• Cas d’école - Newsletter de C&F éditions

    Bonjour,

    Un mois après la rentrée, alors que se profilent de nouvelles menace de confinement scolaire pour au moins une partie des classes, et que les universités sont confrontées à de grandes difficultés d’organisation, je voudrais vous parler aujourd’hui de l’école.

    Avec la collection « Les enfants du numérique », nous avons essayé depuis des années de réfléchir au pratiques adolescentes et de les confronter au cadre scolaire, aux injonctions parentales et à la réalité des difficultés rencontrées par les adolescents vis-à-vis du numérique. Entre le cyberharcèlement, les paniques morales des adultes et l’idée trop répandue qu’une génération Z aurait la science du web infuse, il est compliqué de trouver un bon regard sur la façon dont le numérique percute à la fois les modes de vie adolescents et l’institution scolaire.

    C’est à ce travail de recul, de regard critique, d’espoir dans les usages adolescents comme de confiance dans la relation éducative que se sont livrées les autrices de la collection « Les enfants du numérique ».

    Pour mémoire :

    Anne Cordier : Grandir connectés, les adolescents et la recherche d’information , ISBN 978-2-915825-49-7, octobre 2015.
    Non, les ados ne sont pas tous autonomes comme La petite Poucette. Ne pas les former à la recherche d’information sur le web, c’est laisser les inégalités sociales des origines l’emporter au sein de l’école. Un ouvrage d’ethnographie scolaire, qui laisse une large place aux paroles des élèves.
    https://cfeditions.com/grandirConnectes

    danah boyd : C’est compliqué, Les vies numériques des adolescents , ISBN 978-2-915825-58-9, juin 2016.
    À la rencontre des adolescents, la sociologue danah boyd démythifie les idées préconçues des parents et des médias sur leurs pratiques. Finalement, les ados sont accros à la relation avec leurs pairs bien plus qu’aux machines. Surtout quand le numérique devient le seul moyen d’avoir une vie sociale, ce que le confinement est venu confirmer.
    https://cfeditions.com/boyd

    Henry Jenkins, Mizuko Ito & danah boyd : Culture participative, Une conversation sur la jeunesse, l’éducation et l’action dans un monde connecté. ISBN 978-2-915825-73-2, octobre 2017
    Un livre à trois voix qui définit la culture participative et qui en montre l’importance dans le monde numérique. Une mise en avant des capacité des adolescents à s’engager dans des actions civiques via des pratiques culturelles.
    https://cfeditions.com/cultureParticipative

    Marion Carbillet & Hélène Mulot : À l’école du partage, Les communs dans l’enseignement. ISBN 978-2-915825-93-0, avril 2019.
    Partant des pratiques ouvertes menées dans leurs CDI, à la découverte des communs et d’une philosophie du partage, les autrices défendent une conception de l’école faite du plaisir d’apprendre ensemble et de la dynamique des échanges inter-personnels et des apprentissages par l’expérience. Un livre majeur à relire suite à l’expérience du confinement pour comprendre que l’école va bien au-delà de la transmission des connaissances.
    https://cfeditions.com/partage

    Bérengère Stassin : (cyber)harcèlement, Sortir de la violence, à l’école et sur les écrans. ISBN 978-2-915825-94-7. juillet 2019
    Oui, la violence entre élèves existe et avec le numérique elle prend des formes nouvelles et se poursuit en dehors de l’enceinte scolaire. De nombreux exemples, souvent dramatiques, sont là pour nous le rappeler. Mais l’intérêt d’en faire un livre est avant tout d’ouvrir des fenêtres pour trouver des voies de sortie, entre Éducation aux médias et à l’information et jeu de rôle, entre action des associations et écoute des victimes. "Sortir de la violence".
    https://cfeditions.com/cyberharcelement

    Nous avons pas mal d’ouvrages en chantier dans cette collection, alors en cette période de rentrée, je tenais à vous re-présenter les livres déjà publiés, avant de parler bientôt de ceux qui vont sortir. Notamment de l’ouvrage « L’École sans école », un ouvrage multi-autrices et auteurs qui essaie de tirer les fils d’analyse et de perspectives suite à la période de confinement du printemps. Et qui parle des "invisibles" de l’école, celles et ceux qui au delà de l’enseignement de spécialité font du lieu de l’école un élément de socialisation et d’apprentissage mutuel essentiel. Mais chuuut, c’est pour bientôt.

