• https://www.youtube.com/watch?v=tmlz5A1OA3Y


    Chère S.,

    Tu m’as écris ce matin pour me dire que tu avais vu le Fond de l’air est rouge et cet évènement empli mon cœur de joie. C’est que depuis 12 ans que je connais ce film je n’ai jamais pu réellement en parler avec quelqu’un. Très souvent les personnes à qui j’avais envie de le montrer n’avaient pas le temps de regarder un film de 3h. Et ceux et celles qui l’avaient vu n’avaient pas le temps d’en parler avec moi. Je veux dire, sérieusement, en ce posant et en prenant le temps de discuter et réfléchir dessus.
    Parce que, tu l’as bien vu S., il y a plusieurs cotés sous lesquels aborder ce film. Deux d’entre eux sont notamment l’histoire et le montage.
    L’histoire c’est le premier élément duquel tu m’as parlé par SMS. J’écrivais sur mon blog il y a deux semaines que lorsque j’ai vu ce film il y a 12 ans je comprenais très peu d’images qu’il me montrait. Aujourd’hui j’en comprends un peu plus mais beaucoup me restent encore inconnues. Ce que j’ai compris en revanche c’est que le film fait avec l’ignorance du spectateur. Je ne peux pas compter encore le nombre de jeux que le film entretien avec moi à chaque fois qu’il accole deux plans. Il faudrait que je le vois encore et encore et encore. Peut-être.
    Je crois que j’ai le droit de dire que le travail de Chris Marker est la mémoire. Il faut voir un autre grand de ses films : Sans soleil. Je crois qu’il n’a pas cessé de travailler sur la mémoire à partir de son premier outil : le montage. Et c’est pour ça que l’introduction du fond de l’air est rouge m’émeut toujours autant à chacun de ses visionnages. C’est une prouesse.
    Pardonne moi S. je vais te parler comme à quelqu’un qui n’y connait rien parce que je crois que je vais me servir de ce que j’écris actuellement pour le mettre sur mon blog.
    L’introduction de ce film est un montage. Il se sert de plans du film de fiction le Cuirassé Potemkine réalisé par Eisenstein en 1925 pour fêter les dix ans de la mutinerie du cuirassé du même nom.
    Il monte ces images de fiction avec d’autres images, toutes documentaires et toutes venant d’époques ultérieures de plus de 35 ans après le film de tonton Sergei.
    Toutes phrases analytiques au sujet de cette séquence qui tenteraient de paraphraser sa puissance poétique/politique me sembleraient bien vaines.
    L’icône par exemple du poing levé comme image de fiction et reprise par une foule qui peut-être ne connait pas ce film, dit le peuple en marche et le film qui saisit l’histoire.
    Il me semble que Chris touche ici à quelque chose qui dépasse tout discours. Et c’est ça que je voulais te dire l’autre jour au sujet du cinéma.
    Voilà pour aujourd’hui.
    Rémi