De l’éducation populaire à la domestication par la « culture », par Franck Lepage (Le Monde diplomatique, mai 2009)

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  • Histoire d’une utopie émancipatrice - De l’éducation populaire à la domestication par la « culture » par #Franck_Lepage #Monde-diplomatique
    https://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113

    « De l’éducation populaire à la domestication par la « culture »
    Il y a cinquante ans, le général de Gaulle présidait à la création du ministère des affaires culturelles. La naissance de cette institution a précipité le déclin d’un autre projet, à présent méconnu : l’éducation politique des jeunes adultes, conçue dans l’immédiat après-guerre comme un outil d’émancipation humaine. Pour ses initiateurs, culture devait rimer avec égalité et universalité. »

    On peut ainsi distinguer deux conceptions de l’action par la culture : l’« action culturelle », qui vise à rassembler autour de valeurs « universelles », consensuelles (l’art, la citoyenneté, la diversité, le respect, etc.). Et l’éducation populaire, qui vise à rendre lisibles aux yeux du plus grand nombre les rapports de domination, les antagonismes sociaux, les rouages de l’exploitation.

    Contrairement à une idée reçue, l’auteur de La Condition humaine n’a pas « créé » ce ministère, qu’il n’a au demeurant pas réclamé. Son administration est bâtie par des fonctionnaires rapatriés de l’outre-mer qui, après la décolonisation, sont affectés aux affaires culturelles (5). Efficaces mais idéologiquement marqués par leur expérience précédente, ils influencent la doctrine du ministère. Lequel aura vocation à irradier à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières le feu de la grandeur nationale. Puissance de la France à l’international et pouvoir symbolique de l’Etat dans les régions ; apologie de l’élite et du génie français. Un ministère profondément antipopulaire.

    Les instructeurs d’éducation populaire qui pensaient avoir obtenu leur ministère ont perdu la partie. D’abord rattachée à Malraux en même temps que la direction des beaux-arts, la sous-direction de l’éducation populaire retourne définitivement à la jeunesse et aux sports (6). La coupure sera désormais établie entre culturel et socioculturel, entre « vraie » et « fausse » culture que seul l’Etat sera fondé à départager. Beaucoup attendaient que la gauche arrivant au pouvoir abolisse cette césure. Il n’en fut rien.

    Assemblée nationale : Examen de la Loi Création, Architecture et Patrimoine. #Isabelle_Attard, député citoyenne du Calvados, cite Franck Lepage et explique l’origine du ministère de la Culture, cause des problèmes présents dans cette loi.
    http://dai.ly/x3zehqy
    https://www.dailymotion.com/video/x3zehqy_la-culture-majuscule-tue-le-politique_news

    #Culture #Education_populaire #Action_culturelle #Histoire #France #Charles_De_Gaulle #Cinquième_république #Malraux #rapports_de_domination #Loi_Création_Architecture_et_Patrimoine

  • Histoire d’une utopie émancipatrice
    De l’éducation populaire à la domestication par la « culture »
    par Franck Lepage

    http://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113

    A la Libération, les horreurs de la seconde guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie ; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. Les années 1930 en Allemagne et la collaboration en France ont démontré que l’on pouvait être parfaitement instruit et parfaitement nazi. Le ministère del’éducation nationale convient donc qu’il incombe à la République d’ajouter un volet à l’instruction publique : une éducation politique des jeunes adultes.

    Les conventionnels de 1792 l’avaient déjà compris : se contenter
    d’instruire des enfants créerait une société dans laquelle les inégalités
    seraient fondées sur les savoirs. « Tant qu’il y aura des hommes qui
    n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une
    opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, tonne le marquis de Condorcet à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 avril 1792.Le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. » Le député de l’Aisne, à qui l’on attribue généralement la paternité de l’expression « éducation populaire », propose de poursuivre l’instruction des citoyens « pendant toute la durée de la vie ». Mais cela ne saurait suffire. Quand Condorcet évoque (déjà !) cette« partie de l’espèce humaine » astreinte dans les « manufactures » à« un travail purement mécanique » et pointe la nécessité pour ces individus de « s’élever », de « connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs », il ne s’agit plus seulement d’instruction mais d’éducation politique.

