• Intéressant échange sur les origines du succès (relatif) de Beirut Madinati aux élections municipales.
    Antoine Atallah - Ok I had a tendency to be slightly melodramatic...
    https://www.facebook.com/Antoine.Atallah88/posts/10100250025080802?pnref=story
    Jad Tabet écrit ceci :

    Beirut Madinati plonge ses racines dans plusieurs années de luttes urbaines pour que Beyrouth reste vivable et pour améliorer la qualité de vie de ses habitants.
    Pour ceux de ma génération qui, depuis plus de 20 ans ont mené tant de combats et connu tant de défaites, ce qui s’est passé ces dernières semaines paraît presque magique.
    En 1992-94, nous avons perdu la bataille pour la reconstruction du centre ville. En 1996-97, celle pour un plan de préservation du littoral libanais et pour empêcher l’ouverture de la voie rapide qui coupe la vieille ville de Saida de son port. En 1996 encore, nous avons perdu la bataille pour la préservation du patrimoine de Wadi abou Jmil. En 1997-98, l’établissement d’un inventaire des bâtiments patrimoniaux des quartiers pericentraux de Beyrouth n’a pas permis d’empêcher leur destruction malgré les nombreuses marches, sit in et veillées aux chandelles. En 2001 nous avons également perdu la bataille pour l’établissement d’un plan de protection patrimoniale et paysagère des villages du Sud libéré. En 2002, les projets de loi sur le patrimoine élaborés avec Ghassan Salame quand il était ministre de la culture se sont perdus dans les méandres de la chambre des députés.
    Je m’arrête là, tu connais la suite.
    Je pense aujourd’hui à ceux qui ne sont plus là, à Assem Salam qui a été à la tête de tous nos combats, a Samir Kassir, lâchement assassine pour nous empêcher de rêver, à nos amis disparus, mais aussi à ceux qui ont baissé les bras après tant de défaites, aux déçus qui se sont réfugiés dans le cynisme et l’indifference.

    Quant à Mona Harb, elle écrit ceci :

    C’est très important ce que tu nous rappelles ici. L’histoire longue des luttes urbaines de Beyrouth... les défaites sont aussi des apprentissages. Nous sommes là aujourd’hui suite à l’accumulation de ces luttes, suite aux livres et textes où vous les documentez, voud nous avez beaucoup appris, et nous avons transmis, et je pense que, vingt-cinq plus tard, nous sommes à un moment où se cristallise et se rassemble une action collective qui était dispersée en campagnes (celles qu’Antoine cite), menées par de jeunes activistes qui se caractérisent par leur créativité —des campagnes distinctes mais ralliées dans leurs valeurs, approches et objectifs.
    La création de programmes universitaires en urbanisme a beaucoup contribué à la formation de ces jeunes activistes qui vous ont lu, ainsi que la littérature urbaine néo-marxiste.
    Je pense que nous voyons enfin l’émergence d’une nouvelle génération de décideurs urbains, qui j’espère vont envahir les municipalités, et ensuite les institutions publiques, pour tenter de replacer l’intérêt public comme objectif principal des politiques urbaines.
    Merci Antoine pour nous avoir ouvert la voie de cette très belle discussion.

    et la réponse d’Antoine Attallah

    J’aime beaucoup le terme de cristallisation. Toutes les campagnes que nous avons combattues avaient en effet les mêmes principes : le droit a la ville... La défense des espaces publics, des pratiques sociales, des liens sociaux... Une vision de la ville comme paysage et tissu urbain complexe... La nécessité des services publics y compris pour les transports... La mixité sociale, fonctionnelle... etc. etc. etc.

    Il était temps que toutes ces campagnes se rejoignent. Je ne sais pas encore exactement ce que planifie Beirut Madinati, mais je suppose que le groupe a l’intention de devenir une plateforme pour que ces idées soient défendues d’une manière encore plus efficace, forte et visible que quand nous le faisions chacun de notre coté au grès des multiples campagnes....

    Si cela se fait et que Beirut Madinati devient une véritable « municipalité de l’ombre », alors je pense qu’il y’a une chance que rien ne soit plus comme avant et que ce soit le début d’un changement durable. Un changement dans la manière dont la municipalité actuelle opérera lors de son mandat, avec beaucoup plus de précaution, sous le regard constant des inquisiteurs que nous serons... Jusqu’à une alternance éventuelle !

    Il était temps qu’on voit un peu de lumière au bout de ce très long tunnel !

    Et encore une réponse de J Tabet

    Merci pour ton intervention qui permet d’éclairer de nombreux points.
    Effectivement, l’accumulation des luttes urbaines, (quoique menées en ordre dispersé depuis une vingtaine d’années), le développement des recherches et des programmes universitaires (qui ont libéré les questions urbaines du carcan techniciste où elles étaient jusqu’alors cantonnées en tant que branche mineure de l’architecture et de l’ingénierie des transports) mais aussi la transmission générationelle qui a bien fonctionné, tout cela a permis de constituer un vivier de professionnels et de militants qui ont joué un rôle essentiel dans l’émergence de BM.
    Cela n’explique pourtant pas les 30 000 voix qui se sont portées sur une liste constituée de personnes jusqu’alors inconnues du public. On peut évidemment expliquer cela comme un vote protestataire contre la corruption de la classe politique et l’incurie de l’ancienne municipalité. Mais je ne crois pas que ça soit suffisant . Après tout le vote protestataire aurait pu (surtout à Achrafieh) se porter prioritairement sur la liste de Charbel Nahas, (plus connu et qui bénéficiait d’une couverture médiatique depuis plusieurs années) plutôt que de privilégier un groupe d’hurlubelus , totalement inconnus sur la scène politique. Puisque cela n’a pas été le cas, il faut donc convenir que, parallèlement au vote protestataire, il y a eu un vote d’adhésion, sinon à l’ensemble du programme, du moins aux valeurs portées par BM. Il est d’ailleurs révélateur que la liste des Beiruties a finalement sorti un programme qui reprend de nombreux points développés par BM.
    Comment expliquer ce véritable retournement d’une opinion publique jusqu’alors otage des appartenances politiques traditionnelles ? Je ne tiens pas à ressortir mes références d’ancien marxiste, mais je crois que les concepts gramciens de « guerre de positions » et « d’hégémonie culturelle » sont bien adaptés pour décrire ce qui se passe. L’accumulation des expériences de lutte et l’élargissement du champ théorique relatif aux questions urbaines ont constitué les éléments stratégiques d’une « guerre de positions » qui a réussi à la longue à ébranler l’hégémonie culturelle des classes dominantes.
    Cette guerre de positions il faudra bien évidemment la poursuivre, l’élargir, l’approfondir dans les années à venir, tout en conservant cette part d’impertinence et d’improvisation créative et ludique qui a permis à BM de secouer la morosité et le défaitisme ambiants.

    #Beyrouth #municipales #élections