Laura Poitras, sur écoute, à l’écoute

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  • Cannes 2016 : Laura Poitras, sur écoute, à l’écoute

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    Laura Poitras travaillait depuis 2011 à un film documentant le travail de WikiLeaks, lorsqu’elle reçut le premier mail de « citizenfour ». « D’observatrice, je suis devenue participante », dit la réalisatrice. Citizenfour servait de signature à Edward Snowden, qui avait choisi la documentariste, parmi tous les habitants de la planète Terre, comme destinataire des données extraites (ou volées, selon l’idée que l’on se fait de la sécurité du monde) des ordinateurs de la National Security Agency.

    Pour Laura Poitras, l’épisode Snowden s’est clos à l’automne 2014, par la sortie du film Citizenfour, relation à la fois méticuleuse et subjective de la cavale de l’ex-agent américain et de son impact sur le monde. Elle est alors retournée à ce travail, laissé en chantier, et a retrouvé Julian Assange dans les locaux de l’ambassade d’Equateur, à Londres. Les deux collaborateurs de la réalisatrice, la Britannique Sarah Harrison et l’Américain Jacob Appelbaum, s’étaient imposés un exil en Allemagne, de peur d’éventuelles poursuites dans leurs pays respectifs.

    Ils étaient tous deux présents à Cannes, à la fin de la projection de Risk, terminé l’avant-veille de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, cinq ans après sa genèse. Après une ovation vigoureuse pour une projection aussi matinale, Sarah Harrison et Jacob Appelbaum ont lu un texte appelant à la libération de Julian Assange, toujours cerné par la police britannique, dans cette ambassade dont il n’est pas sorti depuis bientôt 2 000 jours.

    Messagère et portraitiste

    Quelques instants plus tard, Laura Poitras revient sur les origines tumultueuses de Risk, qui ne se devinent pas à la vision de ce film rigoureux, que l’on croirait parfois écrit par un scénariste retors. La cinéaste le présente comme une « préquelle– récit des origines – de Citizenfour ». Elle fait remarquer ce moment étrange où, quelques mois avant qu’Edward Snowden ne surgisse sur la scène internationale, Julian Assange prédit que de jeunes employés des agences de sécurité, façonnés par d’autres idéologies que leurs aînés, rejoindront le combat contre le secret et la surveillance universels. « On presse sur avance rapide, et on obtient Snowden », dit-elle en riant.

    En 2012, Laura Poitras s’installe à Berlin, lasse du harcèlement des autorités américaines qui la détenaient des heures à chacune de ses entrées et sorties du territoire national (elle pense que son travail en Irak et au Yémen est à l’origine de ces mesures). Elle se rend en Allemagne dans l’intention de « protéger le matériau que [j’]avais réuni sur WikiLeaks, et le monter ». Bientôt, elle apprend, entre autres avec Jacob Appelbaum, spécialiste de l’encryption et des contre-mesures d’espionnage numérique, à se sentir chez elle dans ce monde de geeks militants. Sans le savoir, elle se prépare à devenir la messagère et la portraitiste de Snowden.

    Pendant le montage de Citizenfour, elle a pensé inclure les éléments tournés avec Julian Assange et ses collaborateurs. « J’ai compris qu’il y avait en fait deux films », dit-elle pour expliquer sa décision de reprendre le tournage, de montrer Assange affaibli par l’enfermement, mais toujours aussi combatif. Une séquence empruntée à une source extérieure montre la rencontre entre le militant australien et Lady Gaga, qui essaie de le faire parler de ses sentiments. « Je ne suis pas normal », dit Assange à la chanteuse.

    Cet homme tout entier voué à une cause dont, à voir le film, on ne sait pas toujours si elle est sa propriété ou celle du genre humain, a manifestement fasciné la cinéaste d’une tout autre manière qu’Edward Snowden, qu’elle filmait avec une évidente affection. Mais Laura Poitras se refuse à établir le tableau comparatif entre les deux hommes, laissant ce soin aux spectateurs.

    La caméra, outil citoyen

    A la fin de Risk, on entend l’enregistrement d’un agent du bureau new-yorkais du FBI, qui définit Laura Poitras comme une « cinéaste anti-américaine ». Elle a intenté une action en justice pour avoir accès à son dossier, et certains éléments lui sont parvenus. Elle est revenue vivre et travailler aux Etats-Unis, où elle a récemment présenté, au Whitney Museum (New York), une série d’installations autour d’éléments de ses films. « Je sais bien que les musées sont par définition des institutions qui édulcorent le contenu politique des œuvres, reconnaît-elle. Le cinéma a un impact plus brut. »

    La sortie de Risk clôt pour Laura Poitras le chapitre de son œuvre consacré à la surveillance et au secret. Le cinéma reste pour elle un outil citoyen, et elle se consacre ces temps-ci au site Fieldofvision.org, qui veut, comme au temps des actualités filmées, se servir du cinéma pour montrer, en temps réel, les bouleversements du monde.