    Bonne lecture,

    Hervé Le Crosnier

  • CS News: danah boyd Has Been Named Among Forbes Top 50 Women In Tech
    http://cs.brown.edu/news/2019/01/31/danah-boyd-has-been-named-among-forbes-top-50-women-tech

    The Forbes 2018 Inaugural Top 50 Women In Technology identifies three generations of forward-thinking technologists leading more than a dozen tech sectors across the globe. Honoring the top tech “Moguls, Founders, Engineers, Innovators and Warriors” in the world, this list recognizes those who are truly at the cutting edge of advancement within the STEM fields. This year, Forbes has included Brown CS alum danah boyd, highlighting her work on the intersection of technology and society.

    danah is currently working as a Principal Researcher at Microsoft Research, is the founder and president of the Data & Society Research Institute, and serves as a Visiting Professor at New York University. She also serves on the boards of Crisis Text Line and Social Science Research Council, and is a Trustee of the National Museum of the American Indian. Currently, danah’s research focuses on how data-driven technologies can amplify inequities, mistrust, and hate; she is also widely recognized as an authority in the field of social media research. In her book It’s Complicated: the social lives of networked teens, danah explores and uncovers some of the major myths regarding teens’ use of social media. She has made an enormous impact through her work on this subject, and this recognition follows a long list of accomplishments including the Award for Public Sociology from the American Sociological Association, the naming by Fortune as the “smartest academic in the technology field” and the naming as a “Top 100 Global Thinker” by Foreign Policy.

  • Bonjour,

    Comme vous l’avez peut-être appris, John Perry Barlow est décédé le 7 février des suites de ses problèmes cardiaques. Personnage flamboyant, auteur de la "Déclaration d’indépendance du cyberespace" (8 février 1996, hasard des dates), Barlow occupe une place à part dans la "mythologie" de l’internet. Bien que l’on puisse contester ses idées et son approche libertarienne, il faut lui reconnaître une plume, un style, une énergie hors du commun, qui a marqué très largement les discours sur l’internet et le cyberespace.

    L’auteur de science-fiction cyberpunk Bruce Sterling décrit Barlow en 1992 comme « un pur extraterrestre de la pratique des réseaux informatiques. Il avait une écriture de poète, concise et imagée. Il avait également la perspicacité d’un journaliste, ainsi qu’un esprit loufoque et le sens profond de l’autodérision. Enfin, il était tout simplement doué d’un charme personnel phénoménal. »

    Il est donc tout naturel que John Perry Barlow, et notamment son texte « La déclaration d’indépendance du cyberespace », ait été commenté par les auteur·e·s de C&F éditions. Quelques extraits ci-dessous.

    Olivier Ertzscheid : "L’appétit des géants : pouvoir des algorithmes, ambitions des plateformes"
    https://cfeditions.com/geants

    danah boyd : "C’est compliqué : les vies numériques des adolescents"
    https://cfeditions.com/boyd

    Fred Turner : "Aux sources de l’utopie numérique : de la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand un homme d’influence"
    https://cfeditions.com/utopieNumerique

    Olivier Ertzscheid

    L’auteur de « L’appétit des géants » lui a rendu un hommage très particulier et significatif dans les colonnes de Libération du 9 février. Il propose de ré-écrire la « Déclaration d’indépendance du cyberespace » en version 2018... non plus en s’adressant aux tenants du monde industriel, comme le faisait Barlow en 1996, mais aux géants du monde numérique qui emprisonnent l’énergie des internautes dans leurs systèmes de contrôle et leurs espace privés.

