatives ...

      Le chef de l’Etat aurait, selon ses proches, quelques pistes. Et il profite de la « trêve politique » qu’il a lui-même décrétée pendant les Jeux pour mûrir son plan .
      Une trêve politique autodéclarée...

      Un nom (...) lui est déjà suggéré par le NFP (...) arrivée en tête des législatives : Lucie Castets. Mais (...)Macron peine à masquer son peu d’enthousiasme pour cette énarque parisienne, inconnue du grand public.
      Pas content que le groupe majoritaire lui suggère un nom...

      L’Elysée s’agace de la posture jugée vindicative de la trentenaire qui entend appliquer le programme du NFP, comprenant le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou l’abrogation de la réforme des retraites.
      Refuse les règles démocratiques parce que pas content du programme...

      L’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer, a cinglé, le 23 juillet, le chef de l’Etat, balayant l’hypothèse.
      Il a perdu mais c’est toujours lui qui décide et pas d’alternance possible...

      Le président de la République écoutera-t-il ceux qui, à l’instar de Patrice Vergriete (...) lui suggèrent de faire un geste et d’accepter, après la trêve olympique, de rencontrer Lucie Castets ? Ne serait-ce que pour mieux rejeter son offre. "
      Délirant...

      L’ancien maire de Dunkerque (Nord) imagine, à défaut d’une coalition, un « gouvernement de compromis sans compromission », qui tiendrait en s’assurant d’échapper à une motion de censure. Pour y parvenir, l’ancienne majorité planche sur une série de mesures à mettre en œuvre par une future équipe exécutive que désignerait Emmanuel Macron.

      Autrement dit carrément refuser le résultat des élections.
      On est face à un #Coup-d'Etat en bonne et due forme mais Le Monde le constate sans le nommer, sans s’en alerter.

      https://threadreaderapp.com/thread/1818225696398840124.html

      #MacronCoupdEtat

    • D’un barrage l’autre
      « La cérémonie des JO apparaît comme un barrage culturel, un ’’bardage’’ culturel pourrait-on dire. Décoratif, anecdotique en façade, pour cacher un édifice monstrueusement réactionnaire : le macronisme tenant d’une France ultra-impérialiste. »
      https://positions-revue.fr/dun-barrage-lautre

      Il y a 3 semaines, nous assistions à une non-défaite dans les urnes lorsque le NFP arriva en tête des élections législatives et finit, contre tous les pronostics, par mettre les forces de l’axe réactionnaire sous hégémonie du Rassemblement national en troisième position. Nous parlons aujourd’hui de non-défaite car nous savons que l’arrivée en tête du NFP s’est faite au moyen de la réactivation du bloc macroniste et du désistement de certains de ses candidats. Ce qui permit la réélection d’anciens députés parmi les plus emblématiques de la politique réactionnaire, autoritaire et impérialiste française, comme Braun-Pivet ou Darmanin. Ce moyen, cette pratique, est la clé de compréhension de la finalité. Elle laisse un espace à Macron dans sa logique anti-démocratique qui dure depuis 6 ans pour refuser la victoire du NFP et imposer son camp comme rempart à l’extrême-droite.

      La cérémonie des Jeux olympiques est dans la continuité de cette non-défaite, douce-amère. Beaucoup de camarades et de soutiens aux forces progressistes s’attendaient, lors de cet événement, à un défilé de clichés éculés, conformistes, à la gloire de l’universalisme français, dont on sait qu’il n’est que le paravent de sa domination impérialiste. La promesse de Thomas Jolly, auteur brillant qui a su dans sa carrière illustrer les classiques sans tomber dans l’académisme, en tant que directeur artistique de la cérémonie, laissait espérer qu’on ne tomberait pas dans le poussiéreux des musées et le grossier du Puy du Fou. Il en a été autrement. En effet, loin de tout cela, la cérémonie a pu mettre en avant des tableaux innovants et inattendus, faisant place à un imaginaire moderne et progressiste. Deux tableaux ont retenu l’attention : la mise en avant de la Révolution française sur un style carnavalesque, faisant chanter le “ça ira” à Marie-Antoinette décapitée sur la musique du groupe de métal Gojira, et un banquet composé de drag queens, rappelant également la Cène, tableau de Vinci maintes fois détourné, pastiché et parodié. Ajoutons la performance d’Aya Nakamura sortant de l’Académie française entourée de la Garde Républicaine. Bref, une cérémonie d’ouverture qui portait bien son nom, inclusive, joyeuse et bon enfant.

      Cela était pourtant trop pour les cadres de l’axe réactionnaire, de l’empire médiatique Bolloré aux élus du Rassemblement national, en passant par Philippe de Villiers. Tous ceux-là ont cru assister à un défilé satanique de l’anti-France.

      Ne soyons pas dupes, trois semaines après le barrage électoral au RN, la cérémonie apparaît comme un barrage culturel, un « bardage » culturel pourrait-on dire plus précisément. Décoratif, anecdotique en façade, pour cacher un édifice monstrueusement réactionnaire : le macronisme tenant d’une France ultra-impérialiste. En témoigne son engagement actif aux côtés du régime génocidaire israélien. Beaucoup ont parlé de « washing », notamment à propos de la récupération de la cause LGBTQIA+ qui est une cause essentielle et loin d’être admise au vu des réactions, ce qui est juste mais insuffisant.

      En effet, si l’on peut imaginer que Macron et ses conseillers aient pu concevoir un progressive-washing devant le monde pour apparaître comme la clé de voûte anti-réactionnaire – soit la stratégie utilisée depuis 2017 -, l’imaginaire progressiste de la cérémonie nous semble bien plus révélateur des forces sociales en lutte dans le pays et de la situation politique concrète. Incapable de s’imposer sans l’appui des classes supérieures, composantes du bloc bourgeois, la gauche est coincée entre la satisfaction de voir sa vision du monde portée par Macron et la colère de constater que cette dernière lui profite encore une fois tandis qu’il continue d’attaquer pendant cette fausse « trêve olympique » les droits fondamentaux (telle l’interdiction du port du hijab), les migrants et les classes les plus précaires. La satisfaction et la contradiction au sein du camp progressiste quant à savoir s’il fallait se réjouir de cette cérémonie ou non est un faux dilemme. Il est révélateur de l’hétérogénéité des forces de progrès et de leurs limites actuelles. On peut y voir une potentialité progressiste. En effet, si Macron doit encore se parer d’une image de progrès, même de manière hypocrite, cela montre que la bourgeoisie n’est pas encore tombée totalement dans l’anti-libéralisme et l’irrationalisme et que le fascisme n’est pas encore là. Et on peut également y voir la faiblesse des forces de gauche servant de force d’appoint et de caution au macronisme et à sa politique. La réalité est ce double point de vue.

      Cela nous permet de rappeler qu’il n’y a rien d’unilatéral dans le mouvement historique. Le capitalisme ne crée rien. C’est une modalité. Ce sont les sujets collectifs et les classes sociales qui produisent le monde, en contradiction et en lutte. Et chaque production sociale porte en elle cette lutte.

      À l’impasse politique et institutionnelle issue du 7 juillet, s’ajoute maintenant une impasse culturelle. Ces deux impasses maintiennent en vie Macron et son monde, empêchant ainsi aux forces progressistes d’accéder au contrôle de la société. Cette impasse sera résolue lorsque la vision progressiste sortira d’une simple vision abstraite, esthétique et passagère, pour devenir concrète et permanente. Pour cela, les classes intermédiaires encore coincées entre Jolly et Castets doivent être radicalisées devant ce choix décisif : pacte égalitaire ou pacte réactionnaire.

  • JO de Paris 2024 : quand les autorités catholiques confondent le banquet de Bacchus avec le dernier repas du Christ lors de la cérémonie d’ouverture
    https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/29/jo-de-paris-2024-quand-les-autorites-catholiques-confondent-le-banquet-de-ba


    « Le Festin des dieux » (vers 1635-1640), de Jan Harmensz van Bijlert. Dionysos est représenté allongé au premier plan, pressant une grappe de raisin au-dessus de sa bouche. MUSÉE NATIONAL MAGNIN

    Une des scènes de la cérémonie d’ouverture, qui a suscité de nombreuses réactions, fait référence au festin des dieux de l’Olympe, un thème qui a inspiré plusieurs tableaux.
    Par Philippe Dagen

    Un tableau de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, vendredi 26 juillet, fait depuis lors scandale. C’est celui où paraît le chanteur Philippe Katerine quasi nu, le corps peint en bleu. Il a été accusé d’impudeur et d’obscénité au nom de diverses religions, et la Conférence des évêques de France a déploré « des scènes de dérision et de moquerie envers le christianisme ». Ceux-ci ont cru y voir une parodie de la Cène, le dernier repas du Christ avant la Crucifixion, dont la représentation la plus connue est la fresque (1495-1498) de Léonard de Vinci, mais dont il existe d’innombrables autres versions peintes, dessinées ou gravées.

    Selon la tradition chrétienne, ce dîner – cena en latin – rassemble le Christ et les douze apôtres. Ce simple chiffre suffirait à établir que la scène conçue par Thomas Jolly n’a pas de rapport avec la Cène, étant donné le nombre bien plus élevé d’invitées et d’invités. Sans doute l’équivoque est-elle née de la mise en scène : des figures groupées derrière ce qui peut ressembler à une table, bien qu’il y manque les plats et les boissons traditionnellement présents dans les images de la Cène.
    Mais, plus que tout, le costume, si l’on peut dire, de Philippe Katerine, ne permet aucune hésitation sur les références mythologiques et artistiques qui sont ici en jeu. Sa nudité, qui a tant choqué, sa barbe, sa couronne de pampres et de fleurs, la tresse tombant de l’épaule jusqu’au ventre, le plateau chargé de fruits et de fleurs : tout le désigne comme l’incarnation du dieu nommé #Dionysos par les Grecs et devenu Bacchus pour les Romains. Celui-ci a pour précepteur Silène, le plus souvent représenté avec des cornes de bouc et en état d’ébriété. Dionysos est associé à la vigne et au vin et, plus largement, à la nature et à la fécondité. En Grèce, il est aussi le père de la tragédie, mais ce n’est pas ce que Thomas Jolly a retenu.

    « Une grande fête païenne »

    Le groupe des drag-queens et leurs déguisements extravagants, leur gestuelle et celle de Philippe Katerine font clairement allusion à cette iconographie. On la retrouve dans les représentations de Bacchus les plus connues, dont celle du Caravage, et dans celles qui réunissent le jeune dieu à la belle Ariane qu’il découvre sur l’île de Naxos, où elle a été abandonnée par son amant, Thésée. La plus fameuse de ces œuvres est celle (1520-1523) du Titien, au centre de laquelle bondit un Bacchus nu, hors une draperie rouge, escorté de bacchantes et de satyres, guère plus habillés que lui, ce à quoi la chanson interprétée par Philippe Katerine fait explicitement référence.

    Plus généralement, ces éléments sont ceux de l’iconographie classique du festin des dieux, une assemblée olympienne puisqu’elle réunit déesses et dieux de l’Olympe. C’est d’ailleurs bien la référence qu’avait en tête le metteur en scène de la cérémonie, interrogé sur BFM-TV, dimanche 28 juillet : « L’idée était plutôt de faire une grande fête païenne reliée aux dieux de l’Olympe… Olympe… olympisme. »

    De la Renaissance au XVIIe siècle, de Raphaël à Jacob Jordaens en passant par les maniéristes nordiques, ce sujet a beaucoup servi, car il se prête particulièrement bien à l’invention et à la liberté. Dans ces tableaux sont disposés femmes et hommes dans l’état de nature, parfois dans des poses lascives. Ce sont autant de célébrations des plaisirs, comme voulait l’être la scène imaginée par Thomas Jolly.

