Aussi, de longues minutes s’évanouirent avant que nous avisâmes d’une appréciation singulière de la température. En cette fin d’un printemps 1987 particulièrement frais, cette hausse brutale du thermomètre détonnait. Et à vrai dire, lorsque nos yeux, jusque là tenus au menu zozotement du flotteur, se donnèrent un peu de distraction et que nos regards enfin se croisèrent, nous nous dîmes que cette touffeur était assez éprouvante pour nos organismes qui en avaient perdu souvenance.
Ceci nous inquiéta. Très vite d’ailleurs, portant mon regard vers Bayonne, à l’endroit même où l’imposante colline de Burgaronne s’incline et fait allégeance à la vallée du ruisseau, à travers la chênaie du moulin, j’eus la vision très nette et inquiétante d’un fin liseré noir d’encre, sur la ligne d’horizon. Cette formation aérienne linéaire, compacte, ténébreuse, linéaire et massive n’était ni une ligne d’orages s’avançant sur l’océan, encore moins l’ombre portée d’un nuage d’orage sur les régions visitées. D’ailleurs ce n’était aucunement un nuage, juste une étendue informe, irrationnelle, indescriptible, et d’autant plus effrayante qu’irrationnelle et indescriptible... L’empire de l’apocalypse s’étendant sur le monde !
Stupéfié, j’avisai mon acolyte de ces observations et réflexions et, mettant fin à la partie de pêche, à 16h30, nous nous hâtâmes sur le chemin du retour.
Moins d’un quart d’heure plus tard, comme nous apercevions le sommet de la côte de Labour, l’interminable front obscur s’était transporté à toute vitesse dans le ciel et nous surplombait à présent tel la faîte d’une vague immense prête à nous engloutir. Du Pays Basque aux Landes, l’ouest de l’Aquitaine était tout entier comme plongé dans une nuit épaisse et ténébreuse. À l’intérieur de la Gascogne par contre, le ciel soutenait mordicus ses tons de bleu tropical, même si par endroit quelques altocumulus commençaient à dresser leurs tourelles. À cet instant précis la brise de terre cessa de murmurer aux oreilles des arbres.