Pourquoi je pleure sur l’école de la République

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  • La maîtresse vient de me remettre – je n’en reviens pas – le carnet de notes de ma fille. Un carnet de notes, en petite section de maternelle ? Seriously ?

    (Ça s’appelle le « Livret d’évaluation des acquis », mais que c’est bel et bien un carnet de notes à l’ancienne, remis 2 fois par an aux parents, dans lequel les « acquis » sont notés A, B ou C.)

    • Oui Philippe, elle était d’ailleurs super-contente à Noël, parce qu’elle a reçu à l’école un très joli cadeau (subventionné par la mairie) dont l’aspect normatif ne m’avait qu’à moitié étonné : un magnifique service à thé en plastique rose. Les garçons, eux, avaient une sorte de monster-truck arachnoïde qui me faisait beaucoup plus envie.

    • Nous on avait eu la surprise, quand la grande était encore en crèche, de récupérer un jour un cahier avec des sortes d’exercices dedans (tracer des traits, ce genre de choses).

      Il s’agissait d’une intervenante extérieure, qui leur faisait faire ça « pour les préparer à l’école l’année prochaine » (soupir)...

    • Petite section ??? C’est vrai qu’ils poussent mémé dans les orties, cela dit, ce qui m’a le plus tué, c’est que les parents sont demandeurs, comme ça, ils ont l’impression de suivre les « progrès » de leur rejeton.

      J’ai une copine dont le gosse était noté à coup de smileys en moyenne section, ce qui est éminemment pervers, parce que voilà une codification que le gamin est tout à fait à même de comprendre. Un jour, le gosse est rentré à la maison avec un carnet pleins de smileys qui font la gueule et ce commentaire lapidaire :

      Ne maîtrise rien, sauf ses sphynters

      Les parents, fins comme comme une brandade de morue oubliée à la cantine municipale, se sont directement mis à se lamenter et à regarder leur gosse comme si on l’avait diagnostiqué autiste profond.
      Sauf que le gosse, je le connaissais et que j’avais joué avec lui : un peu rêveur, parfois brusque et bagarreur, comme on peut l’être à cet âge, il avait reçu une magnifique grue de chantier télécommandée pour son annif, genre, l’engin prévu pour des gosses du double de son âge. Et vous savez quoi ? Ce petit crétin manœuvrait bien mieux que moi le petit crochet au bout du bras pour prendre et déplacer des charges, soit une parfaite maîtrise des déplacements en 3D.

      Je l’ai dit aux parents et leur ai expliqué que ce prof était probablement un jeune con mal dégrossi. Mais bon, au final, ils ont envoyé ce gosse parfaitement normal et heureux se taper un chemin de croix chez une orthophoniste et une psychomotricienne pour « rattraper » son retard imaginaire, le tout en ponctuant leurs très nombreuses discussions sur ce sujet et en présence du gosse, de force soupirs et yeux levés au ciel.

      Ce qui fait qu’il y a fort à parier que le gosse, entre la réaction des parents, l’hostilité du prof et les contraintes médicales, a dû parfaitement intégrer le fait qu’il était un peu... différent.

      Donc, méfiez-vous de l’effet normatif de l’école, il peut être carrément lapidaire !

    • @monolecte : j’ai un peu cherché les réactions sur les forums, et je suis évidemment (comme à chaque fois qu’il s’agit de tous petits) tombé sur les forums de mamans. Et, oui, elles sont toutes super-contentes parce qu’elles vont bientôt recevoir le premier « carnet de notes » de leur niard en maternelle.

      Mais j’ai toujours pas compris si cette chose était une invention récente de la Sarkozye, si c’est obligatoire ou encore si c’est une initiative de l’école…

    • @baroug mouhahahahaha !