    Philippe Dagen

    Des cathos offusqués par un Jésus nu, des média musulmans eux-aussi outrés par un tel étalage de débauche. Les monothéismes veulent plus rien savoir de la Grèce ou de la Rome antique. Se souvenir du polythéisme serait admettre la profusion des inventions humaines que sont les #religions. Et leur caducité.

    • Boucheron s’est-il taillé le costume de Delerm [edit euh... Philippe Catherine pour ce qui est de cette cérémonie] ?
      https://blog.mondediplo.net/crise-totale

      Abondance de crédits et promesse d’audience planétaire aidant, il était temps de franchir quelques crans : « Entre ici Louise Michel avec ton ridicule cortège ». Car voilà ce qui a été fait à Louise Michel, et avec elle aux pétroleuses, aux communards, en leur temps agonis, animalisés, déshumanisés mais par la crapule versaillaise, et par-là anoblis pour toujours : sur la scène du macronisme, ils ont été « célébrés » — et par-là dégradés à nouveau. Tout anachronisme mis à part, nul ne peut douter que Louise Michel aurait été passionnément gilet jaune, et de tout son être au milieu de cette plèbe qui inspira à Patrick Boucheron une épouvante toute versaillaise. La voilà la différence entre l’histoire réelle et l’histoire « célébrée », où les historiens célébrants poussent des cris d’horreur au spectacle du dixième, du centième de ce qu’accomplit l’histoire réelle qu’ils célèbrent. La Commune met le feu aux Tuileries, à l’Hôtel de Ville, au Palais de justice, renverse la colonne Vendôme, on ne parle même pas des barricades — CNews et BFM tiennent deux heures sur une poubelle qui brûle, le soir même Karim Rissouli demande gravement à ses invités si la violence est une folie à condamner ou bien à condamner, Patrick Boucheron en fait partie sauf s’il doit se lever tôt le lendemain pour aller le dire sur France Inter ; plus tard, donc, il nous proposera une merveilleuse évocation scénique de Louise-en-fait-on-ne-sait-plus-qui, chair de poisson, curriculum effacé, une figurine en carton.
      Pendant ce temps un tableau des trois glorieuses affiche sa fière proclamation, « Liberté », et des militants d’Extinction Rébellion sont arrêtés au matin parce qu’ils s’apprêtaient à coller des stickers. Marie-Antoinette porte sa tête, c’est follement audacieux, mais il y a cinq ans il y avait de la comparution immédiate pour des guillotines en carton. En fond sonore, ça chante que ça ira et les aristocrates à la lanterne, mais la tête à Dussopt sur un ballon de foot ou la liquette arrachée du DRH d’Air France, c’était le commencement de la barbarie.

      #JO #Histoire

    • argument vaseux de cathocentré. le catholicisme a intégré ce qui lui semblait nécessaire, selon les contextes, du "paganisme" et des polythéismes.

      edit : la même source dénonce un " féminisme militant hyperpolitisé (à gauche toute !) qui a un besoin vital de s’inventer du « machisme » et du « masculinisme » à gogo pour pouvoir conserver ses subventions " (ce dont il faudra parler aux permanencières du planning familial).

  • Le #scénario_manquant, par Frédéric #Lordon (Les blogs du Diplo, 27 juin 2024)
    https://blog.mondediplo.net/le-scenario-manquant

    Le choc promet tout de même d’être rude, et quand il tombe sur une complexion de cette sorte, nul ne peut prévoir la réaction qui en sortira. Ce peut être que Brigitte aura à récupérer le #garçonnet sanglotant recroquevillé dans un coin de son bureau. Ce peut être aussi qu’il va se trouver une nouvelle insanité comme solution de #réinflation.

  • Le scénario manquant, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 27 juin 2024)
    https://blog.mondediplo.net/le-scenario-manquant

    Celle de l’article 16 par exemple – qui n’était pas une plaisanterie échappée mais bien un ballon d’essai. Et qui « fait l’affaire » au moins aussi bien qu’Instituteur de la VIème république – avec la même propriété de relever d’un pur décret du « seul personnage ». Prononcer l’état de guerre civile, comme il tente déjà de nous y habituer, si besoin la faire advenir performativement, avec le gracieux concours de ses comparses de la plus extrême-droite, puis s’installer dans la position du dictateur pour la mener sous couleur d’en sauver le pays : réflexion faite, c’est une idée qui ne manque pas de charme – qui lui va même comme un gant.

    Et puis, tant qu’à aller dans ces directions, il y a aussi la guerre tout court. Après tout. Des « mecs à Odessa » ? Pourquoi pas ? La seule hypothèse réaliste, confronté à ce « seul personnage », c’est qu’il est capable de tout, et qu’il faut s’attendre à tout.

    Apparemment, Lordon lit SeenThis, aussi.

    https://seenthis.net/messages/1059388#message1059393

  • Sale tartine, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 15 juin 2024)
    https://blog.mondediplo.net/sale-tartine

    […] il faut imaginer : le RN au pouvoir. Ça devrait normalement ne pas être trop difficile, car le macronisme a eu pour effet historique de procéder à suffisamment d’installations pour nous donner des avant-goûts assez précis d’un fascisme arrivé. Si bien que l’exercice d’imagination n’a plus qu’à pousser les curseurs. Aussi loin que Macron nous ait fait avancer dans cette direction, il reste encore « de la marge » — pour le pire : leaders politiques hors champ institutionnel arrêtés sans motif , organisations dissoutes ad nutum et sans recours, impossibilité de la moindre manifestation de soutien à quoi que ce soit par répression immédiate, lois anti-syndicales interdisant de fait toute action aux salariés. Les cas de Jean-Paul Delescaut et Christian Porta ne sont-ils pas suffisants pour faire entrevoir ce que donnerait leur généralisation ? Celui des lycéens d’Hélène Boucher n’est-il pas assez éloquent, qui sont poursuivis dans les salles de cours par des flics totalement dégoupillés, pistolet à la main, et s’entendent dire « Vous allez voir ce que c’est un vrai régime fasciste » ?

    Et en effet, on va voir. On va voir la police fasciste, on va voir ses autorisations de tirer à balles réelles dans les banlieues, sur les manifestants ou contre les « écoterroristes ». On va voir les « refus d’obtempérer » et le devenir chilien des sous-sols de commissariat. On va voir la justice fasciste aussi : sa politique pénale, ses instructions spéciales, ses nominations dans les parquets. En fait on va voir ce que c’est qu’une administration infestée de cadres racistes, spécialement aux niveaux intermédiaires, loin des nominations décidées en conseil des ministres — après avoir vu ce qu’elle donnait dans la forme de l’infestation managériale — : proviseurs, directeurs d’hôpitaux, commissaires, présidents de tribunaux, officiers d’active, etc. Les inconscients qui bercent leur légèreté en se figurant qu’allez, on aura un équivalent de Meloni et que ça ne sera pas si terrible, n’ont aucune compréhension de ce que c’est que l’État français.

    L’exercice d’imagination cependant restera très incomplet s’il s’arrête aux limites de l’appareil d’État stricto sensu. Car dans un fascisme bien ordonné, on est soucieux de travailler les « à-côtés », à qui l’on remet tout ce que l’État, tout de même tenu à quelques obligations formelles de conduite, ne peut pas faire : milices en roue libre, néonazis dans les rues, qui ne seront plus surveillés — mais peut-être informés — par les services de renseignement, descentes à gogo, militants de gauche identifiés et pourchassés, avec la bénédiction de la police en service et le concours de policiers hors-service — et c’est peut-être là le plus effrayant : la fusion des deux milices, celle de la rue et celle de l’État. S’il faut avoir le cœur convenablement accroché, on conseille de revoir Salò ou les 120 journées de Sodome pour se représenter convenablement l’essence du fascisme : déchaînement pulsionnel et violence politique sans limite. N. B. : la violence politique sans limite, ça va jusqu’à l’assassinat.

  • Après l’action défensive en urgence du Front Populaire : vague de fond offensive de la rue ?
    https://ricochets.cc/Apres-la-defensive-du-Front-Populaire-ni-capitalisme-liberal-ni-patriotism

    Après avoir détruit tout espoir à coup de grenades et de lois anti-sociales, et amplifié la précarité/pénibilité induite par le capitalisme, les macronistes essaient de fourguer un peu d’aide sociale à la dernière minute pour essayer de limiter l’ampleur de leur crash. Face à la possibilité d’une victoire de gauche, les bourgeois et grands capitalistes sont prêts larguer quelques miettes, et à miser au final sur le RN qui sert mieux leurs intérêts écocidaires et égoïstes. Les extrêmes qui (...) #Les_Articles

    / #Politique,_divers, #Luttes_sociales

    https://rebellyon.info/Juin-1936-Le-Front-populaire-au-secours-26071
    https://www.vie-publique.fr/fiches/273931-les-pouvoirs-exceptionnels-definis-par-larticle-16-de-la-constit
    https://blog.mondediplo.net/sale-tartine
    https://reporterre.net/Appels-du-18-juin-contre-l-abstention-ils-passent-17-000-coups-de-fils-e
    https://reporterre.net/Pour-un-front-commun-des-medias-contre-l-extreme-droite
    https://www.partage-le.com/2024/06/20/de-lancien-au-nouveau-front-populaire-un-meme-culte-mortifere-de-lindust
    https://reporterre.net/Un-gouvernement-RN-etoufferait-les-luttes-ecolos
    https://lundi.am/50-nuances-de-fafs
    https://reporterre.net/Vote-RN-Beaucoup-d-electeurs-se-disent-qu-ils-n-expriment-pas-leur-meill
    https://reporterre.net/A-Nimes-un-PMU-transforme-en-bar-des-luttes
    https://reporterre.net/Irrealiste-le-programme-du-Nouveau-Front-populaire-On-a-verifie


    https://ricochets.cc/IMG/pdf/temps-critiques_interventions_26_livret.pdf

    • Pour Eric Hazan, changer le monde n’était pas un programme d’avenir mais un travail de chaque jour, par #Jacques_Rancière
      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-eric-hazan-changer-le-monde-netait-pas-un-programme-davenir-mais-un-

      Ce n’est pas seulement qu’il s’intéressait à tout et que sa culture humaniste était bien plus vaste et profonde que celle de tant de clercs qui sourient d’engagements militants comme les siens. C’est que le monde pour lequel il se battait était celui de l’expérience la plus large et la plus riche et qu’il ne séparait pas le travail de la connaissance et les émotions de l’art de la passion de la justice. Cet homme indigné contre toute oppression aimait, plus que les crieurs, celles et ceux qui cherchent, inventent et créent.

      https://justpaste.it/c0k8d

    • Les éditions Agone. 18, boulevard de Paris 13003 Marseille
      https://mastodon.social/@EditionsAgone/112570946028414764

      Alors que se perpétue le dérisoire jeu de chaises musicales entre la poignée d’employés (très, très bien payés) qui fait tourner le marché de la concentration pour quelques millionnaires sinon milliardaires, un événement du sous-champ culturel du #livre mérite, lui, une place dans nos mémoires. Jeudi 6 juin, Éric Hazan est mort. Du « Monde » et « L’Humanité » à « Libération », en passant par « Télérama » et « Mediapart », la presse parisienne a donné, avec plus ou moins d’honnêteté, de dignité ou de platitude, le portrait du fondateur des #éditions_La_Fabrique. Rappelons ici sa place, centrale depuis vingt ans, dans la défense du métier d’éditeur. Et la critique à laquelle il a donné un titre : L’Édition sans éditeur – premier des trois livres de l’éditeur franco-américain #André_Schiffrin qu’Éric Hazan a édités et traduits en 1999. Alors que, plus que jamais, la concentration détruit l’édition dans l’indifférence générale – de l’État qui la soutient, des auteurs et autrices qui n’en tirent aucune conséquence aux journalistes qui l’accompagnent et aux libraires qui l’acceptent –, la lucidité d’Éric Hazan et sa manière si singulière, ferme et paisible, d’affirmer franchement les réalités les plus dures nous manquent plus que jamais.

      https://lafabrique.fr/ledition-sans-editeurs

    • Éric Hazan, des combats au cœur des livres - #Jean_Stern @orientxxi
      https://orientxxi.info/magazine/eric-hazan-des-combats-au-coeur-des-livres,7398

      Éditeur et essayiste, Éric Hazan, qui vient de mourir à 87 ans, avait fondé La fabrique il y a 25 ans. Pionnier de l’édition indépendante en France, Hazan avait bataillé contre la mainmise des groupes financiers sur la vie éditoriale. La fabrique est aussi l’un des lieux majeurs de publication d’essais et d’analyses sur le judaïsme, le sionisme, Israël et la Palestine.