    Extrait :

    « Plateformes aux tons pastels et aux logos colorés, vous géants fatigués aux CGU d’airain et aux algorithmes d’acier, je viens du temps des internets d’avant, où nous n’avions pas de "comptes" mais des pages, où chacun pouvait disposer d’une adresse et n’était pas contraint d’habiter par habitude et par lassitude sous le même grand F bleu qui orne votre jardin fermé, et de vivre dans cette fausse proximité que vous nous avez tant vanté et qui est d’abord une toxique promiscuité.

    Au nom du présent que vous avez institué, je vous demande à vous qui êtes désormais le passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes plus les bienvenus parmi nous. Vous avez trop de souveraineté pour que celle-ci ne soit pas enfin questionnée et abolie. »

    On peut retrouver le texte complet et l’introduction/hommage sur Libération (http://www.liberation.fr/debats/2018/02/09/une-nouvelle-declaration-d-independance-du-cyberespace_1628377) et sur le blog Affordance (http://affordance.typepad.com//mon_weblog/2018/02/nouvelle-declaration-independance-cyberespace-hommage-john-perry )

    danah boyd :

    C’est dans la « Déclaration d’indépendance du cyberespace » que John Perry Barlow utilisa le premier la notion de " digital natives ". Jeune geekette à l’époque de ce texte, danah boyd est resté frappée par la verve de Barlow... mais montre elle aussi combien les dynamiques ont changé, et combien cette notion de "digital natives" est devenu la tarte à la crème des spécialiste du marketing, mais ne représente rien pour les jeunes, ni pour les sociologues.

    extrait :

    « Des manifestes, à l’image de la "Déclaration d’indépendance du cyberespace" de John Perry Barlow en 1996, me parlaient profondément. Barlow disait alors devant les leaders économiques réunis au forum de Davos que la nouvelle « maison de l’Esprit » permettait des « identités sans corps ». J’étais fière d’être une de ces enfants dont il parlait, et qui se vivait comme « native » de cette nouvelle civilisation.

    Vingt ans après, les dynamiques de l’identité en ligne s’avèrent très largement différentes de ce que les premiers adeptes de l’internet avaient imaginé. Même si les jeux en ligne et les mondes virtuels sont populaires parmi certains groupes de jeunes, il existe une différence culturelle majeure entre les sites qui permettent d’endosser un rôle et les médias sociaux, largement plus fréquentés, qui tendent à encourager une atmosphère beaucoup moins fictionnelle. Même si les pseudonymes sont fréquents dans ces environnements, le type de travail de l’identité qui se déroule dans les médias sociaux tels Facebook est très différent de celui que Turkle avait imaginé au départ. De nombreux adolescents aujourd’hui vont en ligne pour socialiser avec des amis qu’ils connaissent dans le monde physique, et ils se définissent eux-mêmes dans des contextes en ligne qui interagissent fortement avec des communautés sociales non-médiées. Ces pratiques, qui encouragent une plus grande continuité entre les mondes en ligne et hors ligne des adolescents, étaient bien moins fréquentes quand j’étais jeune. »

    et

    « La notion de digital natives a des racines politiques, principalement issues du techno-idéalisme américain. Dans sa volonté de contraindre l’élite globale à reconnaître l’importance de la société numérique émergente, John Perry Barlow, un poète reconnu, par ailleurs cyberlibertarien notoire, a forgé ce concept pour diviser le monde entre « eux » et « nous ». Barlow, connu pour avoir été le parolier du groupe The Grateful Dead, savait facilement trouver des mots provocants pour exprimer ses opinions politiques. Ce manifeste lançait un défi explicite aux « gouvernements du monde industriel ». En plaçant ceux qui « venaient du cyberespace » en opposition au monde du passé, il organisait l’affrontement des « natifs » et des « immigrants ».

