post-référendum, oligarchie triste, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 6 juillet 2016)

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  • Tsípras, ou le traité du vain combat
    https://blogs.mediapart.fr/dimitris-alexakis/blog/230716/tsipras-ou-le-traite-du-vain-combat

    Il paraît étrange d’affirmer qu’un événement qui était entré dans l’Histoire en soit par la suite ressorti ; tel est pourtant le sort pathétique qui semble être réservé au premier gouvernement d’Aléxis Tsípras et à la première contestation par un gouvernement élu des politiques d’austérité promues par les instances dirigeantes de l’Union européenne. Aléxis Tsípras, ou comment effacer l’Histoire. Source : Le blog de Dimitris Alexakis

    • Le cœur de la manœuvre porte sur la signification même de cette première séquence, sur sa dimension historique : non pas effacer le nom ou les traces d’une personnalité gênante mais effacer en bloc le #sens de l’#événement ; moins réécrire l’#Histoire que l’effacer en la rendant après coup illisible ; faire en sorte que, par un étrange mouvement rétroactif, cet événement, privé de sa dimension historique, ne soit pas réutilisable, ne soit plus opérant : désarmer l’événement. C’est ainsi que ceux qui soutenaient le gouvernement grec durant cette première période de négociations se sont retrouvés non seulement privés de victoire mais en quelque sorte floués d’une défaite et dépossédés de la signification même du combat auquel ils avaient pris part.

    • Cf. L’impossible équation du #Brexit, par Frédéric Lordon
      http://blog.mondediplo.net/2016-07-06-Post-referendum-oligarchie-triste

      Supposons donc, pour l’expérience de pensée, que nous soit échue la bénédiction d’un gouvernement authentiquement de gauche. Que peut-il mettre en œuvre qui ne se heurte aussitôt à la contrainte des traités ? Rien. Quelles solutions lui reste-t-il alors ? Trois.

      • Plier, comme Tsipras — et fin de l’histoire.

      • Entreprendre hardiment la bataille de la transformation de l’intérieur. Mais avec quels soutiens ? La désynchronisation des conjonctures politiques nationales nous offrira ce qu’elle peut en cette matière, c’est-à-dire pas grand-chose — comme l’a vécu la Grèce. L’alter-européisme nous prie dans ce cas d’attendre le grand alignement des planètes progressistes pour qu’advienne la nouvelle Europe — pourvu que le premier gouvernement de gauche soit encore en place au moment où la cavalerie des autres le rejoindra…

      • Désobéir. Mais il faut n’avoir rien appris des expériences de Chypre et de la Grèce pour imaginer le noyau libéral des institutions et des Etats-membres laisser faire sans réagir. Comme on le sait désormais, c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui a les moyens de mettre un pays à genoux en quelques jours, en mettant sous embargo son système bancaire. Sans doute y regarderait-elle à deux fois, considérant la possibilité de dommages collatéraux cataclysmiques. Elle n’en a pas moins tous les instruments permettant de régler finement l’asphyxie pour trouver son optimum punitif : tuer la croissance par étranglement du crédit sans pour autant mettre les banques à terre. Ceci pour ne rien dire de toutes les procédures de représailles inscrites dans les traités mêmes.

  • Brexit : post-référendum, oligarchie triste, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 6 juillet 2016)
    http://blog.mondediplo.net/2016-07-06-Post-referendum-oligarchie-triste

    Car il est avéré une nouvelle fois que les dominants, au sens le plus élargi du terme, non pas seulement ceux qui détiennent les leviers effectifs des pouvoirs, mais ceux que leurs origines ou leurs positions sociales ont dotés pour tout mettre à leur portée — l’accès à la culture, l’apprentissage des langues, la possibilité de voyager, les bénéfices moraux du cosmopolitisme —, les dominants, donc, ne comprennent pas qu’on puisse trouver à redire à ce monde qui leur est si aimable, et trouvent d’un parfait naturel qu’on tienne aussitôt pour nulles et non avenues les expressions électorales qui ne ratifient pas les leurs. Disons les choses de manière un peu plus synthétique : tous ces bons amis de la démocratie se torchent le cul avec la démocratie.