      @arno C’est assez récent, mais ma gosse (9 ans, CE2) y a eu le droit dès la grande section, à doses homéopathiques cependant, parce que ça dépend pas mal de la bonne volonté des enseignants, et chez nous, en dehors du blaireau de l’exemple, ils sont très conscients des travers de l’introduction précoce des notations.
      Le truc, c’est que oui, les parents sont demandeurs, parce qu’ils ont intégré la dimension compétition-tri précoce de l’école et ils y adhèrent.

      J’ai laissé tombé les parents d’élèves parce que j’y étais inaudible. Tous les ans, c’est mobilisation pour sauver SON école, SON prof, en concurrence directe avec l’école d’à côté. J’ai déjà dit que je voulais bien aller secouer le bureau de l’inspecteur de l’académie à condition que le discours soit :

      On ne lâche rien, aucune fermeture de postes est justifiable, on est tous unis contre vous, tout le département !

      Mais non, c’est chacun pour sa gueule et tout le monde dans le cul. Le recteur a parfaitement compris le truc et alterne les fermetures entre voisins : une année, le bled d’à côté perd son poste, et l’année suivante, c’est nous. Comme on ne les a pas soutenu quand ils étaient dans la merde (trop contents de n’y pas être nous-mêmes !) ben ils nous ignorent l’année suivante. En 3 rotations, tu peux fermer les écoles rurales et arriver à des écoles cantonales avec 20 mn de transport matin et soir et 35 élèves par classe.
      Voilà ce qu’on gagne à ne pas jouer collectif.

      De la même manière, impossible de faire entendre que les devoirs sont interdits au primaire. Ils sont ravis que les gosses aient des devoirs tous les soirs, et quand il n’y en n’a pas, c’est que la maîtresse fait mal son boulot et ils les réclament.
      L’inégalité des chances creusée par les variables domestiques des devoirs du soir, en fait, ça les arrangent bien aussi : parce qu’ils savent que si la mère a sacrifié sa carrière ou si elle n’est pas obligée de bosser pour des horaires et un salaire de merde (et si elle a eu un bon niveau d’éducation initial, mais bon, parfois, ils n’ont pas toutes les données !), les gosses seront avantagés d’office dans la compétition. Voilà ce qui leur importe : non pas d’éviter que l’école répète les inégalités sociales, mais au contraire, qu’elle les accentue afin de favoriser leurs gosses dans la course à l’échalote, tant ils ont parfaitement intégré qu’il n’y aura pas de gamelles pour tout le monde, que les places sont chères et que le tri est de plus en plus précoce.

      Donc, bienvenue, les gars, dans la grande foire d’empoigne de l’Éducation Nationale : vous n’avez pas fini d’en chier !

    • Et c’est terriblement contre-productif. Surtout que les parents ne sont pas toujours très clairs dans les rapports qu’ils ont eux-mêmes eu avec l’école. Ceux qui en ont chié ont tendance à projeter sur leurs gosses l’image d’une école-prison, d’une école-exclusion qui remet en scène à travers leurs gosses leur propre souffrance.

      J’étais une petite saleté de première de la classe. Donc, pour moi, l’école, c’était une bonne période de ma vie. En plus, j’étais populaire, parce que suffisamment fouteuse de merde pour ne pas être la fayotte des profs.
      Quand la gosse s’est mise à ramer en maths, j’ai laissé pissé pendant que son père paniquait grave, se rejouant sa propre incapacité dans la matière, ses rapports conflictuels avec un prof con. Plus il insistait sur les maths et moins la gosse embrayait. Il a fini par laisser pisser aussi (un peu marre de faire le père fouettard) et on a fait confiance à la maîtresse. Ben voilà, un trimestre plus tard, elle vient de ramener des 20/20 en maths à la maison.
      Fin de la pression...
      Pour le moment.

    • Je confirme pour l’éducation nouvelle. Nos deux filles y sont depuis cette année, et on voit une différence sur pas mal de points : absence quasi totale de devoirs, accompagnement et considération des élèves très différents, etc.