    Barlow n’était certainement pas le premier à suggérer que les jeunes sont, en raison de leur date de naissance, intimement partie prenante de ce paysage numérique émergent. Mais son langage poétique a mis en relief les craintes implicites d’une fracture générationnelle qui accompagnerait les technologies. En écrivant sa déclaration, il voulait susciter des réactions… et il y est parvenu. Mais beaucoup ont pris sa métaphore au premier degré. Il était fréquent de voir des discours publics mettre en avant l’idée que les « natifs » auraient des pouvoirs et des compétences techniques particulières. L’idée sous-jacente de ces lectures de Barlow est que les adultes doivent craindre ces jeunes qui auraient hérité d’un savoir à leur naissance. »

    Fred Turner

    C’est bien entendu l’historien de l’internet Fred Turner qui offre dans son livre « Aux sources de l’utopie numérique » les hommages comme les critiques les plus soutenues de l’oeuvre et de l’approche de John Perry Barlow.

    Extraits :

    « Barlow rappelait à ses lecteurs « Je vis à barlow@eff.org. C’est là où j’habite. C’est ma maison. Si vous voulez me parler, c’est le seul endroit où vous êtes sûrs de me trouver, à moins que vous ne soyez déjà en face de moi – physiquement. Il est impossible de savoir où je suis. Depuis avril, je ne suis pas resté plus de six jours dans un même lieu. » Dyson et Barlow s’étaient transformés en paquets d’informations, au sens métaphorique, naviguant de conseils d’administration en conférence et agences de presse. Leur perception de l’espace s’était disloquée et s’ils avaient toujours le sentiment d’avoir un foyer, ce dernier était devenu distribué, collant parfaitement à leur idée d’avoir une maison sur la toile.

    De prime abord, la représentation du monde en système d’information telle que le conçoit Kelly s’inscrit fortement dans la pensée d’une époque, celle des années quatre-vingt-dix. Une analogie entre réseaux d’entreprises et écosystèmes naturels sous-tend cette représentation. Une analogie qui imprègne la vision, commune à Barlow et Dyson, d’un monde libéré de sa bureaucratie et guéri de sa schizophrénie grâce à l’internet. Mais à y regarder de plus près, elle pose également une énigme historique. L’idée selon laquelle le monde matériel peut être comparé à un système d’information et modélisé par ordinateur ne date pas de l’internet, mais apparaît bien plus tôt, durant la Seconde Guerre mondiale, dans et autour des laboratoires de recherche financés par l’État, notamment le Radiation Laboratory du MIT. Ces laboratoires ont orienté le développement de l’informatique aux États-Unis.
    [...]
    En 1990, la technologie et les méthodes de management caractérisant le WELL, en sus des réseaux qui s’étaient regroupés autour du système et des organisations proches du Whole Earth, servirent de références pour redefinir le cyberespace lui-même. Cette année-là, John Perry Barlow, expert en informatique, fut unanimement désigné comme la première personne à avoir accolé le mot cyberespace à ce qui n’était encore que le croisement entre les télécommunications et les réseaux informatiques. Puisant largement dans son expérience du WELL, il décrivait ce nouveau cyberespace structuré autour de réseaux informatiques comme une « frontière électronique ». Ce faisant, il bousculait la représentation autrefois dystopienne d’une informatique interconnectée en un espace imaginé pour que les individus puissent se recréer et construire leurs communautés dans les termes provenant des idéaux néo-communalistes. À l’instar des territoires ruraux des années soixante, le cyberespace de Barlow demeurerait au-delà de tout contrôle gouvernemental. Et tout comme un happening ou un Acid Test, il fournirait le décor et les outils au travers desquels les individus entretiendraient des liens intimes et désincarnés entre eux. En invoquant l’image de la frontière électronique, Barlow métamorphosait les normes locales du WELL, notamment son éthique communautarienne dérivée du Whole Earth, son allégeance à une forme de gouvernance non hiérarchique et sa rhétorique cybernétique, en une métaphore universelle de l’informatique en réseau. Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, l’image du cyberespace telle que dessinée par Barlow était sans nul doute devenue l’emblème le plus populaire non seulement des formes émergentes de communication via réseaux informatiques, mais également des formes horizontales d’organisation sociale ou encore des modèles dérégulés de transactions économiques.
    [...]

