Yves Bonnefoy, poésie vivante – DIACRITIK

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  • Disparition le 1er juillet d’un grand poète, dont la mort a été éclipsée par celle de Rocard et d’Elie Wiesel.

    « Yves Bonnefoy, poésie vivante » [Diacritik]

    https://diacritik.com/2016/07/02/yves-bonnefoy-poesie-vivante

    Gilles Deleuze disait que la vie ne meurt pas, que c’est le vivant qui meurt, pas la vie. Lorsqu’un poète comme Yves Bonnefoy décède, sa vie continue dans ses livres puisque c’est là que le poète est le plus vivant, que sa vie est la plus vivante — une vie qui n’est plus sa vie, mais qui est celle, impersonnelle et plus large que lui, d’une vie du monde.

    Pour Bonnefoy, la singularité du langage poétique réside dans le rapport que ce langage entretient avec le monde. Si ce rapport n’est pas immédiat, si le langage n’est pas immédiatement poétique, c’est qu’il est pris dans les significations qui effacent le monde, l’expulsent de lui-même pour ne le faire apparaitre que selon le point de vue de la signification. Le langage efface le monde, il s’agit par la poésie de le retrouver, c’est-à-dire de rendre possible une vie que le langage empêche.

    Dans la poésie d’Yves Bonnefoy, importe donc le monde, la poésie étant à la fois un moyen d’être au monde et un moyen pour le monde d’être pour nous, d’apparaître. Il est évident qu’une telle position n’est pas simple, puisque la signification colle au langage, qu’elle en est non seulement l’élément habituellement privilégié mais qu’elle lui est attachée comme consubstantiellement. La poésie n’est alors possible que par une tension entre le langage, la signification et le monde, tension par laquelle le langage doit s’efforcer de traverser ce qu’il est pour atteindre ce qu’il n’est pas, pour faire apparaître ce qu’au contraire il voile et efface. Construire par le langage ce qui s’oppose au langage, le fend et le traverse, pour qu’existe ce qui par le langage ne peut exister. L’œuvre d’Yves Bonnefoy est faite de cet effort incessamment repris, élaboré, enrichi, complexifié.

    La poésie d’Yves Bonnefoy autant que ses essais ou son travail avec la peinture sont orientés vers un monde qu’il s’agit de rendre possible – monde pour nous et avec nous, monde en lui-même, détaché de ce que nous pouvons lui ajouter, débarrassé de ce par quoi nous le recouvrons pour qu’il nous ressemble, qu’il soit à notre image et non pour nous un être autre. Le langage poétique chez Bonnefoy doit se faire symbole, permettant par-delà la signification un agencement nouveau avec le monde, un lien autre que celui par lequel le monde est perdu, une médiation avec le monde autant qu’avec nous-mêmes, contre les images de nous-mêmes que la signification nous conduit à produire. Cette poésie est habitée d’un espoir autant que d’une nostalgie : espoir de retrouver ce monde, nostalgie de ce monde que nous ne connaissons pas.

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