    • Traduction en anglais de l’article de Jacques Rancière paru sur Libé le 08/06/2024 :
      https://newleftreview.org/sidecar/posts/grand-editeur?pc=1609

      There is an infinitely reductive way of commemorating Eric Hazan, simply by saluting him as a courageous publisher and defender of the radical left, an unyielding supporter of the rights of the Palestinians and a man who, against the grain of his times, so believed in revolution that he devoted a book to the first measures to be taken on the morning after.

      He was certainly all these things, but we first need to register the essential point: in an age when the word ‘publishing’ conjures up empires of businessmen for whom everything is a commodity, even the most nauseating ideas, he was first and foremost a great publisher. This was not simply a matter of competence. It was much more a question of personality. And Eric was an exceptional personality: possessed of a mind curious about everything, a scientist by training and neurosurgeon in a previous life, but also a connoisseur of the arts and lover of literature; a city-dweller, sensitive to the living history of every stone in the street; an open and welcoming man with a radiant smile and eloquent handshake, eager to communicate his passions, to share his discoveries and convince others – without preaching – of what he considered to be the exigences of justice.

      I learnt from our first contact, just as La Fabrique was starting up, that he was no ordinary publisher. He had attended a few sessions of my seminar on aesthetics and wanted to better understand what I was doing and where it was heading. I sent him a short interview I’d done for a magazine published by friends of mine. A few days later, he told me that it was a book and that he was going to publish it. Which he did so effectively that this little volume, barely visible on a bookshelf, found its way around the world. I thereby discovered something surprising: a great publisher is one who can recognize you have written a book when you don’t know it yourself.

      Thus began a long collaboration punctuated by books whose titles alone prove that he was so much more than a publisher of revolutionary firebrands. Were that the case, what business would he have with exploring territories as remote from immediate political action as the landscape of eighteenth-century England, the dissolution of the traditional threads of narrative in the novels of Flaubert, Conrad or Virginia Woolf, the interweaving of time in the films of Dziga Vertov, John Ford or Pedro Costa, or the conception of the spectator implied by this or that installation of contemporary art? What, moreover, would lead him to publish a complete edition stretching to over a thousand pages of Walter Benjamin’s Baudelaire? And to immerse himself in Balzac’s Paris? It’s not only that he was interested in everything and his engagement with humanist culture was far broader and deeper than so many of the ‘clercs’ who smirk at militant commitments of his kind. It was because he fought for a world of the widest and richest experience, and did not separate the work of knowledge and the emotions of art from the passion of justice. This man – indignant against all oppression – loved, more than sloganeers, those who seek, invent and create.

      Changing the world was for him not a programme for the future but a daily task of adjusting our vision and finding the right words. And he understood that revolt is itself a means of discovery. In the work of the most radical authors he published, whether on feminism, decolonialism or pipeline sabotage, he discerned not only a cry of anger against the reign of injustice but also a project of research, a singular expression of the world we live in, and a new way of shedding light on it. Hence, he was careful to ensure that the most provocative titles appeared in booksellers’ windows adorned in such a way that made them precious objects.

      Is this why he chose the name La Fabrique? For connoisseurs of workers’ history, the name recalls Echo de la fabrique, the newspaper of the Lyonnais canuts during their revolt of the 1830s. No doubt it was important for it to evoke the memory of the great days of 1848 and the Commune. But the word ‘fabrique’ also associated this tradition of struggle with a whole conception of the publisher’s work: a radical departure from the logic of profit and its associated strictures of management; an artisanal love of craftsmanship that neglected no aspect of book production; but also an idea of the fraternal workshop where men and women would bring the product of their labours which, as they intertwined, would be transformed into something else: a shared wealth of experience, of knowledge and insight, the sense of a collective capacity to build a world different from the one that our masters and their intellectual lackeys present to us as the only, inescapable reality.

      Offering alternative cartographies of what is visible, of what takes place and what matters in our world: this is the concern that brought him together with so many authors of such different interests, ideas and sensibilities, all of which he respected equally without attempting to corral them into a common line. Because this great publisher was above all a free man who could only breathe in an atmosphere of freedom.

      Was it the thinning of this atmosphere that, alongside his illness, darkened his final days? Never have the causes for which he fought been so mockingly besmirched in theory, so blithely trampled underfoot in practice, as they are today. For a long time, Eric saw in the very ignominy of the powers that govern us a reason to hope for the coming revolution. Their world, he thought, is so decrepit that the slightest blow here or there is bound to bring about its collapse. This is the logic, perhaps a little too cursory, of good craftsmen and sons of the Enlightenment. They believe that rot causes buildings to crumble. Unfortunately, it is more like the glue holding the system together. And this imposes a long and painstaking task on those who first and foremost need air that is more breathable and more conducive to the preparation of other tomorrows. It is, in any case, a task for which his uncompromising resistance to baseness in every form will long serve as an example.

    • Éric Hazan (hommages) par F. Lordon
      https://blog.mondediplo.net/eric-hazan-hommages

      Éric meurt au moment où la terre politique tremble et les esprits en sont entièrement occupés. Oui mais il meurt maintenant — pas il y a deux semaines ou dans trois mois. Alors nos esprits vont à lui maintenant.


      On sait très exactement où une personne a placé sa vie à la nature des hommages qu’elle reçoit à sa mort. L’espèce de petite saleté que, prévisiblement, le journal Libération a réservée à Éric Hazan en est la parfaite illustration et, à rebours de l’intention du salisseur, c’est dans la vilenie même que réside le véritable hommage, celui-là bien sûr parfaitement involontaire. Il est glorieux d’être trainé dans la boue par ces gens-là.

      René Char a connu un mauvais moment lorsque, à l’aube des années 2000, Jean-Marie Messier s’est emparé de lui, puis à sa suite toute une cohorte de débiles 2.0, qui ont fini par en faire le poète de la start-up nation et du Medef réunis. Sa valeur poétique pouvait difficilement résister à cette désastreuse compagnie et à la démonétisation qui s’ensuivrait immanquablement. De René Char, il reste cependant ceci à sauver : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Éric était venu dans l’intention manifeste de troubler et, si La Fabrique a été — est toujours — fabrique de quelque chose, c’est de trouble. Nulle surprise, dans ces conditions, à ce que le monde troublé n’ait de cesse de faire la peau aux fauteurs de trouble. Du troublé et des troubleurs, nul n’a jamais douté du côté où se tenait Libération, journal qui, en matière de « libération » ne vise rien d’autre que celle de l’ordre mais à visage humain.

      La mort de Bourdieu, déjà, avait donné une brillante illustration de la manière dont se conduisent l’ordre et les forces de l’ordre quand elles ont été réellement offensées. Laurent Joffrin, Jacques Julliard et Françoise Giroud, incapables de se tenir à la décence élémentaire, n’avaient pu s’empêcher de laisser exploser leur joie — il faudrait plutôt dire de la vomir. C’est qu’il les avait tant exaspérés. Et qu’enfin, il n’était plus là. Alors les homoncules pouvaient ressortir, sans crainte de s’en prendre une qui leur aurait dévissé la tête.

      C’est bien à ce genre de traitement qu’on connaît le critère de l’offense réelle, par différence d’avec les offenses parodiques, celles dont le journal Libération s’est fait de longue date une spécialité, à base d’art contemporain politiquement décérébré ou d’avancées sociétales rendues parfaitement compatibles avec les données fondamentales de l’ordre capitaliste. Il était donc logique qu’Éric y eût droit, lui qui toute sa vie a cultivé l’offense réelle comme une morale politique, ou disons plus simplement comme le seul moyen de mener une existence qui ne soit pas larvaire. Et surtout parce que nous vivons dans un monde qui ne mérite que d’être offensé.

      Évidemment, c’est plus que le parti du visage humain n’en peut supporter, lui à qui l’accord au monde est comme une évidence, et tout sauf un lieu à déranger. La couleur n’est-elle pas indiquée dès le titre même ? « L’insurrection qui s’en va », conjonction miraculeuse du jeu de mot grotesquement mécanique, dernier refuge de la singularité de Libération, et du wishful thinking politique pour le coup le plus sincère : enfin débarrassés. Règlement définitif du problème, doit penser Quentin Girard — informons-le doucement que, pour son malheur, derrière Éric, il y en a d’autres —, qui vaut sans doute mieux que les entortillements de dénégation où il était contraint de se réfugier pour se rassurer : « … comme si la Fabrique jouait un rôle d’amuseur public, qui ne croirait pas vraiment elle-même aux idées défendues ». Éternelle redoute de ceux qui, ne croyant à rien, peinent à croire qu’il y en ait qui croient à quelque chose. Que des « amuseurs publics » se retrouvent au parquet antiterroriste offre en tout cas une vue intéressante sur les conceptions du divertissement de ceux pour qui rien n’est vraiment sérieux, et tout finalement soluble dans la dérision distanciée.

      Évidemment, le passage sur l’antisémitisme était de rigueur. On est à Libération tout de même, et au moment d’enfin revenir à l’écurie Glucksmann-Hollande en usant s’il le faut des moyens les plus bas, par exemple en aidant à répandre le stigmate de l’antisémitisme sur tout ce qui pourrait y faire obstacle, il ne s’agirait surtout pas de faire comme si les coordonnées du problème avaient été radicalement changées. La mort d’Éric Hazan passe par là, une bonne occasion ne saurait être perdue. Qu’on mesure donc son insoutenable légèreté : « Contre Israël, ses positions lui valurent de nombreuses accusations d’antisémitisme. Il les balayait toujours d’un haussement d’épaules ». Comment expliquer à Quentin Girard qu’il y a plus de pensée repliée dans un haussement d’épaules d’Éric Hazan que dans dix ans de ses chroniques mondaines à lui ? Bien sûr, on aurait pu lui suggérer de travailler — tout en réalisant aussitôt l’inanité de l’idée —, par exemple en lisant L’antisémitisme partout qu’Éric avait co-écrit avec Badiou et où tout déjà était dit. En lui disant aussi que, contre les ânes et leur problème avec la soif, le haussement d’épaules est indiscutablement la solution de meilleure rationalité.