    Durant l’été 90, Barlow se rendit dans les bureaux du VPL Research de Jaron Lanier et endossa une paire de visiophones et de gants de données VPL. Il publia dans Mondo la description suivante de son expérience : « Soudain, je n’ai plus de corps. Tout ce qui reste du fatras vieillissant qui constitue la plupart du temps mon enveloppe corporelle, c’est une main auréolée d’or qui flotte devant moi telle la dague de Macbeth. Je pointe un doigt vers l’étagère de livres accrochée au mur du bureau et la parcours lentement de haut en bas sur toute sa hauteur... Dans cet environnement palpitant d’inconnu, j’ai été réduit à un seul point de vue. Le sujet “moi” bée intégralement dans un abîme de questions brûlantes. Un véritable Dysneyland pour épistémologues. » Barlow aurait très bien pu décrire là un trip sous acide. Malgré toutes les technologies numériques impliquées, l’expérience dont Barlow fait le récit appartient autant aux années soixante qu’aux années quatre-vingt-dix. Et au cas où le lecteur n’aurait pas percuté, Barlow cite Lanier : « Je pense que c’est le truc le plus incroyable depuis notre virée sur la lune » .

    Barlow qui s’était converti plutôt tardivement à la puissance des technologies numériques, était cependant un vieux briscard du mysticisme et du LSD. Fils de propriétaires de ranch dans le Wyoming, il avait été élevé dans un esprit Mormon, attaché au Parti Républicain. Il n’avait pas été autorisé à regarder la télévision avant l’âge de 11 ans et lorsqu’il le put, il regarda essentiellement des programmes de télévangélistes. À 14 ans, il fut envoyé dans une école catholique et, ironie du sort, c’est à ce moment-là qu’il commença à perdre la foi. À la n des années soixante, alors qu’il fréquentait l’Université de Wesleyan dans le Connecticut, il prit régulièrement part aux activités du groupe de Timothy Leary situé à Millbrook, dans l’État de New York. Sa foi refit surface à l’issue de son premier voyage sous acide. « Le sentiment qu’il y avait quelque chose de sacré dans l’univers m’animait de nouveau », raconta-t-il plus tard. Mais cette présence sacrée ne pouvait être contenue dans un dogme en particulier. Barlow se tourna plutôt vers les inclinations mystiques de Pierre Teilhard de Chardin, prêtre catholique dont il avait découvert les œuvres lorsqu’il était à l’université, et de Gregory Bateson, dont il avait lu Steps to an Ecology of Mind au début des années soixante-dix.
    [...]

    Au début du mois de juin, peu de temps après avoir lu le récit de Barlow sur le WELL, dans un geste qui est depuis entré dans la légende de la cyberculture, Kapor qui se trouvait à proximité de Pinedale, Wyoming, à bord de son jet privé, appela Barlow depuis son avion et lui demanda s’il pouvait faire halte chez lui. Ils s’étaient rencontrés auparavant tant socialement que professionnellement (Barlow avait interviewé Kapor pour le compte d’un magazine informatique) mais ne se connaissaient pas vraiment pour autant. Cet après-midi-là, assis dans la cuisine de Barlow, ils échangèrent sur les différentes opérations répressives menées alors par le gouvernement. Ils décidèrent ensemble de créer une organisation nommée la Computer Liberty Foundation. [...]
    La première et la plus influente des métaphores auxquelles se référait Barlow fut celle de la « frontière électronique ». Kapor et Barlow, tous deux maîtres incontestés de la mise en réseau, obtinrent rapidement une couverture médiatique pour leur nouvelle organisation ainsi que des propositions de financement en provenance de Steve Wozniak, cofon- dateur d’Apple, et de John Gilmore de Sun Microsystems. Ils initièrent une conférence sur le WELL et recrutèrent Stewart Brand pour étoffer le conseil d’administration de la fondation
    [...]

