• Frédéric Lordon, l’imagination du désastre et la question allemande
    Frédéric Lordon est à l’heure actuelle une des voix qui fournissent des analyses parmi les pluséclairantes et stimulantes sur la crise de l’euro. On retrouvera dans ce grand entretien avec la Revue des livres des analyses très articulées non seulement de l’enchainement apparemment irrésistible des politiques vouées à l’échec qui explique la propagation de plus en plus inquiétante de la "crise de l’euro" (notion qu’il critique très utilement) mais aussi des scénarios du jour d’après la catastrophe.
    « Nous assistons à l’écroulement d’un monde, des forces immenses sont sur le point d’être déchaînées », entretien avec Frédéric Lordon | RdL La Revue des Livres
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    Dans ce grand entretien, Frédéric Lordon nous livre ses commentaires et analyses de la crise économique actuelle et de ses origines. Avec un ton incisif et un regard acerbe, il revient sur les causes et effets de la crise elle-même, mais commente également le traitement de l’économie par les médias, la place de l’économie au sein de l’institution universitaire, et l’éventuelle sortie de l’euro. Sonnant le glas du projet néolibéral, l’actualité est, nous dit-il, une occasion unique de changements profonds : un monde s’écroule sous nos yeux.

    On peut se réjouir de voir d’autres voix reprendre ses analyses critiques (qui d’ailleurs ne sont pas que les si, comme dans cette récente tribune du Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/13/contre-le-discours-dominant-sur-la-dette-publique_1629374_3232.html). Pour autant, il y a dans l’argumentation de Lordon deux ou trois points qui me chiffonnent et j’aimerais en savoir plus sur la réception de ses thèses.

    1°) Ses analyses, telles qu’elles sont livrées au grand public en tout cas, à travers blog, livres, entretiens et tribunes dans la presse, mêlent deux tons et deux registres d’analyse. L’un est un discours d’économie politique exprimée dans une langue accessible, sans technicité économique. L’autre est une reprise et un écho de ce discours dans un style plus littéraire, ironique comme dans sa pièce D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise financière. En quatre actes, et en alexandrins . Mais on retrouve aussi , dans l’écriture de ses textes d’analyse économique, sur un mode métaphorique, un imaginaire de la catastrophe dont il avoue ici presque jouir et qui prend une tonalité presque eschatologique.
    Ce mélange des registres m’intéresse. J’aimerais savoir comment il est perçu par ses collègues économistes orthodoxes ou hétérodoxes (notamment Les économistes atterrés desquels il se réclame ici et qui doivent être partagés par diverses lignes de clivage).

    2°) Ses analyses montrent une fixation pour ne pas dire une obsession sur le rôle des gouvernements allemands dans la rigidification de la pensée économique et financière actuellement dominante en Europe, sur l’indépendance de la Banque centrale, sur les règles d’or anti-démocratiques, etc. Les racines historiques et institutionnelles de cette vision allemande sont bien connues. Toutefois, alors que Frédéric Lordon souligne à juste titre que l’un des enjeux de la (post-) catastrophe à venir est d’éviter une explosion nationaliste et xénophobe (on appréciera d’ailleurs beaucoup son argument sur la pacifique période de 1945 à 1985, date du basculent néo-libéral), je me demande si son argumentation n’est pas elle-même parfois entachée d’une germanophobie allemande latente. Par exemple, j’aurais aimé qu’il s’attache à mieux souligner l’existence de visions alternatives à ce projet dominant en Allemagne même. Après tout, je me souviens d’un texte de Bourdieu sur l’ancien directeur de la Banque centrale européenne, qui exposait sans fard que ces banquiers ne parlaient pas au nom de l’intérêt général mais bien d’un intérêt de classe (http://www.monde-diplomatique.fr/1997/09/BOURDIEU/9088). Ceci me conduit à me demander si les analyses de Frédéric Lordon et plus généralement de ses pairs qui critiquent les positions économico-financières allemandes sont relayées Outre-Rhin (par quelle presse ? Traduction ?) et comment elles y sont alors perçues ? Trouve-t-on en Allemagne un discours critique aussi articulé que celui de Lordon ? Au-delà de cela, ma question est bien sûr celle d’un discours économique alternatif partagé au niveau de l’Europe.

    Je ne sais pas si SeenThis est un bon lieu pour prolonger cette discussion mais cette plateforme l’est surement pour y signaler les liens qui répondent à mes questions.