Vie prive et publique des animaux

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  • [SMOLNY...] STAHL & GRANDVILLE : Vie privée et publique des animaux
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    Extraits de la préface :

    Désormais l’image de l’oppression n’est plus celle du noble juché sur le dos du manant, mais celle de l’âne qui tire sa charge, alors que le conducteur lui indique la direction ; et si la bête de somme est chargée du même poids de servitude, tous les efforts du nouveau système de représentation visent à montrer que la liberté et le progrès sont au bout de sa peine, et qu’il ne saurait donc y avoir de révolte légitime contre le propriétaire, puisque tout est fait pour le bien de celui qui est soumis au harnais de la discipline et du métier. Tel est en effet le système de l’esclavage moderne auquel les Animaux sont tenus de se plier et de rendre hommage, et voilà pourquoi, par quelque côté que les auteurs s’attaquent aux ridicules et aux vices de l’Animal, c’est toujours cette société que leurs traits satiriques prennent pour cible.

    Sous le travestissement des titres et des habits, ce sont les personnages de la bourgeoisie ordinaire qui se dindonnent, et Grandville les déshabille sous nos regards, les dépouille de la surcharge de parures et de chamarrures qui dérobent leur nudité. Et voilà dans le plus simple appareil cette nouvelle couche sociale avide de se montrer pour différente de ceux auxquels elle succède, alors qu’elle en hérite les difformités. Les Caricatures politiques des années 1830-1835 trouvent une source intarissable dans les us et coutumes de ce parc zoologique.

    Les signes du pouvoir sont tissés dans les vêtements mêmes, et comme le régime qui s’est mis en place et gouverne les esprits est le fruit d’un escamotage, du premier grand détournement de sens qui ait eu lieu dans l’histoire, la dénonciation du mensonge, l’ironie mordante sont présentes à chacune des pages et sous toutes les plumes.

    (p. 28)

    Grandville ne reste pas prisonnier des thèmes qu’il explore. Ses créatures s’arrachent au texte, et c’est en cela qu’elles s’évadent de son temps pour venir hanter le nôtre et prendre corps dans notre société. La caricature contient la vérité d’une réalité que rien n’altère. Le Volvoce serait-il pour nous autre chose qu’un monstre antédiluvien s’il était la simple représentation d’une épidémie dont nous ne conserverions pas la trace mémorielle ; et quelle place occuperait dans notre imaginaire le « Génie féroce nommé Misocampe » ? « Vêtu d’un corset comme les hallebardiers du Moyen Âge, protégé par une robe verte d’une dureté de diamant, et doué d’une figure terrible, le Misocampe, espèce d’ogre, jouit d’une férocité sans exemple [1] » La vue de ce « féroce guerrier » ne rappelle pas seulement « les Espagnols de Fernand Cortez débarquant au Mexique ». Ce conquistador côtoie bien d’autres génies, aux armoiries déconcertantes, et qui, pour être vêtus plus discrètement, ne lui cèdent en rien quant à la férocité.

    (p. 38)