Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique

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  • Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique
    http://www.liberation.fr/debats/2016/04/14/islamo-gauchisme-aux-origines-d-une-expression-mediatique_1445857

    Décryptage d’un terme qui apparaît ou resurgit dans le débat public. Aujourd’hui, l’islamo-gauchisme. De la famille des « insultes policées et intellectuelles », l’expression a de nouveau été utilisée récemment par Elisabeth Badinter. Source : Libération

    « En réalité un non-sens »

    Dans les Intellectuels faussaires (Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 2011), le géopolitologue Pascal Boniface critique férocement ces « concepts aussi creux intellectuellement que clinquants dans la formulation ». « L’originalité du concept pourrait plaider en sa faveur, mais c’est en réalité un non-sens, comme l’étaient par le passé les expressions "hitléro-trotskistes" ou "judéo-bolcheviques". Elles aussi se voulaient disqualifiantes. Elles aussi ne reposaient que sur des fantasmes. »

    Certains islamo-gauchistes désignés ont fini par s’emparer du terme pour le retourner et s’en revendiquer ironiquement, ou au moins revendiquer ce qu’il désigne. Ainsi, Clémentine Autain assume : « Je ne comprends pas exactement ce que veut dire le mot, mais si ça désigne l’intersectionnalité des luttes, alors oui, c’est ça qui me préoccupe. Je suis de gauche, et je me bats contre le rejet des musulmans en France. »

    • Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique, Sonya Faure, Frantz Durupt, 14 avril 2016

      Décryptage d’un terme qui apparaît ou resurgit dans le débat public. Aujourd’hui, l’islamo-gauchisme. De la famille des « insultes policées et intellectuelles », l’expression a de nouveau été utilisée récemment par Elisabeth Badinter.

      Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique
      C’était le 2 avril dans le Monde, dans la bouche d’Elisabeth Badinter : « Etre traité d’islamophobe est un opprobre, une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes. »

      « Islamo-gauchiste » : le mot n’est pas nouveau, mais il revient régulièrement dans les discours des défenseurs d’une laïcité parfois qualifiée de « combat », qui revendiquent un « parler vrai » sur l’islam et l’islamisme. « Taxer d’islamophobie ceux qui ont le courage de dire : "Nous voulons que les lois de la République s’appliquent à tous et d’abord à toutes" est une infamie » , poursuit ainsi la médiatique philosophe. Aux accusations d’islamophobie répond ainsi le procès en islamo-gauchisme – les deux termes vont souvent de pair dans les débats.

      Pour ceux qui l’utilisent, l’expression « islamo-gauchisme » est une alerte, un mot « choc » pour décrire l’alliance contre-nature d’une partie de la gauche avec un islamisme réactionnaire. « Il désigne ceux qui, au nom d’une vision communautariste et américanisée de l’identité, combattent le féminisme universaliste et la laïcité » , estime ainsi l’essayiste Caroline Fourest, qui l’utilise couramment. Pour les autres, ceux qui en font les frais, elle n’est qu’une arme pour disqualifier une lutte légitime : faire entendre la voix des musulmans « racialisés » et « discriminés ». « Une expression valise qui sert simplement à refuser le débat et à stigmatiser » , pointe Edwy Plenel, le patron de Mediapart. Le terme, à vocation médiatique, n’a en tout cas pas d’assise scientifique. Il se rapprocherait plutôt du montage séduisant et efficace pour dire un phénomène complexe et discuté. De l’injure policée dans le débat de plus en plus brûlant entre intellectuels français.

      Dès 2002, chez Pierre-André Taguieff

      Difficile de retrouver la première occurrence du mot. Mais il est aisé de fixer les étapes clés de sa popularisation dans le débat public et les médias ces dernières années.

      En janvier 2002, Pierre-André Taguieff l’utilise ainsi dans son livre la Nouvelle Judéophobie . L’historien des idées y condamne l’antisionisme de « la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de "mouvement antimondialisation" ». « Des Juifs , écrit-il, peuvent être tolérés, voire acceptés dans cette mouvance islamo-gauchiste, à condition qu’ils fassent preuve de palestinophilie inconditionnelle et d’antisionisme fanatique. » A l’époque, Taguieff est actif au sein de la Fondation du 2-Mars, d’une tendance souverainiste et d’orientation chevènementiste, aux côtés du démographe Emmanuel Todd ou encore de la future plume de Sarkozy, Henri Guaino.

      [...]

      « Désormais ce mot ne désigne plus des personnes minoritaires – la laïcité inclusive a gagné des sympathisants – mais des institutions, comme l’Observatoire de la laïcité et son président, Jean-Louis Bianco » , note Sylvie Tissot.