    Ces deux dimensions, pas toujours conciliables, fondent l’ambiguïté de l’« éducation populaire ». Pour les classes moyennes à l’origine des mouvements laïques tels que la Ligue de l’enseignement (1881), il s’agit d’éduquer le peuple en appoint de l’école ou de pallier l’absence de celle-ci. Une seconde acception renvoie à toute forme d’éducation émancipatrice dont la forme serait populaire. Elle revendique l’héritage des expériences d’éducation critique et politique qui traversent le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle (syndicalisme révolutionnaire, bourses du travail).

    #Franck_Lepage #éducation_populaire

  • Non, chers parents d’élèves, vous ne m’emmerdez pas !
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/853174-non-chers-parents-d-eleves-vous-ne-m-emmerdez-pas.html

    Savez-vous, chère collègue, que dans nombre d’établissements de la maternelle au lycée, des enseignants voudraient se plaindre comme vous de l’hyper présence des parents dans la scolarité, voire dans la vie de leurs enfants ?
    Savez-vous combien nous sommes à espérer avoir plus de trois parents à une rencontre parents-profs ? À espérer voir une connexion sur le cahier de textes en ligne, pendant le weekend ? À réclamer un rendez-vous ou au moins un appel avec un parent ?
    Savez-vous combien nous sommes à ne plus souhaiter de « bonnes vacances » à des élèves qui ne sont jamais partis en vacances, qui ne quitteront pas leur quartier ou leur village ?

    « Vos » parents d’élèves sont hyper-protecteurs ? Quelle chance ont vos élèves, quelle chance ont ces enfants ! Parce que s’il y a bien une chose qu’un enseignant sait, c’est que sans sa famille, l’enfant a peu de chances d’y arriver seul. C’est le triangle d’or de la réussite scolaire et sociale : élève-parent(s)-enseignant. Quand l’un des sommets est défaillant, le triangle s’écroule. […]

    Nous avons une charge qui implique chacun dans la société. C’est à nous que pendant 15 ans, chaque matin, le parent confie son enfant pour espérer lui donner le meilleur avenir possible.

    […]

    Expliquons, ouvrons, déployons patience, réflexion… et surtout RESPECT. C’est épuisant ? Oui. Mais c’est aussi tellement valorisant d’exercer un métier avec une telle responsabilité. J’en tire une grande fierté. Je sais à quoi je sers chaque jour. Même si ce n’est pas simple.

    Le « nous » que vous avez employé dans ce billet, que bon nombre de médias ont déjà relayé, « nous » fait mal. Nous qui ne pensons pas comme vous, c’est nous qui allons le prendre en pleine figure : « Alors comme ça on vous emmerde, nous les parents ? ».

    #éducation #parents #enseignants

    • Bien vu !
      Le billet initial sur rue89 me dérangeait, je comprend mieux pourquoi en lisant ceci. Oui bcp de parents voient l’éducation nationale comme un prestataire de service à qui ils externalisent l’éducation de leur enfant, et beaucoup de parents se comportent comme des clients infantiles et capricieux. C’est un fait l’instituteur n’est plus une icône sacrée de la république, tout comme la république n’a plus rien de sacré dans le monde individualiste du client-roi actuel. C’est vrai, et c’est pas pour autant qu’il faut jouer les #chouineurs à son tour. Oui, il faut éduquer les enfants ET leurs parents, oui, c’est épuisant, mais c’est aussi la noblesse de cette mission et de ce métier..
      Voilà typiquement à quoi peut mener une organisation sans #management humain, dans l’EN comme dans d’autres secteurs de la fonction publique. Quel que soit son salaire et les attraits du métier, quand on perd le sens de sa mission, quand on ne voit plus la noblesse de son métier, on souffre au boulot, on subit, on se plaint, et on s’enfonce..

    • Le billet original suintait l’aigreur, la réaction et l’approche « pédagogique » hyper-traditionnelle. Lecture énervante à la fin de laquelle on avait surtout envie de conseiller à l’auteure une reconversion professionnelle le plus tôt possible pour le bien de tou(te)s.
      Ce type de témoignage pose aussi la question du travail éditorial (!?) de la rédaction de Rue89. Un média en ligne doit-il publier n’importe quelle poussée de bile sous forme de « témoignage ». Une telle tribune donne une résonance et une portée à des propos sans pensée. Et c’est dommageable pour tout le monde…

    • L’école reste avec la justice, l’armée et la police l’un des principaux bastions de l’ordre capitaliste à abattre . Qu’ils s’y étripent, s’y pendent, s’y indignent ou mieux encore, s’en aillent, le progrès l’exige.