      Mais que pouvait-on attendre de l’organe du visage humain ? Tout bien réfléchi, rien d’autre qu’un hommage — un véritable hommage. Celui que rend sans le savoir l’ordre à tous ceux qui ont entrepris sérieusement de s’en prendre à lui. À côté de tant de rampants qui se roulent à ses pieds pour avoir ses faveurs et ses expositions, pour pousser leur petite affaire, intellectuelle, artistique ou politique, il en reste quelques-uns à qui l’ordre ne convient pas et à qui ils ont décidé de ne pas convenir à leur tour. Du coin des lèvres, comme si de rien n’était, hypocrisie oblige, Libération crache sur sa bière ? C’est toujours un honneur que de se trouver démonétisé à la Bourse des fausses valeurs. Nous disons en tout cas que c’est le plus bel hommage qu’on pouvait rendre à Éric, et qu’il est décidément pour toujours notre ami.

      Frédéric Lordon

    • Mais que pouvait-on attendre de l’organe du visage humain ?
      [ #Libération :)))) ] Tout bien réfléchi, rien d’autre qu’un hommage — un véritable hommage. Celui que rend sans le savoir l’ordre à tous ceux qui ont entrepris sérieusement de s’en prendre à lui. À côté de tant de rampants qui se roulent à ses pieds pour avoir ses faveurs et ses expositions, pour pousser leur petite affaire, intellectuelle, artistique ou politique, il en reste quelques-uns à qui l’ordre ne convient pas et à qui ils ont décidé de ne pas convenir à leur tour. Du coin des lèvres, comme si de rien n’était, hypocrisie oblige, Libération crache sur sa bière ? C’est toujours un honneur que de se trouver démonétisé à la #Bourse-des-fausses-valeurs . Nous disons en tout cas que c’est le plus bel hommage qu’on pouvait rendre à Éric, et qu’il est décidément pour toujours notre ami.

      Frédéric Lordon

  • Frédéric Lordon : « La fin de l’innocence »
    Intervention de Frédéric Lordon au meeting juif international du 30 mars 2024 – Table 4 « Faire bloc contre la répression et le tournant autoritaire en France » - UJFP
    https://ujfp.org/frederic-lordon

    (...) les bourgeoisies occidentales sont viscéralement du côté d’Israël. Les bourgeoisies occidentales considèrent que la situation d’Israël est intimement liée à la leur, liaison imaginaire, à demi-consciente qui, bien plus qu’à de simples affinités sociologiques (entre startup nations par exemple), doit souterrainement à un principe de double sympathie, lui parfaitement inavouable : sympathie pour la domination, sympathie pour le racisme – qui est peut-être la forme la plus pure de la domination, donc la plus excitante pour les dominants. Deux sympathies qui se trouvent exaspérées quand la domination entre en crise : crise organique dans les capitalismes, crise coloniale en Palestine, c’est-à-dire quand les dominés se soulèvent de n’en plus pouvoir, et que les dominants sont prêts à l’écrasement pour réaffirmer.

    Cependant il y a plus encore, bien plus profond et plus fascinant pour les bourgeoisies occidentales – je dois cette idée à Sandra Lucbert, qui a vu ce point précis en élaborant le mot que je crois décisif : innocence. Le point de fascination de la bourgeoisie occidentale, c’est l’image d’Israël comme figure de la domination dans l’innocence, c’est-à-dire comme « point fantasmatique réalisé »(1). Dominer sans porter la souillure du Mal est le fantasme absolu du dominant. Car « dominer en étant innocent est normalement un impossible ; or Israël réalise cet impossible ; et en offre le modèle aux bourgeoisies occidentales »(2). (...)

  • Game of drones, par Philippe Leymarie (Les blogs du Diplo, 17 avril 2024)
    https://blog.mondediplo.net/game-of-drones

    Les guerres récentes ont marqué le retour de l’artillerie classique, des mines, des blindés, des bombardements, des tranchées, des tunnels… Elles sont surtout aujourd’hui, sur le plan aérien, le terrain de jeu des drones, engins sans pilote le plus souvent armés : vecteurs essentiels des attaques sur le théâtre russo-ukrainien depuis deux ans, ils ont été le principal instrument de l’attaque iranienne contre le territoire israélien dans la nuit du 13 au 14 avril 2024.

    #armement #technologie #drone_kamikaze

  • Olivier Cyran sur X : « Le drone tueur qui diffuse des pleurs de bébé pour attirer les morts de faim hors de leur cachette et pouvoir les exécuter plus facilement. Dire que cette chose a été pensée, conçue, fabriquée et mise en service par des gens certainement fiers d’avoir si bien fait leur travail. » / X
    https://twitter.com/OlivierCyran/status/1780657225054482566

    War on Gaza : Israeli drones lure Palestinians with crying children recordings then shoot them | Middle East Eye
    https://www.middleeasteye.net/news/disturbing-recordings-crying-infants-played-israeli-quadcopters-lure-

  • La fin de l’innocence, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 15 avril 2024)
    https://blog.mondediplo.net/la-fin-de-l-innocence

    […] Que le poisson pourrisse par la tête, c’est même deux fois vrai. Car on peut d’abord entendre la tête en un sens métaphorique : la tête, ce sont les dirigeants et plus généralement les dominants — et à cet étage, en effet, la pourriture est désormais partout. Mais on peut aussi l’entendre en un sens métonymique : la tête : comment ça pense — dans l’événement ; la tête : les opérations de pensée, et en l’occurrence plutôt le dérèglement des opérations de pensée — en fait : l’effondrement des normes qui sont supposées les gouverner.

    Ici, l’effondrement des formes de l’argumentation n’est pas imputable à la bêtise pure (qui fait rarement une bonne hypothèse) : il est imputable à la bêtise intéressée. Les intérêts matériels déterminent, même si c’est par une médiation très étirée (jusqu’à en être méconnaissable), des intérêts de pensée, ou disons des inclinations à penser comme ceci et à interdire de penser comme cela. C’est ici même que la tête pourrie du poisson articule ses deux sens : la violence du front bourgeois (c’était la métaphore) déchaînée dans l’imposition de ses formes de pensée (c’était la métonymie).

    […] les bourgeoisies occidentales sont viscéralement du côté d’Israël. Les bourgeoisies occidentales considèrent que la situation d’Israël est intimement liée à la leur, liaison imaginaire, à demi-consciente qui, bien plus qu’à de simples affinités sociologiques (entre start-up nations par exemple), doit souterrainement à un principe de double sympathie, lui parfaitement inavouable : sympathie pour la domination, sympathie pour le racisme — qui est peut-être la forme la plus pure de la domination, donc la plus excitante pour les dominants. Deux sympathies qui se trouvent exaspérées quand la domination entre en crise : crise organique dans les capitalismes, crise coloniale en Palestine, c’est-à-dire quand les dominés se soulèvent de n’en plus pouvoir, et que les dominants sont prêts à l’écrasement pour réaffirmer.

    Cependant, il y a plus encore, bien plus profond et plus fascinant pour les bourgeoisies occidentales – je dois cette idée à Sandra Lucbert, qui a vu ce point précis en élaborant le mot que je crois décisif : innocence. Le point de fascination de la bourgeoisie occidentale, c’est l’image d’Israël comme figure de la domination dans l’innocence, c’est-à-dire comme « point fantasmatique réalisé » (1). Dominer sans porter la souillure du Mal est le fantasme absolu du dominant. Car « dominer en étant innocent est normalement un impossible. Or Israël réalise cet impossible ; et en offre le modèle aux bourgeoisies occidentales » (2).

    • L’effort pour ne pas voir

      Les humains ont plusieurs moyens pour ne pas regarder en face leur propre violence et pouvoir s’établir dans l’innocence quoiqu’en se livrant à toutes leurs autres passions, notamment à leurs passions violentes, à leurs passions de domination. Le premier consiste à dégrader les autres humains sur qui ces passions s’exercent : ils ne sont pas véritablement des humains. Par conséquent le mal qu’on leur fait est, sinon un moindre mal, un mal moindre. En tout cas il n’est certainement pas le Mal, et l’innocence n’est pas entamée.

      Le deuxième moyen, sans doute le plus puissant et le plus communément applicable, est le déni. C’est à cela par exemple que ne cesse de servir la catégorie de « terrorisme ». Elle est une catégorie faite pour empêcher de penser, pour écarter la pensée, et notamment la pensée que ex nihilo nihil : que rien ne sort de rien. Que les événements ne tombent pas du ciel. Qu’il y a une économie générale de la violence, qu’elle fonctionne à la réciprocité négative, c’est-à-dire la réciprocité pour le pire, et qu’on pourrait en paraphraser le principe selon Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout revient. Les innombrables, les ahurissantes violences infligées au peuple palestinien depuis presque quatre-vingts ans étaient vouées à revenir. Seuls ceux qui, pour toute opération intellectuelle, ne possèdent que la condamnation étaient assurés de ne rien voir venir avant ni de ne rien comprendre après. Or il est des cas où ne pas comprendre n’est pas une faiblesse de l’intellect mais un tour de la psyché : son impératif catégorique. Il faut ne pas comprendre pour pouvoir ne pas voir : ne pas voir qu’on a part à la causalité – par conséquent qu’on n’est pas si innocent.

      Avoir voulu faire commencer au 7 octobre la séquence d’après le 7 octobre est la malversation intellectuelle la plus vicieuse et la plus caractéristique de ce type général de situation, malversation à laquelle ne pouvaient adhérer que des innocents ontologiques, et tous ceux qui, les enviant, adorent croire avec eux aux effets sans cause. Il ne faut même pas s’étonner que ceux-là, après ça, continuent d’utiliser sans ciller le mot terrorisme pour parler d’écoterroristes ou de terrorisme intellectuel, quand ils devraient se cacher sous terre, écrasés par une honte sacrilège. Ils ne respectent même pas les morts dont ils affectent d’honorer la mémoire et de soutenir la cause. Mais c’est que « terrorisme » est le bouclier de l’innocence bourgeoise et de l’innocence occidentale.

      La situation du mot antisémitisme s’analyse dans des coordonnées très similaires. Dans ses usages, il faudrait plutôt dire dans ses dévoiement présents — qui évidemment n’en épuisent pas tous les cas, puisque de l’antisémitisme, il y en a ! —, dans ces dévoiements présents, donc, l’accusation est faite pour être tournée contre tous ceux qui auraient le projet offensant de rétablir les causalités — et voudraient donc mettre en cause l’innocence.

      Abaissements

      En tout cas, la pourriture par la tête c’est d’abord ça : la corruption intéressée des catégories et des opérations de pensée — parce que ce qu’il y a à protéger est trop précieux. C’est la corruption des catégories, et c’est par conséquent l’abaissement — en de nombreuses instances on pourrait même dire l’avilissement — du débat public. Ça n’est pas un hasard que le poisson pourri ait parlé par la bouche d’Attal puisque cet avilissement est l’un des produits les plus typiques du processus de fascisation dans lequel le macronisme, soutenu par la bourgeoisie radicalisée, a engagé le pays. Un processus qu’on reconnaît à l’empire croissant du mensonge, de la déformation systématique des propos, de la désinformation ouverte, voire de la fabrication pure et simple. Avec, comme il se doit, la collaboration, au moins au début, de tous les médias bourgeois. Un processus qu’on reconnaît donc aussi à sa manière d’arraisonner le débat public en lui imposant ses passages obligés et ses sens interdits.

