Ci-dessous un mail écrit par un auditeur de France Culture adressé à la rédaction :
---------------------------- Message original ----------------------------
Objet : réaction au traitement des incidents à Paris du 14 avril dans
votre journal de midi 30.
Date : Ven 15 avril 2016 15:30
À : redactionculture@radiofrance.com
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Madame, monsieur,
j’écoute très régulièrement vos journaux depuis de nombreuses années et
j’en mesure la qualité globale si je les compare à la moyenne de ce qui
est dit et montré dans la presse en général. Cependant, vous en
conviendrez cette qualité ne pourra être maintenue et accentuée qu’à
condition que ses artisans et auditeurs demeurent exigeants quant à sa
forme et à son contenu.
Ainsi, lors de l’édition du journal de midi trente du 15 avril 2016, vous
vous faites le pur et simple écho du discours du ministère de l’intérieur
sur « ceux qui sont dépourvus d’idéal, et qui sont animés par le seul
instinct de la violence ». Or, pour peu qu’on s’y arrête quelques
secondes, cette rhétorique policière ne peut tromper personne. Et, c’est
justement votre premier rôle de vous arrêter sur l’information et non de
nous la transmettre telle quelle, c’est-à-dire telle que ceux qui
possèdent les moyens de la fabriquer et de la diffuser le désireraient.
Et dans cette mission, vous avez failli.
Premier point : tout d’abord, ce ne sont certainement pas les gouvernants
successifs et la classe politique qui pourront donner des leçons
d’idéalisme...
J’ajoute qu’un tout peu de réflexion vous aurait conduit à vous
interroger sur la fausse évidence qui consiste à associer ces personnes
qui brisent les vitrines de quelques banques à des personnes dépourvues
d’idéal. Sans faire l’éloge indiscriminé du vandalisme, on est amené à
penser que ces personnes sont au contraire animés des plus grands idéaux
moraux, car qui peut croire que des gens risquent des mois de prison et
des blessures irréversibles dans le cadre d’un mouvement politique et
social sans être animés d’idéaux ?
Au delà de ces considérations, il apparaît évident que la terminologie du
1er flic de France consiste à rejeter ces personnes du côté de
l’animalité sauvage, voire de la folie criminelle si les nécessités de
l’ordre public s’en faisaient sentir : un être dénué d’idéal est un être
sans doute inhumain. Partant, toute opération de police, quelque soit son
coût en termes de libertés publiques déjà très sérieusement réduites ou
de dégâts corporels semble dès lors pouvoir se justifier par avance pour
y mettre un terme.
J’en arrive à mon second point, celui non de l’idéal mais de la
violence : vous indiquez dans les titres de midi que le nombre de
policiers blessés depuis le début des manifestations s’élèvent à 151.
Ce qui appelle au moins quelques remarques : d’abord, vous ne mentionnez
absolument pas le nombre de personnes blessées parmi les manifestants que
ce soit dans les titres ou dans l’édition du journal, ce qui est contraire
à l’équité journalistique la plus élémentaire !
Vous balancez ce chiffre sans vous intéresser à ce qu’il recouvre : un
policier « blessé » est un policier qui a obtenu au moins un jour d’ITT.
Combien parmi ces 151 l’ont obtenu à partir d’un hématome ou d’une foulure
à une phalange ? Vous êtes-vous intéressés au nombre de manifestants
blessés et à la gravité de certaines blessures occasionnées par les forces
de l’ordre qui font usage de manière quasi ininterrompue du tonfa, du
LBD40 et de grenades dites de « désencerclement » ? Combien de fractures au
visage des suites de tirs de « balle de défense » ? Combien de fractures
aux membres supérieurs et inférieurs ou de traumatismes crâniens des
suites du « savoir-faire français en matière de sécurité », que ce soit à
Paris, Rennes, Montpellier ou Nantes ?
Des « casseurs » dites-vous ? Est-on revenu au temps du bon Raymond
Marcellin pour employer ce genre de sobriquet ? N’avez-vous pas vu qu’il
s’agit tout aussi bien de salariés syndiqués ou non, de chômeurs, de
lycéens ou d’étudiants qui font l’objet d’une intense répression ?
Je vous rappelle cette réflexion pertinente pour notre sujet d’un auteur
assez fréquemment mentionné sur votre antenne : « On parle toujours de la
violence du fleuve, jamais des rives qui l’enserrent. »
Si vous n’avez pas ces éléments factuels, vous vous devez de les
rechercher ou alors de ne pas mentionner les seuls chiffres de la
police : cela respecterait un minimum d’éthique journalistique, vous en
conviendrez, j’en suis sûr.
Un élément qui saute aux yeux pour qui fréquente quelque peu les actions
et manifestations du mouvement actuel et que j’offre à votre sagacité : la
gestion policière de cette séquence de contestation est particulièrement
différenciée en fonction des circonstances, des lieux et des types de
manifestants, indépendamment ou presque du caractère offensif de ces
manifestations : cela mérite certainement d’être interrogé sur un double
plan : la perspective d’une récupération du mouvement et sa mise à profit
pour affaiblir rivaux et adversaires de l’actuel tenancier en chef.
Vous noterez sans doute avec moi que la question de l’usage de la violence
est une question délicate, tant du point de vue de l’État que de celui des
mouvements de contestation.
Elle mérite donc un traitement autrement plus attentif.
Avec ma considération,
Gaëtan de Pantin