    • J’interviens assez peu dans le processus scolaire pour deux raisons :
      la première, c’est que j’ai confiance dans le personnel éducatif, mais c’est facile, vu que dans le bled, tout le monde se connait et que nos instits sont très bien cotées.
      la seconde, c’est que la participation aux parents d’élèves pendant 2 ans m’a dégoûtée à vie de ce genre de démarche. Là où je pensais trouver un organe collectif de facilitation de la vie scolaire, j’ai trouvé des trajectoires hyper-individualistes de valorisation de sa progéniture.

      Cela dit, je prends généralement le temps de discuter une fois par trimestre avec la maîtresse, laquelle m’a expliqué qu’en fait, le problème, c’est qu’elle voit toujours trop les parents des bons élèves et pas assez ceux des enfants qui sont à la peine.

    • Dire merde aux parents, c’est dire merde à l’école
      http://www.rue89.com/2013/05/09/dire-merde-parents-cest-dire-merde-a-lecole-242187

      On le prendra comme on veut, et Lulu C. aura beau s’en désoler ou s’en énerver, enseigner à nos élèves, c’est aussi tenter de faire équipe avec les parents pour donner du sens à ce qui est enseigné, et amener leur enfant vers la curiosité, la connaissance, l’envie de comprendre le monde dans sa complexité et d’y participer. Le savoir et les règles de vie enseignés à l’école n’ont de sens que mis en relation avec ce que l’enfant vit au dehors.
      […]
      Cette « ingérence pédagogique » dénoncée par Lulu C., on peut la lire plutôt comme la frustration de ne pas parvenir à aider son enfant dans la réalisation des tâches scolaires, avec l’angoisse qui y est forcément associée.
      […]
      Leur enfant s’ennuie, disent des parents à Lulu C.. C’est bon à savoir, peut-être pourrait-elle discuter avec lui, varier sa pédagogie, lui trouver une façon de s’intéresser au cours ? Parce que décider de ne pas entendre cette parole-là c’est aussi se priver de la possibilité de réparer un peu de ce qui dysfonctionne dans la classe.
      […]
      Publié sur un site très fréquenté, un témoignage qui oppose de manière aussi caricaturale deux acteurs essentiels du système éducatif n’améliorera pas l’ambiance au sein des établissements scolaires, ni n’incitera les parents à « cesser de nous casser les pieds ». Il semble plutôt de nature à construire une « société de la défiance » […]. Car ce témoignage, dans sa forme plus que dans son contenu, construit une image d’Epinal du prof à laquelle les parents ne peuvent que s’opposer avec une violence au moins égale.
      […]
      Par ce billet, nous ne souhaitons pas nous poser en donneurs de leçon, ni dispenser des conseils qui ne fonctionneraient que dans le monde merveilleux d’une école fantasmée. Nous souhaitons seulement rappeler une éthique de l’enseignant, quelques principes essentiels qu’il convient de continuer à respecter contre vents et marées, malgré la fatigue d’un métier qui est, nous en convenons, un métier souvent difficile.

    • On peut décider de voir l’école comme une boite noire bourdieusienne, en observant ce qui y entre et ce qui en sort. De ce point de vue-là, il s’agit effectivement d’une entreprise de formatage et de tri des enfants. Ceux qui se soumettront aux règles internes sortiront avec des trajectoires d’intégration dans le corps social. Les autres seront éjectés ou devront s’agglutiner autour des quelques strapontins que l’on voudra bien leur concéder.

      Du coup, on peut voir l’école comme une formalité sociale, de la même manière qu’à une époque, il convenait de se montrer à la messe le dimanche pour que le corps social nous foute la paix le reste de la semaine. Une sorte de mal nécessaire dont on doit intégrer les règles et les finalités pour s’en servir au mieux de ses objectifs réels.