      Tous les dénis et toutes les compromissions symboliques du monde cependant, toutes les intimidations et toutes les censures, ne pourront rien contre l’énorme surgissement de réel qui vient de Gaza. De quoi le camp du soutien inconditionnel se rend-il solidaire, et à quel prix, c’est ce que lui-même, obnubilé par ses points de réaffirmation, n’est à l’évidence plus capable de voir. Pour tous les autres qui n’ont pas complètement perdu la raison et l’observent, effarés, la perdition idéologique où sombre le gouvernement israélien est sans fond, entre racialisme biologique et eschatologie messianique. Ce que nous savions avant le 7 octobre, et en toute généralité, c’est que les projets politiques eschatologiques sont nécessairement des projets massacreurs. Dont acte.

      Comme l’a montré Illan Papé, le propre d’une colonisation quand elle est de peuplement, c’est qu’elle enveloppe l’élimination de toute présence du peuple occupé — dans le cas du peuple palestinien soit par l’expulsion-déportation, soit, nous le savons maintenant, par le génocide. Ici comme en d’autres occasions pourtant dûment archivées par l’Histoire, la déshumanisation aura de nouveau été par excellence le trope justificateur et permissif de la grande élimination — et nous en avons désormais d’innombrables attestations, aussi bien dans les bouches officielles israéliennes que dans le flot boueux des témoignages de réseaux sociaux, sidérants de monstruosité heureuse et d’exultation sadique. Voilà ce qui surgit quand le voile de l’innocence est levé, et comme toujours, ça n’est pas beau à voir.

      Un point, dans ce paysage d’annihilation, retient l’attention, c’est la destruction des cimetières. C’est peut-être à cela qu’on reconnait le mieux les projets d’éradication totale : à leur jouissance portée jusqu’à l’annihilation symbolique qui, si c’est un paradoxe, n’est pas sans faire penser aux termes du herem de Spinoza (4) : « Que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais ». En l’occurrence, ça n’a pas été une réussite. Ça ne le sera pas davantage ici.

      Bascule

      De tous ces éléments on peut d’ores et déjà faire la récapitulation en faisant voir le tableau qui en émerge. C’est le tableau d’un suicide moral. Jamais sans doute on n’aura vu dilapidation aussi fulgurante d’un capital symbolique qu’on croyait inattaquable, celui qui s’était constitué autour du signifiant Juif après la Shoah.

      Mais, solidarité pour le pire oblige, l’heure des comptes symboliques s’apprête à sonner pour tout le monde, notamment pour cette entité qui se fait appeler l’Occident en revendiquant le monopole de la civilisation, et qui aura surtout répandu la violence et la prédation enrobées dans ses principes avantageux. Supposé qu’il ait jamais flotté, son crédit moral est désormais envoyé par le fond lui aussi. Il faut l’arrogance des dominants bientôt déchus mais qui ne le savent pas encore pour croire pouvoir soutenir sans dommage ce qu’ils soutiennent actuellement. Des gens qui demeurent ainsi passifs, souvent complices, parfois même négateurs d’un crime aussi énorme, en train de se commettre sous leurs yeux et sous les yeux de tous, des gens de cette espèce ne peuvent plus prétendre à rien. Le monde entier regarde Gaza mourir, et le monde entier regarde l’Occident regardant Gaza. Et rien ne lui échappe.

      On a immanquablement à ce moment une pensée pour l’Allemagne, où le soutien inconditionnel atteint un degré de délire tout à fait stupéfiant, jusqu’au point d’être fait « raison d’État », et dont un internaute à l’humour noir a pu dire : « Décidément, en matière de génocide, ils sont toujours du mauvais côté de l’Histoire ». Il n’est pas certain que « nous » — la France — valions beaucoup mieux, mais il est certain que l’Histoire attend tout le monde au tournant. L’Histoire, en effet : voilà avec quoi l’Occident a rendez-vous à Gaza. Si, comme il n’est pas interdit de le penser, c’est le rendez-vous de sa déchéance et de sa destitution, alors viendra bientôt un temps où nous pourrons nous dire que le monde a basculé à Gaza.

  • Butler, Alimi et l’« éthique » | par Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/butler-alimi-et-l-ethique

    L’intervention il y a un mois de Judith Butler n’en finit donc pas de produire du remous. Judith Butler a dit « résistance » — et pu mesurer ce qui s’en est suivi. Arié Alimi lui rétorque « éthique de la résistance ». On a compris le fond de l’affaire : il va s’agir de juger — donc de condamner. C’est à ça que servait « terrorisme » : à produire de la condamnation, dont l’unique fonction est que rien ne puisse être ajouté derrière elle. Mais « terrorisme » c’est du niveau de Macron, BHL ou Léa Salamé. Entre intellectuels, on passera donc par l’éthique et la philosophie morale. Car pour émettre de la condamnation bien fondée, il faut disposer d’une norme du juste et de l’injuste. Voilà à quoi Alimi ramène Butler. Disons que Judith Butler n’était pas entièrement à l’abri d’une objection de cette nature. Objectivement, une partie de sa propre philosophie l’appelle. C’est la possibilité de ce porte-à-faux qu’Arié Alimi a utilisée.

    La philosophie morale a toute sa dignité, et la réflexion éthique son domaine propre, ça va sans dire. Elle devient problématique quand elle sort de son ordre, comme dirait Pascal, et qu’elle entend annexer, ou au moins détourner, la lecture d’un événement qui appartient en première instance à un autre registre, entre autres celui de la philosophie politique.

    Il n’est pas fortuit que le mot « éthique » ait proliféré ces dernières décennies, et nous savons parfaitement à quoi cette prolifération a servi : à une vaste entreprise de dépolitisation. Dont le capitalisme néolibéral aura été le premier lieu, pour ne pas dire le premier bénéficiaire. Les entreprises sont éthiques, la finance est éthique ; comme Total, Orpéa a un comité d’éthique ; notre consommation devrait être éthique, notre tri des déchets aussi.

    Il ne s’agit pas de dire que la philosophie éthique est tout entière de cette eau de vaisselle. Mais qu’il y a un climat intellectuel général, et que, même à distance, la philosophie en enregistre les effets, dans les problèmes qu’elle choisit de se poser. La pensée politique également. Dont les lignes de réflexion immédiate s’en trouvent pré-orientées, sans qu’elle en ait toujours grande conscience. C’est pourquoi, le plus souvent, quand nous entendons « éthique », nous devrions dresser l’oreille : il se pourrait qu’il y ait du problème absurdement posé dans l’air. À l’évidence, avec l’objection qu’Alimi fait à Butler, nous y sommes en plein. Ça n’est pas tant qu’« éthique de la résistance » sonne comme un moyen de gagner sur tous les tableaux — on a dit résistance, mais on ajoute qu’il faut que ça demeure raisonnable. C’est qu’à mettre aussitôt le mot « éthique », toute lecture strictement positive, c’est-à-dire causale, de l’événement se trouve distordue, en fait empêchée, par rabattement immédiat dans la logique du jugement.

    Or il faut d’abord produire cette lecture positive, et la produire jusqu’au bout, au moins pour s’éviter le ridicule scolastique du jugement éthique suspendu dans les airs. Il se trouve que, là où on nous répète ad nauseam que tout est complexe, cette lecture est non seulement accessible mais tragiquement simple. Elle part de l’hypothèse que, parmi les combattants du Hamas le 7 octobre, il n’y en avait probablement pas un qui n’avait souffert antérieurement l’assassinat par Israël de ses êtres les plus chers, qui n’avait tenu dans ses bras le corps d’un enfant, d’un parent, d’un époux ou d’une épouse aimés, déchiquetés par les balles ou écrasés par les bombes. Que fait un individu qui est passé par là ? Il s’engage. Il s’engage dans une cause plus grande que lui, qui dépasse ses propres mobiles, mais qui s’alimente aussi de ces mobiles. Il s’engage parce qu’avant de vouloir la libération nationale, il a voulu la vengeance. Or la vengeance n’est pas juste, elle n’est pas éthique : elle est la vengeance. Et elle est sanguinaire. Celui qui veut la vengeance est possédé de rage meurtrière.

    En 75 ans, Israël a produit de la rage vengeresse à l’échelle d’un pays entier – et l’on préfère ne pas penser à ce que les événements actuels sont en train d’y ajouter. On comprend assez bien qu’en mettant bout à bout tous ces destins brisés, devenus autant de destins vengeurs, il risque tôt ou tard de s’en suivre des choses terribles. Abominables, possiblement. Et l’on voit au passage, qu’il n’y a aucun besoin d’invoquer de l’éthique pour en être horrifié, ou bien une éthique minimale seulement, du simple respect de toute vie humaine. Car oui, les crimes du 7 octobre nous laissent horrifiés. On se souvient des derniers mots de Kurz dans Au cœur des ténèbres : « horreur, horreur ». Et Conrad ne fait pas de l’éthique.

    Nous savions que, dans l’ordre des opérations intellectuelles, condamner est radicalement hétérogène à comprendre, auquel il fait obstacle la plupart du temps. Mais nous voyons que, à l’intérieur même des sentiments moraux, condamner se distingue d’être horrifié. On a besoin d’un équipement éthique somme toute modique, sans grand appareil normatif du juste et de l’injuste, pour être horrifié. L’éthique n’est nullement indispensable à produire ce qu’elle se croit seule à même de produire : le sentiment d’être horrifié. Ce sentiment ne naît pas d’une réflexion préalable sur le juste et l’injuste. L’horreur n’est pas justifiée ou injustifiée : elle est l’horreur.

    La grammaire de la justification n’est pas seulement superflue ici : elle est une impasse intellectuelle. Alimi écrit à l’adresse de Butler que « la contestation des termes de terrorisme et d’antisémitisme va dans le sens d’une justification politique et morale des actes du 7 octobre ». Tout est faux dans cette phrase, entendre : tout est absurde, rien n’a de sens, tout est construit de travers – et surtout tout est parfaitement scandaleux. Finalement « terrorisme » n’était pas réservé à BHL et Léa Salamé.

    Sans surprise, Alimi cite alors Sartre — qui a « justifié » le septembre noir des JO de 1972. Il aurait dû citer Fanon — que Sartre pourtant a préfacé. Fanon lui ne justifie rien. Il ne fait pas de l’éthique : il fait de la physique décoloniale. Il dit : voilà comment ça va se passer, et voilà pourquoi. En d’autres termes, il est matérialiste. Être matérialiste c’est analyser un paysage de forces, saisir comment elles se déterminent mutuellement, anticiper dans quel sens probable leur résultante pourra emmener, et si cette résultante ne nous plaît pas réfléchir à l’intervention d’une force supplémentaire qui n’était pas dans le paysage de départ mais qui pourrait en changer la dynamique d’ensemble. Voilà ce qu’est être matérialiste.

    Le drame de la pensée éthique c’est qu’elle est indécrottablement idéaliste et individualiste. Alors elle va en appeler à des principes, imaginant qu’ils ont quelque force propre, et puis à l’effort des individus. À leur effort éthique, à leur discernement en matière de juste et d’injuste. Si quelqu’un se sent d’aller donner des recommandations éthiques à Gaza en ce moment, qu’il n’hésite pas à se faire connaître, on le regarde. À défaut de faire le voyage et comme, inévitablement, l’éthique, une fois lâchée, prolifère, Alimi en appelle maintenant à celle « de l’intellectuelle ». Bien sûr, pour sommer l’intellectuelle de ne plus dire « résistance » sans la soumettre à une éthique de la résistance. On pourrait aussi considérer que si, par extraordinaire, de l’éthique pouvait trouver sa place dans la situation présente, elle devrait davantage être laissée à ceux qui y souffrent et s’y battent qu’à ceux qui regardent à distance.