    Tous ceux qui étaient présents au dîner s’accordèrent sur l’idée que l’informatique en réseau était selon les propres termes de Barlow « d’authentiques confins ». « J’ai proposé Electronic Frontier Foundation durant le repas », se souvint Barlow, « et tout le monde semblait trouver ça bien. »

    En dépit de leur orientation libertarienne, les plumes d’Esther Dyson, de John Perry Barlow et de Kevin Kelly exhalaient un parfum de nostalgie d’un monde égalitaire. Pour ces auteurs, et pour ceux que leurs écrits auront guidé, l’internet public des premiers temps semblait préfigurer et aider à faire naître un monde dans lequel chaque individu pourrait agir dans son propre intérêt et dans le même temps produire une sphère sociale unifiée, un monde dans lequel nous serions « tous un ». Cette sphère ne serait pas gouvernée par les décisions de politiques agonistiques, mais s’en détournerait pour suivre le chemin de la prise de pouvoir individuelle assistée par les technologies et l’établissement d’agoras en pair à pair. Pour les prophètes de l’internet, comme pour celles et ceux qui s’en retournèrent à la terre quelque trente ans plus tôt, c’était le gouvernement, imaginé en colosse bureaucratique écrasant, qui menaçait de détruire l’individu ; l’information, la technologie et le marché représentaient alors le salut. »

    La boucle est bouclée. Du Barlow prestidigitateur du discours de l’internet à la situation de concentration et de dépendance actuelle de l’internet à une poignée de géants, il était temps de faire revivre des utopies positives pour que l’internet redevienne ce compagnon de la liberté et de l’action collective. Ce qu’Olivier Ertzscheid a tenté de faire dans son hommage/pastiche de la « Déclaration d’indépendance du cyberespace - V2.0 »

    Bonnes lectures à vous.

    Hervé Le Crosnier

    #John_Perry_Barlow #Fred_Turner #danah_boyd #Olivier_Ertzscheid #C&F_éditions

  • Intéressant article sur les relations sociales sur #Mastodon (mais cela s’applique à nd’autres rézosocios), la censure, le safisme, etc. J’ai bien aimé l’exemple de Bob et l’importance du contexte (et le problème du « context collapse », concept que je ne connaissais pas)

    https://nolanlawson.com/2018/01/02/decentralized-identity-and-decentralized-social-networks

    La solution proposée (systématiquement se couper en plusieurs personnalités avec des comptes différents sur des instances différentes) est tentante mais souffre de deux problèmes : un technique (les logiciels clients ne rendent pas cela très facile, et le risque de se tromper est élevé comme la fois où Assange avait utilisé le compte officiel Wikileaks par erreur). Et un autre problème plus politique : ce n’est pas satisfaisant de nier un aspect de sa personnalité.

  • Likez-vous les pratiques numériques des adolescents ?
    https://www.mesdatasetmoi-observatoire.fr/article/likez-vous-les-pratiques-numeriques-des-adolescents

    Lecture critique du livre de danah boyd « C’est compliqué, les vies numériques des adolescents » par Cécile Dolbeau-Bandin

    Pour parodier Saint-Exupéry, on pourrait écrire que le livre C’est compliqué, les liens numériques des adolescents de danah boyd est un livre d’adolescents pour les adultes. Cette étude socio-ethnographique, qui cherche à réconcilier les adolescents et leurs parents, est à la fois simple et complexe comme ses principaux acteurs. Boyd incite les parents à relativiser et à prendre du recul par rapport à l’usage d’Internet et des médias sociaux (Facebook, Twitter, Snapchat,WhatsApp…) par leurs enfants devenus adolescents. C’est un ouvrage avec un message quasi-universel s’appliquant principalement aux sociétés occidentales : comprenons et accompagnons ensemble et avec bienveillance nos adolescents dans leurs pratiques numériques.