    • Parents et enseignants : loin des caricatures grossières
      http://www.rue89.com/2013/05/13/parents-enseignants-loin-caricatures-grossieres-242280

      D’une part, dans beaucoup de lieux, et notamment dans les zones les plus en difficulté, les parents sont trop éloignés de l’école. Alors que les discussions sont nécessaires, les contacts y sont rares, ce qui ne favorise guère la réussite des enfants.
      D’autre part, s’il existe certes des parents consuméristes – au même titre qu’il existe des enseignants renfermés, qui se vivent comme exerçant dans une citadelle assiégée –, aucune généralisation n’est possible. « Les » parents comme « les » enseignants, ça n’existe pas !
      […]
      Les enseignants doivent accepter (et beaucoup d’entre eux le font, sans problème) que les parents viennent les voir, leur posent des questions, quitte à les bousculer parfois dans leurs habitudes, quitte à ce que le dialogue dissipe peu à peu les malentendus et permette une meilleure compréhension dans l’écoute de la logique de chacun. Cela fait partie de leur mission.
      Les parents ne viennent pas, la plupart du temps, à l’école pour « emmerder » l’enseignant, mais bien pour le bien et la réussite de leur enfant. D’ailleurs, les relations que les parents entretiennent avec les enseignants ne sont pas – bizarrement – de même nature que les relations qu’ils peuvent entretenir avec leur garagiste et leur coiffeur.
      Ils leur confient leurs enfants tous les matins, pendant plus d’une dizaine d’années consécutives. Un enfant n’est pas une voiture ou une coupe de cheveux.

  • De l’éducation populaire à la domestication par la « culture », par Franck Lepage (Le Monde diplomatique)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/LEPAGE/17113

    À la Libération, les horreurs de la seconde guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie ; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. Les années 1930 en Allemagne et la collaboration en France ont démontré que l’on pouvait être parfaitement instruit et parfaitement nazi. Le ministère de l’éducation nationale convient donc qu’il incombe à la République d’ajouter un volet à l’instruction publique : une éducation politique des jeunes adultes.
    […]
    Ces deux dimensions, pas toujours conciliables, fondent l’ambiguïté de l’« éducation populaire ». Pour les classes moyennes à l’origine des mouvements laïques tels que la Ligue de l’enseignement (1881), il s’agit d’éduquer le peuple en appoint de l’école ou de pallier l’absence de celle-ci. Une seconde acception renvoie à toute forme d’éducation émancipatrice dont la forme serait populaire. Elle revendique l’héritage des expériences d’éducation critique et politique qui traversent le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle (syndicalisme révolutionnaire, bourses du travail).
    […]
    La coupure sera désormais établie entre culturel et socioculturel, entre « vraie » et « fausse » culture que seul l’Etat sera fondé à départager. Beaucoup attendaient que la gauche arrivant au pouvoir abolisse cette césure. Il n’en fut rien.
    Cette histoire-là est plus connue : loin de rompre avec la vision élitiste et de reformuler la question culturelle sur des bases progressistes (tout le monde est producteur de culture, celle-ci n’étant rien d’autre qu’un rapport social), la gauche des années 1980 propulse la figure de l’artiste à des hauteurs jusque-là inconnues.
    […]
    C’est pourquoi un programme réellement de gauche devrait se démarquer du concept de culture pour soutenir celui d’éducation populaire.
    Les fédérations labellisées « d’éducation populaire » en sont loin. Embrigadées dès le début des années 1980 dans les innombrables dispositifs de traitement social des populations dites « en difficulté », combien d’entre elles administrent, en échange de subventions, des programmes de « mobilité des jeunes », d’« éducation tout au long de la vie », de « défi-jeunes » et autres apprentissages de la flexibilité et de l’esprit d’entreprise, pendant que d’autres, engagées dans la « politique de la ville », œuvrent à l’« insertion » des classes populaires à coups de « développement local », de « développement culturel » et d’« animation socioculturelle » ?
    […]
    On peut ainsi distinguer deux conceptions de l’action par la culture : l’« action culturelle », qui vise à rassembler autour de valeurs « universelles », consensuelles (l’art, la citoyenneté, la diversité, le respect, etc.). Et l’éducation populaire, qui vise à rendre lisibles aux yeux du plus grand nombre les rapports de domination, les antagonismes sociaux, les rouages de l’exploitation.

    #éducation_populaire #culture #élitisme