      Cela dit même dans ce cadre là les histoires d’évaluation finissent par pointer le bout de leur nez, notamment via des demandes de parents qui s’inqjuiètent un peu pour la rentrée au collège. Du coup c’est sous forme de « ceintures » plutôt que sous forme de notes, mais ça peut avoir des effets assez comparables (stigmatisation, dévalorisation de soi, compétition, etc.).

      D’ailleurs @peweck je crois avoir vu passer ton nom lors d’une réunion à l’école récemment :-)

    • @juba, je ne suis plus à Antony mais je continue de faire des images dans les différentes écoles (et en ce moment au Cafézoïde, soit dans ces lieux de l’enfance qui ont du sens !)

      Après faut s’entendre sur les mots et sur la manière de procéder : évaluation est différent de notation mais dans la pratique ça peut, effectivement, être la même chose si c’est pas compris.
      On pourrait avoir d’autres débats passionnants sur Autorité/autoritarisme, liberté/limite, apprentissage/dressage, individu/individualisme…

    • Pourquoi je pleure sur l’école de la République :
      http://www.liberation.fr/societe/01012369919-pourquoi-je-pleure-sur-l-ecole-de-la-republique
      "Hier, j’ai trouvé deux avis dans ma boîte aux lettres concernant mes enfants. L’un, de l’école primaire, avec cette phrase absconse : « Beneylu Jim se fera une joie de vous accueillir à l’adresse : www.beneyluschool.net ». L’autre, du collège : « Objet : mise à disposition de téléservices. » Il commence ainsi : « En tant que personne détentrice de l’autorité parentale, vous pouvez désormais mieux suivre la scolarité de vos enfants en utilisant les téléservices de consultation des notes… »"

    • Arf. Cela fait quelques années que les miens en sont sortis et ils n’ont pas grandi en chiraquie ni en sarkozie, mais la logique me semble similaire... Du coup, avec mon bagage de « travailleur social », j’ai vécu ça comme papa et comme « social ». En bref, tous les niveaux scolaires ont des objectifs « pédagogiques » et du coup, le système scolaire se met en branle dès le départ, la « violence symbolique » aussi... (http://fr.wikipedia.org/wiki/Violence_symbolique - http://www.barbier-rd.nom.fr/violencesymbolique.html)

      Du côté des intervenants (ou des des penseurs de l’intervention), l’intention de bien faire en informant les parents dès que possible, etc., est pensé positivement : permettre à chacun de travailler les « lacunes » pour améliorer la réussite scolaire. Mais par le fait même c’est l’échec scolaire qui est créé... C’est forcément normatif, c’est forcément arbitraire. Pour ceux qui rentre dans une spirale comme celle décrite par Agnès, c’est bien l’enfer qui nait de ces bonnes intentions. En l’occurrence, cela ne fait qu’anticiper de quelques années le système de création violence symbolique.

      De notre côté, tant la direction que l’association des parents tentaient de sensibiliser à la richesse des rejetons, de mettre en évidence leurs capacités et le fait que ces « évaluations » (on n’avait pas de carnet) sont à prendre avant tout comme une balise, non comme un diagnostic imposant forcément une thérapie (et certainement pas immédiate, les mômes changent et grandissent tellement vite...). Et puis il y a tous ces petits trucs tout simple qui peuvent aider chacun : jouer ensemble, découper ensemble, dessiner, faire des collages... Eviter les écrans en tous genres... Mais bon, peu de parents avaient le temps... Peut-être étaient-ils trop occupés par les rendez-vous de psychomotricité...

      De toutes façons, cela ne change rien au fait que l’école soit partie intégrante d’un système de reproduction des inégalités, mais on peut au moins tenter d’en adoucir l’approche par les performances, en renforçant l’approche par les relations... En attendant la révolution ?

    • Pour mes enfants en maternelle, 19, 17 et 13 ans aujourd’hui, il y avait déjà ces carnets d’évaluation allant de A+ à E.