    Ainsi, le fait de traîner avec leurs amis, que ce soit physiquement ou en ligne, est primordial pour les adolescents parce que c’est ainsi qu’ils apprennent la vie sociale. Et ils le font comme leurs aînés en rigolant, en draguant, en se défiant, en se méprisant, en testant leurs limites, en jouant, en se disputant, en s’enthousiasmant, en raillant, en s’évadant, en critiquant, en pastichant, en s’aimant, en se haïssant, en lançant des rumeurs… Aujourd’hui, ils se socialisent avant tout en ligne. Pourquoi ? La thèse de danah boyd est qu’« ils préfèrent Internet au réel ». La plupart des jeunes interrogés le disent : s’ils pouvaient voir leurs amis et traîner avec eux physiquement, ils le feraient. Mais ils ne le peuvent pas ou plus. En vingt ans, sous une double injonction à la fois économique et sécuritaire, les parents américains ont considérablement limité l’autonomie de leurs enfants (la peur de l’extérieur et le danger de l’inconnu a conduit à un cloisonnement plus important et une restriction des déplacements) et surchargent leur emploi du temps (accroissement de la compétition scolaire, charges familiales abusives). N’ayant plus le temps ni l’autorisation de traîner et de flâner, les adolescents le font ou du moins essaient de trouver du temps via Internet et les médias sociaux.

    Il n’y a pas un adolescent mais des adolescents fréquentant des labyrinthes numériques complexes. Boyd souligne d’ailleurs qu’il n’y a pas un accès égal à Internet : « les adolescents sont l’exemple type de la façon complexe dont la technique interagit avec la société. » et cite un des créateurs du web, Vinton Cerf : « Le Net est le miroir de la société. ». Les inégalités sociales et raciales se reproduisent en ligne, où les différences ethniques et leurs difficultés sont aussi présentes. Et puis, les jeunes sont très inégaux devant les réseaux du fait de l’hétérogénéité de leurs conditions d’accès à la technologie, résultant d’un contexte économique, social et culturel préexistant. Boyd refuse de « cataloguer » les adolescents en « digital natives » qui auraient un usage naturel voire inné du numérique. Elle remarque et constate qu’ils se heurtent souvent à des difficultés d’appropriation, d’usage, de compréhension, de contextualisation et qu’ils doivent aussi se former et apprendre.

    #danah_boyd #C_est_compliqué #C&Féditions

  • Arrêtez avec les sondages, dit danah boyd chez @hlc
    http://cfeditions.com/boyd/9novembre/sondages

    Il est temps aujourd’hui d’ouvrir un moratoire sur l’usage des #sondages dans les #médias. Et pour les statisticiens d’arrêter de nourrir les enchères médiatiques avec des sondages dont ils connaissent pourtant les #biais.

    Les sondages ont une belle histoire, une histoire que la majeure partie de ceux qui se fient aux sondages ne connaissent pas. Dans The averaged American, Sarah Igo décrit trois grandes enquêtes réalisées au milieu du XX siècle qui ont constitué les fondements sur lesquels les instituts de sondage modernes se sont construits : les études menées par Middletown, Gallup et Kinsey. En tant que chercheuse, c’est incroyable de voir la naïveté de ces pionniers, en matière de statistiques et de recueil des données. Mais il y a également un autre constat frappant dans ce livre : bien plus que partout au monde, les Américains avaient envie de contribuer à ce type d’études parce qu’il avaient le sentiment de participer ainsi à la construction de la vie publique. Ils avaient envie de révéler leurs pensées, leurs croyances et leurs idées parce qu’il pensait que cela leur apportait quelque chose, à titre individuel comme à titre collectif.

    #bias