Coronavirus : contre Agamben, pour une biopolitique populaire
"On pourrait dire, contra Agamben, que la « vie nue » a plus à voir avec le retraité figurant sur une liste d’attente pour un appareil respiratoire ou un lit de soins intensifs, en raison de l’effondrement du système de santé, qu’avec l’intellectuel qui doit se débrouiller face aux aspects pratiques des mesures de quarantaine."
"À la lumière de ce qui précède, je voudrais suggérer un retour différent à Foucault. Nous oublions parfois que ce dernier avait une conception très relationnelle des pratiques de pouvoir. En ce sens, il est légitime de se demander si une biopolitique démocratique ou même communiste est possible. Pour le dire autrement : est-il possible d’avoir des pratiques collectives qui contribuent réellement à la santé des populations, y compris des modifications de comportement à grande échelle, sans une expansion parallèle des formes de coercition et de surveillance ?
Foucault lui-même, dans ses derniers travaux, tend vers une telle direction, avec les notions de vérité, de parrhesia et de souci de soi. Dans ce dialogue très original avec la philosophie antique, il propose une politique alternative du bios qui combine de manière non coercitive les soins individuels et collectifs.
Dans une telle perspective, la décision de réduire les déplacements ou l’instauration d’une distanciation sociale en temps d’épidémie, l’interdiction de fumer dans les espaces publics fermés ou la prohibition de pratiques individuelles et collectives nuisibles à l’environnement, seraient le résultat de décisions collectives discutées démocratiquement. Cela signifie que de la simple discipline, nous passons à la responsabilité, vis-à-vis des autres puis de nous-mêmes, et de la suspension de la socialité à sa transformation consciente. Dans de telles conditions, au lieu d’une peur individuelle permanente, capable de briser tout sentiment de cohésion sociale, nous déplaçons l’idée d’effort collectif, de coordination et de solidarité au sein d’une lutte commune, éléments qui dans de telles urgences sanitaires peuvent s’avérer tout aussi importants que les interventions médicales."
Une biopolitique populaire
Prenons l’exemple de la lutte contre le VIH. Le combat contre la stigmatisation, la tentative de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une maladie réservée aux « groupes à haut risque », l’exigence d’éducation aux pratiques sexuelles saines, le financement du développement de mesures thérapeutiques et l’accès aux services de santé publique n’auraient pas été possibles sans la lutte de mouvements tels qu’ACT UP. On pourrait dire qu’il s’agit bien d’un exemple de biopolitique populaire.
Dans la conjoncture actuelle, les mouvements sociaux ont une grande marge de manœuvre. Ils peuvent exiger des mesures immédiates pour aider les systèmes de santé publique à supporter le fardeau supplémentaire causé par la pandémie. Ils peuvent aussi souligner la nécessité de la solidarité et de l’auto-organisation collective pendant une telle crise, par opposition aux paniques « survivalistes » individualisées. Ils peuvent également insister sur le fait que le pouvoir (et la coercition) de l’État doit être utilisé pour canaliser les ressources du secteur privé vers des orientations socialement nécessaires. Enfin, ils peuvent faire de la transformation sociale une exigence vitale.
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