Depuis une semaine, les résidents du camp improvisé d’Idomeni situé sur la frontière greco-macédonienne ont été contraints de laisser derrière eux leurs aménagements de fortune pour se voir installés dans des camps gouvernementaux grecs. Le campement d’Idoméni était devenu une prison à ciel ouvert : « Nous avons fui la guerre et l’encerclement chez nous, en pensant retrouver la liberté et une vie normale. Au contraire, nous vivons un deuxième état de siège au cœur de l’Europe ! ». En effet, depuis près de trois mois, des milliers de personnes s’y étaient engouffrées, n’étant dans les derniers jours plus libres de se déplacer. L’approvisionnement en vivres, comme une partie de l’aide extérieure était fermement limité.
Éreintés par leurs conditions d’existence, nombre d’entre eux ont été forcés d’accepter de quitter leur espace d’attente, les obligeant à concéder leur peu d’espoir aux promesses légales qui leur ont été faites. Ils espèrent, encore et toujours, faire entendre leur droit à l’asile, bénéficier du plan de relocalisation, tant vanté par les responsables de gouvernements mais restant à ce jour presque inopérant au vu du nombre d’ayants droit. D’autres se sont réfugiés dans les derniers camps informels de la région, dans la nature ou encore dans les villes de la région. Mais des centaines de personnes et familles, avec enfants, prêts à tout donner au risque de leur vie, tentent encore et toujours de passer en Macédoine, en Bulgarie ou en Albanie ou de retourner, faute de possibles, en Turquie, voire même Syrie.
L’application du récent accord du 20 mars « UE-Turquie » rend aujourd’hui presque indépassables les murs-frontières qui donnent accès, par la route des Balkans, aux pays du centre de l’Europe Les destinations envisagées par les populations qui fuient les conflits deviennent désillusion. Les promesses de la chancelière allemande, d’accueillir les victimes des grands conflits, ont été entendues par des centaines de milliers d’exilés, aujourd’hui condamnés par de nouveaux arrangements politiques. Mais que se passe-t-il, aujourd’hui, dans ces interstices des mondes ; lieux où les droits humains semblent devenir inconsistants ?
Au rythme de leurs itinérances, aux freins portés à leur mobilité et au respect de leurs vies, les chemins des personnes migrantes s’enlisent dans l’errance ou entre les murs des intolérables centres de détention, des hotspots, ou de camps gouvernementaux construits bien souvent à la hâte. La Grèce constitue, en effet, une porte d’entrée sur le territoire « Schengen », comme Calais en constitue une sortie. Dans cet espace de « libre circulation » s’appliquent les politiques migratoires votées au sein de l’Union Européenne. De nombreuses personnes présentes dans ces campements en paient brutalement les effets et peinent à faire valoir leur droit d’asile prévu par la convention de Genève.
A Idomeni, les ONG, journalistes et chercheurs constataient une recrudescence des souffrances somatiques multiples tels que les décompensations et les délires, des tentatives de mettre fin à sa vie, de s’extraire du monde. Leur santé mentale se dégrade au fil des jours, aggravée par les conséquences post-traumatiques des conflits, la souffrance de savoir encore leur famille menacés de la mort au pays et l’intarissable fatigue des corps comme des psychés. Sohail, 20 ans s’exprime : « Je nous vois tous devenir fous. Les gens ne se reconnaissent plus. Ici aussi nous mourrons, nous mourrons d’une mort lente ». Les personnes migrantes se trouvent complètement désinformées, entre la méfiance des informations reçues par les organisations responsables et l’afflux de rumeurs et faux-espoirs les laissant dans l’impossibilité de se projeter et de prendre action sur leurs vies.
En Grèce, en particulier, les conditions de vie dans les camps restent globalement inadaptées, elles participent aux options politiques de l’EU qui n’a de cesse d’étendre ses pratiques d’enfermement et d’expulsions. De leurs côté, les gouvernements des États-membres répondent par de l’anxiété sécuritaire : replis identitaires et « barriérisation » des frontières. Les campements de migrants se font et se défont dans un inlassable va et vient. Récemment, en France, la « jungle » de Calais fut démantelée en grande partie. Dans ce rapport de force, des milliers de personnes se sont dispersées dans la nature. Trois mois plus tard, le nombre de personnes y vivant est à nouveau le même, mais leurs conditions de vie ont été dégradées : preuve une fois de plus de l’inadéquation renouvelée des choix gouvernementaux en matière d’asile et d’immigration.
Où qu’ils soient dans les camps, tels des indésirables, des milliers d’enfants, d’adolescents, de vieillards et de familles s’y retrouvent. Le mépris de l’humain se perçoit aujourd’hui davantage qu’hier dans la façon dont sont traitées les personnes en exil malgré l’innommable contexte de guerre qu’elles fuient.
Le camp d’Idomeni, pour les personnes qui s’y trouvaient, représentait malgré tout, une forme d’espoir, une halte longue certes, mais non définitive sur leur route d’exil. À présent les migrants, divisés dans de nombreux camps, invités à s’enregistrer dans les procédures légales, nous disent craindre d’être complètement « invisibilisés », dans des conditions à peine meilleures que celles d’Idomeni. De fait, certains des nouveaux camps se trouvent relégués dans des zones industrielles, aux marges des villes, privés de mobilité : le programme de relocalisation, ils ont difficile d’y croire.
Relégués dans l’oubli, d’Idomeni à Calais, les personnes déplacées lancent des SOS, mais le monde semble rester sourd !