Pour rĂ©duire ses Ă©missions, le parc automobile doit sâĂ©lectrifier, mais lâassociation Halte Ă lâobsolescence programmĂ©e (HOP) sâinquiĂšte du manque de rĂ©parabilitĂ© des Tesla et des « wattures » chinoises [et des Tesla,ndc]
Par Sophie Fay
Laetitia Vasseur en a des sueurs froides. AprĂšs les tĂ©lĂ©phones portables et des appareils Ă©lectroniques, la cofondatrice de lâassociation Halte Ă lâobsolescence programmĂ©e (HOP) publie, avec Julie Caillard et Flavie Vonderscher, un rapport intitulĂ© « Lâobsolescence accĂ©lĂ©rĂ©e et planifiĂ©e des voitures thermiques et Ă©lectriques ». Pour que les enjeux soient clairs, les autrices se projettent dans vingt ans et nous dĂ©crivent les routes, les garages et les cimetiĂšres de voitures Ă cette date. « Si rien ne change, nous allons tout droit vers des voitures jetables en 2044 », prĂ©vient cette militante de 35 ans qui a rĂ©ussi Ă imposer lâindice de rĂ©parabilitĂ©, devenu au 1er janvier indice de durabilitĂ©, pour les appareils Ă©lectromĂ©nagers.
Dans le monde dystopique de 2044 que trace HOP, « les vĂ©hicules Ă©lectriques ont une durĂ©e de vie assez limitĂ©e, car les batteries ne sont globalement ni rĂ©parables, ni remplaçables. En 2044, malgrĂ© une relative fiabilitĂ©, quand la batterie fatigue ou dysfonctionne, il faut jeter la voiture ! De ce fait, le secteur de lâoccasion nâest pas attractif. Dâautant plus que les efforts des constructeurs pour baisser les prix de production payent : les voitures Ă©lectriques neuves sont moins chĂšres quâavant ».
Aujourdâhui, la filiĂšre automobile version motorisation thermique est « Ă lâavant-garde des bonnes pratiques de rĂ©emploi, de rĂ©paration, de piĂšces dâoccasion, riche dâun Ă©cosystĂšme Ă©conomique divers et dynamique », salue HOP. Dâici vingt ans, tout cela peut avoir disparu. « En 2044, lâĂ©conomie circulaire repose essentiellement sur un nouveau modĂšle de “fast fashion” » de lâautomobile, peut-on lire dans le rapport. « On cherche prioritairement Ă intĂ©grer des matiĂšres recyclĂ©es Ă la fabrication plutĂŽt que de favoriser le rĂ©emploi ou la rĂ©paration. »
Aucune norme
Comment en arriverait-on Ă ce point ? La premiĂšre raison, ce sont les #batteries. Constructeurs et utilisateurs ont eu une bonne surprise avec celles de la Zoe, sortie en 2012, « qui affichaient encore une valeur moyenne de 80 % de leur capacitĂ© initiale aprĂšs dix ans dâutilisation », note Louis-Pierre Geffray, expert pour lâInstitut mobilitĂ©s en transition. Tesla annonce aussi une bonne performance : 10 % de perte sur la capacitĂ© initiale aprĂšs 200 000 miles (321 800 kilomĂštres).
Mais ces rĂ©sultats ne sont pas inscrits dans le marbre : ils ne correspondent Ă aucune norme. Ils pourraient se dĂ©grader, notamment si les automobilistes utilisent davantage la #charge_rapide. Les composants Ă©lectroniques des systĂšmes de gestion des batteries â dits BMS (Battery Management System) â ou la connectique entraĂźnent aussi des « pannes alĂ©atoires », selon HOP. La chimie des batteries peut aussi faire apparaĂźtre des dĂ©fauts en vieillissant. Les rĂ©parer est alors une opĂ©ration complexe pour laquelle peu de techniciens sont formĂ©s.
Se pose surtout un deuxiĂšme problĂšme : il nâest pas toujours possible dâaccĂ©der au pack batterie ou aux cellules qui le composent. HOP a fait appel aux techniciens du garage Revolte Ă Nantes, spĂ©cialisĂ©s dans la rĂ©paration de vĂ©hicules Ă©lectriques, pour comprendre les diffĂ©rents cas de figure. Pour rĂ©duire les coĂ»ts, certaines marques scellent les couvercles des batteries avec du silicone plutĂŽt que de les visser, dâautres appliquent une rĂ©sine ou une mousse entre le boĂźtier et les modules de batterie, ce qui les rend pratiquement irrĂ©parables.
