• « Les chercheurs comme la recherche doivent être protégés » par Elena Chiti
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/05/20/les-chercheurs-comme-la-recherche-doivent-etre-proteges_4923395_3232

    C’est la recherche en sciences humaines et sociales qui a peut-être besoin d’être protégée. Tant qu’on considère que c’est un passe-temps oisif, auquel on peut bien renoncer, on risque d’oublier qu’une lecture critique, et historique, des dynamiques à l’œuvre dans une société est une condition essentielle pour essayer de la comprendre, en s’interdisant de donner des réponses avant d’avoir posé les bonnes questions et interrogé les bonnes sources. C’est là toute la différence entre la recherche et la propagande.

    #Giulo_Regeni

    • Mon commentaire n’a rien à voir - du moins directement - avec la mort de Giulio Regieni. Mais, tout de même, il faut quand même souligner que cette atroce liquidation s’inscrit dans un contexte où la recherche en sciences sociales, notamment française, a, en très grande majorité, pris parti, sans beaucoup réfléchir aux conséquences, dans différents conflits de la région. Il me semble que mon travail personnel depuis un certain nombre d’années indique assez que je suis un chercheur « engagé », et c’est à mon avis totalement compatible avec l’exercice de notre métier. En revanche, les spécialistes de sciences sociales n’ont pas vocation à être des militants, ou des activistes (hors de l’espace où ils exercent leur citoyenneté). Cette « frontière » a été oubliée, mais il faut dire aussi que ce débat est soigneusement gommé par les praticiens du monde arabe depuis encore plus longtemps.

  • Pourquoi Donald Trump peut gagner les élections américaines, par Christopher Caldwell
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/05/22/pourquoi-donald-trump-peut-gagner-les-elections-americaines-par-chri

    éclairage intéressant (l’article semble avoir été écrit pour un public européen et plus particulièrement français, cf mes italiques

    La rhétorique politique américaine s’est élaborée depuis plusieurs décennies autour d’une société qui est morte avec la guerre froide. Le Parti démocrate représente les cercles dominants de la nouvelle économie capitaliste. Il ne reste rien du parti de la classe ouvrière tel qu’il était il y a une génération, même si le succès du sénateur du Vermont Bernie Sanders dans la primaire démocrate est la preuve que les électeurs souhaitent un tel parti. Les professeurs d’université votent démocrate à une écrasante majorité. Les employés de Google, Apple, Yahoo !, Netflix, LinkedIn et Twitter, qui ont contribué à un parti, ont versé plus de 90 % de leurs dons à Obama lors de la dernière élection présidentielle.

    Les démocrates ont cherché à minorer leur identité élitaire en insistant sur leur défense des droits de toutes les minorités, et pas seulement des milliardaires. Mais l’enthousiasme à l’égard de causes significatives de l’ère Obama telles que le mariage gay, les droits des minorités et l’augmentation du nombre de femmes dans les conseils d’administration s’est limité à ceux qui forment ce que l’on appelle le « 1 % », et qui ont financé ces campagnes. En gros, les démocrates sont le parti de ceux pour qui les choses se sont améliorées au cours de la dernière génération : milliardaires, Noirs, homosexuels, immigrés et femmes occupant de hautes fonctions. Malgré toutes les contradictions, il y a là un intérêt commun, une base pour un parti politique fonctionnel.

    Les républicains, en revanche, sont le parti de tous les autres – ceux que la dernière génération de la mondialisation a laissés sur le côté. Ils forment une majorité naturelle. Sociologiquement, le Parti républicain ressemble au Front national, mais les milliardaires qui le financent (dont beaucoup sont également des donateurs du Parti démocrate) l’ont empêché de prendre en compte les difficultés dont souffrent la plupart de ses électeurs. Jusqu’à cette année, les républicains basaient leur programme sur les réductions d’impôt en faveur des riches, épargnant au président Obama la nécessité d’y procéder. Dans la demi-douzaine d’élections précédentes, le Parti républicain n’a pas cherché à représenter ses électeurs, mais à détourner leur attention et à les neutraliser. Il fallait un outsider comme Trump pour dénoncer ce fait. Il en a été récompensé en obtenant la majorité dans les primaires.
    [...Conclusion...]
    Face à l’ascension de Trump, observateurs et experts, en France comme ailleurs, ont demandé aux Américains de se souvenir que, lorsqu’ils élisent un président, ils le font aussi pour le monde entier. La remarque n’est pas fausse, mais elle repose sur une logique mortelle, une contradiction au cœur du système mondial. Depuis la chute du mur de Berlin, les Etats-Unis sont la fondation de ce système. Ils tirent leur légitimité de leur Constitution et de leurs valeurs démocratiques. Mais un système impérial doit être stable – or, aucune vraie démocratie ne l’est jamais. Comment une institution pourrait-elle rester stable en offrant de vrais choix ? Depuis plusieurs décennies, les Etats-Unis tentent de masquer le problème en proposant de faux choix. Le pays a fini par présenter au monde un visage que les élites mondiales trouvent attractif, mais que ses propres citoyens ont de plus en plus de mal à reconnaître. Trump en est la conséquence.