      Mais globalement je n’ai jamais adhéré au système scolaire à la Française : trop de Français, trop de Math, trop d’Histoire-Géo, de chimie, de physique, de géologie et pas assez de : apprendre à apprendre, savoir se nourrir, savoir se laver, savoir entretenir son corps, savoir porter les premiers secours, savoir la vie en groupe.

      Les « réformes » du système scolaire se posent en grand débat sur plus de telle ou telle matière par rapport aux existantes ou dans les techniques d’enseignements et jamais sur ce que nous aimerions que nos enfants puissent acquérir de manière globale pour faire face aux défis rencontrés dans leurs vies.

      Qu’il y ai des notes donc, sur les apprentissages, coule de source puisqu’il s’agit de la petite section à la terminale et même au-delà de donner un satisfecit à ceux qui auront su reproduire le modèle imposé le plus longtemps possible.

    • En région parisienne, il y a bien une petite école qui résiste à la façon d’un village gaulois, il s’agit de l’école Decroly, un jour il faudrait que je me fende d’un article sur le sujet.

      http://www.ecoledecroly.com

      Je ne remercierai jamais assez mon fils Nathan de m’avoir guéri définitivement de toute angoisse dans le domaine normatif de l’éducation nationale, et de m’avoir délivré de quelques entraves dont je n’étais pas entièrement émancipé, un peu de celles qu’Agnès décrit plus haut dans son commentaire.

      Et même si mes enfants sont scolarisés tous les trois dans une école alternative à bien des égards, je garde une oreille sur le sujet, notamment grâce au site pas de zéro de conduite, dont je recommande la visite aux jeunes parents de notre petit groupe

      http://www.pasde0deconduite.org

    • http://seenthis.net/messages/54261
      De toute manière, le meilleur choix, c’est de défendre une école publique libre, gratuite et de qualité pour tous.

      Maintenant, la réalité, c’est que les pros de la prospective ont bien noté que nous n’avons plus d’industries productives dans ce pays et que le gros des besoins dans les prochaines décennies, ce seront des larbins pour torcher le cul des vieux et servir les fortunés... donc, le retour à l’asile (ancien nom de la maternelle, où l’on apprenait aux gosses de pauvres à lire, écrire et compter, juste ce qu’il faut pour être de bons serviteurs) et au certif est bien suffisant pour les prochaines années en terme d’éducation de la population.

    • @moderne sur Lyon y’en a deux, l’#école nouvelle du Chapoly et l’école nouvelle de la Rize. Les deux ont en général un stand au salon Primevère, si tu veux te faire une idée plus précise.

      Après, effectivement, ça reste une école privée (bon nous on dit « associative », mais c’est assez hypocrite). Et je suis bien d’accord que l’idéal et l’objectif c’est une école publique de qualité pour tous. Mais nous on a essayé, et ça a fini par deux années de scolarisation en famille pour s’en remettre :-(

      #éducation #école_nouvelle

    • Je ne prône pas les écoles alternatives à tout prix mais, entre le mythe d’un État qui serait au service des citoyens avec un chouette école n’a que trop vécu. L’Éducation Nationale n’est plus, pour moi, en dehors de quelques exceptions, à la hauteur de grand chose.
      Je ne sais pas pour les autres mais à Antony, il y a cette volonté de faire société. Sans être naïf sur la sélection par l’argent qui s’opère de manière différentes et peut-être finalement plus hypocrite dans le secteur public, il y a un projet de société de vivre ensemble, d’apporter aux enfants les outils de compréhension du monde, d’autonomie de chacun en interaction avec le groupe, l’envie d’apprendre et de découvrir, etc.
      La plupart des avancées inventées dans les écoles alternatives ou les crèches parentales se retrouvent, amoindries, dans le système, ce dernier a donc besoin des marges pour ne pas sombrer. Peut-être que ce n’est pas lui rendre service d’ailleurs…