« Câest la loterie »
Mobivia, lâactionnaire de Norauto, confirme que ces pratiques â que lâon retrouve dans les Tesla ou les voitures des deux marques chinoises les plus vendues en Europe, MG et BYD â conduisent_ « vers quelque chose qui ressemble de plus en plus Ă des batteries jetables ». Combien de temps les constructeurs europĂ©ens rĂ©sisteront-ils Ă ces pratiques moins coĂ»teuses ? Le mode dâintĂ©gration de la batterie ferait baisser le coĂ»t de fabrication de la Seal de BYD de 10 % par rapport Ă la MĂ©gane E-Tech de Renault.
« Câest la loterie pour lâautomobiliste lors de lâachat puisquâil nâa pas de moyens de savoir facilement quel modĂšle dispose dâune batterie rĂ©parable ou non, alors que celle-ci coĂ»te 30 % Ă 40 % de la valeur du vĂ©hicule », note HOP. Le plus Ă©tonnant pour HOP, câest le flou juridique : la batterie nâest pas considĂ©rĂ©e comme une piĂšce dĂ©tachĂ©e comme une autre et rien nâimpose, Ă ce stade, quâelle soit rĂ©parable et remplaçable et que le constructeur garantisse cette possibilitĂ© pendant sept ans comme pour un tĂ©lĂ©phone.
Une troisiĂšme tendance, popularisĂ©e par Tesla ou les constructeurs chinois, menace aussi la rĂ©parabilitĂ© des vĂ©hicules : le gigacasting. Cette pratique industrielle consiste Ă produire en un seul bloc les parties avant et arriĂšre du vĂ©hicule. Lâassemblage va plus vite et coĂ»te beaucoup moins cher (jusquâĂ 40 %). Mais « au moindre choc, il faut remplacer une partie si importante de la voiture quâil sera probablement plus rentable de la mettre Ă la casse », prĂ©vient HOP.
QuatriĂšme risque, avec ces voitures conçues comme des smartphones : lâobsolescence de certains composants Ă©lectroniques, du logiciel, ou encore la « sĂ©rialisation des piĂšces », Ă©quipĂ©es dâun verrou Ă©lectronique qui ne leur permet dâĂȘtre utilisĂ©es que sur le vĂ©hicule auquel elles sont appariĂ©es. Enfin, les voitures sont de plus en plus connectĂ©es et « les constructeurs renforcent progressivement leur monopole de dĂ©tention des donnĂ©es »_, note HOP, ce qui leur permettra de contrĂŽler les opĂ©rations de maintenance.
Bonnes pratiques
HOP nâest pas la seule organisation Ă sâinquiĂ©ter. Ce rapport va dans le sens des mises en garde renouvelĂ©es des assureurs. « Un automobiliste, en pensant Ă ses enfants, Ă lâenvironnement, aux ZFE [zones Ă faibles Ă©missions], peut passer Ă lâĂ©lectrique et, sâil tombe en panne aprĂšs deux ans, lorsque la garantie constructeur ne joue plus, se retrouver avec un vĂ©hicule qui subit un choc, tombe en panne et ne vaut plus rien », regrette Yann Arnaud, chargĂ© des relations avec les sociĂ©taires et de lâinnovation Ă la Macif.
Pour lâinstant, les tarifs de la Macif avantagent le passage Ă lâĂ©lectrique : « Nous construisons ainsi notre expĂ©rience et nos donnĂ©es », explique lâexpert, en reconnaissant que cela pourrait Ă©voluer. Laetitia Vasseur note que les primes dâassurance ont dĂ©jĂ augmentĂ© pour les vĂ©hicules Ă©lectriques au Royaume-Uni, crĂ©ant un coĂ»t cachĂ© pour lâautomobiliste.
La dystopie dĂ©crite par HOP nâa toutefois rien dâune fatalitĂ©. Les fondateurs du garage Revolte ont lancĂ© le rĂ©seau des « garages branchĂ©s » pour former plus de techniciens Ă la rĂ©paration des vĂ©hicules Ă©lectriques. « Volkswagen, Stellantis et Porsche ont crĂ©Ă© des “cliniques” de batteries en France », note le rapport, qui salue aussi le travail de Renault Ă Flins. « Nos enfants sont plus intĂ©ressĂ©s par lâextension de vie de nos produits que par leur remplacement. Câest une tendance sociĂ©tale, un changement quâil faut capter », a dâailleurs confirmĂ© Carlos Tavares, le patron de Stellantis, en visitant lâusine de moteurs Ă©lectriques de TrĂ©mery (Moselle).
Lâadoption de bonnes pratiques et de normes est dâautant plus indispensable que lâassociation HOP rappelle, dĂšs le dĂ©but de son rapport, quâil nây a guĂšre dâautre choix que la bascule vers lâĂ©lectrique pour rĂ©duire les Ă©missions. A quelques semaines des Ă©lections europĂ©ennes, elle demande donc aux candidats de prendre lâengagement dâouvrir vite une rĂ©flexion « multipartite » sur ces sujets, et de prĂ©parer un indice de rĂ©parabilitĂ© ainsi quâune extension de la garantie lĂ©gale.