    Je dois confirmer que dans les proches avec qui j’ai échangé à la suite de ce référendum, ceux qui râlaient le plus fort, ressemblaient en tous points à cela : « ceux que leurs origines ou leurs positions sociales ont dotés pour tout mettre à leur portée — l’accès à la culture, l’apprentissage des langues, la possibilité de voyager, les bénéfices moraux du cosmopolitisme ».

    • Mais il ne faut pas bouder son plaisir. Les moments de décompensation de l’oligarchie offrent toujours de délicieux spectacles, et rien ne les déclenche comme un référendum européen — tous régulièrement perdus, c’est peut-être ça l’explication… On s’épargnera pour cette fois les charmes un peu fastidieux de la recension — Dieu sait que la cuvée est excellente, mais depuis Maastricht l’argument européiste n’est pour l’essentiel qu’un bêtisier continué. Notons rapidement cependant les particularités du cru 2016, avec en particulier cette fabuleuse pétition de re-vote, dont on connaît un peu mieux maintenant les arrière-plans douteux, mais sur laquelle l’éditocratie s’est aussitôt jetée comme sur la plus légitime des propositions. Mais ce flot d’énormités n’atteint vraiment au sublime qu’au moment où il se fait philosophie critique du référendum (et il faut voir la tête des « philosophes »…) — du référendum en son principe bien sûr, rien à voir avec les déculottées à répétition, on réfléchirait avec la même passion si le Remain l’avait emporté à 60 %. Dans un document pour l’Histoire, Pierre Moscovici explique que « le référendum sur l’Europe divise, blesse, brûle » (2). Et c’est vrai : mon lapin socialiste, ne mets pas tes doigts dans l’urne, tu risques de te faire pincer très fort.

    • On ne peut alors manquer d’être frappé par l’identité de réaction que suscitent les désastres électoraux variés produits à répétition par cette configuration politique : tout comme les poussées du FN, les référendums européens produisent immanquablement les mêmes « unes » géologiques — « séisme », « tremblement de terre » —, les mêmes solennels appels à « tout changer », et les mêmes avertissements que « rien ne peut plus continuer comme avant ». Moyennant quoi tout continue à l’identique. Pour une raison très simple, et très profonde, qui voue d’ailleurs toute cette époque à mal finir : mettre un terme aux avancées de l’extrême droite et aux référendums enragés supposerait de rompre avec les politiques de démolition sociale qui nourrissent les extrêmes-droites et les référendums enragés. Mais ces politiques sont celles mêmes du néolibéralisme !

    • C’est n’avoir toujours pas compris que la démocratie et le néolibéralisme, spécialement dans la variante ordolibérale allemande (6), n’ont rien à voir. C’est refuser, après pourtant trois décennies de grand spectacle, d’acter que le néolibéralisme est fondamentalement une entreprise de « dé-démocratisation » (Wendy Brown), de neutralisation de l’encombrant démos, et qu’il peut même, comme l’atteste avec éclat le gouvernement Hollande-Valls, se montrer parfaitement compatible avec les formes d’un autoritarisme bien trempé.

  • #Brexit : post-référendum, oligarchie triste, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, La pompe à phynance, 6 juillet 2016)
    http://blog.mondediplo.net/2016-07-06-Post-referendum-oligarchie-triste #st

    Les Britanniques, dit-on, ont accoutumé, contemplant la mer depuis la côte de Douvres les jours de brouillard, de dire avec cet humour qui n’appartient qu’à eux que « le continent est isolé ». Mais c’est de l’humour. C’est avec le plus grand sérieux au contraire que le commentariat européiste s’est exclamé qu’après le Brexit, « le Royaume-Uni est isolé ».

    http://zinc.mondediplo.net/messages/32081 via Le Monde diplomatique