    Mais tout ceci respire tellement l’humanisme bourgeois. C’est un pli, et lui aussi est indécrottable. Alimi reprend de Butler l’idée que « les moyens que nous utilisons reflètent le monde que nous voulons créer », mais pour l’affliger là encore d’un recodage éthique dont elle n’a en fait aucun besoin : on peut s’en donner une compréhension entièrement stratégique et politique.

    Contre la dynamique de la vengeance, il n’y a qu’un moyen et un seul : l’interposition d’un tiers — une institution — capable, elle, de produire de la condamnation, mais juridique, et de la réparation. Voilà, non pas le « principe éthique », mais la force à faire intervenir dans la situation.

    Sous les attendus d’une guerre de libération contre un oppresseur colonial, il y a les forces actives de la vengeance. Ce n’est pas l’invocation de principes éthiques qui pourra les modérer. La vengeance, c’est la réciprocité négative chimiquement pure, et contre la dynamique de la vengeance, il n’y a qu’un moyen et un seul : l’interposition d’un tiers — une institution — capable, elle, de produire de la condamnation, mais juridique, et de la réparation. Voilà, non pas le « principe éthique », mais la force à faire intervenir dans la situation. Or : qui a vu un tiers en Palestine ? Qui a vu de la réparation ? Typiques de toutes les situations coloniales, les arriérés de réparation s’accumulent en longue période, 75 ans en l’occurrence, promettant à l’explosion d’être plus violente à mesure que le temps passe. Et il faudrait que les Palestiniens se dotent d’une « éthique de la résistance » quand ils se soulèvent ? Mais dans quel monde vivent les gens qui peuvent dire des choses pareilles ? Le tiers est aux abonnés absents, et les puissances qui pourraient en tenir lieu ont pris outrageusement parti pour l’oppresseur. Peut-on s’étonner qu’après 75 ans les choses tournent mal, parfois même qu’elles tournent abominables.

    On n’en finit peut-être pas aussi vite. On dira par exemple que vouloir à tout prix sortir l’éthique de l’analyse finit par faire oublier ce dont elle est capable. À l’image de cet homme cruellement endeuillé lors des attentats de 2015 à Paris, qui a trouvé, on ne sait comment, la force d’écrire « Ils n’auront pas ma haine », et que c’est bien là un mouvement éthique, un admirable mouvement de l’âme même. Et c’est vrai, ça l’est. Mais voilà, on ne bâtit pas de la politique sur l’hypothèse de miracles individuels. Au reste, d’événements de cette nature, c’est le corps politique, transcendant aux individus, qui se charge, avec des moyens normalement orthogonaux à la haine et à la miséricorde : les moyens de la justice — non pas de la justice éthique mais de la justice judiciaire. Cette forme d’interposition qui fait tant défaut à Gaza.

    On dira aussi que tout ce propos est incohérent, puisqu’à la fin des fins, il prend parti — donc ne tient pas son registre de positivité jusqu’au bout. C’est vrai : il prend parti. Mais selon aucun argument de justification. On prend parti en regardant laquelle des deux colonnes de torts soufferts est la plus grande. On regarde, et la décision est vite faite. Finalement, c’est simple, simple — et laid — comme une situation coloniale : il y a un oppresseur et il y a un opprimé. D’aucuns soutiennent qu’à propos du 7 octobre toute réflexion devrait partir de « terrorisme ». Non, elle devrait partir de là.

    Frédéric Lordon

    • Fanon lui ne justifie rien. Il ne fait pas de l’éthique : il fait de la physique décoloniale. Il dit : voilà comment ça va se passer, et voilà pourquoi. En d’autres termes, il est matérialiste. Être matérialiste c’est analyser un paysage de forces, saisir comment elles se déterminent mutuellement, anticiper dans quel sens probable leur résultante pourra emmener, et si cette résultante ne nous plaît pas réfléchir à l’intervention d’une force supplémentaire qui n’était pas dans le paysage de départ mais qui pourrait en changer la dynamique d’ensemble. Voilà ce qu’est être matérialiste.

    • Dans mon souvenir ce que Fanon dit c’est que lutte de libération (et non pas tel ou tel individu) a à démont[r]er son surcroît de qualité éthique sur la domination qu’elle combat, en particulier dans l’usage de la violence (ce qui a peu à voir avec la comptabilité des torts de notre économiste de gauche).

    • Nous ne légitimons pas pour autant les réactions immédiates de nos compatriotes. Nous les comprenons, mais nous ne pouvons ni les excuser, ni les rejeter. Parce que nous voulons d’une Algérie démocratique et rénovée, parce que nous croyons qu’on ne peut pas s’élever, se libérer dans un secteur et s’enfoncer dans un autre, nous condamnons, le cœur plein de détresse, ces frères qui se sont jetés dans l’action révolutionnaire avec la brutalité presque physiologique que fait naître et qu’entretient une oppression séculaire.

      – Frantz Fanon, L’an V d la révolution algérienne, Paris, Maspero, 1966

    • On prend parti en regardant laquelle des deux colonnes de torts soufferts est la plus grande. On regarde, et la décision est vite faite. Finalement, c’est simple, simple — et laid — comme une situation coloniale : il y a un oppresseur et il y a un opprimé. D’aucuns soutiennent qu’à propos du 7 octobre toute réflexion devrait partir de « terrorisme ». Non, elle devrait partir de là.

      Frédéric Lordon

    • merci @rastapopoulos.
      On oublie trop (merci Sartre...) que Fanon fut aussi un psychiatre, d’abord au contact, à Saint-Alban, de ce qui deviendra la psychothérapie institutionnelle. De celle-ci on rappelle volontiers qu’elle se donne pour tache de soigner l’institution.
      Un mouvement de libération, processus instituant, exige lui aussi du soin. Ce n’est pas un enjeu moral mais une clé pour son devenir et c’est ce sur sur quoi Butler (son Hamas comme composante de « la gauche mondiale ») comme Lordon font allègrement l’impasse.

      #Franz_Fanon

    • En 75 ans, Israël a produit de la rage vengeresse à l’échelle d’un pays entier – et l’on préfère ne pas penser à ce que les événements actuels sont en train d’y ajouter. On comprend assez bien qu’en mettant bout à bout tous ces destins brisés, devenus autant de destins vengeurs, il risque tôt ou tard de s’en suivre des choses terribles. Abominables, possiblement.

      Mon interprétation :
      Dans les pays de « l’Occident global », nul ne pourra désormais prétendre être à l’abri de la vengeance de ceux que nos dirigeants ont laissé se faire opprimer et déposséder. Quant aux dirigeants, ils auront toute latitude de se bunkériser et de bunkériser nos esprits et nos corps. Israël a signé l’arrêt de mort de la démocratie et les veuleries de nos « démocrates » ne sont que la manifestation de ses derniers sursauts d’agonie. Bienvenue dans un monde néo-féodal.

      #brutalité #arbitraire #théocratie

    • @colporteur mais Fanon comprend, il condamne et il comprend… Car comme le dit Lordon (et c’est il me semble vrai sur ce point) Fanon fait de la « physique » coloniale, matérialiste : après des décennies d’oppression, d’horreur, de meurtres en toute impunité avec l’approbation de la plupart des nations unies qui n’ont presque rien fait en 75 ans… il est logique que les oppressés explosent (au figuré et parfois au sens propre). Ce qui était pareil pour les algériens qui n’en pouvaient plus. Fanon sait que ça ne va pas, il condamne « plein de détresse » la brutalité et l’horreur, mais il comprend la logique qui presque à coup sûr aboutit à ça. La fenêtre pour sortir par une piste moins brutale est minuscule, si elle existe… :(

  • L’étrange cyberattaque du SIAAP

    La nature précise de l’intrusion dont aurait été victime les 16 et 17 novembre derniers le plus grand acteur national de l’assainissement des eaux usées demeure des plus floues trois mois après avoir été rendue publique par le syndicat. L’affaire révèle autant d’intrigantes étrangetés que d’opportunes coïncidences.

    https://blog.mondediplo.net/l-etrange-cyberattaque-du-siaap?var_mode=calcul

  • Clarification par Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/clarification

    Paul Klee. — « Clarification », 1932.

    « Poids et mesures : vont le plus souvent par deux » — lirait-on dans le Dictionnaire des idées reçues. D’être reçue n’ôte pas nécessairement de sa pertinence à une idée. En l’espèce, celle-ci n’en a jamais tant eu.

    On s’est mis à beaucoup parler de poids et mesures avec la guerre génocidaire faite à Gaza. Il faut avouer qu’ici la métrologie à l’élastique s’est surpassée. Palestine/Israël, Ukraine/Palestine : des sommets comparatifs, défis à une anthologie de la géométrie variable – en fait à une anthologie de l’infamie politique, médiatique, et institutionnelle en tous genres.

    Cependant, il se passe là bien plus qu’un effet d’« importation ». À propos de la Palestine, Rony Braumann parle d’un pouvoir de « réverbération » de l’évènement. C’est très juste : « ça » réverbère, à travers toute la société. La conjoncture nationale et la conjoncture internationale semblent même passer littéralement l’une dans l’autre, entrer en coalescence, au point qu’on ne sait plus quel mouvement appartient à laquelle. Quand Mélenchon se fait agonir pour avoir dit que Yaël Braun-Pivet campe à Tel Aviv, de quoi s’agit-il ? De politique internationale ou de politique intérieure ? Des deux indistinctement, à l’évidence. Pourquoi ? Parce que les « deux poids, deux mesures » de Gaza surviennent dans une situation « propice » où ils font entrer tous les autres en résonance.

    • Deux poids, deux mesures.

      Louis Boyard :

      Hier, une vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux. Un homme me filme, m’insulte, me menace. Tout du long, je n’ai cherché qu’à apaiser la situation. C’est ce qu’il y avait de mieux à faire.

      Deux jours plus tard, voilà la vidéo sur les réseaux sociaux. Je pouvais m’y attendre il n’y a rien d’étonnant. Ce qui m’a le plus surpris c’est de ne voir… aucune réaction.
      Aucun journaliste indigné, aucun mot de soutien de députés de la minorité présidentielle, aucun signe de la Présidente de l’Assemblée Nationale.

      Rien d’étonnant non plus, je n’attends rien de ces gens-là. Mais en visionnant la vidéo quelque chose m’a fait mal.
      Je me suis souvenu de ce moment de Mai 2020 où il était arrivé exactement la même chose à Éric Zemmour. Mêmes insultes, mêmes menaces, mais pas les mêmes indignations.

      Voilà qui fait mal ! Lui, le raciste multi-condamné aura eu le droit à leur soutien et à leur compassion. Lui aura eu le droit à plusieurs dizaines d’heures de plateaux télé pour le pleurer. Lui a même eu droit à un appel du Président de la République ! Je n’en demande pas tant.

      J’ai dû déménager après que mon adresse ait été diffusée par l’extrême droite française. J’ai été insulté pendant dix longues minutes sur un plateau télé pour avoir critiqué Vincent Bolloré. J’ai été suivi et mes trajets détaillés. Ma famille a été directement menacée à plusieurs reprises. Trente personnes sont entrées armées et cagoulées dans une conférence que nous tenions avec Carlos Bilongo à Bordeaux.
      Il s’est déjà passé tant de choses en seulement un an et demi, alors pourquoi cette vidéo ferait réagir ceux qui n’ont jamais réagit avant ?

      L’abject Darmanin avait même instrumentalisé ma situation. Sans me demander quoi que ce soit, il annonce que je suis sous protection policière. Rien de plus faux. Je ne l’ai jamais demandé et je ne l’ai jamais vu. Un coup de communication pour mieux éteindre nos critiques de l’institution policière. Zemmour, lui, n’aura pas eu à subir cette fourberie. Il a été loyalement soutenu. Deux poids, deux mesures.

      Voilà que l’on y vient ! Deux poids deux mesures. Une expression qui résume si bien la période.
      Entre une vie Palestinienne et une vie Israélienne ; deux poids deux mesures. Entre Gérard Depardieu et la parole de ses victimes ; deux poids deux mesures. Entre le salarié licencié et le patron à qui l’on arracherait la chemise ; deux poids deux mesures. Entre le manifestant de Sainte-Soline et la multinationale pollueuse ; deux poids deux mesures. Entre un abribus cassé et un gilet jaune éborgné ; deux poids deux mesures. Entre le mot de trop venu de la gauche et le racisme banalisé venu de l’extrême droite ; deux poids deux mesures. Entre Nahel tué pour un refus d’obtempérer et son policier meurtrier devenu millionnaire ; deux poids deux mesures.

      Quelle violence. Mais aussi quelle violence symbolique. Cette liste non exhaustive le montre bien ; rien n’est épargné à notre camp social. Aucune retenue et aucun soutien de la bourgeoisie et de ses représentants politiques et médiatiques ne sont à attendre.
      Dès lors, leur silence quant à mon cas me rassure. A leurs yeux je ne fais pas partie de leur caste. Quel bonheur ! Je m’inquiéterais quand ils feront preuve d’empathie à mon égard.

      Le combat politique est difficile pour chaque militante et chaque militant de notre camp. Chaque jour un seuil est franchi, on se demande quand cette montée en tension va s’arrêter. Elle ne s’arrêtera que le jour de notre victoire ; même dans le pire nous ne cesserons jamais de lutter.

      Aujourd’hui je pense à toutes celles et ceux qui n’ont pas la chance d’être du bon côté du deux poids deux mesures. Notre solidarité est pleine et entière et nous ne nous habituerons jamais.

      Soutien et solidarité à vous aussi.

      Louis Boyard

      https://twitter.com/LouisBoyard/status/1749115701002895471

    • Le mouvement agricole a permis de faire une démonstration politique de masse. On se souvient des accusations « d’écoterrorisme » contre les militants et la tentative de dissolution des « soulèvements de la terre » à propos des bassines ! Ici, rien de semblable. Le gouvernement, les médias, les chroniqueurs ne pipent mot. Donc le mouvement des agriculteurs a fait reculer les appels à la violence policières et judiciaires habituelles du pouvoir macroniste comme on les avait constatés face aux gilets jaunes et aux révoltes urbaines. Tout le monde voit des autoroutes bloquées, un bâtiment public explosé, des voies de chemin de fer comme l’accès à une centrale nucléaire bloqués, des arbres coupés. Ni les médias ni les responsables politiques « n’appellent au calme ». Ainsi la raison et le droit à la dignité des gens commencent à être prioritaires dans la parole publique pour régler une crise. Ou bien faudrait croire que les donneurs de leçons de morale d’hier, leurs leçons, la classe médiatique qui les a relayés sans limite et qui se tait à présent, est faite de manipulateurs sans vergogne. Faisons le pari de croire à leur bonne foi et à leur compréhension désormais de la vigoureuse stratégie de la conflictualité portée par les agriculteurs. D’ailleurs le pouvoir macroniste recommande publiquement « la plus extrême modération » à la police. Comment ne pas approuver cette consigne. Personne ne doit être abattu pour « refus d’obtempérer ». Pas d’œil crevé non plus, pas de comparution immédiate, pas de recommandations pour condamner à de la prison ferme. Comme je l’avais fait avec mes camarades à l’époque des révoltes urbaines, il faut faire triompher d’abord la justice sociale si l’on veut retrouver la concorde civile.

      Nous allons voir à présent comment le Waouuuu super Premier ministre va faire face au problème grâce à son jeune âge et ses talents de communicants déjà mille fois célébré par les médias enamourés. Macron ferait bien de se préparer à trouver une idée de « grand débat » supplémentaire ou des « chèques survie agricole » selon son inépuisable habitude des pratiques cosmétiques. Mais ce temps-là est passé, je crois bien. Et je m’en réjouis. Le pays regarde et réfléchi. Il finira par comprendre ce que veut dire le libéralisme, la concurrence « libre et non faussée », le libre échange sans règle sanitaire, l’élargissement sans fin de l’union européenne et la financiarisation de l’agriculture : le chaos. Un ordre nouveau est à construire et il peut faire un avenir en commun pour notre pays.

      Jlm
      https://melenchon.fr/2024/01/25/cause-commune-avec-le-mouvement-des-agriculteurs

    • « Le Parti des Médias n’a pas compris que la ’’satire’’ n’est pas morte à cause du ’’fanatisme’’ mais du double discours.

      Les dessins ou chansons contre la police sont déjà censurés depuis longtemps. Le soutien à la Palestine est comparé à une ’’apologie de terrorisme’’. »

      https://twitter.com/ContreAttaque_/status/1767470801316425841

      https://seenthis.net/messages/1045381#message1045498

      Meriem Laribi : La France, ce pays où une dessinatrice @cocoboer peut associer arabes et rats, où elle peut se moquer d’enfants affamés jusqu’à la mort dans une publication de « gauche » mais où un humoriste, G.Meurice, ne peut pas dire que Netanyahou est une sorte de nazi sans prépuce.

  • La Belle Étoile de Jolie Môme

    https://blog.mondediplo.net/la-belle-etoile-de-jolie-mome

    La Ville de Saint-Denis a lancé un appel à projet, concernant l’attribution pour cinq ans de l’occupation de « la salle dite de la Belle Étoile », que la compagnie Jolie Môme a (ré)inventée et fait vivre depuis 2004. La décision vient d’être prise : Jolie Môme n’est pas retenue. L’affaire paraît banale. Elle ne l’est pas. Elle est même un remarquable symbole d’une entreprise généralisée de liquidation, celle des liens entre le théâtre et le politique, celle de l’esprit de la « décentralisation » menée dans la lignée du programme du Conseil national de la Résistance (CNR).

    Que voulait donc la municipalité à majorité socialiste, qui a succédé à l’été 2020 à la majorité communiste, jusqu’alors régulièrement réélue depuis 1944 ? Un projet « culturel, artistique et citoyen ». Bon, c’est du vide classique, dans les mots du néolibéralisme. Culturel et artistique, on entrevoit vaguement ce que ça veut dire. Vraiment vaguement d’ailleurs, et c’est probablement l’idée sous-jacente, on mettra dans ce vide ce que les décideurs auront décidé d’y mettre. C’est tout l’intérêt de ces formules. Une précision apparaît plus importante : le travail de la compagnie devra être en « adéquation avec la politique culturelle de la ville ». Si la mairie était à l’extrême droite, il est probable qu’on se demanderait avec émoi s’il ne s’agit pas là d’une mise sous tutelle idéologique. Voire, si on a mauvais esprit, d’une censure préalable.

    #municipalités_de_gauche

    Dommage qu’ils n’aient rien de mieux à proposer que d’envoyer les gens sur change.org

  • Guerre de l’eau en Ile-de-France : l’hiver du patriarche

    Le processus de renouvellement et d’attribution à un opérateur privé du plus grand marché européen de distribution d’eau, évalué à 4,3 milliards d’euros sur une durée de 12 ans, tourne au chemin de croix pour le syndicat présidé depuis 1983 par André Santini, ancien ministre et maire d’Issy-les-Moulineaux (92), et dont Veolia est concessionnaire sans discontinuer depuis 1923.

    Lire la suite :

    https://blog.mondediplo.net/guerre-de-l-eau-en-ile-de-france-l-hiver-du

  • Catalyse totalitaire

    Il y a une économie générale de la #violence. Ex nihilo nihil : rien ne sort de rien. Il y a toujours des antécédents. Cette économie, hélas, ne connaît qu’un principe : la #réciprocité – négative. Lorsque l’#injustice a été portée à son comble, lorsque le groupe a connu le #meurtre_de_masse et, pire peut-être, l’#invisibilisation du meurtre de masse, comment pourrait-il ne pas en sortir une #haine vengeresse ? Les rationalités stratégiques – faire dérailler la normalisation israélo-arabe, réinstaller le conflit israélo-palestinien sur la scène internationale –, si elles sont réelles, n’en ont pas moins trouvé parmi leurs ressources le carburant de la vengeance meurtrière.

    « #Terrorisme », mot-impasse

    La FI n’a pas commis les erreurs dont on l’accuse. Mais elle en a commis. Une – et de taille. Dans un événement de cette sorte, on ne se rend pas directement à l’analyse sans avoir d’abord dit l’#effroi, la #stupeur et l’#abomination. Le minimum syndical de la #compassion ne fait pas l’affaire, et on ne s’en tire pas avec quelques oblats verbaux lâchés pour la forme. Quand bien même ce qui est donné au peuple palestinien ignore jusqu’au minimum syndical, il fallait, en cette occurrence, se tenir à ce devoir – et faire honte aux prescripteurs de la compassion asymétrique.

    Ce manquement, réel, a cependant été saisi et déplacé pour se transformer dans le débat public en un point de sommation, d’abjuration même, sur lequel la FI, cette fois, a entièrement raison de ne pas céder : « terrorisme ». « Terrorisme » devrait-il être, comme l’affirme Vincent Lemire, « le point de départ du #débat_public » ? Non. Il n’en est même pas le point d’arrivée : juste le cul-de-sac. « Terrorisme » est un mot impasse. C’est ce que rappelle Danièle Obono, et elle a raison. Fait pour n’installer que la perspective de l’éradication et barrer toute analyse politique, « terrorisme » est une catégorie hors-politique, une catégorie qui fait sortir de la #politique. La preuve par Macron : « unité de la nation » et dérivés, 8 occurrences en 10 minutes de brouet. Suspension des conflits, neutralisation des différends, décret d’unanimité. Logiquement : les manifestations de soutien au peuple palestinien sont des manifestations de soutien au terrorisme, et même des manifestations terroristes, en conséquence de quoi elles sont interdites.

    Concéder « terrorisme », c’est annuler que ce qui se passe en Israël-Palestine est politique. Au plus haut point. Même si cette politique prend la forme de la #guerre, se poursuivant ainsi par d’autres moyens selon le mot de Clausewitz. Le #peuple_palestinien est en guerre – on ne lui a pas trop laissé le choix. Une entité s’est formée en son sein pour la conduire – d’où a-t-elle pu venir ? « On a rendu Gaza monstrueux », dit Nadav Lapid. Qui est « on » ?

    Sans avoir besoin de « terrorisme », « guerre » et « #crimes_de_guerre » sont hélas très suffisants à dire les combles de l’horreur. Très suffisants aussi à dire les #massacres abominables de civils. Si dans la guerre, qui est par principe #tuerie, on a forgé sans pléonasme la catégorie de « crimes de guerre », c’est bien pour désigner des actes qui font passer à une chose atroce en soi d’autres paliers d’#atrocité. C’est le moment de toute façon où il faut faire revenir l’#économie_générale_de_la_violence : des #crimes qui entraînent des crimes – des crimes qui ont précédé des crimes. L’acharnement à faire dire « terrorisme » ne satisfait que des besoins passionnels – et aucune exigence intellectuelle.

    En réalité, « terrorisme » et « crimes de guerre » sont deux catégories qui ne cessent de passer l’une dans l’autre, et ne dessinent aucune antinomie stable. Hiroshima est, à la lettre, conforme à la définition ONU du terrorisme : tuer des civils qui ne sont pas directement parties à des hostilités pour intimider une population ou contraindre un gouvernement à accomplir un certain acte. A-t-on entendu parler de terrorisme pour la bombe d’Hiroshima ? Et pour Dresde ? – comme Hiroshima : terroriser une population en vue d’obtenir la capitulation de son gouvernement.

    Mais pour ceux qui, dans la situation présente, en ont fait un point d’abjuration, « terrorisme » a une irremplaçable vertu : donner une violence pour dépourvue de #sens. Et de #causes. Violence pure, venue de nulle part, qui n’appelle rigoureusement aucune autre action que l’extirpation, éventuellement dans la forme relevée de la croisade : le choc des civilisations, l’axe du Bien, à laquelle il n’y a aucune question à poser. Il est vrai qu’ici nous naviguons en eaux vallsiennes où #comprendre est contradictoire avec s’émouvoir, et vient nécessairement en diminution du sentiment d’horreur, donc en supplément de complaisance. L’empire de la bêtise, comme une marée noire, n’en finit plus de s’étendre.

    La #passion de ne pas comprendre

    Surtout donc : ne pas comprendre. Ce qui demande un effort d’ailleurs, car l’évidence est massive et, avoir les yeux ouverts suffit – pour comprendre. Un peuple entier est martyrisé par une #occupation, ça fait bientôt 80 ans que ça dure. On les enferme, on les parque à les rendre fous, on les affame, on les tue, et il n’est plus une voix officielle pour en dire un mot. 200 morts depuis dix mois : pas un mot – entendre : qui se comparerait, même de loin, aux mots donnés aux Israéliens. Des témoignages vidéos à profusion des crimes israéliens encore frais : pas un mot. Des marches palestiniennes pacifiques à la frontière, 2018, 200 morts : pas un mot. Des snipers font des cartons sur les rotules, 42 en une après-midi, pas mal : mais pas un mot – si : « l’armée la plus morale du monde ». D’anciens militaires de l’armée la plus morale du monde expriment le dégoût, l’inhumanité de ce qu’on leur a fait faire aux Palestiniens : pas un mot. À chacune des #abominations du Hamas ce week-end, on en opposerait tant et plus commises par les militaires ou les colons – à peine quelques rides à la surface de l’eau. Les tragédies israéliennes sont incarnées en témoignages poignants, les tragédies palestiniennes sont agglomérées en statistiques. En parlant de statistique : on voudrait connaître la proportion des hommes du Hamas passés à l’attaque ce week-end qui ont tenu dans leurs mains les cadavres de leurs proches, des corps de bébés désarticulés, pour qui la vie n’a plus aucun sens – sinon la vengeance. Non pas « terrorisme » : le métal en fusion de la vengeance coulé dans la lutte armée. L’éternel moteur de la guerre. Et de ses atrocités.

    En tout cas voilà le sentiment d’injustice qui soude le groupe. Une vie qui ne vaut pas une autre vie : il n’y a pas de plus haute injustice. Il faut être épais pour ne pas parvenir à se représenter ça – à la limite, même pas par humaine compréhension : par simple prévoyance stratégique. Qu’un martyre collectif soit ainsi renvoyé à l’inexistence, que les vies arabes se voient dénier toute valeur, et que ceci puisse rester indéfiniment sans suite, c’était une illusion de colonisateur.

    Bloc bourgeois et « importation »

    Maintenant le fait le plus frappant : tout l’Occident officiel communie dans cette illusion. En France, à un degré étonnant. On s’y inquiète beaucoup des risques d’« #importation_du_conflit ». Sans voir que le conflit est déjà massivement importé. Bien sûr, « importation du conflit » est un mot à peine codé pour dire indifféremment « Arabes », « immigrés », « banlieues ». Mais le canal d’importation réel n’est pas du tout celui-là, il est sous nos yeux pourtant, large comme Panama, bouillonnant comme une conduite forcée : le canal d’importation-du-conflit, c’est le bloc bourgeois (Amable et Palombarini ©). Tout son appareil, personnel politique, éditocratie en formation serrée, médias en « édition spéciale », s’est instantanément déclenché pour importer. Pourquoi le point de fixation sur le terrorisme ? Pour la FI bien sûr – nous y revoilà. Cette fois-ci cependant avec un nouveau point de vue : le point de vue de l’importation intéressée. Le bloc bourgeois quand il fait bloc derrière Israël à l’extérieur saisit surtout l’occasion de faire bloc contre ses ennemis à l’intérieur.

    Il faudrait ici une analyse de la solidarité réflexe du #bloc_bourgeois avec « Israël » (entité indifférenciée : population, Etat, gouvernement) et des affinités par lesquelles elle passe. Des affinités de bourgeois : le même goût de la démocratie frelatée (bourgeoise), la même position structurale de dominant (dominant national, dominant régional), les mêmes représentations médiatiques avantageuses, ici celles d’Israël comme une société bourgeoise (start-ups et fun à Tel Aviv). Tout porte le bloc bourgeois à se reconnaître spontanément dans l’entité « Israël », partant à en épouser la cause.

    Et le bloc bourgeois français est plus israélien que les Israéliens : il refuse qu’on dise « #apartheid » alors que des officiels israéliens le disent, il refuse de dire « Etat raciste » alors qu’une partie de la gauche israélienne le dit, et qu’elle dit même parfois bien davantage, il refuse de dire la #responsabilité écrasante du gouvernement israélien alors qu’Haaretz le dit, il refuse de dire la politique continûment mortifère des gouvernements israéliens alors qu’une kyrielle d’officiers supérieurs israéliens le disent, il refuse de dire « crimes de guerre » pour le Hamas alors que l’ONU et le droit international le disent. Gideon Levy : « Israël ne peut pas emprisonner deux millions de Palestiniens sans en payer le prix cruel ». Daniel Levy, ancien diplomate israélien à une journaliste de la BBC qui lui dit que les Israéliens sur le point d’annihiler Gaza « se défendent » : « Vous pouvez vraiment dire une chose pareille sans ciller ? Ce genre de #mensonges ? » Le bloc bourgeois : « Israël ne fait que se défendre ». Il dit « Terreur » quand les Russes coupent toute ressource à l’Ukraine, il ne dit rien quand Israël coupe toute ressource à Gaza. Le bloc bourgeois vit un flash d’identification que rien ne peut désarmer.

    Il le vit d’autant plus intensément que la lutte contre les ennemis du frère bourgeois au dehors et la lutte contre les adversaires du bloc bourgeois au-dedans se potentialisent l’une l’autre. C’est comme une gigantesque résonance inconsciente, qui prend toute son ampleur dans une situation de crise organique où le bloc bourgeois contesté est devenu prêt à tout pour se maintenir.

    Le bloc regarde autour de lui, il ne se voit plus qu’un seul ennemi significatif : la FI. PS, EELV, PC, il a tout neutralisé, plus aucune inquiétude de ce côté-là, ces gens ne représentent aucun danger – quand ils ne sont pas de précieux auxiliaires. La FI, non. Une occasion se présente pour l’anéantir : ne pas hésiter une seule seconde. Comme avec Corbyn, comme avec Sanders, les affabulations d’antisémitisme, connaissaient déjà leur régime de croisière, mais une opportunité pareille est inespérée. Providentiel loupé inaugural de la FI : tout va pouvoir s’engouffrer dans cette brèche : le mensonge ouvert, la défiguration éhontée des propos, les sondages bidons sur des déclarations ou des absences de déclarations fabriquées, les accusations délirantes. La BBC s’abstient de dire « terroriste » mais la FI doit le dire. Des universitaires incontestables produisent de l’analyse sur les plateaux, mais la même analyse fournie par la FI est un scandale. La FI a une position somme toute fort proche de l’ONU, mais elle est antisémite. « Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? A cautionner le terrorisme islamiste ? » s’interroge avec nuance La Nuance.

    #Cristallisation

    La violence du spasme que connait la vie politique française n’a pas d’autre cause. L’événement a œuvré comme un puissant réactif, révélant toutes les tendances actuelles du régime, et les portant à un point que même les émeutes de juillet ne leur avaient pas fait atteindre. L’effet de catalyse est surpuissant. Crise après crise, la dynamique pré-fasciste ne cesse de prendre consistance et de s’approfondir. Le terme en a été donné par Meyer Habib député français d’extrême-droite israélienne : « Le RN est entré dans le camp républicain ».

    Les moments de vérité recèlent toujours quelque avantage : nous savons désormais en quoi consiste le #camp_républicain. C’est le camp qui interdit le #dissensus, qui interdit l’#expression_publique, qui interdit les #manifestations, qui impose l’#unanimité ou le #silence, et qui fait menacer par ses nervis policiers tous ceux et toutes celles qui seraient tentés de continuer à faire de la politique autour de la question israélo-palestinienne. C’est le camp qui fait faire des signalements par des institutions universitaires à l’encontre de communiqués de syndicats étudiants, qui envisage tranquillement de poursuivre des organisations comme le NPA ou Révolution permanente, qui doit sans doute déjà penser secrètement à des dissolutions.

    C’est bien davantage qu’un spasme en fait. Par définition, un spasme finit par relaxer. Ici, ça cristallise : une phase précipite. Et pas n’importe laquelle : #catalyse_totalitaire. « Totalitaire » est la catégorie qui s’impose pour toute entreprise politique de production d’une #unanimité_sous_contrainte. L’#intimidation, le forçage à l’alignement, la désignation à la vindicte, la déformation systématique, la réduction au monstrueux de toute opinion divergente en sont les opérations de premier rang. Viennent ensuite l’#interdiction et la #pénalisation. Témoigner du soutien au peuple palestinien est devenu un #délit. Arborer un #drapeau palestinien est passible de 135€ d’amende – on cherche en vain une base légale présentable. « Free Palestine » est un graffiti antisémite – dixit CNews, devenu arbitre des élégances en cette matière, signes de temps renversés où d’actuelles collusions avec des antisémites distribuent les accusations d’antisémitisme, et d’anciennes collusions avec le nazisme celles de nazisme. Sous l’approbation silencieuse du reste du champ politique et médiatique. Dans les couloirs de toute la galaxie Bolloré, on ne doit plus en finir de se tenir les côtes de rire, pendant qu’à LREM, à France Inter et sur tous les C Trucmuche de France 5, on prend la chose au tout premier degré. Le camp républicain, c’est le camp qui suspend la politique, les libertés et les droits fondamentaux, le camp soudé dans le racisme anti-Arabe et dans le mépris des vies non-blanches.

    Le monde arabe, et pas seulement lui, observe tout cela, et tout cela se grave dans la #mémoire de ses peuples. Quand la némésis reviendra, car elle reviendra, les dirigeants occidentaux, interloqués et bras ballants, de nouveau ne comprendront rien. Stupid white men .

    https://blog.mondediplo.net/catalyse-totalitaire
    #à_lire #7_octobre_2023 #Palestine #Israël #Gaza #Frédéric_Lordon #médias